17 sept. 2009

UN INDICATEUR UNIQUE DU BIEN-ÊTRE N’A PAS DE SENS

AgoraVoxPasser du suivi du PIB à celui du PNN n'est pas suffisant

La commission sur la mesure de la performance économique et du progrès social vient de remettre son rapport à Nicolas Sarkozy. La presse s'en est fait largement l'écho, et a largement centré ses articles autour du besoin d'avoir « une nouvelle mesure des richesses ».
Ainsi le Monde écrit : « Idée-clé des travaux : mettre davantage l'accent sur la mesure du bien-être de la population plutôt que sur celle de la production économique. Ainsi, au produit intérieur brut (PIB), on préférera le produit national net (PNN), qui prend en compte les effets de la dépréciation du capital dans toutes ses dimensions : naturel, humain, etc. » (article du 14/9/09).
Certes, mais le rapport insiste aussi sur deux autres points, selon moi tout aussi fondamentaux : privilégier le point de vue des ménages (deuxième recommandation) et accorder plus d'importance à la répartition des revenus (quatrième recommandation) (voir les douze recommandations)
En effet nous raisonnons constamment sur des moyennes qui ne représentent le plus souvent que le résultat d'un calcul et masque la réalité des situations.
Quels sont les points communs entre des familles d'agriculteurs d'une région viticole comme le Languedoc, d'ouvriers de la Région Parisienne, d'enseignants d'une petite ville de province, de cadres dirigeants parisiens, de retraités avec une pension du niveau du SMIC à Lyon… Comment peut-on prétendre faire une moyenne entre tous ces cas ? Comment ne voit-on pas que chacune est impactée très différemment par l'évolution des prix, de la production ou des loisirs ? 
Quelques exemples :
- La baisse rapide des coûts complets (en incluant l'amortissement du matériel) d'accès aux télécommunications et au multimédia représente un gain de pouvoir d'achat relatif pour les familles aisées et surtout si elles sont urbaines (les forfaits « tout en un » sont intéressants surtout en zone urbaine et moins en zone rurale et diffuse). Elle n'a pas d'impact positif pour une famille à revenus modestes. Pire, l'attractivité des nouvelles offres, a souvent conduit ces familles à accroître leurs dépenses en s'abonnant à de nouveaux services.
- L'évolution des coûts de carburants concerne fortement les familles pour lesquelles la voiture n'est pas une option, et surtout si elle représente une part importante des dépenses. Toute augmentation peut amener la famille à devoir arbitrer aux dépends d'autres postes, comme par exemple l'alimentation (on ne peut pas se passer de sa voiture pour aller travailler, mais on peut manger plus souvent des pâtes ou du riz…)
- Le poste immobilier pèse peu en milieu rural (héritage familial, moindre coût locatif) et les familles y sont donc peu sensibles à son évolution (sauf si la zone est touristique).
- L'existence ou non d'enfants dans la famille transforme fortement la structure de consommation et donc sa sensibilité aux évolutions : dépenses scolaires, produits spécifiques (couches, équipements enfant, …), taille de la voiture…
- …
Comment peut-on penser que faire la moyenne de tout cela ait un sens? Certes tout indicateur repose sur le rapprochement de situations disjointes et le calcul d'une moyenne. Mais ceci n'est possible que si les situations ne sont pas trop dissemblables, si elles évoluent selon les mêmes logiques. Si vous mélangez tomates,  courgettes et aubergines, cela a un sens, et cela s’appelle une ratatouille ; si vous rajoutez un pneu, un stylo, une enveloppe et une paire de chaussures, cela n’a plus aucun sens ! C’est ce que nous faisons lorsque nous agglomérons des situations familiales aussi dissemblables : nous obtenons un indicateur qui ne veut rien dire.
Il serait donc urgent de ne plus regarder cette moyenne et de commencer par faire une typologie pertinente des familles françaises. Pour la construire, plusieurs variables devraient être croisées : lieu d'habitation, taille du foyer, niveau de revenu,…. Même en étant très simplificateur, on aboutirait probablement à plus d'une dizaine de situations.



Le résultat serait à l'évidence plus compliqué à suivre, mais il aurait un sens ! A vouloir faire simple, on a à des chiffres qui ne veulent rien dire. 
Aussi si demain on avait un indicateur unique du bien-être, même le mieux calculé du monde, il n'aurait aucun sens non plus !


16 sept. 2009

LA ROUE N’EST PAS NÉE PAR HASARD

Tout était prévu dès le départ !

Dans une caverne, Paulo, un adolescent s'ennuie. Il regarde son père et son grand frère d'un air bougon. 
« Non, je n'irai pas à la chasse, dit-il. J'en ai plus qu'assez de marcher dans la forêt. Vraiment, papa, moi, ce n'est pas mon truc. Tu sais bien que je préfère rester à bricoler à la maison et à aider Maman.
- Bon, d'accord pour cette fois, lui répondit son père. De toute façon, nous n'avons pas besoin de grand-chose. »
Paulo sourit, soulagé. Il allait pouvoir continuer à travailler sur son projet secret. Il attendit patiemment que son père et son frère soient partis pour dire à sa mère : 
« Ne me cherche pas. Je vais faire un tour. Tu n'as pas besoin de nouvelles herbes ?
- Non. Mais ne t'éloigne pas trop. »
Paulo sortit, marcha sur une centaine de mètres, souleva un buisson et découvrit l'entrée d'une petite caverne, son repère secret. A l'intérieur, tout un amoncellement de pierres, d'outils divers et de branches d'arbres. Il s'assit et commença immédiatement à saisir la pierre du dessus et à la regarder. Il la prit, posa sa tranche sur le sol, lui donna une petite impulsion. La pierre se mit à se déplacer comme d'elle-même, ce jusqu'à l'autre bout de la caverne.
« Je crois que j'y suis cette fois, pensa-t-il. »
Tout avait commencé, il y a bien longtemps. Lui-même, Paulo ne savait pas bien quand. Il savait simplement qu'il était très petit alors, probablement guère plus de 5 ans. 
La famille était occupée dans la caverne, et lui jouait tout seul devant l'entrée. Il avait faim et n'avait envie de rien faire. Il regardait distraitement la forêt alentour, quand une pierre se détacha et vint rouler jusqu'au ses pieds.
« C'est drôle, cette pierre qui roule, pensa-t-il. Elle est venue toute seule vers moi. »
Il aperçut un peu plus loin ses voisins : ils étaient de retour de la chasse et tirait péniblement sur le sol leur butin.
« La pierre se déplace plus facilement qu'eux, continua-t-il. Dommage que leur butin ne roule pas comme elle. Ce serait moins fatigant. »
Il eut alors comme un éclair dans la tête. Une vision lui était apparue : celle du butin roulant sur des pierres.
Il lui avait fallu de longues années pour mettre en œuvre cette vision : trouver un endroit tranquille pour faire ses expériences ; choisir les bonnes pierres ni trop dures – sinon elles étaient impossibles à tailler -, ni trop tendres – sinon elles se brisaient tout de suite - ; comprendre qu'il fallait réunir les deux pierres par une branche ; avoir l'idée de faire un trou au milieu des pierres pour y ficher la branche ; choisir le bon bois…
Cette fois, il était au bout du chemin. Il le sentait : cela allait marcher. Il s'apprêtait de sortir son invention au grand jour.
Au cours de ces longues années, il avait eu le temps de comprendre la portée de ce qu'il avait inventé. 
Il voyait comment cela allait simplifier tous les déplacements. Il allait falloir aménager la forêt pour créer des zones où les pierres pourraient rouler. Ce serait du travail, cela prendrait des années, mais ils les voyaient ces pistes avec les pierres qui roulaient dessus.
Il savait aussi que bientôt, on pourrait enfin avoir plus de nourriture. Au lieu de se contenter des modestes récoltes de champs voisins, on allait avoir de grand champ : avec ces pierres, quelques animaux bien choisis, on pourrait travailler de grandes surfaces.
Dans ses rêves les plus fous, il avait même vu de ses pierres qui tournaient dans l'eau. Plus besoin de travailler, la force de l'eau allait faire les efforts pour nous. Il se voyait allongé paresseusement dans l'herbe, à regarder la pierre tourner.
Demain, ce serait le grand jour. Il allait montrer à tous, et bien sûr d'abord à son père, ses pierres.
Restait une question en suspend. Comment appeler ces pierres magiques. Il n'en avait pas la moindre idée, mais ce n'était pas l'essentiel…

15 sept. 2009

LES REPAS D'AFFAIRES FINANCENT-ILS LA BAISSE DE LA TVA DANS LA RESTAURATION ?

Il y a un transfert de revenus des entreprises au profit des cafés-restaurants


La baisse présente de la TVA dans les cafés-restaurants s'est traduite par une répercussion partielle, et le plus souvent très partielle, sur le prix public. L'essentiel a servi à améliorer la rentabilité de ces établissements, et, selon ce qui est dit, développer l'embauche. Impossible de vérifier ce dernier point, mais dont acte.

Tout le débat récent a porté sur l'insuffisance de cette répercussion. On a passé sous silence un effet induit, beaucoup plus massif, celui de l'accroissement du coût pour les entreprises.

En effet, les entreprises pouvant se faire rembourser la TVA payé (à  condition qu'au moins une personne étrangère à l'entreprise soit invitée), la baisse de la TVA se traduit de fait par un renchérissement de plus de 10% des dépenses de restaurant, hors boisson.

Je m'explique. Prenez le cas d'une addition de 50 € TTC pour 2 personnes, à l'occasion d'un déjeuner de travail. Précédemment, il ne coûtait en fait pour l'entreprise que 41,81 €, l'entreprise se faisant rembourser les 8,20 € de TVA payée. Aujourd'hui, en admettant que, sur les 50 €, il y ait eu 12 € de vin, et que le restaurateur ait procédé à une baisse de 2% (c'est la baisse moyenne que j'ai pu constater dans le meilleur des cas), le prix est toujours de 12 € pour le vin, et 37,24 € pour la nourriture, soit un total de 49,24 €.

Sur ces 49,24 €, le montant de TVA est de 1,97 € sur la boisson et de 1,94 €, soit un total de 3,91 €. Le nouveau coût est donc 45,33 €, soit une augmentation de 3,53 € ou + 8% !

Ainsi les notes de frais vont augmenter de plus de 5% et probablement autour de 7, voire 8%. Ceci représente une somme non négligeable pour toute entreprise ayant un nombre important de commerciaux. Or je n'ai vu personne en parler et je ne suis pas sûr que les entreprises soient conscientes de cette conséquence. Une discussion récente avec un ami dirigeant me conforte dans cette analyse.

Comme de plus, la tactique des restaurateurs est faire baisser en priorité ce qui est spectaculaire, à savoir le café au bar et un plat du jour, cela concerne moins les notes de frais.

Finalement, ce sont les entreprises qui vont financer une bonne partie de la baisse de la TVA. Et pas seulement l'État. Est-ce volontaire et connu côté État ? Je ne sais pas…

14 sept. 2009

UN DIMANCHE AVEC LEMONDE.FR

Reprise de mes lectures partielles et partiales : le monde.fr, dimanche 13 octobre à13h20

Au moment où Marie-Georges Buffet propose un immense débat d'idées, le PS est ouvert à tous vents
Voilà donc une affaire qui s'amorce bien : le PS, probablement prévenu de l'initiative fédératrice de la n°1 communiste, a déjà ouvert ses fenêtres pour faciliter le débat d'idées.

Pour preuve le « parlement du PS » (au fait, c'est quoi ce parlement ? Les députés socialistes ? Un palais bourbon bis et clandestin ? …) en appelle à une révolution, reprenant une terminologie qui va plaire aux oreilles des communistes.

Renault, toujours aussi opportuniste, a déjà adopté une communication en phase avec ces initiatives : c'est là-aussi les portes ouvertes. Est-ce à dire que les portes ouvertes de Renault sont celles qui se tiennent au PS ? Où est-ce la CGT très présente chez Renault qui les avertit de l'initiative de Marie-Georges Buffet ? Il faut que j'enquête un peu plus là-dessus…

Besson enterre des tests quand Estanguet est sacré champion du slalom

Tout d'abord, je ne comprends pas comment on peut prétendre décerner à Tony Estanguet le titre de champion du slalom. Il est vrai qu'il s'agit de canoë et qu'Éric Besson n'avait pas concouru. On aurait quand même pu remettre à cet artiste du slalom un prix exceptionnel pour sa performance, ces dernières années. Ou a minima, ne pas juxtaposer les deux informations. A moins qu'il ne s'agisse d'une perfidie du maquettiste du Monde, qui sait ?

Ceci écrit, donc Besson enterre des tests ADN. Pourquoi ? Quelques hypothèses :
- Pour qu'ils grandissent et se reproduisent : il pense que l'ADN est le nom d'une espèce végétale
- Par superstition : une cartomancienne rencontrée récemment lui aurait dit que cela porte bonheur.
- Par distraction : il était parti pour enterrer une vie de garçon et à force de faire des zigzags dans tous les sens, il ne sait plus bien ce qu'il fait.
- Pour rien : simplement il s'ennuie et cela passe le temps


Des sites misent sur le poker quand la fille de Berlusconi vante les qualités de son père

Il doit donc s'agir des qualités de Silvio Berlusconi comme joueur de poker. Je ne suis pas moi-même un spécialiste, mais je connais les bases de ce jeu. J'ai compris que bien maîtriser le bluff était important. Or je me demande si Silvio Berlusconi ne flambe pas un peu trop quand il se qualifie de « meilleur président du conseil ».

Je suppose que sa fille sait ce qu'elle dit, à moins que, comme dans les parties truquées, elle ne soit le complice qui assure les relances au bon moment.

Comme je vois que c'est en France que doivent se multiplier les sites de poker, Silvio Berlusconi va pouvoir nous faire profiter de son talent.



Clairvaux à la fois prison et prière

Voilà enfin une bonne nouvelle pour les prisons, et tous ceux qui, comme moi, ont honte des conditions dans lesquelles nous mettons les prisonniers : le gouvernement a trouvé un moyen de financer la remise en état des prisons. Il va faire appel aux ressources des religions, en commençant par la religion catholique.

L'idée d'associer prison et lieu de culte est en effet intelligente, innovante et moderne.

Intelligente, car elle va à la fois dans le sens du salut moral des prisonniers et de la relance de la pénétration du catholicisme qui en a bien besoin.

Innovante, car, vraiment, personne n'avait eu cette idée jusqu'à présent : enfin des responsables politiques qui ne reproduisent pas les erreurs du passé et savent trouver des idées neuves !

Moderne, car cette quête de sens est terriblement contemporaine : heureusement on ne se contente pas de moderniser douches et cellules, de multiplier les places, de fournir un accompagnement psychologique et thérapeutique. Non, on sait que c'est le sens de la vie qui compte, de cette 3ème vie. Dieu saura pourvoir au reste.

13 sept. 2009

ÇA M’ÉNERVE !

Certains défoulements font du bien et sont salutaires
A chacun, ses sujets d'énervements ! Même si les miens ne sont pas vraiment ceux de cette chanson, elle est plutôt drôle et le clip aussi...
Et, à défaut de lâcher-prise, voilà une façon amusante de passer ses nerfs !


11 sept. 2009

LES CONSÉQUENCES DE L’APPARITION DE L’ÉCRITURE ÉTAIENT ÉVIDENTES DÈS LE DÉPART

Quand un petit génie a tout compris du fin fonds de sa caverne

Comme à son habitude, Jojo était assis au fonds de la caverne. Son père le regardait dessiner d'abord sur le sol, puis sur la paroi.
« Il n'y a pas à dire, Jojo, question dessin, c'est vraiment le plus fort, dit-il en se tournant vers sa compagne. Dommage qu'il ne puisse pas parler. »
Jojo leva la tête et regarda à son tour son père.
« Je suis sûr qu'il pense que je ne fais que des dessins, pensait-il. Comment lui faire comprendre que ce ne sont pas seulement des traits, mais des idées. »

Jojo allait bientôt avoir 15 ans. 15 ans sans pouvoir s'exprimer vraiment. Pour faire comprendre qu'il avait faim ou soif, pas de problème. Mais pas moyen de participer à une conversation ou à la vie de la caverne. Muet de naissance, il était muré dans son silence. Du coup, tout le monde – sa famille y compris – pensait qu'il ne comprenait pas quand on lui parlait.

Et ce n'était pas le cas. Jojo comprenait tout ce que l'on disait. Il avait progressivement fait le lien entre les sons et ce qu'il voyait. Comme il ne pouvait pas parler, comme les sons étaient pour lui moins immédiats que les dessins, ils voyaient les gens parler : à chacun des sons, il avait associé un signe. Aussi quand quelqu'un parlait, il dessinait dans sa tête, et parfois aussi sur le sol. Comme en ce moment. Quand Jojo dessinait, c'étaient les paroles de son père qu'il reproduisait.

Là où Jojo enrageait, c'est que personne ne comprenait ce qu'il était en train de faire. Grâce à ses dessins, Jojo pouvait retrouver plusieurs jours après ce que son père avait dit. Lui-même, il pouvait noter ce qu'il aurait dit, faire des commentaires sur les propos des autres.
Rapidement, Jojo avait vu que ces dessins sur le sol étaient trop volatiles : un membre de la famille passait dessus et plus rien n'était compréhensible. Aussi il préférait faire des dessins sur les murs. Plus sûr. Ou alors sur des pierres plates qu'il rangeait ensuite.
Jojo avait une vue très claire de ce qui allait se passer : les signes qu'il avait inventés allaient révolutionner la communication. Avec eux, le stockage devenait possible ; on pouvait se parler à distance, car il suffisait de transporter les pierres. Il entrevoyait l'émergence de nouveaux métiers : ceux qui allaient écrire pour les autres, ceux qui allaient fabriquer ces pierres plates sur lesquelles on pouvait graver facilement et ensuite les transporter.

Il imaginait même que plutôt qu'échanger toute de suite de la viande mammouth contre des peaux d'ours, on pourrait noter sur une pierre que l'on devait pour la viande. Dans ses rêves les plus fous, Jojo imaginait que l'on pourrait donner des pierres gravées en échange du mammouth. Ensuite contre ces pierres, on pourrait obtenir autre chose quand on le voudrait.
Penser à tout cela mettait Jojo dans un état d'excitation maximum : il voyait le futur. Il se sentait devenir devin. Et son père qui croyait qu'il ne faisait que s'amuser à faire des dessins. Comment lui faire comprendre que ces dessins, c'étaient des paroles ?

L'année suivante, Jojo eu un petit frère. Il sut alors qu'il tenait sa solution : son petit frère allait lui servir de traducteur et expliquer à tous le sens de ces dessins. Jojo, rasséréné enfin, se remit à penser au futur : il était plus que temps d'acheter des carrières de pierre avant que le prix n'explose suite à la demande en tablettes…

10 sept. 2009

VERS LE RETOUR DES RAQUETTES MÉTALLIQUES ?

Comment peut-on prévoir les conséquences d'une décision ?

Il est près de minuit et je regarde un nième débat sur la taxe carbone. Les experts de tous bords s'opposent. Chacun a une idée claire de ce qu'il faut faire et des conséquences de la moindre décision. Je suis fasciné par leur prétention à anticiper les conséquences de ces décisions potentielles.
Progressivement, je décroche mentalement et finis par m'assoupir.

Voilà plusieurs mois que nous en étions revenus aux raquettes métalliques. De partout, fleurissaient à nouveau ces objets revenus des temps de Lacoste et rendus célèbre par Jimmy Connors. Finis, tous les cadres synthétiques et surdimensionnés. Le vrai jeu était de retour. La dernière augmentation de la taxe carbone avait été fatale…

Impossible de continuer à dessiner les slaloms comme les années précédentes : les skieurs ne pouvaient plus faire des reprises de carre explosives. Il est vrai qu'avec des skis en bois, plus rien n'était pareil. Il fallait en revenir au style coulé et élégant des années 60. Certains en appelaient même au retour des lanières en cuir, mais les fabricants de fixations automatiques tenaient bon. Pour combien de temps ? …

Le nouvel modèle d'avion était révolutionnaire, les ingénieurs venaient d'accomplir une prouesse : un avion complètement recyclable, plus un gramme de fibre de carbone ou d'une quelconque fibre synthétique. Enfin un avion qui allait toucher une contribution positive au titre de la taxe carbone. Il est vrai que cet avion allait peser environ le triple d'un avion classique et que ceci se paierait en consommation d'énergie. Mais, comme l'avait dit le président à la presse réunie : « On n'a rien sans rien. L'important, c'est le zéro carbone. Nous n'aurons qu'à mettre des panneaux solaires sur les ailes. » Problème, on ne sait pas encore faire des panneaux solaires recyclables…

Le bruit d'un jingle me tire de ma rêverie. Fin du journal. Dernières nouvelles du tournoi de l'US Open : les joueurs ont bien toujours leurs superbes raquettes à effet magique.

Ne vous trompez pas : je ne suis ni nostalgique d'un passé révolu, ni pensant que l'environnement n'est pas une priorité et qu'il ne faut surtout rien faire.
Je « m'amuse » simplement des certitudes de ces prévisionnistes qui ne peuvent faire mieux que tout présentateur de la météo : au-delà de quelques jours, impossible de savoir ce qui va se passer.

Et pourtant il faut bien anticiper. On ne peut pas tirer l'avenir aux cartes ou au loto. Comment faire ?
Je vais prochainement revenir là-dessus.

9 sept. 2009

SEULS LES PARANOÏAQUES Y ARRIVERONT…

Prendre en compte l'incertitude au moment de décider

Classiquement, lorsque l'on travaille sur l'élaboration d'une stratégie, on va construire des scénarios. Chaque scenario constitue un ensemble cohérent d'actions et est bâti pour permettre le choix final. Souvent on a un scenario ambitieux, un prudent et un médian. Ce peut peut-être aussi autour d'options plus fondamentalement différentes (par exemple : lancement ou non d'une distribution intégrée, externalisation ou non de telle fonction…).

On va ensuite chercher à tester la sensibilité de ces scénarios en déréglant les hypothèses faites lors de leur constitution : la croissance du marché, le coût des ressources financières, le nombre de concurrent, une date de lancement… Mon expérience m'a montré que ces tests se font en déréglant les hypothèses dans des proportions importantes, mais finalement limitées : +/- 10 %, parfois +/- 20 %.

Or selon l'application des mathématiques du chaos, les aléas sont beaucoup plus grands que cela. En fait, ce qui va réellement se passer, on ne le sait pas. Il faut donc tester des variations beaucoup plus fortes que cela.

Ce ne sera pas encore suffisant et la question à se poser est : « Que pourrait-il arriver de pire ? Y a-t-il un événement qui est susceptible à lui-seul de tout remettre en cause ? Y a-t-il un ou des cygnes noirs (*) potentiels ?

Repensez au titre d'Andy Grove : « Seuls les paranoïaques survivront » et traduisez-le en : « Seuls les paranoïaques y arriveront ». Soyez dans l'état d'esprit suivant : le futur est tellement imprévisible, tant de choses peuvent survenir, qu'il doit bien y avoir un moyen de m'empêcher d'atteindre mon objectif.

Ou formulé autrement : ce sera seulement au prix d'un effort continu, d'une attention extrême et de beaucoup d'imaginations que l'on pourra arriver au bord de la mer visée.

Face à ces risques, à ces événements improbables mais fortement disruptifs, inutile de bâtir à l'avance des plans d'actions détaillés, mais simplement se voir dans la situation d'avoir à faire face à lui : aurait-on le moyen de le voir venir ? Si oui, pourrait-on influer sur lui et le rendre moins dangereux ? S'il advient quand même, quelles sont les marges de manœuvre ?...

Ce mode de pensée est celui de la gestion des risques en milieu industriel : pour mieux maîtriser les risques en matière d'environnement, des scenarios de crise sont étudiés au cours desquels on va faire subir aux installations des crises majeures et voir comment elles peuvent résister. Ceci amène parfois à redimensionner des processus industriels et les rendre redondants pour assurer une continuité en cas de panne.

C'est la même chose qu'il faut faire pour la construction des scénarios stratégiques : trouver les risques majeurs et voir comment y faire face ; se poser la question d'avoir ou non une stratégie redondante, c'est-à-dire répartir ses moyens sur des axes distincts, mais visant la même cible. La productivité apparente peut se trouver dégradée, mais la résilience de la stratégie peut être nettement plus élevée, et donc la productivité réelle, c'est-à-dire en intégrant le coût des risques, meilleure.

Finalement le succès d'un projet global d'entreprise est plus complexe que celui d'une seule installation industrielle : n'est-il pas normal d'être encore plus exigeant en matière de gestion des risques ?

De ce point de vue, attention aux emballements trop rapides et aux consensus immédiats : si l'ensemble de l'équipe de direction est tout de suite convaincue et du même avis, il y a fort à parier que l'on ne va pas sérieusement étudier quels sont les risques et pourquoi on pourrait échouer. Un conseil donc : ne sauter jamais l'étape de la remise en cause et du « Destroy my strategy ». Si tout le monde est convaincu, allez chercher qui ne l'est pas et confier lui l'analyse des risques. Il vous apportera un peu de cette paranoïa qui risque autrement de manquer ! 

Mais, attention à ne pas tomber dans l'excès et comme l'enfant dont je parlais dans un article ancien à « ne pas refuser à sortir du landau » (lire l'article)

Par exemple, à titre personnel, je marche sans inquiétude dans les rues de Paris. Oui les météorites existent, mais ils sont très hautement improbables et leurs effets tellement dévastateurs que, si on les intègre dans son raisonnement, on ne sort jamais.

Les actionnaires privées ont de ce point de vue un comportement plus efficace que celui des établissements financiers.

Ces derniers ont tendance à vouloir prendre tellement de précautions que la sortie du landau est peu probable. Les actionnaires privés ont une vision meilleure des risques. Est-ce pour cette raison que les entreprises familiales créent plus de valeur et saisissent mieux les opportunités que les autres ? Peut-être…

Finalement en tant qu'individu, nous savons bien que le futur est incertain et pourtant nous agissons et prenons des risques. Avant de nous engager, ouvrons-nous notre ordinateur pour créer un tableur excel et modéliser ce qui va se passer ? Non, n'est-ce pas ? Alors pourquoi le faire dans les entreprises ?

Ayons le culot de penser à partir du futur et de rêver quelles seront les mers possibles, imaginons-nous y aller, peuplons le parcours de monstres de toutes sortes pour voir ce qui pourrait se passer et si, après tout cela, nous sentons une grande envie d'y aller, plongeons !

C'est alors que tout commence vraiment…

 

 (*) Voir "Le Cygne noir" de Nassim Nicholas Taleb

8 sept. 2009

À COUP DE MOTS, NOUS INTERPRÉTONS LE MONDE

Impossible de prévoir ce qui est imprévisible !

J'ai toujours aimé jouer sur les mots. Et surtout les prendre pour ce qu'ils veulent dire au premier sens. Ainsi l'expression « prendre les mots au pied de la lettre » m'a toujours amusé, car elle se contredit elle-même : je n'ai en effet jamais vu une lettre avoir un pied. Et vous ? Car si les lettres avaient des pieds, elles pourraient s'échapper des mots qui pourraient se retrouver sans lettres. Quel désordre ! Ces mots avec lesquels je joue, ce sont aussi ceux avec lesquels vous et moi pensons. Donc être exigeant quant à leur sens et à leur exactitude est-ce une perte de temps ?
En effet car les mots avec la mémoire sont les constituants indispensables à toute interprétation mentale.

Sans mémoire, nous serions comme ces nouveau-nés qui ne peuvent comprendre le monde qui les entoure. C'est notre mémoire qui sert de support à notre expérience. C'est grâce à elle que nous pouvons lire ce qui se passe au présent, et construire des scénarios d'action pour le futur. Elle est la brique de base de notre pensée. Une brique bancale comme nous venons de le voir, mais une brique nécessaire. Moins elle sera bancale, mieux ce sera. De toute façon, on fera avec…

Sans les mots, sans le langage, comme pourrions-nous intégrer toutes les informations circulant dans nos neurones ? Que faire des informations diffusées en continu par nos cinq sens, tout ce que nous entendons, voyons, touchons, sentons, goutons la vie ? Comment les rapprocher de ce que nous avons déjà vécu, de ce que l'on nous a raconté, de ce que l'on se souvient ? Comment manipuler des concepts sans ce support ? Comment sans concepts, intégrer tout cela, le confronter à notre mémoire et construire des scénarios pour le futur.

Nos interprétations vont donc être un mélange du passé recomposé, du présent tel que perçu et du futur tel qu'imaginé. Elles vont donc reposer sur des approximations multiples qui viennent s'entremêler pour fournir in fine une décision. De plus ces approximations sont intimement liées à chaque individu car elles reposent d'abord sur l'histoire personnelle, tant dans sa partie réellement vécu que dans tout l'imaginaire associée, puis sur les déformations de la mémoire et de l'analyse de la situation présente. Sans parler bien sûr, de la perception que chacun peut avoir du futur.
Comment donc imaginer que l'on va pouvoir modéliser et prévoir des interprétations individuelles ?

7 sept. 2009

SE SOUVENIR OU L’ART DE FAIRE ET REFAIRE DES PUZZLES EN REDÉCOUPANT DES PIÈCES ET EN EN PERDANT

Chaque fois que je me souviens, je reconstruis ma mémoire

Comment la mémoire fonctionne-t-elle ? Avons-nous dans un coin du cerveau toutes les informations stockées, bien rangées, les unes à côté des autres ? Notre cerveau contient-il de plus une forme de bibliothécaire qui irait chercher le volume qui va bien et au bon moment ? Non pas vraiment. Et même pas du tout.
En fait, nous ne stockons pas un souvenir comme un bloc, mais comme un puzzle à reconstituer le moment venu. Chaque souvenir est décomposé en un très grand nombre d'éléments correspondant en simplifiant d'abord au sens concerné : la partie visuelle va se loger dans la partie du cerveau qui est associée à la vue, la partie auditive dans la partie associée à l'ouïe, etc.
C'est même beaucoup plus complexe. Une question « simple » que j'emprunte à Henri Bergson (L'énergie spirituelle PUF 1996, p.52) : « Que sera-ce, s'il s'agit de l'image visuelle d'une personne, dont la physionomie change, dont le corps est mobile, dont le vêtement et l'entourage sont différents chaque fois que je la revois? Et pourtant il est incontestable que ma conscience me présente une image unique, ou peu s'en faut, un souvenir pratiquement invariable de l'objet ou de la personne: preuve évidente qu'il y a eu tout autre chose ici qu'un enregistrement mécanique. ».
Terriblement vrai, non ? Et pourtant, on nous parle toujours de notre mémoire visuelle, de notre mémoire photographique. Comment cela peut être possible alors tout bouge tout le temps. Penser par exemple à une personne qui vous est  chère. Immédiatement une image d'elle vous vient dans votre cerveau. Et bien une image fixe, pas une image animée. Cette image est gravée en vous à tel point que vous allez reconnaître à coup sûr la personne en question même de loin, même à partir d'un détail ou de l'inflexion de sa voix. Pourtant ce que nous appelons une image n'en est pas une vraiment, non ? Ce n'est pas une photo, c'est à la fois plus flou et plus précis. Plus flou car elle n'a pas tous les détails qu'aurait une photographie à haute définition. Plus précise car elle peut servir de support à une reconnaissance élargie : la personne peut changer des détails de son apparence, avoir d'autres vêtements, vous allez encore la reconnaître.

Décidément, la constitution de notre mémoire est un monde complexe et durablement impénétrable.

Continuons. Donc un souvenir est archivé en une multitude de morceaux.
Que se passe-t-il quand nous nous souvenons de quelque chose ? Est-ce que nous reconstituons le puzzle ? Oui et non.
Oui, nous allons rappeler les morceaux concernés. Mais ce rappel est imparfait. En imageant la réalité, disons que certaines pièces vont manquer et que d'autres vont arriver déformées. Au besoin, vous allez redécouper certaines des pièces pour qu'elles puissent s'assembler entre elles.
Si maintenant, une heure plus tard, le lendemain ou un mois plus tard, vous vous voulez à nouveau rappeler ce souvenir, il vous reviendra avec les déformations faites la première fois, plus les nouvelles que vous allez faire. Mais si vous le rappelez souvent, je vous rassure : au bout d'un moment, vous ne ferez plus de nouvelles modifications.
Donc à chaque fois que je me souviens, je reconstitue et je recrée. Notre mémoire a de l'imagination !
Et cela peut même être pire : si, lors de la mise en mémoire, une émotion forte est venue troublée l'événement, votre souvenir initial peut dès le départ être faussé.
Ainsi comme je l'indiquais dans Neuromanagement, « Imaginons par exemple qu'un bébé ait dû attendre son biberon pendant suffisamment longtemps pour que cela ait constitué une expérience émotionnelle très traumatisante. Supposons qu'à ce moment-là la couleur rouge ait été présente fortement dans son environnement immédiat, alors que d'habitude il ne la rencontrait pas. Cette situation vécue va laisser une trace indélébile avec laquelle il devra vivre toute sa vie : chaque fois qu'il verra la couleur rouge, il ressentira une émotion négative très violente. Or cette émotion est injustifiée puisqu'il s'agit d'une fausse association causale : le rouge n'était pas la cause de la faim, il était seulement présent en même temps. »

Et pour une entreprise, tout ceci ne s'applique évidemment plus ? Tout est rationnellement, stocké, archivé, documenté ? Bien sûr que non ! On est face à la même complexité.
D'abord parce que la mémoire de l'entreprise est largement constituée à partir de celle des hommes qui la compose.
Ensuite, parce que cette mémoire est multiforme, multitechnnique, multipays… Autant de risques supplémentaires de déformation … ou de source d'imagination créative !
Les nouveaux systèmes d'information sont venus apporter une colonne vertébrale à cette mémoire, mais on ne parle alors le plus souvent que de la mémoire des chiffres et des tableaux de bord. Certaines entreprises sont allées plus loin avec la mise en place de gestion documentaire. Mais cela ne reste qu'une partie de la mémoire qui reste très largement au sein des hommes qui la composent.
Pour preuve, cette expression que j'ai entendue des dizaines de fois : « Allez voir untel c'est la mémoire de l'entreprise ». C'est rassurant d'un côté car cela montre que nous sommes loin de systèmes déshumanisés. Mais d'un autre, cela laisse les entreprises vulnérables à de nombreuses pertes de mémoire.
Témoin ce groupe pétrolier qui ne savait plus pourquoi sept de ses filiales de distribution dépendaient d'une direction, et une cinquantaine d'une autre. Cette perte de mémoire – il m'avait fallu remonter l'histoire du groupe aux années 50 pour trouver l'explication (voir « Quand une entreprise vend moins cher à son concurrent qu'à son propre réseau… ») – n'aurait pas été plus grave que cela, si elle n'avait eu une conséquence pour le moins fâcheuse : il vendait le carburant moins cher aux grandes surfaces qu'à son propre réseau ! Surprenant mais authentique. Certaines pertes de mémoire peuvent être fatales.

4 sept. 2009

NON, JE NE PEUX PAS VOUS DÉMONTRER LOGIQUEMENT QUE J’AI RAISON…

Seule l'incertitude est certaine

« Pouvez-vous me préciser pourquoi vous voyez cette évolution pour notre marché, venait de me demander ce dirigeant ? »
- Je sens que vous avez envie que je vous démontre la solidité de ce que je viens de vous dire. L'idéal serait un bon enchaînement logique qui, à partir d'une analyse de la situation actuelle, de prévisions de marché et des actions des concurrents, montrerait ce qui va arriver. C'est bien cela ?
- Oui, vous formulez plus précisément ma pensée, mais c'est bien ce que j'attends de vous.
- Désolé, mais cela ne va pas être possible. »

Il y eut alors un blanc. Comme le bruit d'un silence gêné. Cela faisait maintenant plus de deux ans que je travaillais pour lui, et là, je venais de le prendre de court.

« Par contre, ce que je peux faire, c'est vous exposer l'ensemble des faits que j'ai réunis – sur votre position actuelle, sur des futurs possibles, sur des hypothèses d'actions des concurrents, sur l'évolution de la société en général –, et tâcher de vous faire percevoir comment j'en suis arrivé à la conviction que je viens de vous exprimer, il y a quelques minutes. Mais cela reste une conviction, et non pas une certitude. Donc je ne vous propose surtout pas de la prendre pour argent comptant, mais comme un axe qui peut structurer la réflexion sur le futur. »

Quel chemin personnel, il m'avait fallu pour avoir le « courage » de m'exprimer ainsi, pour affirmer que penser au futur, ce n'était nécessairement prévoir au sens classique du terme, et en tout cas, sûrement pas construire des prévisions de marché à coup de tableurs excel.

Quelques « anecdotes » :
- en 1998, j'ai eu à construire le business plan à 10 ans pour le projet d'un réseau 3G (appelé aussi réseau UMTS) pour un acteur en place. Dans cette étude, j'ai négligé un élément majeur : le Wifi. Pourquoi ? Pour une raison simple : personne n'en avait entendu parler, ou du moins personne au niveau management. En 98, la technologie n'avait pas émergé et n'était connue que des techniciens. Ce n'est que deux ans plus tard que l'on a commencé à en parler et à percevoir son impact. Or il a été majeur, car il a amputé le 3G d'une part importante du revenu envisagé.
- IBM avait-il prévu que ce sous-traitant, à qui il venait de confier le développement du système d'exploitation de son nouveau « personal computer », le fameux futur PC, allait devenir le tout puissant Microsoft ?
- Ce tout puissant Microsoft, comment, quelques années plus tard, a-t-il pu ne pas prévoir l'essor d'internet ? Il a su efficacement ensuite contrecarrer Netscape, mais de justesse.
- Et comment Microsoft a-t-il pu laisser grandir Google ?

Puis-je me permettre de vous poser une question simple et naïve : imaginez-vous à la tête de Microsoft à la fin des années 90. Est-ce que vous vous sentiriez menacé par ce petit groupe d'étudiants qui s'amusent à développer un moteur de recherche ? Est-ce que vous n'auriez pas le regard vissé sur les progrès de Linux ou Apple côté système d'exploitation, ou Mozilla pour les navigateurs internet ? Pour vous préoccuper de Google naissant, il faut d'abord que vous soyez au courant : pas facile de distinguer cette information au sein du brouhaha ambiant. Ensuite que vous perceviez combien cela allait simplifier la vie des internautes, au point que nombre d'entre eux se serviront de Google plutôt que taper l'adresse d'un site internet. Enfin, que vous compreniez que tout ceci allait devenir une machine à cash grâce aux revenus publicitaires.
Qu'en pensez-vous ? Vous auriez prévu la percée de Google ? Vraiment ? Moi pas.

Ainsi au bout de ce chemin personnel, je me suis trouvé arrivé à une conviction : l'incertitude n'était pas réductible, elle était inhérente à la vie des entreprises.

Alors apprenons à vivre avec. Je sais comme cela est dérangeant, pénible et perturbant. Moi aussi, j'aimerais bien pouvoir me reposer sur ces certitudes, sur des prévisions. Mais malheureusement, ce n'est pas possible.
Que faire ensuite ? Jeter à la poubelle toutes les études, toutes les réflexions ? Se contenter pour le fun d'aller voir des cartomanciennes qui vont tirer les stratégies à coup de tarot ?
Non, vraiment pas ! Je crois qu'il est possible de construire des réponses et d'apprendre à vivre avec l'incertitude.
C'est à cela que je me suis attaché…

Un message d'optimisme pour finir cet article : heureusement que l'incertitude est là, car c'est le meilleur garant de nos libertés individuelles et collectives. Oui l'incertitude est un facteur de risque, oui, elle est source de fatigue, mais oui, elle est le moteur de la création et de la vie : quel serait le plaisir de diriger une entreprise si cela pouvait se ramener à la résolution d'une équation ?

3 sept. 2009

ÊTRE RATIONNEL, EST-CE REFUSER L’INCERTITUDE ?

Sans incertitude, pas d'innovation et de création

Nous cherchons tous à prévoir : économistes, dirigeants, financiers, consultants, journalistes, politiques… Ce ne sont partout que prévisions de marché, anticipations, business plan… 

Et pourtant, tout nous montre que la réalité ne se plie pas à nos calculs : aussi rebelle que la météo, quand nous annonçons le soleil, c'est la pluie qui est au rendez-vous.

Si vous en doutez, pensez à la crise financière récente, ou encore à toutes les prévisions faites par des organismes de tous bords et tous pays.

Est-ce que ceci n'est que provisoire ? Est-ce simplement le résultat de l'imprécision des modèles et des calculs ? Ou encore d'intérêts cachés qui expliqueraient son erreur ?

Nous vivons collectivement dans cette certitude : plus nous allons avancer, plus l'incertitude diminuera. Et arrivera enfin ce temps tant attendu où nous saurons tout prévoir. Fini alors ce temps maudit où l'on ne savait pas le temps qu'il allait faire ! Plus besoin du « PPP », le « parapluie par précaution » : nous saurons avec certitude quand et où il va pleuvoir.

Mais réfléchissez et posez la question suivante : avez-vous vraiment envie de vous trouver dans un monde prévisible ? Quelle serait alors la place de l'innovation, de la création et de la liberté ? Et finalement de la vie même, c'est-à-dire de ce processus qui est précisément tissé d'innovation, de création et de liberté ? Et à quoi bon vivre et diriger si tout peut être prévu, puisqu'un bon ordinateur suffira ?

Heureusement – du moins de mon point de vue ! –, ce n'est pas prêt d'arriver, car nous nous trompons dans cette vision d'un monde dans lequel connaissance va de pair avec limitation de l'incertitude. 

Je crois en effet que l'incertitude est inhérente au processus même de la vie. Et donc manager une entreprise ce n'est pas lutter contre l'incertitude, mais apprendre à vivre avec et à en tirer parti.

Quatre questions à se poser :

- Être rationnel, est-ce refuser ce que les sciences nous apprennent et rester enfermé dans ses certitudes ou est-ce accepter même ce qui dérange ?

- Être rationnel, est-ce croire que l'on va arriver à prévoir ce qui va se passer ou est-ce accepter l'incertitude et apprendre à vivre avec ?

- Être rationnel, est-ce centrer son énergie sur la prévision d'un futur qui échappe ou est-ce vivre son présent pour renforcer sa capacité à résister à plus d'aléas ?

- Être rationnel, serait-ce alors de lâcher-prise pour ne plus se laisser enfermer dans des futurs imaginés ou voulus, et savoir saisir les opportunités qui accroissent sa résilience propre ?

2 sept. 2009

PEUT-ON SE LANCER SANS CONNAÎTRE TOUTES LES CONSÉQUENCES EVENTUELLES ?

Quand le petit Gutenberg réfléchit avant d'agir…

Vers 1420, à Mayence, petite ville d'Allemagne. Le petit Johannes n'était vraiment pas un enfant facile. Cet enfant de dix ans n'avait qu'une seule réelle passion : la lecture. Son aptitude à lire et écrire faisait d'ailleurs la fierté de ses parents, mais sa passion était dévorante. Il n'y avait jamais assez de parchemins à la maison ni de livres à lire.

On avait beau expliquer à Johannes que les livres coûtaient trop chers et étaient trop rares, il s'en moquait. Il avait l'habitude de répondre : « Quand je pense au nombre de gens qui ont des idées intéressantes et que je ne peux pas rencontrer, je ne peux pas croire qu'il y ait aussi peu de livres ! »

« Allez, cela va lui passer, dit sa mère. Tu vas voir. Bientôt il ne pensera plus qu'à développer nos affaires. Pense plutôt à préparer notre départ prochain pour Strasbourg. »

Son père rentra la tête dans ses épaules, fit un oui approximatif et sortit en direction de sa boutique. Sa mère retourna vers sa cuisine. Seul, restait Johannes dans la pièce.

Levant les yeux et regardant autour de lui, il vit qu'il était seul. Il attendit encore quelques minutes pour s'assurer que personne ne revenait, puis alla vers la bibliothèque. Il prit le troisième livre en haut à droite et en retira un papier.

Le papier était recouvert d'une écriture serrée et de nombreux dessins.

« Plus j'y pense, plus je trouve cela simple et évident, se dit-il. Je ne comprends pas pourquoi personne n'y a pensé avant moi. Pour qu'il y ait plus de livres disponibles, il faut faciliter la création d'un livre et sa reproduction. Or un livre, qu'est-ce que c'est ? Une succession de lettres sur des pages. Pour les lettres, cela fait longtemps que j'ai trouvé la solution, et ce grâce à mon père ! »

En effet, alors que Johannes n'avait que huit ans et affichait déjà son besoin monomaniaque de lire, son père, fatigué de le voir courir après tous les livres, dit à son propos : « Cet enfant ne fera rien plus tard s'il ne pense qu'à lire. Il aurait bien besoin d'avoir un peu plus de plomb dans la cervelle. »

Au départ Johannes fut vexé des propos de son père. Puis, une idée lui vint : « Le plomb, voilà l'idée, merci Papa ! ».

Pour ne pas alerter la famille et quand même tester son idée, il alla chercher ses soldats de plomb. Quelques sacrifices plus tard, les premières lettres en plomb étaient nées. Pour l'encre, Johannes prit un peu de son sang. Résultat probant.

Depuis lors, il avait parcouru un chemin important et son invention était au point : les lettres en plomb pour composer le texte, la presse pour faciliter l'impression. Même le papier avait été optimisé.

Mais ce dont Johannes était le plus fier était la qualité des prévisions qu'il avait faites. Il voyait clairement à quoi allait servir son invention, et ce qui allait se passer :

-    Abaissement du prix de revient d'un livre et possibilité de produire un grand nombre d'exemplaires,

-    Accès de la classe moyenne à la lecture, débouchant sur un accès plus large à l'éducation et à l'université

-    Émergence progressive de best-sellers qui allaient se diffuser mondialement,

-    Restructuration de la production de papier pour faire face à l'explosion de la demande,

-    Déstabilisation des monastères qui devraient trouver des activités de substitution face au déclin de la demande en manuscrits et enluminures,

-    Utilisation de cette technique pour produire en grande quantité des billets de banque, venant compléter les pièces de monnaie.

Il sentait toutefois qu'il devait encore travailler là-dessus. Il ne voulait pas se lancer tant qu'il ne sentirait pas complètement prêt et qu'il aurait l'impression de ne pas avoir tout prévu. Il n'avait que dix ans, donc le temps encore de réfléchir.

1 sept. 2009

SCOOP : LES SPAGHETTIS À LA CARBONARA SONT MEILLEURS EN ITALIE QU’EN THAILANDE

Chercher à retrouver ce que l'on vient de quitter

Assis à la terrasse du restaurant, je fais face au Mékong. Le restaurant en lui-même n'est pas exceptionnel, mais le lieu a un côté magique, je suis juste au fameux Triangle d'Or : devant moi à gauche, la Birmanie, et à droite le Laos. La lumière baisse lentement et se reflète dans les eaux boueuses.

Soudain, je suis tiré de ma rêverie par la conversation qui se tient à la table à côté :
« Vraiment ces spaghettis à la carbonara ne sont pas terribles, dit l'un en italien !
- Et les frites, non plus, complète son voisin.
- Oui, et question quantité : juste une petite assiette. »

Je les regarde du coin de l'œil. Dans les minutes qui suivent, ils vont continuer à se plaindre.
« Vraiment les pâtes, c'est autre chose chez nous, assène finalement celui qui avait commencé. »

Trois jours plus tard, je suis de retour à Chiang Mai. Chiang Mai est la seconde ville de Thaïlande, mais n'a pas grand-chose à voir avec Bangkok : avec ses 500 000 habitants, c'est une ville moyenne, calme et reposante. Située dans le Nord, elle est la base idéale pour rayonner tout autour.
Au détour d'une ruelle, je tombe sur un restaurant style taverne de Munich. Le comble, c'est la thaïlandaise en tenue munichoise (voir la photo ci-jointe). Vraiment exotique en plein Chiang Mai à proximité des étals du marché nocturne. Je jette un coup d'œil à l'intérieur du restaurant : uniquement des touristes attablés.

Des Italiens qui se plaignent de ne pas manger les pâtes comme chez eux, des touristes qui se réfugient le temps d'un dîner dans une Allemagne reconstruite. En voilà qui ne lâchent pas prise et restent prisonniers de leurs habitudes.

Comment avoir la moindre chance de comprendre un pays si l'on ne fait qu'y rechercher ce que l'on vient de quitter ? Comment sentir ce qui se passe sans d'abord faire le vide ? Comment découvrir quoique ce soit ?

Décidément, nous avons besoin de repères, de certitudes. Le plongeon dans l'inconnu et la découverte ne sont pas naturels…

31 août 2009

APPRENDRE À NE PAS LUTTER CONTRE L’INCERTITUDE MAIS À CONSTRUIRE AVEC ELLE

Du « Neuromanagement » au « Lâcher-Prise »

Voilà le temps de la rentrée. Tous les média - télévision, radios, journaux, … - rivalisent de nouvelles formules, nouvelles maquettes ou nouvelles émissions.

J'ai pensé que, moi aussi, il était temps de changer quelque chose à mon blog né il y a maintenant un an. Alors j'ai changé… le titre. Ce n'est apparemment pas un grand changement et sa mise en œuvre a été rapide : facile de faire passer le titre de « Neuromanagement » à « Lâcher-prise pour diriger », et le sous-titre de « Pour tirer parti des inconscients de l'entreprise » à « Savoir tirer parti de l'incertitude ».

Mais ce changement n'est pas simplement affaire de circonstance, il exprime une évolution de mes réflexions et de mon blog.

Né fin septembre 2008, à l'occasion de la sortie alors imminente de mon premier livre « Neuromanagement », il s'est trouvé logiquement centré sur la thématique de mon livre : en quoi, comme pour un individu, une entreprise est largement mue par des processus inconscients, et pourquoi on ne peut pas être efficace sans eux. Une phrase résumait assez bien mon point de vue d'alors : « être irrationnel, c'est nier l'importance des processus inconscients ; être rationnel, c'est apprendre à en tirer parti. »

Progressivement, au fil des mois, et singulièrement depuis le printemps, j'ai élargi le champ de mes réflexions et me suis progressivement intéressé à la problématique de l'incertitude. J'ai voulu creuser deux pans de cette problématique :

  • L'incertitude est-elle la marque de l'incomplétude de nos savoirs ou est-elle une partie irréductible du fonctionnement de notre univers ?
  • Si elle est irréductible, si elle est un des constituants de notre monde, comment alors manager sans lutter contre elle, mais en en tirant parti.
Ces réflexions ont commencé à se traduire dans bon nombre de mes articles sur ce blog. L'été a été propice à une cristallisation : l'énergie vitale de la jungle thaïlandaise et la force tranquille du Mékong m'ont apporté une aide précieuse (ces trois photos vous en donneront une idée...). Me voici de retour avec un nouveau livre déjà fort avancé et un plan structuré. Les semaines qui viennent vont être consacrées à la finalisation de l'écriture. L'objectif est une parution au cours du premier trimestre 2010.

D'ici-là, je vais maintenir ce blog aussi actif qu'avant l'été, c'est-à-dire un article par jour en semaine. Ces articles vont vous donner un avant-goût de mon livre et me serviront aussi à chercher à susciter des réactions pour m'aider dans ma rédaction finale. Je ferai aussi quelques billets d'humeur ou d'humour au hasard de mes rencontres.

Voilà donc pourquoi ce changement de titre. Il correspond au titre de mon prochain livre et exprime l'idée que, face à l'incertitude et aux aléas, il faut apprendre à lâcher-prise pour ne pas se laisser emporter par les courants et pour arriver à se diriger.

Je ne recommande pas face à l'incertitude de renoncer à toute action, à tout projet. Bien au contraire.

Je ne pense pas non plus que la solution puisse être dans le recours à des cartomanciennes ou à des lectures dans des marcs de café.

Non, des voies sérieuses sont possibles. Voilà, ce dont je vais vous parler à partir de maintenant : pourquoi lutter contre l'incertitude c'est inefficace, car c'est lutter contre la logique de notre monde ; comment s'appuyer sur elle pour construire des stratégies efficaces et résilientes.

27 août 2009

CIEL, NOUS NE SOMMES PLUS SEULS !

Histoire de caverne (Saison 2 – Épisode 10)

Tout avait été réglé entre Johnny et moi. Nos affaires prospéraient et celles de Jojo et Paulo
aussi. Le grand cartel fonctionnait à merveille.
C'est Damien qu'il la rencontra le premier. Il était parti pour une livraison tout au Nord, tout au bout du monde. Au-delà du bout du monde, il ne pouvait pas y avoir quoique ce soit. Ce bout du monde, c'était la ligne de montagnes, là où le soleil se cachait tous les soirs pour dormir. Chaque matin, un nouveau soleil sortait à l'autre bout du monde, celui qui était limité par l'eau. Personne n'y avait jamais rien compris, même pas le Devin ou le Magicien. Mais il y avait plein de choses que l'on ne comprenait pas.
Alors…
Donc à l'issue d'une tournée tout au Nord, Damien vit l'invraisemblable, l'impossible : une femme arrivant du Nord, c'est-à-dire venant d'au-delà du bout du monde. Elle ressemblait aux femmes de chez nous. Un peu plus grande peut-être, plus sure d'elle-même certainement, fatiguée enfin par le voyage, mais apparemment normale. Une femme quoi ! Et qui venait d'ailleurs. Et qui n'était pas seule : elle était à la tête d'un groupe composé de 5 hommes.
La surprise de Damien ne s'arrêta pas là : la femme et les cinq hommes étaient assis sur des planchers en bois reposant sur des arbres dotés de roues – jusque là rien du classique – mais tiré par d'étranges animaux. Ils étaient beaucoup plus petits que les mammouths, mais semblaient plus rapides et surtout beaucoup plus agiles. Ils arrivaient à avancer sur le chemin, là où un mammouth n'aurait jamais pu passer.

Elle le regarda avec un sourire, ne semblant pas, elle, surprise de la rencontre.
« Mignon, ce petit, dit-elle en se retournant vers ses compagnons. J'en ferai bien mon quatre heures ! »
Tout le groupe éclata de rire.
N'ayant absolument pas l'intention de savoir de quel « quatre heures » , elle parlait, Damien prit ses jambes à son cou, ou, plus exactement, sauta sur son plancher à roues, donna une tape à son mammouth et s'enfuit sans demander son reste.
Deux jours plus tard – un record toujours jamais égalé -, il arrivait à la caverne de son père Hector.
« J'ai vu une femme, hurla-t-il !
- Oui, moi aussi. Jeannette vient de passer me voir tout à l'heure.
- Non pas une femme comme cela. Une femme qui vient d'au-delà du bout du monde.
- Une femme d'au-delà du bout du monde ? Tu as eu un accident de mammouth en venant me voir, mon fils ? »
Alors que Damien allait répondre à son père, la femme arriva à son tour, toujours avec ses cinq compagnons.
Elle regarda Damien
« Alors, jeune homme, on a peur de moi, dit-elle en souriant ».
Puis se tournant vers son père :
« Bonjour, je m'appelle Jordana. Je représente le peuple de l'autre côté. Je viens ouvrir un comptoir commercial.
- Un comptoir commercial, bafouilla Hector qui encore sous le coup de la surprise omit de se présenter. Mais de quoi s'agit-il ?
- Je viens vous vendre des produits de chez nous et voir ce que nous pourrions acheter localement. »
En disant cela, elle montra à Hector tous les produits accumulés sur le plancher à roues.
C'est ainsi que nous apprîmes que le monde ne s'arrêtait pas à la ligne de montagnes et que des femmes pouvaient diriger des affaires.
Et subsidiairement, le marché local fut envahi de produits nouveaux et moins chers.
Le cartel local que Johnny, Jojo, Paulo et moi avions eu tant de mal à construire, voyait apparaître un concurrent venu de l'au-delà. Nos profits allaient en pâtir, mais les habitants des cavernes allaient voir leur pouvoir d'achat augmenter.
Le temps de la mondialisation avait commencé.

(Fin de la saison 2)


24 août 2009

LE TEMPS DES CARTELS A SONNÉ

Histoire de caverne (Saison 2 – Épisode 9)

La guerre entre mon inventivité financière et la créativité produit de Johnny faisait rage. Résultat : nous commencions tous deux à perdre de l'argent.

« Tu ne crois pas que vous êtes un peu tombés sur la tête tous les deux, non, me dit Jojo.
- Moi, non, répondis-je. Mais lui oui ! Il ne voit pas qu'il ne gagnera pas et que je suis plus fort que lui.
- Bien sûr, bien sûr. Lui est stupide et toi tu es intelligent. Rappelle-moi combien tu as gagné le mois dernier ?
- Arrête avec tes questions idiotes !
- Oui, idiotes. J'ai fait une petite prévision avec Paulo. Au fait, sais-tu que l'on s'entend maintenant très bien tous les deux ? Très complémentaires, nos deux approches. Son côté « mathématiques » – lui seul sait ce que cela veut dire, mais c'est tellement professionnel comme expression et rassurant ! – et mon style plus intuitif font un cocktail parfait. Nous venons d'ailleurs de fusionner nos affaires. Nous travaillons sous une marque commune : « Prévoir et savoir ». Donc, nous avons une simulation sur l'évolution de vos affaires de roues, disques, assurances et billes. Au rythme où cela évolue, nous pensons que vous serez à bout de ressources l'un et l'autre dans six mois. Et tu sais quelle est l'ironie de la situation ?
- Non, mais tu vas me le dire, je suppose.
- Vous allez être à court de ressources exactement le même jour. Vous allez être contents : ni gagnant, ni perdant. Ou plutôt deux perdants ! »
Il me regardait avec un sourire exaspérant… mais je savais qu'il avait raison. Cela ne pouvait plus durer.


« Et tu proposes quoi, lui demandai-je ?
- Moi, rien. Ce n'est pas moi qui ai un problème.
- Arrête ! Je te connais. Si tu as commencé un sermon pareil, c'est que tu avais une idée en tête.
- Si tu y tiens. Oui, peut-être.
- Et alors ? Tu veux vraiment te faire prier ?
- Oui, j'aime assez !
- Alors, Monsieur le Devin, s'il vous plaît, quelle est votre idée ?
- Facile. Vous enterrez la hache de guerre. Toi, tu te centres sur ce que tu sais le mieux faire : la finance. Lui, sur l'innovation et la fabrication. Et vous mettez en commun votre double réseau de pierres d'affichage, ce qui permettra une optimisation, vu tous les doublons d'implantation. »
Facile à dire et apparemment logique. Mais cela revenait à accepter de partager…
« De toute façon, continua-t-il comme s'il avait perçu mes pensées, si vous ne partagez pas, il ne vous restera plus rien. Et si vous vous entendez, chacun y gagnera encore davantage. Regarde-moi avec le Magicien. Si nous avions continué à nous battre où en serions-nous ? Alors qu'ensemble, nous sommes plus forts que jamais. »
Il avait raison. Mais je n'étais pas prêt à faire le premier pas… et Johnny non plus. Sans issue, donc.
« Si tu veux, finit-il, je peux en parler à Johnny. J'ai gardé une très bonne relation avec lui. Je comprends qu'il ne faut qu'aucun de vous deux ne perde la face. Je peux voir si de son côté, il est ouvert à une pareille solution. Si oui, je peux finaliser un accord. Vous n'aurez même pas à vous rencontrer avant la signature. Bien sûr ma société P&S - « Prévoir et savoir » - prendra une modeste commission sur vos revenus futurs. Mais uniquement sur la progression du chiffre d'affaires. Donc si cela ne donne rien, cela ne vous coûtera rien. »
Et il fut fait ainsi. Jojo sut persuader Johnny et, quinze plus tard, nous avions signé l'accord historique entre Johnny et moi. Au passage P&S devenait actionnaire de la filiale commune qui regroupait le journal et le réseau d'affichage publicitaire. Comme cette filiale se trouvait au milieu de notre relation, nous l'avons appelé « Média Group ».
La guerre ayant cessé, nous avons pu redresser les prix, synchroniser nos actions, se servir du journal comme outil de promotion commun. Les profits étaient de retour et à des niveaux jamais atteints. P&S se développait en multipliant les missions de conseil auprès de toutes les personnes ayant des différents. Media Group avait rationaliser son réseau et venait de lancer une nouvelle édition visant les enfants.
Tout était vraiment parfait… sauf pour les habitants des cavernes qui n'avaient plus d'autres choix que payer chaque jour un peu plus cher.
Jusqu'à ce qu'un jour, apparaisse une nouvelle offre. Tout a commencé avec l'apparition de la belle Jordana…

(à suivre)


20 août 2009

LA GUERRE ENTRE FINANCE ET INDUSTRIE FAIT RAGE

Histoire de caverne (Saison 2 – Épisode 8)

Grâce à mon offre d'assurance et au lancement du premier journal « Ici, la Caverne », j'étais redevenu l'homme le puissant. Enfin !


« On ne va quand même se laisser faire comme cela, commença Johnny. J'en ai plus qu'assez de cette domination de Bob et ses billes.
- Oui, moi aussi. Mais avec son assurance et son « Ici, la Caverne », je ne vois pas bien ce que l'on peut faire. Maintenant, si je dis un mot de travers ou émets une idée qui ne lui plaît pas, j'ai droit à un article disant que l'air des cavernes du Nord est malsain.
- Écoute, tu fais comme tu veux. Mais moi, je suis décidé à me battre.
- Comment ?
- En utilisant ma seule arme réelle : mon imagination et ma créativité. Moi, je ne suis pas un financier comme Bob qui vit du travail des autres ; moi, je crée vraiment de la valeur ! »
Jacques le regarda sans bien comprendre ce qu'il voulait dire par « création de la valeur ». Encore une de ses expressions que personne ne comprend. Mais, bon ! Il aimait bien Johnny et il fallait reconnaître que, question idées, il se posait là.
« Alors, c'est quoi ton idée du jour ?
- En fait, c'est déjà lancé et tu verras le début de réalisation la semaine prochaine. D'ici là, désolé, je préfère rester discret… même avec toi !
- Comme tu voudras… »
Quelques jours plus tard, tout le monde ne parlait effectivement que des nouvelles roues de Johnny. Il venait de lancer une gamme complète qui révolutionnait le monde de la roue – il y avait déjà eu quelques copies sur le marché : Johnny avait repensé l'arbre. Il avait trouvé une nouvelle essence qui alliait robustesse, souplesse et légèreté. Un vrai miracle. Résultat : il garantissait une division par un facteur 10 du risque de rupture d'arbre.
Pour asseoir ce lancement, Johnny avait à son tour acheté toute une série de murs en pierre réparti parmis toutes les cavernes. Pour choisir, il avait fait simple : chacun se trouvait à proximité des murs de « Ici, la caverne ». Et sur ses murs, Johnny avait fait graver en gros : « Avec un arbre qui ne casse plus, pourquoi s'assurer ? »

Comme en plus pour le lancement, il n'avait pas augmenté ses prix, ce fut la ruée sur ces nouveaux arbres. Bien sûr, ces acquisitions ne pouvaient se faire qu'en payant avec des disques.
La riposte ne se fit pas attendre : la semaine suivante, Ici la Caverne titrait : « La vérité sur les nouvelles roues : elles cassent autant que les anciennes. Notre dossier réalisé conjointement par le Magicien et le Devin ».
Les ventes chutèrent. Alors Johnny baissa ses prix de 20% et améliora encore la technique des arbres.
L'édition suivante titra : « La baisse des prix récente montre que ces roues ne sont pas fiables. Lisez notre essai : une semaine avec les nouvelles roues ».
Johnny se lança alors dans une succession d'innovations toutes plus révolutionnaires les unes que les autres et répondant chacune à une attente spécifique. Tout le monde se rappelle des plus significatives. Citons :
- Les roues recouvertes de peintures rupestres pour les familles privilégiant l'esthétique : d'abord équipées d'une décoration standard, elles ont ensuite évolué et on a pu alors demander une personnalisation des peintures.
- Les doubles arbres en tête : ils permettaient de continuer en cas de rupture du premier arbre, le second venant alors se loger automatiquement dans le logement du précédent. Ils étaient destinés à ceux qui privilégiaient la sécurité ou qui avaient à utiliser des chemins en très mauvais état.
- Les roues carrées pour monter sur le chemin de la montagne : cette innovation ne dura pas car elle correspondait à un marché trop étroit.
- L'invention du pédalier et de la chaîne : cette innovation était de loin la plus technique. Il s'agissait de la mise en place d'un système de roues multiples et de tailles différentes, reliées par un collier composé d'os extraits de la colonne vertébrale d'un jeune mammouth. Grâce à un mécanisme astucieux, on pouvait ainsi mettre en mouvement tout l'ensemble en appuyant soi-même sur des pierres plates – appelées pédales – et situées au milieu du plancher.
Chacune de ces innovations relançait les ventes de Johnny. A chaque fois, Bob contrattaquait grâce à son journal et en abaissant le prix de ses assurances – assurances qui étaient maintenant elles aussi segmentées.
Résultat le profit de chacun baissait. Pour finir, les deux perdaient de l'argent. Cette guerre était suicidaire, cela ne pouvait plus durer…

(à suivre)