27 févr. 2009

GRAN TORINO OU LE TAO DE LA FORCE DU CREUX

Quand la clé est dans le prénom…

Retour sur Gran Torino. 24 heures après, il est toujours présent, étonnamment rémanent… La puissance du creux et du vide.

Souvenir de la lecture du Traité de l'efficacité de François Jullien : « On façonne l'argile pour faire un vase, mais c'est là où il n'y a rien qu'il exerce la fonction du vase : grâce à ce vide intérieur, le vase peut contenir... De là, vient sa capacité d'effet... Le vide est tout simplement ce qui permet le passage de l'effet. »

Au cours d'une soirée, Thao – le jeune asiatique – est assis, dans un coin, loin des autres, comme exclus. Le reste des jeunes sont attablés et s'amusent ensemble. Au cœur de ce groupe, une jeune fille. Seul Clint voit qu'elle regarde sans cesse Thao, qui, lui, n'a rien vu, inconscient de la puissance d'attraction de sa passivité et de son creux.

Cette faiblesse de Thao est le creux qui va permettre à Clint Eastwood de se révéler. Et au lieu finalement de lui apprendre la puissance de la force, Clint Eastwood va lui faire prendre conscience de la puissance de sa propre faiblesse, et lui, symétriquement, finira par faire de sa mort prochaine et annoncée – sa faiblesse ultime – la force qui va tout dénouer.

La transformation va être accompagnée par un prêtre : au moment de mourir, la femme de Clint lui a fait promettre de confesser son mari. Têtu, il fait face à la forteresse fermée de Clint et va contribuer à l'ouvrir.

En fait tout est dit dans le prénom de l'adolescent : il est le tao, la voie, ce chemin qu'il faut trouver… Thao est le tao.

Est-ce un signe volontaire de Clint Eastwood ? Oui probablement, d'autant plus que pendant presque tout le film, il va déformer son prénom, le transformant pour l'appeler « taré », et ce n'est qu'à la fin qu'il l'appellera Thao, quand, précisément il aura trouvé son chemin.


26 févr. 2009

GRAN TORINO OU LA FORCE DE LA FAIBLESSE ASSUMÉE

Quand Clint Eastwood montre que la vraie force est dans l'abandon de soi et le « lâcher prise »


Face à face initial quasi classique et banal : d'un côté un homme usé sur la fin de sa vie, hanté par le souvenir de sa guerre de Corée, muré dans la solitude de sa rancœur accumulée ; de l'autre un jeune garçon presqu'encore adolescent, fragile et vulnérable, d'origine asiatique et dominé par les femmes de sa famille.

Chacun fait comme il peut.
Le vieil américain vient de perdre son épouse – on ne saura rien d'elle –, regarde ses enfants et petits-enfants comme des étrangers importuns et encombrants – ceci même pendant l'enterrement de sa femme – et se protège de toute vie, et notamment de celle de ses voisins asiatiques, se réfugiant dans des bières qui s'enchaînent, soit dans son fauteuil au bord de sa maison, soit dans un bar.
Le jeune asiatique laisse couler sa vie comme elle vient, accepte toutes les tâches ménagères normalement dévolues aux femmes – vaisselle ou jardinage – et devient le souffre-douleur des gangs locaux, obligé d'accepter la protection de celui où se trouve un cousin.
Ce vieil américain tient des propos racistes, joue facilement le mâle dominant avec ou sans armes, et, comme l'acteur-réalisateur est Clint Eastwood, on s'attend à voir un remake de plus du fort venant au secours de la victime.
C'est effectivement ce qui semble s'enclencher au début, ce en plus autour d'un symbole de la puissance virile : une Gran Torino, une Ford décapotable rutilante de 1972. Cette voiture était celle de Starsky et Hutch, c'est tout dire !
Mais finalement tout se transforme petit à petit.
Sans vouloir raconter le film – je veux vous laisser le découvrir –, c'est l'inverse qui va se produire : la rédemption ne va pas venir de la force, mais du recours à la faiblesse, de la transformation de la mort en salut.
Ce film est une ode à l'acceptation de l'autre et de ses différences, sans émettre de jugement ni d'opinion. C'est aussi un merveilleux conte pour montrer la puissance du « lâcher prise » et de l'abandon de soi.
Un message puissant et utile au moment où montent tant d'appels, explicites ou implicites, à la haine de l'autre et à la pertinence de la force et de la puissance « virile ». On est bien loin de l'Inspecteur Harry et de toutes les discours simplificateurs.
A la fin du film, après quelques minutes passées immobile sur mon fauteuil, je suis sorti habité de cet appel à la puissance de la faiblesse.

Puisse-t-il être entendu…



25 févr. 2009

PILOTER, C’EST LÂCHER PRISE

Nous avons tous appris que piloter c'était prévoir, organiser, contrôler. Et si, en fait, c'était lâcher prise…

Sud du Rajasthan en Inde l'été dernier, découverte aléatoire d'Udaipur.

Aller voir le village artisanal de Shilpgram, distant de quelques kilomètres. Sans raison précise, refuser de prendre un taxi ou un rickshaw – le prix demandé pour la course n'est que le prétexte de mon refus – et me retrouver marchant sur une route inconnue. Accepter l'imprévu, se laisser perdre à un carrefour, se laisser tromper – mais comment pourrais-je me tromper puisque je ne cherche rien de précis, si ce n'est le hasard de la découverte ? – : lâcher prise…

Savoir regarder, s'amuser de ces vaches qui trônent impassibles sur la route et n'acceptent de bouger qu'à l'arrivée d'un camion (voir « C'est la crise, rien ne va plus : même les vaches sacrées doivent se pousser ! »), repérer ce dialogue immobile et muet entre une vache et deux oiseaux qui l'accompagnent…

Souvenir aussi des rencontres de la veille. Discussion dans un rickshaw avec le conducteur et son passager. Mon numéro de téléphone portable local laissé à tout hasard à la fin de la course. Quelques heures plus tard, un appel, un rendez-vous dans un des endroits que je connaissais d'Udaipur. Trajet en rickshaw, un verre et un autre dans un bar excentré où seuls des indiens sont attablés. Puis ne plus sentir l'ambiance, impression non pas vraiment de danger, mais d'une direction qui ne m'intéresse plus.

Alors me lever, ne pas écouter leur volonté de continuer, prendre un autre rickshaw pour rentrer à mon hôtel. Passer dans le centre et apercevoir l'eau du lac dans laquelle miroitent les lumières de la ville. Décider finalement qu'il serait dommage de ne pas s'asseoir là un moment sur les marches au bord de l'eau. Descendre donc du rickshaw et, sans penser à rien, sans projet, sans volonté, regarder l'eau immobile. Ne pas faire attention à cet indien qui s'approche, me regarde un moment et finit par s'assoir lui-aussi à côté de moi. Sentir le contact synchrone de nos émotions. Rencontre. Hasard. Lâcher prise.

Paris. Un contrat complexe, une stratégie à trouver avec à une technologie non stabilisée et des clients encore inconnus.

Savoir ne pas trop chercher la solution, mais apprendre à la laisser venir. Apprendre à ne pas vouloir commencer par comprendre, mais à d'abord admettre une situation telle qu'elle est sans a priori. Poser le problème, découvrir ses composantes en désordre et sans logique. Identifier ce que l'on sait, et surtout ce que l'on ne sait pas. Puis aller courir le long de la Seine, enchaîner les foulées, tourner autour du problème. Laisser mes processus inconscients chercher pour moi. Sentir les possibles, commencer à ne plus regarder le cours des fleuves, chercher les mers (voir « Je n'ai jamais vu un fleuve qui ne finissait pas par aller à la mer »). Lâcher prise.


Tout ceci peut vous sembler peut-être loin du management, de la stratégie et de vos vies quotidiennes. Je ne crois vraiment pas. Au contraire, plus on lâche prise, plus on apprend à sentir les courants naturels, mieux on peut se diriger, anticiper et manager…

Tout ceci peut aussi vous sembler comme non scientifique et irrationnel. Je ne crois vraiment pas. Au contraire, est-ce que la science contemporaine ne nous apprend pas l'importance du chaos, du hasard et de la dérive naturelle (voir « Résonance entre dérive naturelle, cygne noir et crise actuelle ») ? Est-ce être rationnel que nier l'existence des processus inconscients ?

Bien sûr on peut croire que manager c'est contrôler, que construire une stratégie c'est définir a priori la cible et le chemin, que concevoir une organisation c'est « dessiner des jardins à la française » (voir « Attention aux jardins à la française »)…

Je ne crois vraiment pas. Piloter c'est lâcher prise…

Je vous sens sceptique (c'est un euphémisme !), aussi je vais revenir là-dessus dans un prochain article.

A suivre….


24 févr. 2009

NOMADES SUR NOTRE PLANÈTE, NOUS SOMMES EN RECHERCHE DE REPÈRES

Devenus nomades et occupant une famille de territoires, nous voyageons au milieu des signes et des marques.

Perte de repères, perte de géographie, perte d'appartenance. Nous sommes de plus en plus des nomades :

- Nomades transplantés à l'occasion d'une migration : cadres oscillant à travers le monde au hasard de l'évolution de leurs carrières professionnelles, avec ou sans famille ; ouvriers cherchant à échapper à la misère de leurs pays et partis pour des eldorados, imaginaires ou non ; réfugiés fuyant des répressions politiques ou des guerres sans fin…

- Nomades provisoires le temps des vacances : urbains venant se perdre dans les arbres et les paysans d'une campagne perdue ; touristes arrachant pour quelques jours des sensations et des images ; sportifs en mal de sensation misant leurs vies dans le risque et l'extrême…

- Nomades numériques surfant sur le WEB : « webivores » toujours connectés à leurs tribus zappant entre pc et téléphones ; retraités approfondissant leurs passions et gardant le contact avec leur familles éclatées ; tribus virtuelles réunissant les amoureux d'un thème, d'un engagement ou simplement à la recherche d'une émotion commune…

L'espace physique se déforme, se transforme. Il est encore le lieu de notre présence physique, et donc essentiel pour la survie de notre corps, primauté de la protection de l'environnement. Cet espace est étendu par notre nomadisme physique : nous habitons réellement de plus en plus la planète.

Il est aussi bien sûr toujours celui du contact avec les autres et avec la vie. Mais il n'en a plus l'exclusivité. Ce contact physique avec l'altérité est complété et préparé par le nomadisme virtuel, par le déploiement de nos neurones numériques, par nos réseaux connectés.

A ce monde complexe où les liens sont souvent dissimulés derrière les apparences, le monde des marques et des signes vient répondre comme un miroir déformant, un amplificateur, un accompagnateur :

- Globalisation des marketing qui viennent propager partout le même concept, la même proposition, le même uniforme. Comme si les entreprises cherchaient à gommer les différences, niveler les propositions et finalement nier la notion même de voyage : à quoi bon se déplacer si c'est pour se retrouver face à l'identique ? Ou alors est-ce que ces marques viennent fournir une réassurance à ces nomades, comme des points fixes servant de bouées et de repères dans ces univers inconnus ?...

- Jeu des apparences où il suffit d'arborer les symboles pour se sentir appartenir à la tribu et pouvoir être reconnu. Une Rolex au poignet pour montrer que l'on est membre de la classe dominante. Un jean déchiré ou non, avec ou sans marque, avec ou sans accessoires, chaque composition constituant un code de plus en plus international. Un blog dont la structure et le design viendront avec le contenu définir le type d'appartenance…

- Dialogue mondial où la différence des langues natales ramène le mot à son minimum : anglais international pour socle commun d'échanges utilitaires et sans nuances ; marques et symboles pour cadre de repères d'appartenance à une tribu ; onomatopées et abréviations pour support de textes SMS ou MSN (qui sont chacun un de ces symboles)…

Reste à inventer tous ensemble notre nouvelle façon d'habiter notre planète…

En liaison avec cet article, lire mes articles sur :
- La naissance du Neuromonde
- Des histoires insolites

23 févr. 2009

SAVOIR COMPRENDRE ET RESPECTER L’APPORT DE L’AUTRE

Sans confrontation en interne et avec l'extérieur, une entreprise va se déconnecter par rapport au réel (voir articles sur la confrontation). Mais, la réussite d'une culture de la confrontation suppose un préalable.

« Dans cette entreprise industrielle, il y avait une rivalité latente et classique entre la Direction Industrielle et les usines. Le rôle des membres de la Direction Industrielle était mal compris : ils étaient perçus comme imposant une politique technique sans tenir compte des contraintes opérationnelles. En simplifiant, l'usine avait tendance à penser que les demandes émanant des membres de la Direction Industrielle venaient perturber inutilement le bon fonctionnement local, dégradant ainsi sa performance.

Symétriquement les membres de la Direction Industrielle pensaient que, lorsqu'une usine soulevait une objection, celle-ci n'était qu'une perte de temps et témoignait de sa mauvaise volonté : ils entraient alors en relation avec l'usine non pas pour comprendre l'origine de l'objection, mais pour, sans l'écouter, chercher à la convaincre de son erreur. Personne ne comprenait, ni ne respectait le rôle de l'autre. Ceci ne tournait pas au conflit car tout le monde était conscient de l'importance de la survie de l'entreprise et les usines savaient détenir le pouvoir in fine. Périodiquement, si le siège était jugé comme allant trop loin, les directeurs d'usine faisaient bloc et obtenaient un départ. Il était dans ce contexte impossible de lancer une confrontation efficace : une explicitation des rôles de chacun devait être faite au préalable.

Souvenir d'un plan qualité lancé dans une entreprise de transport. J'avais mené des réunions dans tous les services, et, chaque fois, j'entendais les mêmes messages : « Ah, si untel faisait mieux son travail, nous n'aurions pas tous ces problèmes. ». C'était le sport national : ne jamais parler de ce que l'on faisait soi, mais de ce que l'on aurait fait si on avait été à la place des autres. Dans un tel contexte, impossible aussi de développer une confrontation positive !

Aussi un préalable, complémentaire à celui d'avoir un objectif commun, est que chacun ait une vision claire de son rôle et de sa contribution propres, ainsi que le respect et la compréhension de ceux des autres : si l'un a un doute sur la compétence de son interlocuteur, alors la confrontation soit ne s'amorcera pas, soit tournera au conflit avec mise en cause de l'autre personne.

L'arrogance aussi est interdite. Elle peut signifier le mépris non seulement de l'autre, mais plus généralement de toute information venant contredire sa propre conviction : on ne discute plus pour comprendre mais pour convaincre. Or c'est bien pour comprendre et non pas pour convaincre que l'on doit se confronter, car c'est de la compréhension commune que naîtra la conviction commune. À nouveau, il est normal que les positions initiales divergent : le vrai consensus est le résultat du processus, non pas le point de départ.

L'attitude positive pour entrer en confrontation est d'être convaincu de ses arguments, sinon cela montrerait que l'on a mal mené son propre travail, mais tout en étant conscient des hypothèses que l'on a faites et en étant prêt à accepter leur remise en cause ou simplement leur enrichissement. »

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(EXTRAIT DU LIVRE NEUROMANAGEMENT)

22 févr. 2009

"L'IMPASSE" DE KERY JAMES


Intermède musical pour ce dimanche.


Prenez le temps d'écouter cette chanson de Kery James en duo avec Béné, un duo poignant entre un enfant et un « grand frère » qui répond à cette question « simple » : « C'est maintenant qui me faut des tunes. Dis-moi ça sert quoi de faire des études ? De toute façon en France on est grillé. J'ai pas besoin de leurs diplômes, y me faut des billets. »

21 févr. 2009

« JE N’ATTENDS PAS DE TOI QUE TU ME COMPRENNES, MAIS QUE TU M’AIMES POUR CE QUE JE SUIS »

Souvent les artistes savent en quelques mots, quelques notes ou quelques traits saisir et résumer un problème ou une situation qui sont dans l'air.

C'est le cas de cette chanson de Zazie et Bauer « A ma place » : « Se peut-il qu'on nous aime pour ce que nous sommes… Je n'attends pas de toi que tu me comprennes, seulement que tu m'aimes pour ce que je suis… Se met-elle à ma place quelque fois… Veux-tu faire de moi ce que je ne suis pas ? »



Le choc des cultures et des civilisations ne vient-il pas pour partie de notre volonté de comprendre les autres, c'est-à-dire à les penser à partir de nous, de nos repères, de nos schémas propres ?

En effet, il est impossible de comprendre dans l'absolu, en faisant fi de sa propre histoire et de ses a priori : vouloir comprendre l'autre implique d'abord de le penser et donc de l'interpréter.

Et s'il fallait simplement l'accepter tel qu'il est, sans lui demande de changer quoi que ce soit, sans le comprendre.

Et si la civilisation de demain ne devait se construire que sur l'acceptation a priori des différences, et non des compréhensions mutuelles.

Et si la compréhension de l'autre venait a posteriori de cette acceptation sans condition, de cette juxtaposition ouverte, de cette cohabitation.

20 févr. 2009

LE VRAI PROTECTIONNISME NE RIME PAS AVEC LE NATIONALISME

Les vraies protections ne peuvent venir que du dépassement des réflexes nationalistes et de l'émergence de règles mondiales.

Souvenir de la grande bataille de l'école privée en 1984 : une des grandes forces des opposants à la réforme de l école privée a été de réussir à ne plus parler de la défense de l'école privée mais de l'école libre. Qui pouvait-être contre la défense de l'école libre ?

La force des mots qui, une fois de plus, structure les interprétations : nous pensons à partir et avec le langage.

Aujourd'hui il y a un nouveau mot « magique » : le protectionnisme. Je m'en suis rendu compte dernièrement suite aux réactions suscitées par mon article « N'écoutons pas le chant des sirènes du protectionnisme », article qui a été repris sur AgoraVox. En fait, dès que l'on s'élève contre le protectionnisme, on est tout de suite taxé de ne pas vouloir de protection, d'être ultralibéral, de défendre les puissants, les forts…

Or derrière ce mot de protectionnisme que trouve-t-on ? La plupart du temps la montée des égoïsmes nationaux, la peur de l'autre, l'idée qu'il faut garder pour soi ses richesses.

Cette montée, si on la laisse se développer, aura pour conséquence de désorganiser les systèmes de production et d'accélérer la crise… et de diminuer en fait le niveau des protections ! Ce sont les plus fragiles – dans nos pays et ailleurs – qui seront les premières victimes de cette crise approfondie.

Il y a donc pour moi comme un « hold-up sémantique » : non le vrai protectionnisme n'est pas la juxtaposition des nationalismes, c'est la création de nouvelles règles mondiales qui vont réellement pouvoir protéger les plus faibles et organiser des contrepouvoirs.

Faisons attention à cette force des mots qui vient biaiser tous les réflexions et conditionnent nos émotions collectives. Ne nous laissons pas emporter par nos réflexes reptiliens qui peuvent nous dresser les uns contre les autres…

19 févr. 2009

LA MORT EST LE SYSTÈME LE PLUS PRODUCTIF

Si l'on cherche à minimiser au maximum les dépenses, le plus simple est de tout arrêter ! Mais est-ce bien ce que l'on veut in fine ?

Imaginons une démarche de productivité centrée sur le système commercial et qui a pour but de diminuer les coûts en supprimant ceux qui sont les moins productifs.

L'analyse commence classiquement par l'analyse des ventes par clients. On les classe ensuite en fonction du niveau atteint, et on tombe sur la règle quasi immuable des 80/20 : 80% des ventes sont réalisées avec 20% des clients.

Alors, ensuite, souvent, on s'intéresse aux clients les moins « importants » et l'on constate que les 5% derniers ne représentent qu'une part très faible des ventes (en règle générale, nettement moins de 1%). On met en regard le coût commercial, et on constate qu'ils ne sont pas rentables, c'est-à-dire que le coût est disproportionné par rapport aux ventes.

Alors on décide de les abandonner et de se concentrer sur les 95% de clients restants. Parfois, le même raisonnement est poussé plus loin et on va se concentrer sur 90, voire 80% des clients les plus « importants ».

6 mois plus tard, on mène la même étude et on obtient le même résultat : la « règle des 80/20 » s'applique toujours et les derniers clients représentent encore une part très faible des ventes. Que fait-on ? On se concentre à nouveau sur les 95% les plus importants, les 90%, les 80 % ?

Si on fait cela, on pourra ensuite refaire le calcul, et on retrouvera ces 80/20… C'est sans fin.

En effet le monde n'est pas structuré sous la forme de courbe gaussienne, mais selon une logique fractale : si je zoome à l'intérieur d'un sous-ensemble, la loi de distribution reste la même (voir sur ce point le développement très clair fait par Nassim Nicholas Taleb dans le Cygne Noir chapitre 15 « La courbe en cloche, cette grande escroquerie intellectuelle »).

Donc si l'on poursuit la logique de la productivité par la suppression des coûts les moins efficaces, on va par étapes vers le système le plus productif, le seul qui ne consomme aucune ressource inefficacement, en fait celui ne consomme plus de tout de ressources : la mort.

Oui, bien sûr, je simplifie et je caricature ! Mais dans mes 20 ans de pratique de consultant, j'ai croisé bon nombre d'entreprises qui, ayant suivi des démarches successives de productivité, avait entamé très fortement leur processus vital et leur capacité à se développer.

Que faut-il faire alors ?

Il ne s'agit pas de « jeter aux orties » toute approche de productivité et de réflexion sur l'adéquation entre moyens et résultats. Mais il faut la pondérer, avant tout décision, au travers de quelques questions « simples » :

  • Pourquoi fait-on aussi peu de chiffres d'affaires avec ces clients ? Que sait-on de ces clients ? Quelle énergie a-t-on consacré dans les 3 dernières années à développer ces ventes ? Si oui, quels ont été les résultats ? Si non, pourquoi n'a-t-on rien tenté ?
  • Y-a-t-il une valeur cachée, « inconsciente » dans cette relation commerciale ? Est-ce que le potentiel de ce client est réellement connu ou l'apprécie-t-on uniquement à partir de ce que l'on connait de ce client ? Ou autrement dit, est-il comme un iceberg dont on ignore en fait l'essentiel : achats chez les concurrents, produits/services substituables ? Ou peut-il servir de tests pour de nouveaux produits ? A-t-il un rôle de prescripteur ?…
  • Est-ce que l'on propose la bonne offre à ces clients ? Peut-on reconcevoir l'offre pour ces clients et diminuer drastiquement les coûts ? Peut-on sous-traiter la commercialisation ? Simplifier le produit ? Construire des offres packagées ?...

En fait, selon mon expérience, sauf exceptions, il n'a pas de clients non rentables, mais seulement des offres inadaptées !

18 févr. 2009

COMMENT UN ASCENSEUR PEUT-IL DESCENDRE ?

La pagaille commence souvent dans les détails. Parfois au travers d'un objet qui fait le contraire de ce que veut dire son nom.

Entrez dans un immeuble quelconque. La plupart du temps, vous allez y trouver un ascenseur. S'il est déjà là, ouvrez la porte et pénétrez à l'intérieur ; sinon, appuyez sur le bouton, attendez-le et pénétrez ensuite dedans. Choisissez l'étage que vous voulez et allez-y. Jusque là tout va bien : vous avez pris un ascenseur, vous êtes monté, c'est normal.

Maintenant que vous êtes en haut, vous voulez redescendre. Comment allez-vous faire ? Reprendre le même ascenseur et, cette fois, vous en servir pour descendre. Et effectivement c'est ce que quotidiennement nous faisons. Même moi, je le confesse.

Mais là, rien ne va plus : comment un ascenseur peut-il descendre ? C'est nier sa propre dénomination : ascenseur vient de « ascendere » qui, en latin, veut dire monter. Nous devrions prendre un « descenseur » pour faire le chemin en sens inverse.

Je vous entends déjà me dire qu'une telle spécialisation – des ascenseurs pour monter, des descenseurs pour descendre – serait contreproductive, et pour tout dire compliquée : en effet, on aurait vite tous les ascenseurs en haut et tous les descenseurs en bas. Il faudrait donc alors un système qui remonterait les descenseurs et descendrait les ascenseurs.

En fait cela reviendrait à avoir des ascenseurs plus grands pour remonter les descenseurs, et symétriquement de grands descenseurs pour descendre les ascenseurs montés. Oui, mais alors comment faire avec ces grands ascenseurs et descenseurs ? Ce problème est sans fin.

Donc notre organisation actuelle avec des objets qui fonctionnent aussi bien à la montée qu'à la descente est probablement la meilleure.

Mais pourquoi les avoir appeler des ascenseurs ? Par optimisme, en ne retenant que la partie montante et en voulant oublier qu'in fine, la vocation d'un ascenseur n'est pas de monter, mais d'osciller. Alors des censeurs ? Non, déjà pris pour les lycées. Alors pourquoi pas des oscillateurs ? Une autre suggestion ?

Je sais, je complique. Mais si je ne peux pas me servir de ce blog pour partager avec vous mes interrogations, pourquoi en avoir un ?