Sous mes pas, le sol,
Élastique et résistant.
Dans les oreilles, la musique,
Monotone et enivrante.
Toujours le même parcours,
Courir sans y penser.
Drogué par les endorphines,
Quitter mon corps.
Retrouver mon passé évanoui,
Enfant ou adolescent.
Croire à un futur simple,
Imaginer avoir tout résolu.
Réémerger sans guérison,
Toujours sans solution.
Juste calmé,
Heureux d’avoir plané.
Demain, de jour comme de nuit,
Tiraillé entre des choix impossibles.
Demain, une autre dose nécessaire,
Plus forte, plus intense.
«
C’étaient les seuls moments où la tension qui m’habitait disparaissait. La morphine du rythme hypnotique et la monotonie du parcours toujours identique me conduisaient à ne plus penser. Je ne percevais plus que l’élasticité du sol, la régularité de mes foulées.
Enfoui dans la bulle de la musique et la pulsation du sang qui vibrait dans mes tempes, coupé de tous, de Cécile comme de Marc, je m’immergeais au plus profond de mes neurones. Je quittais mon corps. Seul, il continuait la course. Plus tard, je le réintégrerais.
Je retrouvais la chaleur de lieux accessibles et connus que de moi-même. Je redevenais l’enfant quasiment autiste à qui personne – ni mes parents, ni mes sœurs, ni quiconque – n’avait jamais eu accès. Pas de vrais amis, peu ou pas de jeux à plusieurs. Solitaire avant tout. Reclus en moi.
Assis sur ma chaise, face à mon petit bureau, je rejouais des parties contre moi-même, scrabble ou échec. J’inventais mes propres règles. Ou alors un problème de mathématiques. Ce n’était pas pour rien que j’avais excellé dans cet art des constructions théoriques et mentales. J’élaborais des scénarios complexes et enchevêtrés. Je construisais des univers où les symétries n’en étaient pas, où les additions n’existaient pas, où les nombres n’étaient pas encore nés. (…)
Je revoyais l’adolescent qui hantait les vestiaires des piscines, guettait des corps dénudés, et aimait s’y exhiber. Celui qui déjà n’aimait que des sexes semblables au sien, mais sans le comprendre, ni même s’en rendre compte. Je réhabitais les tentes de mes nuits de scout, où, glissé en slip dans mon duvet, j’attendais en vain un partenaire aventureux. Je repensais à ce petit voisin avec qui je me cachais sous une table couverte de multiples tissus la transformant en abri étanche à tous les regards. (…)
Je réémergeais de mes courses sans guérison, ni solutions. Juste provisoirement calmé, heureux d’avoir plané. Un long shoot. Je savais que demain, une autre dose me serait nécessaire. Plus forte. Plus intense. Plus profonde. La journée comme la nuit seraient longues. Tiraillé entre un passé et un présent incompatibles. Marc ou Cécile. Quel futur ? »
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