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19 juil. 2013

AUTRES RENCONTRES INSOLITES

Télescopages thaïlandais (1)
Retour en Thaïlande pour quelques télescopages aléatoires, des rapprochements insolites, des moments reconstruits par ma digestion mentale.
Une petite route serpente dans le Nord de la Thaïlande, entre Mae Salong et Mae Chan, au Nord de Chiang Rai. Une route un peu perdue, une bande de macadam qui est venue s’inviter au sein de la végétation luxuriante.
Pourquoi est-elle là ? De quel droit trouble-t-elle le vert qui l’entoure ? Comment les mains des hommes ont-elles pu se croire autorisées à procéder à une telle saignée ?
Aussi légitimement, chaque bribe de végétation, chaque plante, chaque racine la mange, la dévore et l’assimile. Déjà le gris est encerclé, et se dissout. La tache commence à s’effacer, et l’asphalte n’est plus qu’un goulot où une voiture se glisse à peine.
Encore quelques semaines, et tout sera redevenu en ordre. Dans un rot final, la nature finira l’absorption de ce qui n’aurait jamais dû être.
De Mae Hong Son, un bateau m’emmène vers un village lové au fond d’une vallée. Terre des Karen, ces réfugiés qui ont quitté il y a des années les terres inhospitalières de la Birmanie voisine.
Là, se trouve un collège chrétien, et, à ma grande surprise, me voilà spectateur d’une fête des enfants. Habillés d’un short bleu et d’une chemise blanche, ils exécutent, sagement et veillant à respecter une chorégraphie probablement longuement apprise, des mouvements de danse sans liens clairs avec leurs origines.
Les parents sont tout autour et les observent. Rite habituel et sans frontières du plaisir de voir sa progéniture devenir, le temps d’un spectacle, les héros de la fête. Les enfants ne sont pas en reste, et loin de tout folklore et de toute nostalgie, s’amusent et se contorsionnent. (voir la vidéo ci-dessous)

Parmi la foule des parents, certaines femmes arborent fièrement des colliers qui étirent et soulignent leurs cous. C’est la tradition de cette tribu, les Karen aux longs cous. Certaines adolescentes ont commencé à superposer ces cercles.
Un peu plus loin, dans les ruelles du village qui domine l’école, mon regard s’arrête sur l’une d’elles. Il émane une force et une joie étranges de sa silhouette insolite.
Je ne sais pas d’où vient cette tradition, et ne veut pas l’apprendre. Je préfère rester dans le vide de l’observation et dans le rêve de mon imagination. Je vois des nuits où la tête se rétrécit pour pouvoir se glisser dans ces anneaux… à moins que ce ne soit eux qui se dilatent.
J’aime la beauté des cous allongés et sertis. Comme nos colliers me semblent vains et ridicules, face à la magie de cet échafaudage doré !

19 avr. 2013

POURQUOI BOUGER ?

En Thaïlande, dans les montagnes près de Mae Salong (2007, 2009, 2011)
Un peu au Nord de Chiang Rai, avant d’atteindre les rives du Mékong, à Mae Chan, tournez donc en direction des plantations de thé de Mae Salong. Mais n’allez pas jusque là, du moins pas tout de suite… Non, au bout de quelques kilomètres, arrêtez-vous dans un lieu caché au cœur d’une immense propriété : le Phu Chaisai Mountain Resort & Spa.
Difficile de décrire en quelques lignes les émotions que j’ai ressenties à chacun de mes séjours dans ce havre de paix. Tout y est bambou, terre cuite, douces résonances entre les collines à l’infini et des successions de terrasses…
Sur la route du Mékong et du Rai Saeng Arun lové au bord de l’eau, dont je parlais la semaine dernière, à chaque fois, je me suis arrêté de longues journées dans cette beauté tranquille. Les mots y glissent naturellement, que ce soit ceux que je lis ou ceux que j’écris.
Les pas viennent parcourir naturellement les chemins qui sillonnent tout autour. On ne s’inscrit pas dans ce lieu, on s’y fond délicieusement.
Comme l’eau du ciel qui rejoint celle des piscines, comme les feuillages qui s’y reflètent, comme les pavillons qui sont modestement posés, je ne suis plus vraiment ni là, ni moi.
Parfois, comme à regret, je m’extrais de ma torpeur pour faire les quelques kilomètres qui m’y séparent de Mae Salong. Occasions de ballades sur des toboggans de macadam qui s’immiscent entre les champs de thé et les forêts de bambou. 
Mais très vite, je reviens pour me glisser paresseusement dans le cocon du Phu Chaisai.
A quoi bon bouger, quand rien ne le justifie…
(Phu Chaisai Mountain Resort & Spa, 388 Moo 4, Ban Mae Salong Nai, Mae Chan, Chiang Rai 57110, Thailand)

12 avr. 2013

IMMOBILE

En Thaïlande, sur les rives du Mékong (2007, 2009, 2011)
Un endroit perdu tout au Nord de la Thaïlande, au bord d’une petite route qui sinue le long du Mékong. Quelques bungalows, un potager qui fournit à la cuisine ce dont elle a besoin et surtout quelques tables ancrées sur une terrasse en teck face du fleuve.
Tout y est délicieusement immobile, suspendu en dehors du temps et de l’espace, entre-deux, un peu irréel. Les collines qui ferment l’horizon sont celles du Laos, à portée de main, séparées par la masse d’eau qui s’écoule lentement et majestueusement.
Je l’ai découvert à l’été 2007, au hasard d’une promenade solitaire et un peu mélancolique, au bord du Mékong.
Occasion d’un arrêt à l’abri d’un des parasols pour y poursuivre, pendant quelques heures, la lecture d’A la Recherche du Temps Perdu. La lenteur, la beauté et les zooms infinis des mots de Proust ont rebondis alors sur ceux de ce paysage, résonance parfaite et improvisée.
Deux ans plus tard, nouvel arrêt, mais cette fois prolongé. Quelques jours immobiles à profiter de ce calme. Découverte aussi l’autre rive de l’endroit : le Mékong d’un côté et sa majesté silencieuse, la rizière de l’autre et sa verdeur ondoyante.
Sur celle-ci, une passerelle en bois, sente mimant les méandres d’un fleuve, mini-reproduction du grand frère opposé.
Au bout de cette sente, quelques autres bungalows où j’ai laissé les jours passer.
Encore deux plus tard, je suis revenu. Fasciné par le lieu, c’est plus d’une semaine que je me suis attardé… à ne rien faire à part lire, écrire, et regarder.
Mon ordinateur s’est lui-même pris au jeu, devenant un miroir de ce que je regardais, reflet de l’eau et des lignes brisées de mon balcon. Confusion et fusion, effacement des limites.
La pluie de la mousson était au rendez-vous, lessivant constamment tout ce qui se trouvait à sa portée et nourrissant la force du lieu, ce Mékong qui capte les énergies et les fournit en rebonds…
Je sais que cette magie m’attend et que j’y retournerai… bientôt…
(Rai Saeng Arun, 2 Moo 3 Baan Phagub Rim Khong 57140 Chiang Khong Thaïlande,  http://www.raisaengarun.com)

5 avr. 2013

RÊVES DE BOUDDHA

Thaïlande 2006-2007
Voilà si longtemps que je suis couché, là, immensément immobile, que j’en ai perdu le compte. Les yeux fermés, je sens la présence inutile et vaine de la foule qui, presque quotidiennement, se masse à mes pieds.
Que vient-elle regarder ? Comment pourrait-elle me comprendre, ou même simplement m’effleurer, elle qui n’est que la trace de celui que je fus ?
Comment ont-ils pu faire de moi cette masse dorée qui se répand dans un temple de Bangkok ? Comment peuvent-ils imaginer se rapprocher de mes enseignements, au sein de ces palais luxueux ?
Je sens profondément encore ce jour lointain, où enfin, après tant de tentatives infructueuses, après un long cheminement m’amenant à découvrir le néant, à associer perception et non-perception, j’ai pu m’abstraire de la souffrance et des apparences.
Et je me retrouve engoncé d’or. Quelle dérision !

Heureusement, il est des terres où je me sens moins absurde, où le calme qui m’entoure et la dévotion de ceux qui me contemplent, sont plus en harmonie avec l’essence de mon témoignage.
Dans les terres du Nord, pour ceux qui se laissent perdre dans les montagnes, au-delà des jardins de Doi Tung, pour ceux qui savent que la longueur de la route, la rudesse de la déclivité, et la multitude des marches sont autant de prémisses aux vraies rencontres, ils me trouveront, assis. 
Seuls des draps me recouvrent. Comme pour mieux montrer la vacuité de mon apparence, en arrière-plan, se dresse un tissu de plastiques. Quelques statuettes ont été posées à mes pieds, je ne les vois pas, mais je sais leur présence.
L’humidité est partout, saturant l’air. A quelques mètres, une jungle de bambous peuple les collines. L’eau ruisselle autour de moi et en moi, me lavant quotidiennement des pensées inutiles.
Parfois l’un de vous s’arrête, de temps en temps un touriste perdu, mais le plus souvent, un des prêtres qui officient ici. Je connais le glissement de chacun de leur pas, le souffle de chacune de leurs exhalaisons, le silence de leurs prières muettes.
Et je me dissous. Quel bonheur !

J’aime ces mikados géants que l’on dresse à mon intention, prières de bois, partant du sol et s’appuyant sur les branches de mon voisin végétal. Béquilles inclinées, elles évoquent le parcours des âmes vers le ciel. Elles sont aussi de nouvelles racines aériennes pour la frondaison de l’arbre.
La nuit, quand le lieu m’est seul réservé, quand les hommes sont partis dans les torpeurs de leurs rêves, je joue avec ce mikado. Doucement, je déplace une tige, en faisant attention, de n’en effleurer aucune autre.
A quelle fin, me direz-vous ? Mais pour jouer, simplement pour jouer. Qui a dit que moi, Bouddha, j’avais perdu les plaisirs de mon enfance ? Au contraire, avoir abandonné l’illusion du monde m’a rapproché de la spontanéité de mes débuts.
Et à l’instar de mon frère crucifié sur une colline de Palestine, je laisse venir en moi l’enfant du Dieu que je suis devenu…