Ouvrez au hasard une radio ou une chaîne de télévision, et très vite, vous allez entendre : « Les Français pensent que… », ou « Oui, mais les Français ne sont pas prêts… », ou bien encore « C’est clair que la manifestation d’hier veut dire… »… Et ces propos peuvent être tenus indifféremment par un journaliste, un économiste, un syndicaliste ou un homme politique.
Ces « experts » des media nous assènent ces affirmations sans même prendre la peine de les justifier. Ils n’en ont pas besoin, car ils s’approprient « de façon magique » le point de vue de la société : agissant comme des medium modernes, des « cartomanciens » de l’opinion, ils savent ce que les Français veulent, ou, si leur pouvoir est plus limité, ce qu’une catégorie – les professeurs, les ouvriers, les marseillais, les beurs… c’est selon – veut. Magie de l’affirmation. Hold-up médiatique.
Car sauf exception, ils n’ont aucun sondage, ni aucune mesure qui viennent appuyer leur propos. Non, ils n’en ont pas besoin. Ils savent « par essence ».
Commode pour éviter de répondre à une question. Pourquoi en effet prendre la peine de justifier quoique ce soit, puisqu’il suffit de répondre par « Ce n’est pas possible puisque les Français n’en veulent pas » ? Simple et efficace, non ?
Je ne sais pas pour vous, mais je suis de plus en plus fatigué de voir ces « soi-disant experts » venir me voler mon opinion, sans même d’ailleurs me la demander, mais en l’inventant. Halte à ce hold-up !
Souvent dans mon métier de consultant, j’ai entendu des dirigeants me dire : « Oui, bien sûr, je suis d’accord avec vous ; mais mon entreprise, elle, n’est pas prête ». En moi-même, à chaque fois, j’ai pensé : « Bien, donc lui n’est pas prêt et il faut que je comprenne pourquoi. Pour l’entreprise, on verra ensuite ce que les gens pensent à l’intérieur. »
Là aussi le mécanisme est le même : quand un « expert » a besoin d’en appeler à un témoignage extérieur dont personne ne peut vérifier la véracité – pas facile de convoquer au pied levé les Français dans un studio de radio ou de télévision ! –, c’est qu’il n’est pas d’accord lui-même, et que, pour une raison ou une autre, il ne veut pas le reconnaître.
Que faire alors ?
Organiser une manifestation pour réclamer la libération de nos opinions et l’arrêt des hold-up ? Inefficace, car, comme ce sont les « experts » qui vont commenter notre manifestation, ils pourront « en toute bonne foi » réécrire le pourquoi du comment. Par exemple en disant : « Il est clair que la manifestation d’aujourd’hui est un appel à plus de démocratie et à plus d’engagement citoyen. Toutes choses qui viennent à l’appui de ce que je disais la semaine dernière… ».
Brûler tous les « experts » en place publique ? Irréaliste, car ils sont trop nombreux, puissants et irresponsables de leurs actes. Et oui, puisque ce sont nos opinions qu’ils relaient, de quoi pourrions-nous les accuser ?
En appeler à la vengeance divine contre ces usurpateurs ?
Oui, pourquoi pas. Je ne suis vraiment pas sûr que Dieu existe, mais cela ne coûte rien d’essayer. Et si jamais Dieu existe, comme il est la première victime de ces « experts » – combien de crimes n’a-t-on pas commis au nom de Dieu ! – , il sera pour sûr de notre côté.
Bon donc, je vais, de ce pas, mettre un cierge à Notre Dame…
En liaison avec cet article, lire mes articles sur :- Comment distinguer les faits et les opinions- Pourquoi prévoir est un art paradoxal et "impossible"