UNE POUPÉE DE CHIFFONS
Tapie dans l’ombre,
Abritée d’un rameau,
Cachée dans le Maïdan,
Elle m’attendait.
Blottie dans mes bras, elle se réchauffe.
Envahie de ses émotions, je revis.
Replongé dans une enfance oubliée,
J’ai retrouvé mon doudou perdu.
Maman, j’ai perdu ta main.
Où es-tu ?
Pourquoi es-tu partie ?
Seuls les pleurs m’habitent.
Maman, ce n’est plus ta main,
Ta main qui me manque.
C’est celle de Jacques,
Jacques, le neveu parti.
Assis à même le sol,
Sur une sente obscure,
Appuyé contre un tronc,
Longuement je pleure.
« Pour la troisième fois, je finis ma promenade par le Maïdan, la version locale de Central Park située au cœur de Calcutta et à proximité de mon hôtel. (…) Je choisis de m’écarter de la partie centrale, et m’engageai dans un chemin de terre serpentant entre des bosquets.
Là, tapie dans l’ombre, à moitié cachée par une branche qui s’inclinait sur elle, dormait une poupée de chiffon. Innocente, érodée par les pluies qu’elle avait endurées, elle gisait. À qui avait-elle appartenu ? Où était l’enfant qui l’avait perdue ?
Je me sentis envahi par un flot d’émotions, comme si je venais de retrouver mon doudou perdu. Machinalement, ma main se porta à ma bouche, et je dus me retenir de sucer mon pouce. Besoin de la prendre dans mes bras.
Je me laissai glisser sur le sol juste à côté d’elle, et posai ma main délicatement sur elle. Attention à ne pas appuyer. Le coton était tellement usé que mes doigts passeraient au travers. Presque transparent. Sous ce voile, elle était nue. Si douce, si fragile.
Je la pris, la déposai sur mes genoux et m’appuyai contre le tronc de l’arbre voisin. L’endroit était calme et paisible, suffisamment reculé pour que les passants ne s’y aventurassent pas. C’était sans doute pour cela que la poupée était encore là. J’étais en dehors du monde. Juste avec elle. Je la caressai lentement, et fermai les yeux.
Je sens la chaleur de la main de ma mère et la peur de la perdre. Je sais pourtant que cela va se produire. De rage, mes pleurs redoublent. (…)
Oui, tout petit, je ne supportais pas de lâcher la main de ma mère, aucune raison de mettre en doute les récits de ma famille. Mais rien de présent dans ma mémoire.
Non, la main dont je me souvenais, celle que j’avais perdue pour toujours, beaucoup plus tard mais trop tôt, trop brutalement, c’en était une autre : celle de Jacques. Jacques, mon neveu, qui avait grandi à mes côtés. Jacques qui était mort à quatre ans, quand moi je n’en avais que quinze.
Assis à même le sol dans le parc Maïdan, seul avec une poupée abandonnée, je pleurai. Longuement… »
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