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31 déc. 2011

BONNE ANNÉE 2012 !

Nous ne vivons pas une crise, mais une transformation du monde
Dernières heures de l’année 2011.
Une année pleine de heurts, de doutes et d’inquiétudes.
Une année où l’incertitude est venue sauter à la face de chacun de nous, se propageant sans cesse d’un bout du globe à l’autre, rebondissant dans les filets de la toile numérique, rendant toute prédiction non seulement incertaine, mais franchement illusoire.
Une année où le mot de crise est venu en leitmotiv dans tous les discours, où les agences de notation sont devenues les stars des media et des cours de bourse, où le fossé entre riches et pauvres s’est accru, du moins au sein de chaque pays.
Une année où la prise en compte des contraintes écologiques est restée au niveau des discours, où nous avons continué à consommer chaque jour davantage un peu plus de notre planète.
Mais aussi une année qui a vu le fossé entre pays riches et pauvres, à l’exception notable de l’Afrique, se combler… un peu.
Une année où l’espoir a surgi dans des pays condamnés depuis longtemps à la dictature, où l’énergie a été croissante en Inde, en Chine ou au Brésil.
Une année où, ici et là, localement et sans bruit, des gens ont agi et se sont mobilisés, où le monde s’est recomposé… un peu.
Et 2012 ?
Cette année sera ce que nous en ferons.
Peut-être allons-nous enfin comprendre que nous ne vivons pas une crise, mais une transformation du monde.
Peut-être saisirons-nous chacun là où nous nous trouvons, la chance d’agir différemment et ne plus penser à partir du passé.
Peut-être en France, élirons-nous un Président, et ensuite des députés, qui ne chercheront plus à diriger en s’appuyant sur le passé et les peurs, mais auront l’audace de le faire à partir du futur qui est en train de se construire.
De mon côté, je poursuivrai ce chemin au travers de nouveaux livres, de ce blog et de tout ce que je pourrai entreprendre.
Bonne année à tous !

22 déc. 2011

NOUS CONFONDONS CRISE ET TRANSFORMATION

Non, le futur n’est pas le reproduction du passé en pire
Le mot « crise » est sur toutes les lèvres, présent au détour des toutes les analyses, leitmotiv de cette fin d’année 2011. Cette crise omniprésente, qui fut d’abord vue comme courte et provisoire, est aujourd’hui perçue comme devant durer au moins en 2012, et pour la plupart beaucoup plus longtemps.
Mais, parler de « crise », c’est :
  • Penser que nous ne vivons qu’un moment transitoire et désagréable,
  • Imaginer qu’une maladie est venue troubler notre organisme et qu’il faut la soigner, 
  • Et finalement croire que le futur sera identique au passé. Serrons les rangs, donnons un bon coup de collier, et tout repartira comme avant, en quelque sorte !
Je crois qu’une telle vue est profondément fausse, et est largement source du désenchantement actuel. En effet, nous ne vivons pas une crise, mais nous nous vivons un processus de transformation : demain ne sera pas du tout comme hier, et, comme une chenille au moment de sa mue en papillon, nous subissons une réorganisation en profondeur de notre monde.
Quels sont les moteurs de cette transformation et en quoi le monde de demain sera-t-il si différent ?
J’en vois trois essentiels qui se renforcent mutuellement et s’articulent entre eux : 
  • Les niveaux et le mode de vie convergent entre tous les pays : le niveau de vie moyen d’un habitant de nos pays développés était en 1990, soixante fois celui d’un Chinois ou d’un Indien, et huit fois celui d’un Brésilien ; en 2010, il n’était « plus » que neuf fois celui d’un Chinois, trente fois celui d’un Indien, et quatre fois celui d’un Brésilien (voir mes articles Faire face à la convergence des économies mondiales et Nous n’éviterons pas la baisse de notre niveau de vie),
  • Le système économique et industriel passe de la juxtaposition d’entreprises et d’usines, à un réseau global et de plus en plus complexe : les entreprises ont tissé des réseaux denses entre elles, et entre leurs différents lieux de production. Chaque produit, chaque service, chaque transaction fait intervenir un nombre croissant de sous-produits, sous-services, sous-transactions. Impossible de démêler les fils de ce qui est devenue une toile planétaire.
  • L’humanité passe d’une juxtaposition d’individus et d’appartenances, à, elle-aussi, un réseau global et de plus en plus complexe : sous l’effet cumulé de la croissance de la population, de la multiplication des transports et du développement d’internet, les relations entre les hommes se tissent finement. Les pensées et les actions rebondissent d’un bout de la planète à l’autre, des intelligences collectives apparaissent. (voir l’article que j’ai consacré au dernier livre de Michel Serres Le temps des crises
Vers quoi allons-nous, je n’en sais rien. Comment une chenille pourrait se penser papillon à l’avance ? Mais je ne vois pas de raison d’imaginer que ce futur sera noir, et j’y vois plutôt des raisons d’espérer :
  • Un meilleur partage des richesses entre tous les pays est plus souhaitable, et moins dangereux que les écarts passés, et encore actuels.
  • L’émergence de réseaux collectifs – tant entre les structures collectives comme les entreprises, qu’entre les individus – est l’occasion de nouvelles découvertes, et d’enrichissements vrais, tant collectifs qu’individuels.
  • Notre passé tapissé de guerres et de gaspillages ne rend pas si sympathique la « chenille » que nous sommes en train de quitter.
Bien sûr, un tel futur est peuplé de défis qu’il faudra relever. En voici quelques-uns :
  • Comment protéger et développer le libre arbitre individuel dans un monde de réseaux ? Comment éviter l’homme de devenir une fourmi au service de sa collectivité ?
  • Comment faire en sorte qu’aux inégalités entre pays, ne succède pas une inégalité plus forte au sein de chaque région ou pays ?
  • Comment, propulsé par la puissance de ces réseaux, ne pas consommer encore plus vite note planète ?
  • Quelles structures politiques dans un tel monde ?
La naissance de ce nouveau monde prendra de longues années. Cette transformation qui est en cours, va se prolonger et s’accélérer. Quand sera-t-elle terminée ? Comment savoir ? Mais comment imaginer qu’elle ne va pas prendre plus de dix ans, probablement plus de vingt, et peut-être une cinquantaine d’années…
C’est de cela dont nous devrions parler, et non pas d’une crise. C’est à cela que nous devrions nous préparer. Une telle transformation est douloureuse, surtout dans sa phase initiale.
Mais si nous arrivions à faire comprendre que les difficultés actuelles sont des étapes nécessaires à la naissance d’un nouveau monde meilleur, alors chacun pourrait se mobiliser en positif.
Alors qu’aujourd’hui chacun est persuadé que le pire est devant nous, que le passé est un éden perdu, et qu’une descente aux enfers nous attend.
Nos pays, et singulièrement la France, sont riches de leur passé, et de le capital accumulé – il suffit de voyager un peu pour s’en rendre compte –, nous avons les ressources pour faire face à cette transformation.
A deux conditions :
  • Que nous ayons confiance en un futur meilleur et mobilisateur,
  • Que nous développions une politique de solidarité, faisant porter les efforts là où les richesses ont été accumulées effectivement.
Beaux sujets pour la campagne présidentielle à venir, non ?

18 oct. 2011

LA PERFORMANCE EST DANS LE PARTAGE ET NON PLUS DANS LA COMPÉTITION

Sortons enfin de la jungle
Un des mots clés du management est le mot « performance », et toujours implicitement par rapport à quelqu’un d’autre ou quelque chose d’autre : il faut être plus performant que son concurrent – faute de quoi, il va vous battre, et  vous allez disparaître, absorbé ou tué  –,  que son collègue – faute de quoi, il va vous dépasser et ne plus être votre collègue, mais votre supérieur –, et même que soi-même – faute de quoi, vous serez d’abord perçu comme stagnant, puis rapidement déclinant, et donc voué à une retraite anticipée.
Cette vision de la performance se couple avec celle de la croissance, et est une forme moderne de la cupidité, une réincarnation de la loi du plus fort régnant dans la brousse : mangé ou être mangé, grossir ou mourir, conquérir ou être asservi.
Or, dans le monde qui est devenu le nôtre, ce Neuromonde comme je l’appelle, nous sommes trop connectés les uns avec les autres(1) pour continuer avec une telle vision de la performance : on ne peut plus être durablement plus performant que les autres, on ne peut être performant qu’ensemble.
En effet, nous sommes multiplement codépendants : les entreprises se mêlent et s’entremêlent, les productions sont multilocalisées, les économies sont interdépendantes, les flux financiers n’ont pas de frontières, les hommes voyagent et s’hybrident, les cultures s’interpénètrent…
Et comme dans nos pays occidentaux, la crise est là, et que nous avons devant nous des années de décroissance de notre revenu(2), c'est une raison de plus pour comprendre que la vraie performance n’est pas dans la comparaison, mais dans le partage :
  • Il est juste que le niveau de vie des autres pays rattrape le nôtre, et que nous partagions avec eux les ressources de la planète,
  • Il est juste que, dans chaque pays, les richesses soient partagées pour protéger les plus faibles, et les victimes de la mondialisation,
  • Il est temps de repenser le management dans les entreprises sur le partage, et non plus la compétition.

Est-ce utopique ? Peut-être, mais avez-vous une meilleure suggestion à proposer ?

30 sept. 2011

PEUT-ON ÊTRE ÉLU EN PARLANT VRAI ?

Il est toujours pertinent de parier sur l'intelligence
Communément on croît que les hommes politiques sont condamnés à la langue de bois, et qu’il est suicidaire de dire ce que l’on pense. Je crois exactement le contraire.
Avant de m’expliquer sur ce point, je vais revenir sur ma vision de la crise actuelle, vision que j’ai présentée en détail dans mes deux derniers articles(1).
En résumé, nos problèmes actuels ne viennent ni de la crise financière, ni des endettements cumulés, car ceux-ci ne sont que des effets, et non des causes. La cause, c’est la convergence en cours entre nos pays (nous qui étions les « maîtres du monde ») et les pays ex-émergents, et aujourd’hui largement émergés (Chine, Inde et Brésil). Car, cette convergence, amorcée au début des années 90, et qui a pris toute sa puissance au début des années 2000, conduit à une baisse inexorable de notre niveau de vie.
Une métaphore pour me faire comprendre : prenez deux bassins ayant des niveaux d’eau très différents, séparés par des vannes, et approvisionnés par un cours d’eau. Commencez à ouvrir un peu les vannes : les niveaux vont alors se mettre à converger. Tant que la fuite est inférieure à l’apport d’eau, les écarts entre les niveaux se réduisent, mais le niveau le plus élevé ne baisse pas, au contraire. Ouvrons davantage les vannes. À un moment donné, la fuite devient supérieure à l’apport, et alors, le niveau le plus élevé baisse. Cette baisse durera tant que les niveaux ne seront pas identiques.
C’est très exactement ce qui nous arrive. La mondialisation a rendu communicante nos économies, et a amorcé la convergence, d’abord lentement, puis de plus en plus vite à partir des années 2000. Grâce à l’endettement, nous avons masqué un temps cette baisse, mais cela ne peut plus durer. Comme nous sommes encore en 2011, trente fois plus riche qu’un Indien, neuf fois qu’un Chinois et quatre fois qu’un Brésilien, la convergence n’est pas terminée, et va s’étaler sur les dix à vingt ans à venir… sans compter les dettes qu’il va nous falloir rembourser (Voir pour plus de détails, mes articles précédents, avec notamment des données précises issues de la Banque Mondiale).
Nous voilà donc face à une diminution de notre revenu d’environ 50% pour les années à venir, soit une baisse de 3 à 6 % par an si ceci s’étale sur 10 à 20 ans. C’est cette baisse qui fait craquer les coutures les plus fragiles.
Comme je l’ai indiqué précédemment :
  • Cette baisse est non seulement inévitable – on ne peut pas revenir en arrière sur la mondialisation, comme on ne peut pas séparer deux gaz après les avoir mélangés –, mais juste – comment pourrions défendre le fait de rester trente fois plus riche qu’un Indien ou près de dix fois qu’un Chinois ? -. De plus, ces pays sont maintenant suffisamment puissants pour ne pas accepter un quelconque retour en arrière.
  • Elle doit être supportée chez nous par les 50% de la population les plus forts (salariés des entreprises dominantes et des services et entreprises publics, et proportionnellement au revenu) et les budgets de l’État les moins prioritaires (pour pouvoir réinvestir dans l’Éducation, la Justice et la Recherche), ce qui veut dire pour eux un effort annuel de 5 à 10% par an. Le capital accumulé et la multiplication de dépenses non nécessaires rendent tout à fait possible un tel effort.
  • Il est urgent aussi de définir comment passer les difficultés immédiates actuelles. Mais si ceci n’est pas fait en intégrant la baisse à venir, aucune solution valide ne peut être trouvée. Pour prendre une métaphore médicale, on ne soigne pas une maladie en s’attaquant uniquement à ses conséquences.
Bref, en un mot, il y a une réalité à laquelle il faut faire face.

J’en reviens maintenant à ma question du début : peut-on être élu en parlant vrai ?
Je réponds oui, ce pour trois raisons majeures :
1.       La majorité des habitants de nos pays ne sont pas stupides :
Ils sentent bien que ce qui leur est dit est inexact, que les analyses sont fausses, et que souvent on leur ment. Comment en serait-il autrement quand tous ceux qui monopolisent le discours public ne font que se contredire semaine après semaine ?
De plus, malgré les critiques faites à notre système éducatif, l’intelligence collective s’est fortement accrue, et le pourcentage de ceux qui ont voyagé aussi. Pourquoi donc penser que la plupart sont hermétiques à un raisonnement simple et fondé ? Parier sur le manque d’intelligence est une forme de mépris.
Personnellement, j’ai fait le pari inverse en écrivant mes articles et en affirmant, haut et fort, que « la convergence était inévitable » et que « nous n’éviterions pas la baisse de notre niveau de vie ». Ai-je été traîné dans la boue ? Est-ce que mon analyse et mes conclusions ont déclenché colère ou rire ? Non, c’est exactement le contraire : je n’ai jamais déclenché autant d’intérêt et autant d’adhésion. Par exemple, mon deuxième article a été mercredi dernier le 2ème le plus lu sur AgoraVox, et y a été approuvé à 70% des lecteurs.
                                                              
2.       Les politiques sont rattrapés par leur déni de réalité :
Si nous continuons à refuser cette baisse et que nous la nions, toutes les anticipations resteront fausses, et donc toutes nos actions aussi. Nous irons de désillusions en désillusions, de plan d’urgence en plan d’urgence… jusqu’à ce qu’une quasi guerre civile survienne.
La confiance entre des dirigeants et un peuple repose sur l’existence d’une vision, fusse-t-elle dure, et non pas sur l’agilité d’une girouette capable de réagir au moindre souffle de vent. Elle repose aussi sur la sensation que celui qui dirige est sincère et juste. Comment être sincère sans avoir un cap ? Comment être juste quand on est le jouet des évènements ?
La rupture de la confiance va avec la montée des égoïsmes : égoïsmes des puissants qui, cyniquement, tirent un parti maximum de leur pouvoir actuel ; égoïsmes des salariés protégés qui, voyant leurs dirigeants préoccupés d’abord de leur fortune personnelle, maintiennent leurs avantages au préjudice des autres. Tout le monde sait où conduit la montée des égoïsmes.

3.       Le monde à construire dépasse celui des territoires locaux et des nations :
La convergence a été amorcée par la mondialisation des échanges et des entreprises. Ce n’était alors que le rapprochement des économies et des organisations. Avec le développement d’Internet, c’est la convergence entre les hommes qui s’amorce. Celle-ci sera infiniment plus longue, mais elle est déjà en cours. Il ne s’agit pas d’une dissolution des cultures dans une bouillie mondialisée, mais d’un tissage de plus en plus fin et dense entre les cultures et les origines. Ce nouveau métissage est porteur d’un futur qui s’invente de partout localement tous les jours. Nous allons être collectivement riches de nos différences et de nos échanges.
Comment ne pas voir ce mouvement en cours ? Comment les politiques pourraient construire pour la jeunesse un projet sur le repli et le protectionnisme ? Comment ne voient-ils pas l’archaïsme de leurs approches ? Comment ne pas comprendre que la progression des revenus n’est pas une fin en soi, mais uniquement une fuite en avant, de plus en plus artificielle et fausse ?
Et après, ils s’étonnent de ne pas soulever d’enthousiasme…

Même si mon propos porte sur tous les pays développés, j’observe bien sûr la campagne des présidentielles françaises au prisme de tout ce que je viens de dire.
Ce qui me frappe c'est que les seuls à formuler un diagnostic s’approchant du mien sont l’aile gauche du monde politique, et plus précisément Jean-Luc Mélenchon et Arnaud Montebourg. Ils pointent le doigt sur la mondialisation comme source des problèmes actuels ; ils l’inscrivent dans un processus en cours, loin d’être terminé ; ils insistent sur la nécessité de changer fondamentalement l’approche, si l’on ne veut pas voir se poursuivre la désagrégation du tissu social.
Mais je diverge sur deux points majeurs :
  • La mondialisation est souhaitable, ce qu’ils ne disent jamais : comment se dire humanitaire et vouloir maintenir le reste du monde en état d’infériorité ? Comment ne pas voir que nos villes sont déjà peuplées de personnes issues de ces pays dont on veut se protéger ? Où arrêter une vague de protectionnisme si on l’enclenche ? Comment ne pas déraper dans la montée d’égoïsmes multiples ?
  • La mondialisation est irréversible : comment détricoter les fils de la mondialisation, ou, pour reprendre ma métaphore,  séparer les molécules de gaz, une fois le mélange fait ? Comment croire que des barrières douanières seraient la solution, alors que les produits sont le fruit de processus complexe de fabrication ? Comment éviter les effets boomerang ?
Si je ne suis pas en phase avec les conclusions tirées par cette aile gauche, je ne vois pas les autres afficher une vision réaliste du futur :
  • Ils se centrent sur la crise financière, sans évoquer d’où elle vient.
  • Ils croient que l’endettement est due au passé, et qu’il s’agit « seulement » de le résorber.
  • Ils ne voient pas que la convergence entre les pays va continuer à nourrir cet endettement, si nous ne prenons pas acte de notre baisse tendancielle de revenu.
  • Ils imaginent qu’une croissance future viendra tout résoudre, les uns grâce à une incantation demandant aux entreprises d’investir et de se développer, les autres à une nationalisation les obligeant à le faire.
  • Ils parlent tous d’un miracle venant des petites et moyennes entreprises, en oubliant que l’Allemagne, elle aussi, est confrontée à la baisse de son revenu.

Je crois pourtant qu’il est encore temps et possible de parler vrai :
  • Pourquoi ne pas expliquer que la mondialisation ne peut plus se faire à notre profit, qu’il est juste de partager, et que donc elle va se poursuivre pour améliorer le bien-être des autres pays ?
  • Pourquoi ne pas montrer que nous avons une richesse accumulée, tant dans des sphères publiques que privées, qui peut permettre d’amortir ce choc, en protégeant les plus faibles ?
  • Pourquoi ne pas faire de « consommer moins, en vivant mieux » un projet mobilisateur ?
  • Pourquoi ne pas parier sur l’intelligence et le partage, plutôt que sur la domination et la compétition ?
Sommes-nous donc condamnés à être comme des animaux dans la jungle ?

26 sept. 2011

NOUS N’ÉVITERONS PAS LA BAISSE DE NOTRE NIVEAU DE VIE

On ne peut pas dissocier l’analyse des conclusions
Je fais suite à mon article paru su deux jours la semaine dernière sur mon blog (« La crise n’est pas née en 2008, elle est l’expression du processus de convergence des économies » et « Ayons le courage de faire face collectivement à la transformation en cours »), et relayé sur le Cercle Les Échos sous le titre « Faire face à la convergence des économies mondiales ».
Dans cet article, je montrais que nos pays, après avoir longuement dominé le reste du monde et organisé la mondialisation à leur profit, se voyaient depuis les années 90 soumis à un processus de convergence, amenant progressivement le niveau de vie moyen du Brésil, de la Chine et de l’Inde à se rapprocher du nôtre.
J’expliquais aussi que ce processus allait se poursuivre dans les dix à vingt ans à venir, et que, compte-tenu de notre endettement privé et/ou public qu’il allait en plus devoir rembourser, nous allions avoir à faire face à une baisse très sensible de notre niveau de vie moyen. J’avançais le chiffre de 50%, ce qui correspondait à une baisse de 3 à 6 % par an sur la période.
Je concluais enfin sur la nécessité de ne pas faire porter cet effort sur les plus fragiles, ou sur les budgets tels que l'Éducation, la Justice, la Santé ou la Recherche, ce qui allait supposer une baisse de 5 à 10% supportée par les moins fragiles et les dépenses les moins utiles.
Les réactions et commentaires que j’ai recueillis suite à cet article qui a donc été largement diffusé, m’amène à apporter les précisions et les compléments suivants.
Je suis tout d’abord heureusement surpris par l’accueil reçu et l’acceptation du diagnostic porté. Ceci montre que le langage de la vérité est possible, et que les experts et les politiques ont bien tort de ne pas le tenir. Je nous sens collectivement capables de faire face au réel, et c’est rassurant.
Ensuite certains m’ont dit partager mon analyse, mais pas mes conclusions. Comme je leur ai déjà répondu, on ne peut pas séparer les deux : mes conclusions ne tombent pas du ciel, elles sont le fruit de mon analyse. Donc on ne peut contester les conclusions, sans contester l’analyse. C’est un réflexe courant : refuser le reflet apparaissant dans le miroir quand il dérange.
Concernant donc les commentaires sur mon analyse, d’aucuns ont indiqué que je n’avais pas tout pris en compte, et notamment pas l’écologie et l’environnement. C’est exact. Mon analyse, comme toute analyse, n’est pas exhaustive, car c’est impossible. Par construction, tout raisonnement suppose une focalisation et des choix. La question à se poser n’est pas de savoir si telle ou telle donnée manque, mais si ce manque vient fausser le raisonnement. Or la prise en compte des contraintes écologiques ne vient pas modifier la convergence, mais la vitesse de cette convergence, car elle vient modifier le niveau de la croissance mondiale : le niveau actuel de consommation des ressources naturelles et la dégradation du bon fonctionnement de notre planète vont en effet très probablement freiner le développement. Ce ralentissement, loin de nous être favorable, risque d’abaisser plus drastiquement notre niveau de vie, car seule une forte croissance mondiale peut adoucir la chute. Comment imaginer que nous puissions durablement rester les propriétaires des ressources rares ?
Enfin on m’a aussi souvent interpelé sur les inégalités existantes au sein des pays émergés. Il est vrai qu’elles existent et sont croissantes, mais il en est de même chez nous. Le risque dans tous les pays est la montée des égoïsmes et le renforcement des puissants au préjudice des faibles. Le fait que des inégalités se développent en Chine, en Inde ou au Brésil ne va pas freiner la convergence, elle va simplement la rendre dangereuse, comme chez nous. C’est donc bien un combat mondial pour plus d’équité et de justice qu’il va falloir mener. Au risque de me répéter, je ne crois pas que nous puissions mener ce combat, en donnant des leçons aux autres, leçons que nous n’appliquons pas chez nous.
Agir positivement suppose d’abord que nous comprenions et acceptions que :
  • Nous ne sommes plus les maîtres du monde,
  • La convergence est en cours et va aller à son terme, ce qui est juste et bien,
  • Sous la pression de la convergence et de la nécessité de rembourser nos dettes, notre niveau de vie moyen va baisser durablement,
  • Les efforts devront être supportés par les puissants et les forts,
  • Il est possible de construire un nouveau projet positif, ne reposant plus sur la croissance et la domination,
  • Nous devons nous donner les moyens de passer la situation critique à court terme.
Est-ce que ce que je présente est le scénario du pire ? Je ne crois pas, je le crois réaliste. Et si jamais, la réalité nous était plus favorable, nous aurions alors à gérer de bonnes nouvelles, ce qui est facile. À l’inverse, à force de nous bercer de fausses bonnes nouvelles, à force de croire à des scénarios faussement optimistes, nous n’arrêtons pas d’encaisser des mauvaises nouvelles et des successions de tours de vis.
Ceci rejoint ce que j’écrivais, il y a un an dans mon livre « Les mers de l’incertitude » :
« Ceux qui vont réussir seront des paranoïaques optimistes : ils savent que le pire est possible, se sont préparés en conséquence et sont confiants de leur capacité à s’en sortir.
Comment vont-ils procéder ? Ils vont s’organiser non pas sur le scénario médian, mais sur le pire. En effet, si je centre mes actions sur l’hypothèse médiane, j’ai une chance sur deux d’avoir à faire face à une mauvaise nouvelle (sans parler de celles que je n’ai pas identifiées initialement). Je vais donc être constamment débordé. Si je démarre en fonction de la pire hypothèse, je n’ai alors plus que des bonnes nouvelles à gérer. Ma recommandation est de mettre ainsi l’incertitude identifiée à l’intérieur des marges prises et non pas à l’extérieur. Comme il va se produire en plus des événements totalement imprévus, autant n’être surpris qu’en positif par ceux que l’on a identifiés à l’avance. »
    

20 sept. 2011

AYONS LE COURAGE DE FAIRE FACE COLLECTIVEMENT À LA TRANSFORMATION EN COURS

Le Neuromonde est en train d’émerger et le vent de la convergence souffle de plus en plus en tempête (2)

(Cet article est la suite de celui paru hier)
Souffle donc depuis maintenant une vingtaine d’années, le vent de l’émergence du Neuromonde, né de la convergence entre nos économies et celles de la Chine, de l’Inde et du Brésil. Que peut-on faire ?
Faut-il et peut-on lutter contre la convergence en cours ?
Les sirènes du protectionnisme et du retour en arrière sont à l’œuvre de partout, mais il nous faut les ignorer car :
  1. La convergence est juste et éthiquement souhaitable : je rappelle qu'en moyenne, un habitant de nos pays est encore quatre fois plus riche qu’un Brésilien, neuf fois plus qu’un Chinois, et trente fois plus qu’un Indien. Au nom de quoi, pourrions-nous défendre le maintien de telles inégalités ?
  2. La convergence est irréversible : Elle est le résultat de l’imbrication des économies et de la mondialisation des processus de productions. La plupart des produits que nous utilisons tous les jours ne sont pas fabriqués en un lieu unique, mais dans de nombreux pays(1). Il est illusoire d’imaginer que l’on peut détricoter les fils : essayez donc de séparer des gaz après les avoir mélangés, ou de récupérer le sirop dans un verre de menthe de l’eau.
  3. La convergence va s’étendre à d’autres pays : Elle se diffuse progressivement à tous les pays de la zone Asie et de l’Amérique du Sud. Les évènements récents dans les pays du Maghreb vont eux aussi très probablement renforcer cette dynamique. Elle a enfin pour l’instant laissé de côté les pays d’Afrique Noire. Faut-il souhaiter que cela perdure ?
Quoique l'on fasse, cette convergence va donc se poursuivre... et c'est heureux.
Que peut-on faire ?
Doit-on baisser les bras et sombrer dans une morosité collective, en se contentant d’observer notre déclin collectif ? 
Certes, non, mais symétriquement, il ne sert à rien de nier le sens et la force du vent, et toute action doit partir d’un principe de réalité et de l’acceptation de ce qui est inévitable, à savoir que :
  • Il est illusoire de penser que nous allons pouvoir enrayer notre baisse de pouvoir d’achat collectif, car la vitesse de convergence est trop rapide pour pouvoir être comblée par la croissance.
  • Cette baisse va être rendue plus forte, car nous allons devoir rembourser les dettes privées et/ou publiques accumulées. Vu le niveau de l'écart actuel versus les pays en émergence et celui des endettements, je crois qu'il faut se préparer à une baisse de 50%.
  • Ce baisse va s’étaler sur les dix à vingt ans à venir, soit une baisse de 3 à 6% par an pendant la période.
Quitte à paraître provoquant, je voudrais poser une question brutale : est-ce si grave ? 
Ne  pouvons-nous pas collectivement supporter une telle baisse ? Ne pouvons-nous pas gérer une diminution de 3 à 6 % par an de notre niveau de vie ? N’avons-nous pas collectivement suffisamment de richesses accumulées nous permettant d’y faire face ? Ne pouvons-nous pas arrêter de construire des ronds-points en forme d’œuvres d’art(2), de refaire sans cesse nos routes départementales, de dépenser autant de milliards d’euros dans le budget de la Défense(3), d’acheter le dernier smartphone, ou d’avoir des voitures qui passent l’essentiel de leur temps, immobiles ou avec un seul passager à bord ?

Mais ce raisonnement qui est exact en moyenne, ne l’est plus, si on l’applique aux plus défavorisés, ou à des budgets comme ceux de l’Éducation, de la Justice, de la Santé ou de la Recherche : ils ne peuvent pas supporter une quelconque baisse. Au contraire, les sommes aujourd'hui allouées sont souvent insuffisantes.
Appliquer une baisse à tous serait même dangereux, car le tissu social volerait en éclat, et cela nous conduirait à nous affronter les uns les autres.
Aussi, la baisse ne doit-elle porter que sur les dépenses les moins utiles, et les efforts ne doivent être demandés qu’aux moins fragiles, c’est-à-dire à ceux dont les revenus dépassent un certain niveau, et/ou qui sont protégés par les organisations privées ou publiques pour lesquelles ils travaillent. N’est-il pas légitime de leur demander de tels efforts, soit une baisse probablement de 5 à 10% par an,  pour protéger ce qui doit l’être et construire ensemble une société plus juste ?
Une telle remise en cause peut-elle être conduite isolément pays par pays en Europe ? Sûrement non. Elle devrait conduire à un rapprochement de nos pays, et à plus d’union. 
Peut-elle être amorcée simultanément dans tous les pays ou être initiée par la commission européenne ? Je ne le crois pas. Elle devrait partir d’initiatives locales, se propageant d’un pays à l’autre.
Je suis conscient que mon propos peut paraître fataliste ou utopiste. Je le crois réaliste, et in fine inévitable. Chacun d'entre nous sent bien que nous sommes en train de changer de monde. Mon pari est que nous sommes prêts à entendre un discours vrai, même s'il est dur, à condition qu'il s'appuie sur une solidarité réelle.
Alors pourra naître une mobilisation conduisant à la construction d'un projet pour un futur commun et positif, futur qui ne reposerait plus sur les égoïsmes locaux, et le dogme de la croissance des biens et de la consommation.

(1) Tous les produits complexes ne sont pas fabriqués en un lieu unique, mais sont l’assemblage de sous-ensembles venant d’usines multiples. Même à supposer que toutes ces usines soient localisées dans un même pays, la chaîne de production de ces usines comprend des machines-outils et des logiciels de production qui viennent d’autres pays.
(3) Selon un article paru le 25 août 2011 dans le Wall Street Journal (voir la carte ci-jointe), le budget 2011 de la défense en France est de 51 Milliards $, alors qu’il n’est que de 42 Mds $ en Allemagne, 27 Mds $ en Italie, et 16 Mds $ en Espagne. Seul, le Royaume-Uni dépense plus avec 57 Mds $. Si l’on ramène ces montants, au nombre d’habitants des pays, nous dépensons 809 $ par habitant, versus 912 au Royaume-Uni, 513 en Allemagne, 447 en Italie et 340 en Espagne.


            

19 sept. 2011

LA CRISE N’EST PAS NÉE EN 2008, ELLE EST L’EXPRESSION DU PROCESSUS DE CONVERGENCE DES ÉCONOMIES

Le Neuromonde est en train d’émerger et le vent de la convergence souffle de plus en plus en tempête (1)

Depuis 2008, la crise est omniprésente et hante tous les discours, politiques comme économiques. La montée en puissance des déficits publics, la situation critique de la Grèce, les risques de propagation à l’Espagne et l’Italie, le yoyo de la bourse, les anathèmes contre les agences de notation viennent nourrir constamment toutes les craintes.
Or sans nier bien sûr la gravité de la situation actuelle, je pense que ce ne sont que des symptômes et des conséquences d’un processus à l’œuvre depuis longtemps. J’ai la conviction que la plupart des acteurs se comportent comme un navigateur qui ne se préoccuperait que de la forme de sa voile et la tenue de son gouvernail, en ne s’intéressant ni à la météo,  ni à la force et la direction du vent.
Oublions donc un instant les mouvements en cours, et cherchons d’où vient le vent…
Quel vent a provoqué la crise ?
Ce qui est à l’œuvre est la convergence progressive entre le niveau de vie des pays occidentaux, et celui des pays appelés initialement émergents, – aujourd’hui largement émergés  –, à savoir la Chine, l’Inde, le Brésil. Cette convergence est un des éléments de l’émergence de ce que j’appelle « le Neuromonde »(1).
En effet, la prospérité de nos pays avait, jusqu’à présent, largement dépendu de notre domination sur le reste du monde, domination tant politique qu’économique. Nous étions les « maîtres du monde», personne ne venait nous concurrencer, et la compétition réelle ne se passait qu’entre nous. 
Normal qu’en conséquence, nous en tirions bénéfice, et que notre niveau de vie moyen soit considérablement plus élevé : au début des années 70, un habitant de nos pays était en moyenne trente fois plus riche qu’un Chinois ou un Indien, et six fois plus qu’un Brésilien (voir le graphe ci-joint) (1).
À partir des années 70, le développement de la mondialisation des activités des entreprises a d'abord renforcé notre domination : entre 1970 et 1990, notre richesse relative versus la Chine et l’Inde a doublé. La croissance a été plus lente par rapport au Brésil.
À partir des années 90, le processus s'inverse : en 1990, la convergence s’amorce pour la Chine, puis en 1994 pour l’Inde, et beaucoup plus récemment en 2004 pour le Brésil. En 2010, nous n’étions « plus que » quatre fois plus riche qu’un Brésilien, neuf fois qu’un Chinois, et encore trente fois qu’un Indien(2).
Que s’était-il passé ? Sans entrer dans le détail, on peut résumer en disant que ces pays ont su jouer dans les règles du jeu que nous avions mis en place. En vrac : les pouvoirs politiques locaux ont appris à susciter et nourrir le développement ; les compétences locales individuelles se sont accrues ; des entreprises sont nées, d’abord sous-traitantes, puis progressivement autonomes ; un marché local s’est développé ; nos propres entreprises ont développé des stratégies faisant de leur terre d’origine, un pays parmi d’autres.
Quel a été l’effet de cette convergence sur nos économies ?
La convergence amorcée en 1990 ne s’est  pas traduite pour l’instant par une baisse de notre revenu par habitant : il a plus que doublé entre 1990 et 2008, passant en moyenne de 19000 $ à 40 000 $, puis est resté stable. A noter aussi un palier entre 1996 et 2002 (voir le graphe ci-joint).
Si l’on analyse chacun des cinq pays de l’ex G5(3), la réponse est plus nuancée :
  • On voit clairement apparaître la dépression japonaise amorcée en 1996 et se prolongeant jusqu’en 2003.
  • Les évolutions de L’Allemagne et la France sont parallèles, et les courbes se superposent à partir de 2002. On constate une baisse de 1996 à 2002, plus forte pour l’Allemagne, puis une croissance rapide et régulière jusqu’à 2008.
  •  Le Royaume-Uni et les États-Unis ont une croissance régulière et constante de 1990 à 2008. Mais alors que les États-Unis marquent alors un palier, le Royaume-Uni chute sensiblement entre 2008 et 2010.
Peut-on en déduire que cette convergence aurait donc été indolore pour nous, et que notre croissance était réelle ?
  • Oui pendant les années 90, car la taille des économies des pays en train d’émerger était alors suffisamment petite. Pour faire simple, ils n’étaient encore qu’émergents, et ne venaient pas significativement perturber notre système global.
  • Non à partir des années 2000, et nous nous avons largement vécu à crédit, crédit privé dans certains pays, public dans d’autres, voire les deux.
Et en 2008, la crise de l’endettement a explosé en partant des États-Unis.
Qu’en est-il aujourd’hui ?
L’impact de cette convergence sur nos économies est croissant, et nous ne dominons plus le monde :
  • La taille des pays émergés est de plus en plus grande,
  • Le niveau d’éducation de leurs habitants et les performances individuelles de leurs entreprises se rapprochent des nôtres,
  • Ils s'affirment de plus en plus sur la scène internationale(4).
Ce vent, qui souffle de plus en plus en tempête, fait éclater les parties les plus fragiles de nos bateaux : il s’est d’abord attaqué aux Américains que l’on avait poussés à s’endetter, et aux établissements financiers qui vivaient de martingales ; puis ce fut le tour des Etats comme l'Islande ou la Grèce ; maintenant, c'est l'inachèvement de la construction de la zone euro, qui est mise en question.
S’il faut évidemment veiller à renforcer la solidité des coutures et lutter contre les fragilités, ce n’est pas suffisant, car la tempête est là pour de longues années : les écarts avec le Brésil, la Chine et surtout l’Inde sont encore très importants, et, si l’on prolonge les courbes, les niveaux ne devraient être voisins que dans environ vingt ans(5).
Aussi faut-il tuer trois idées reçues :
  • La crise a commencé en 2008 : non, car elle est l’expression de la convergence amorcée, il y a vingt ans.
  • La crise est derrière nous : non, car la convergence est seulement en cours, et elle va durer encore probablement une vingtaine d'années.
  • Le pire est passé : non, car, pour l’instant, nous avons pu protéger notre niveau de vie moyen, ce qui, vu notre niveau d'endettement, ne sera plus possible demain.
Alors que peut-on faire ? Rien ?

(à suivre)

(1) Dans mon livre Neuromanagement (éditions du Palio, 2008), j’avais écrit une « Digression dans un neuromonde » dont j’ai publiée l’essentiel dans les articles suivants : « Histoire de télescopage »,  « Tous connectés, tous dépendants », et « Les rois sont nus ». Voir aussi l’article que j’ai consacré à une conférence de Michel Serres en février 2011 : « Nous avons besoin de nouveaux Robins des bois », et ma vidéo « Nous sommes pris dans les mailles du Neuromonde »
(2) En prenant comme élément de mesure le revenu national brut par habitant (RNB par habitant, méthode Atlas (en $ US courants, Banque Mondiale)
(2) A noter que l’Inde se retrouve en 2010 dans la même position relative qu’en 1972.
(3) Allemagne, France, États-Unis, Japon, Royaume-Uni
(4) Témoin, la proposition récente de leur part de soutenir l'euro.
(5) Cette durée n’est évidemment pas à prendre comme une prévision, mais elle montre que la crise est d’abord largement devant nous.

30 août 2011

LA VÉRITÉ VIENT D’OUTRE-TOMBE

2011=1825 ?
Les Mémoires d’Outre-tombe de Chateaubriand ont accompagné mon itinérance aléatoire de cet été, itinérance allant des rives de Siem Reap à celle du Mékong. Un passage m’a particulièrement frappé par sa modernité et son actualité. Le voici, tel quel, sans avoir retiré ni ajouté un seul mot :
« L’univers change autour de nous : de nouveaux peuples paraissent sur la scène du monde ; d’anciens peuples ressuscitent au milieu des ruines ; des découvertes étonnantes annoncent une révolution prochaine dans les arts de la paix et de la guerre : religion, politique, mœurs, tout prend un autre caractère.

Nous apercevons-nous de ce mouvement ? Marchons-nous avec la société ? Suivons-nous le cours du temps ? Nous préparons-nous à garder notre rang dans la civilisation transformée ou croissante ?
Non : les hommes qui nous conduisent sont aussi étrangers à l’état des choses de l’Europe que s’ils appartenaient à ces peuples dernièrement découverts dans l’intérieur de l’Afrique. Que savent-ils donc ? La bourse ! Et encore ils la savent mal.
Sommes-nous condamnés à porter le poids de l’obscurité pour nous punir d’avoir subi le joug de la gloire ? » (1)
No comment…
 (1) Mémoires d’outre-tombe, Livre vingt-huitième, chapitre 12

23 août 2011

NOUS AVONS BESOIN DE NOUVEAUX ROBINS DES BOIS

La crise est due à la tectonique des plaques (14 février 2011)
Le 31 janvier dernier, Michel Serres a tenu une conférence sur « Vivons-nous un temps de crise », ce dans le cadre des États généraux du renouveau. Il y a insisté sur les mouvements de fonds qui sous-tendent la crise actuelle, faisant la comparaison avec la tectonique des plaques.
En voici, un patchwork personnel et reformulé (voir l'intégrale de la vidéo à la fin)  :
« Un événement est d’autant plus important que ce qu’il clôt est long, c'est-à-dire depuis combien de temps l’état précédent datait. Ainsi le passage de la population agricole de 80% à 1% en un siècle clôt une période qui a commencé au néolithique. C’est donc un changement majeur : La campagne est vide et nous ne sommes plus en relation physique avec le monde que nous habitons. »
« La médecine ne sait guérir que depuis la fin de la guerre de quarante. (…) La durée de vie s’allonge et tout se transforme, notre relation avec la vie comme avec la mort. (…) Au moment du mariage, nous nous promettons fidélité pour soixante-cinq ans. (…) Avant, on héritait encore jeune de ses parents, maintenant on est déjà vieux soi-même quand cela arrive. (…) Le corps étant soigné est devenu montrable, alors on se déshabille sur les plages. (…) Nous programmons les naissances, et donc l’apparition de la vie. »
« Avant, notre adresse nous repérait dans l’espace. Aujourd’hui nos adresses sont le téléphone portable et l’ordinateur, ce sont deux adresses qui ne sont plus repérées dans l’espace. (…) On est dans un nouvel espace topologique où on est tous voisins. Les nouvelles technologies n’ont pas raccourci les distances, il n’y a plus de distance du tout. »
« C’est l’adresse qui nous relie au politique. Donc ce ne peut plus être le même droit et la même politique, car ils étaient bâtis sur là où on habitait. (…) Nous habitons un nouvel espace, et comme il est nouveau, c’est un espace de non-droit. (…) Robin des bois : Robin vient de Robe, c’est l’homme de loi, l’homme de droit. Il habite la forêt de Sherwood qui est un espace de non-droit dont il construit le droit. Nous avons besoin de nouveaux Robins des bois. »
« Jusqu’à présent, le renouvellement de la langue française se faisait au rythme de trois à quatre mille nouveaux mots à chaque édition du Dictionnaire de l’Académie Française (tous les vingt ans). Cette fois, trente-cinq mille mots : ceci est lié à la transformation des métiers (par exemple : plus mille mots ont « disparu » à cause du déclin de l’agriculture). (…) C’est un témoin de la profondeur de la mutation : la vitesse est multipliée par dix. Si ceci se poursuit, cela voudra dire qu’en 2030, le français sera aussi différent de celui de 1990, que nous sommes distants de ce que l’on appelle l’ancien français (il y a quatre-cents ans), français que nous ne comprenons plus. »
« Je vous annonce la naissance d’un nouvel être : l’individu. (…) Nous ne savons plus être ensemble : on ne fait plus équipe, on ne peut plus faire classe, on ne sait plus passer la balle au voisin, il n’y a plus d’appartenance, on divorce, on ne se reconnait plus dans les partis. (…) De ce point de vue, l’équipe de France de football lors du dernier mondial en a été une parfaite illustration : c’était une collection d’individus qui ont montré qu’ils ne pouvaient plus jouer ensemble. »
« Sur dix meurtres, six se passent en famille et neuf assassins connaissaient leur victime. Aussi, aimer l’autre quand il est loin est-il facile : il n’y avait pas de problème à affirmer « Aimez-vous les uns les autres ». (…) L’autre ne me gène pas, car je ne le vois pas souvent. Le problème, c’est le proche, c’est le même. Or aujourd’hui, tous les autres sont des proches, sont des mêmes : nous n’avons plus que des prochains. (…) Il y a une sur-morale à inventer »