27 nov. 2009

RAPT OU LE POUVOIR CONTESTÉ

Le roi est nu

Le fonctionnement des économies développées supposent tout un enchevêtrement de prestations successives pour arriver à les faire fonctionner. Nous ne voyons que la partie immergée de l'iceberg : qui pense à tout ce qui a dû être mobilisé pour qu'un fruit ou un légume arrivent jusqu'à l'étal du marchand où nous allons les acheter ? Qui est vraiment conscient du nombre d'acteurs multiples qui interviennent pour qu'une voiture puisse effectivement rouler ? A quoi servirait cette voiture si les routes n'existaient pas ? Comment pourrait-on construire des routes ou des immeubles, s'il n'y avait pas des carrières extrayant les bons agrégats ? Qui sait que, sans ces agrégats, nos villes s'effondreraient ?
Oui les rouages essentiels sont le plus souvent cachés et ignorés. Oui, nos sociétés reposent sur ces « inconscients » qui sous-entendent nos performances quotidiennes. Si jamais, nous les ignorons, si, pour une raison ou une autre, ils viennent à se gripper, plus rien ne fonctionne.
Ces icebergs ne concernent pas que les fonctionnements matériels, mais aussi toutes les organisations et processus immatériels. Le pouvoir ne peut s'exercer que s'il est reconnu et accepté.
Les dirigeants, qu'ils soient à la tête d'organisations politiques ou d'entreprises privées, vivent parfois dans l'illusion de maîtriser les choses et peuvent avoir une vision exagérée de leur pouvoir réel. 
Le film Rapt de Lucas Belvaux, inspiré de l'affaire du baron Empain, apporte un éclairage sur la fragilité du pouvoir : même la détention d'une part significative du capital n'est rien si l'on n'est plus perçu comme légitime et compétent. Avant le rapt, Stanislas Graff se croyait tout puissant, invulnérable et « au-dessus des lois ».
Durant le rapt, son absence et la révélation des parties cachées de sa vie amènent à une décomposition de la confiance qui l'entourait et à une recomposition des réseaux de pouvoir. Après le rapt, il se retrouvera dépouillé de cette puissance qu'il croyait posséder.
Sévère, mais salutaire rappel à la réalité…

26 nov. 2009

ATTENTION À NE PAS TOMBER DANS UN TROU NOIR

Les trous noirs mangent de l'information

Depuis que je suis en âge de m'intéresser à la physique, les trous noirs m'ont toujours fasciné. Probablement d'abord à cause du nom : il évoque justement cet espace obscur au fonds du placard, celui qui avait hanté mes nuits d'enfants. Ensuite parce que cet idée d'une sorte d'aspirateur géant qui avale tout ce qui passe à proximité, matière comme lumière, est saisissante. Tout autre monstre n'est qu'un gentil doudou à côté d'un trou noir !
Mais ce n'est pas la seule conséquence de ces trous noirs : ils ne se contentent pas d'absorber de la matière, ils « mangeraient de l'information » et contribueraient à rendre le monde encore moins prévisible ! En effet, quand ils absorbent des particules, ils font aussi disparaître les fonctions d'onde associées. Or, « pour prédire entièrement le futur, il faut connaître entièrement toutes les fonctions d'onde d'aujourd'hui… Cette question conduit donc directement à se demander si les trous noirs n'imprègnent pas l'évolution de notre Univers d'une suite fortuite d'événements, encore plus fondamentale. » 
Si même les trous noirs jouent à fausser nos prévisions…
Mais il n'y a pas que les trous noirs auxquels il faudra faire attention lors de votre prochain voyage dans l'espace : l'espace est déformé par tous les objets qui s'y trouvent, et ces masses ne se contentent pas de courber l'espace, mais elles déforment aussi le temps.
Une question au passage : la structure du temps peut-elle se déchirer, puis se réparer ? Selon la théorie des cordes, oui. Mais cette théorie est largement contestée…
Enfin, si l'on fait un saut dans l'ultra-petit, le temps peut aussi jouer des tours : ainsi deux particules peuvent être tellement « sœurs jumelles » que, même séparées, elles continuent à se transmettre instantanément toute information. Comment font-elles ? Où est le truc ?

25 nov. 2009

LE PRINCIPE D’INCERTITUDE VA JUSQUE DANS NOTRE CERVEAU

Ciel mes neurones font de la mécanique quantique !

Rappelons d'abord le fameux principe d'incertitude d'Heisenberg : je ne peux pas connaître à la fois précisément la vitesse et la position d'une particule élémentaire. Mieux je connaitrai sa position, moins je connaitrai sa vitesse. Et réciproquement. Donc si je sais où elle est, je ne sais pas où elle va. Si je sais dans quelle direction elle se dirige, je ne sais pas où elle se trouve.
Pour faire comprendre ce principe, il y a un exemple simple : si vous voulez savoir très précisément où se trouve la particule, vous allez devoir l'éclairer fortement pour la localiser. La quantité de lumière sera telle qu'elle viendra modifier le niveau d'énergie de la particule, et donc vous ne pourrez pas connaître quelle était sa vitesse.
Une des conséquences amusantes de ce principe est que, si vous cherchez à confiner les particules dans des boites très petites, elles vont se déchainer : elles ne supportent pas que l'on sache où elles sont !
Autre conséquence plus troublante de la mécanique quantique : il y aurait comme une sorte de communication instantanée à distance entre les particules. Ce paradoxe, dit paradoxe EPR, viendrait contredire la sacrosainte loi de la vitesse de la lumière comme vitesse limite. Il est mis en évidence suite à la séparation de deux particules initialement en interaction : toute modification constatée sur l'une se transmet instantanément à l'autre, comme si l'information voyageait instantanément. Rappelez-vous les deux images de poisson : tout changement observé sur un poisson était immédiatement et simultanément constaté sur l'autre, et pour cause, puisque c'était le même poisson. Sommes-nous devant le même type de réalité arrière cachée ?
Tout ceci me rappelle ces tours de magie, au cours desquels on est émerveillé par ce qui se passe et qui contredit les lois de la nature : un chapeau ne peut pas contenir à la fois une dizaine de lapins, trois couples de colombes, la moitié du rayon de foulards d'un magasin de quartier. Il y a un truc, forcément. Où est le truc, cette fois ?
Mais comme cela ne concerne que des particules extrêmement petites, nous n'avons pas de raison de nous faire des nœuds au cerveau. Dans la vie quotidienne, rien de tout cela ne s'applique : je n'ai à me préoccuper que des faisceaux de particules, pas d'une particule en particulier. Mes neurones peuvent se reposer tranquillement.

Mais au fait, mes neurones justement, comment communiquent-ils entre eux ? 
Le point de contact est appelé synapse et la transmission est de nature chimique : un neurone émet au niveau de la synapse des molécules, des neurotransmetteurs. Ceux-ci sont réceptionnés par l'autre neurone et ils provoquent telle ou telle réaction en fonction du neurotransmetteur émis. C'est grâce à ce mécanisme que circule l'information entre neurones. Tout le fonctionnement de notre cerveau repose là-dessus : activité consciente et inconsciente, mémoire, interprétation, émotion, sentiment, décision. Sans neurotransmetteurs, rien. Cette émission de neurotransmetteurs s'appelle une exocytose. Joli nom, non ? Cette exocytose suppose l'ouverture de petites vésicules qui contiennent les molécules à émettre. Jusque là, rien de bien troublant. Oui, mais ces vésicules sont tellement petites, les quantités émises tellement faibles, que l'on se trouve dans les ordres de grandeur où il faut appliquer la mécanique quantique : dès que l'on analyse la transmission synaptique, on doit passer à une approche probabiliste. 
Ainsi derrière chacune de nos émotions, chacun de nos réflexes, chacune de nos pensées, il y a un peu du principe d'incertitude. 
A partir de cette information, on peut jouer au jeu du « cerveau quantique » :
- Nos pensées sont partout et nulle part à la fois : il est impossible de les localiser et de savoir où elles vont. Si je sais à quoi je pense, je ne sais pas où cela va me conduire. Si je sais où cela va me conduire, je ne sais pas pourquoi. 
- Chacune de nos pensées est intraçable : on ne peut connaître que le flux global des pensées et non pas les suivre, une par une.
- Tout confinement conduit à l'agitation : toute tentative d'enfermer un raisonnement dans un cadre étroit provoquera un bouillonnement de la pensée qui permettra au sujet de s'échapper,
- …

Quelle pagaille en perspective…

24 nov. 2009

COMMENT SAVOIR LE SENS DE CE QUE L’ON REGARDE ?

Nous n'avons pas la possibilité de passer derrière l'écran


Vous avez devant vous deux listes de résultats provenant de deux caméras distinctes. Vous savez que l'une des caméras mesure la position et que l'autre analyse la couleur. Le premier listing se compose de la suite suivante : « gauche », « gauche », « droite », « gauche », « gauche », « droite »,… Le second est : « rouge », « blanc », « rouge », « rouge », « blanc », « rouge »,…
Avec ces informations, vous savez donc que l'objet vu par la camera 1 est soit à gauche, soit à droite, et que celui vu par la caméra 2 est soit rouge, soit blanc. Vous ne pouvez rien déduire de plus.
Or c'était le même objet qui était vu par les deux caméras : il s'agissait d'une boule soit blanche, soit rouge qui passait aléatoirement à gauche ou à droite.
Cette expérience décrite par Michel Bitbol (« Mécanique quantique, une introduction philosophique ») pose très simplement la question suivante : comment pouvons-nous savoir quand on peut ou non unifier des contextes, c'est-à-dire affirmer que telle et telle observations proviennent en fait du même objet ?

Autre exemple : mettez un poisson dans un aquarium, filmez-le par deux objectifs et projetez les deux images sur deux écrans dans une salle voisine. Tous les spectateurs vont voir deux poissons exactement synchrones. Tout ce qui se passe pour l'un se répercute immédiatement sur l'autre. Tout le monde risque d'être tenté de penser que c'est le même poisson filmé sous deux angles différents. Mais comment en être sûr si l'on reste dans la salle sans avoir accès à l'aquarium.

Prenez maintenant un cylindre. Comment le définir ? Un moyen simple est le suivant : si, en coupant un objet selon un plan, vous obtenez un rectangle, et qu'en le coupant selon le plan perpendiculaire, vous obtenez un cercle, c'est un cylindre. Maintenant si vous avez devant vous un rectangle et un cercle, et que vous savez seulement que chacun est le résultat d'une coupe faite sur un objet, vous ne pouvez rien conclure sur l'objet lui-même : rien ne vous dit que les deux coupes viennent du même objet et que ces deux coupes sont orthogonales.

Dans la vie quotidienne, nous sommes constamment devant ce dilemme : est-ce que les différentes informations qui m'arrivent simultanément proviennent oui ou non du même objet ? Comment puis-je être certain que ce que je vois et ce que j'entends proviennent de la même source ?
Parfois, nous avons la possibilité de « passer derrière l'écran » et de nous assurer que, oui, c'est bien le même objet et que, donc, nous avons le droit de réunir les informations. Mais souvent, ce n'est pas possible : nous qui ne lisons le monde qu'à partir de ce que nous voyons, comme savoir ce qui se passe vraiment ? Peut-on réunir des données et considérer qu'elles décrivent des aspects différents de la même réalité ? Ou à l'inverse, ce sont des données qui correspondent à des réalités disjointes ? Comment savoir ?
La réponse est malheureusement assez claire : on ne sait pas. Nous n'avons accès qu'aux apparences et nous n'avons pas accès à la « chose en soi ». Déstabilisant, non ?

23 nov. 2009

LA CRISE DE LA VITICULTURE EST TERMINÉE

Ne laissons plus les viticulteurs brûler de l'argent en plein air

Ce jeudi, je suis passé dans l'Ile de la Cité et ai fait un arrêt aux Marchés aux fleurs. Mon regard sautait sans beaucoup d'attention d'une plante à l'autre, quand il s'arrêta sur un cep de vigne et son prix : 375 €.

Le cep n'avait rien d'exceptionnel (voir la photo ci-jointe prise ce même jour), juste un cep comme on peut en voir en abondance dans toutes les régions viticoles.

J'eus alors un éclair : voilà la solution à la crise viticole. Tous les viticulteurs sont riches comme Crésus sans le savoir. Il faut simplement qu'ils arrêtent cette attitude stupide et rétrograde qui consiste à brûler les ceps de vigne après les avoir arrachés. Non, il faut soigneusement les retirer du sol, les loger précautionneusement dans des pots – pas de souci, un pot en plastique fera l'affaire –, puis les mettre dans un camion et venir les vendre aux Parisiens qui en seront ébahis de plaisir.


Vu le nombre de ceps de vigne qu'il y a par hectare, leurs fortunes sont faites. Il est même probablement plus rentable de venir revendre les ceps de vigne que de produire des grands crus.

Quand je pense à tous ces ceps qui brûlent au bord des champs, c'est un peu comme Serge Gainsbourg qui avait brûlé un billet de 500 F au cours d'une émission TV.

Que les viticulteurs se rassurent donc, la crise est derrière eux !

20 nov. 2009

« LA VÉRITÉ, C'EST QUE J'AVAIS UNE IDÉE, UNE IDÉE PAS FAMEUSE… »

Comment est né Air Liquide

« La vérité, c'est que j'avais une idée, une idée pas fameuse, mais qui a eu quand même d'utiles conséquences, comme il arrive parfois aux plus mauvaises idées. Je voyais mon invention de l'acétylène dissous, à peine éclose, péricliter pour différentes raisons, dont l'une était le prix alors élevé du carbure de calcium. J'eus alors la pensée qu'on pourrait peut-être réduire ce prix en substituant à l'électricité, pour la production des hautes températures nécessaires à la fabrication de ce produit, la simple combustion du charbon par l'oxygène si l'oxygène lui-même pouvait être produit à bas prix.


Bien que cette conception soit restée stérile jusqu'ici et qu'on fabrique toujours le carbure par l'électricité, c'est donc cette conception tout de même - et on aura raison d'appeler cela de la chance - qui m'a amené à l'oxygène pour sauver l'acétylène dissous, avec cette chance supplémentaire et inouïe que c'est quand même cet oxygène qui l'a sauvé en lui donnant le débouché, que je ne pouvais prévoir, du soudage et du coupage, Et ainsi l'acétylène dissous est devenu le gros client de L'Air Liquide, dont il a, à son tour, assuré le succès.

Ce n'est pas tout: s'il est certain que c'est par l'acétylène que j'ai été amené à l'air liquide, il est non moins certain que l'air liquide à son tour m'a conduit à l'extraction des gaz rares, puis à j'extraction de l'hydrogène des gaz de fours à coke et à la synthèse de l'ammoniac par les hyperpressions

Ainsi s'exprimait Georges Claude dont les inventions sont à l'origine, au début du 20ème siècle, de la création d'Air Liquide. Pour qu'Air Liquide se crée, il avait fallu en plus que ces idées rencontrent des hommes comme Paul Delorme, puis Frédéric Gallier prêts à prendre des risques.

Bel exemple de modestie à méditer par tous ceux qui se croient capables de prévoir…

19 nov. 2009

IMAGINER LE FUTUR ET ACCOMPAGNER LA MISE EN ŒUVRE DE SA VISION

Un long chemin fait d'ajustements successifs, d'obstination et de rythme

En 1983, j'ai acheté ma maison en Provence. Le gros-œuvre de la maison était en très bon état, mais l'intérieur était complètement à refaire. Pour le jardin – je devrais dire le terrain –, tout était à faire : à part la truffière, ce n'était que ronces et pruniers, une sorte de jungle, version maquis provençal. Au cours des six premiers mois, j'ai tout nettoyé et me suis retrouvé devant une feuille blanche, ou plutôt verte.
J'ai alors imaginé comment tout ceci pourrait devenir un jardin, me suis construit une vision de comment ce serait à terme. Je me suis assuré que c'était réaliste, compte-tenu du climat et du temps que j'étais prêt à consacrer. Compromis entre ce que je voulais, ce qui naturellement pouvait pousser là, et les moyens disponibles.
Depuis, cette vision s'est mise en œuvre et j'ai sculpté, au cours des années, plantes, arbres et terrain. Le début fut le plus facile : il suffisait de planter des arbres. Simplement il fallait faire attention à les imaginer grands et donc à ne pas les planter trop proches les uns des autres.
Le plus difficile a été d'accompagner leur croissance. J'écris « accompagner », car c'est l'arbre qui grandit, moi, je ne suis qu'un facilitateur. Au fil des années, j'ai appris à sentir les branches qu'il fallait couper, celles qu'il fallait conserver. Tailler un arbre n'est pas un acte logique et rationnel, c'est une affaire d'attention et d'intuition. Bien sûr, il y a quelques règles techniques de base à respecter, mais ce n'est pas vraiment l'essentiel. 
C'est d'abord une affaire d'esthétique et d'équilibre, comme les volumes d'une statue ou le jeu de couleurs d'un tableau. Pour réussir une taille, il faut savoir prendre du recul et s'observer agissant pour deviner les conséquences des gestes que l'on est en train d'entreprendre.
C'est aussi une affaire d'imagination : il faut se projeter dans le futur et imaginer ce que va pouvoir devenir cet arbre et ceux qui l'environnent. Chaque entaille faite aujourd'hui est porteuse de ce futur implicite qui est inscrit de façon indélébile dans ce choix.
C'est enfin savoir respecter les rythmes de la nature. Inutile de vouloir brusquer les choses ou de chercher à faire naître une branche là où c'est impossible. Tailler ce n'est pas créer, c'est accompagner la vie et choisir entre des possibles préexistants. 
Ce sont ces tailles répétées années après années qui ont permis à ce jardin d'être aujourd'hui en ligne avec ce que je voulais.

Mettre en œuvre une stratégie, c'est aussi un long chemin, fait d'ajustements successifs, d'obstination et de rythme. 
Au moment du lancement de cette stratégie, on sait quelle mer on vise, on connait les chemins qui peuvent permettre de l'atteindre, on a identifié les ruptures potentielles les plus dangereuses, on sait précisément comment on va commencer, après on verra ! Aussi, la première chose à ne pas manquer, c'est de coller au plus près du réel.

18 nov. 2009

LA SUPPRESSION DE LA TAXE PROFESSIONNELLE N’EST PAS NÉCESSAIREMENT UNE BONNE NOUVELLE POUR LES ENTREPRISES

« Oui, mais pas chez nous ! »


Le débat actuel sur la suppression de la taxe professionnelle fait actuellement rage. Il porte pour l'essentiel sur la question du financement des collectivités locales – communes et groupement de communes – : comment vont-elle être financées à l'avenir ? Quels seront leurs marges de manœuvre sur l'évolution de ces ressources ?

Double débat évidemment essentiel dont va dépendre leur capacité à faire face ou non à leurs dépenses et le maintien d'une réelle décentralisation. On voit clairement derrière tout ceci flotter ce jacobinisme qui reste de règle dans la plupart des « élites » parisiennes.

Le monde des entreprises reste absent de ce débat, trop content d'engranger enfin cette suppression de la taxe professionnelle tant attendue.

Or je ne pense pas qu'il soit de bonne politique de rester ainsi absent de ce débat et se désintéresser de la suppression du lien entre les entreprises et le territoire sur lequel elles se trouvent.

En effet, si la taxe professionnelle présente des inconvénients importants à cause de son mode de calcul, elle a le mérite de créer une forme de solidarité de fait entre l'entreprise et la ou les communes où elle est implantée : quand la direction d'une usine a un projet de création d'une nouvelle activité et d'extension d'une activité existante, elle sait rencontrer auprès des élus locaux concernés des oreilles a priori bienveillantes. Ceci est d'autant plus important que ce sont bien souvent les seules : la montée en puissance de l'environnement et de l'écologie fait que quasiment tous les autres acteurs – administration, associations locales – vont chercher à s'opposer au projet.

Qu'en sera-t-il demain si l'on supprime la taxe professionnelle et qu'il n'y a plus aucun lien ou un lien très lâche entre une usine et les ressources de sa commune ? Ne va-t-on pas voir le maire devenir le premier opposant à tout projet d'extension ? Ne va-t-on pas comme pour la plupart des projets d'infrastructures voir les populations locales et leurs élus dire « Oui, mais pas chez nous » ? Est-ce que cela ne risque pas d'accélérer la "tertiarisation" de notre pays ?

Non, vraiment, je pense que c'est une vision bien à courte vue de se désintéresser de ce débat du financement des collectivités locales. Le MEDEF et les entreprises qu'il représente pourraient avoir un réveil douloureux…


17 nov. 2009

« LE MOI SUBLIMINAL N'EST NULLEMENT INFÉRIEUR AU MOI CONSCIENT »

Henri Poincaré, dès 1908, parlait du rôle du travail inconscient dans l'invention

Henri Poincaré a écrit en 1908 un traité « Sciences et Méthodes » dans lequel il mène une réflexion sur la méthode scientifique et l'applique ensuite aux mathématiques, à la mécanique, à l'astronomie et à la géodésie.

Dans la partie initiale, il centre notamment sa réflexion sur le processus de l'invention et de la création. Il est frappant de voir comme il était précurseur et en phase avec la vision actuelle telle qu'issue par les derniers développements des Neurosciences (voir notamment « le Nouvel Inconscient » de Lionel Naccache, mon livre Neuromanagement et mon article : « CONSCIENCE ET INCONSCIENCE, LE « YIN ET YANG » DE NOS PROCESSUS VITAUX »)

Sur le processus de l’invention et de l’inspiration : 
« Ce qui frappera tout d'abord, ce sont ces apparences d'illumination subite, signes manifestes d'un long travail inconscient antérieur; le rôle de ce travail inconscient dans l'invention mathématique me paraît incontestable, et on en trouverait des traces dans d'autres cas où il est moins évident. »
« Il y a une autre remarque à faire au sujet des conditions de ce travail inconscient : c'est qu'il n'est possible et en tout cas qu'il n'est fécond que s'il est d'une part précédé, et d'autre part suivi d'une période de travail conscient. Jamais (et les exemples que j'ai cités le prouvent déjà suffisamment) ces inspirations subites ne se produisent qu'après quelques jours d'efforts volontaires, qui ont paru absolument infructueux et où l'on a cru ne rien faire de bon, où il semble qu'on a fait totalement fausse route. Ces efforts n'ont donc pas été aussi stériles qu'on le pense, ils ont mis en branle la machine inconsciente, et, sans eux, elle n'aurait pas marché et n'aurait rien produit. »
« Il faut mettre en œuvre les résultats de cette inspiration, en déduire les conséquences immédiates, les ordonner, rédiger les démonstrations, mais surtout il faut les vérifier. J'ai parlé du sentiment de certitude absolue qui accompagne l'inspiration; dans les cas cités, ce sentiment n'était pas trompeur, et le plus souvent, il en est ainsi; mais il faut se garder de croire que ce soit une règle sans exception ; souvent ce sentiment nous trompe sans pour cela être moins vif, et on ne s'en aperçoit que quand on cherche à mettre la démonstration sur pied. J'ai observé surtout le fait pour les idées qui me sont venues le matin ou le soir dans mon lit, à l'état semi-hypnagogique. »

Sur les processus de décision et de choix

« Ici les échantillons seraient tellement nombreux qu'une vie entière ne suffirait pas pour les examiner. Ce n'est pas ainsi que les choses se passent. Les combinaisons stériles ne se présenteront même pas à l'esprit de l'inventeur. Dans le champ de sa conscience n'apparaîtront jamais que les combinaisons réellement utiles, et quelques-unes qu'il rejettera, mais qui participent un peu des caractères des combinaisons utiles. Tout se passe comme si l'inventeur était un examinateur du deuxième degré qui n'aurait plus à interroger que les candidats déclarés admissibles après une première épreuve. »
« Et alors une première hypothèse se présente à nous : le moi subliminal n'est nullement inférieur au moi conscient; il n'est pas purement automatique, il est capable de discernement, il a du tact, de la délicatesse; il sait choisir, il sait deviner. »

16 nov. 2009

LES MÉDIÉVAUX IGNORAIENT QU’ILS VIVAIENT AU MOYEN ÂGE. ILS SE CROYAIENT COMME NOUS « MODERNES »

Patchwork subjectif tiré de « Les Grecs, les Arabes et nous, enquête sur l'islamophobie savante » (*)

Quand on y parle d’identité européenne
« Nous nous trouvions donc, il y a quelques décennies, confrontés à une situation assez simple. Les sciences européennes trouvaient seules place dans une histoire véritable, c'est-à-dire au fond dans l'histoire ; les sciences non européennes étaient étudiées de manière ethnographique ; les cultures non européennes représentaient, aux yeux de leurs spécialistes (européens) autant d'îlots clos sur eux-mêmes, qui auraient finalement aussi bien se trouver sur Mars ou Jupiter. »
« Nous ne considérons pas que le philosophe ou le scientifique contemporain soit spécialement « grec » ou « arabe » lorsqu'il pratique sa discipline sous prétexte que celle-ci a de très lointains antécédents dans ces langues
Nous ne considérons pas a fortiori que notre société fasse, par l'intermédiaire de ses savoirs, de la prose « grecque » ou « arabe » sans le savoir.
Nous considérons, en revanche, que les savoirs composés de latin et/puis dans les langues vernaculaires européennes sont incompréhensibles sans leur passé gréco-arabe.
Nous considérons donc l'idée d'une européanéité ou d'une christianité de la science et de la philosophie comme une imposture historiographique, démentie par les faits.
Nous considérons en outre que ces faits démentent par eux-mêmes l'idée d'une christianité essentielle de l'Europe.
Et donc, par ricochet, nous considérons que les arguments visant à exclure le monde islamique de la modernité, au motif d'une incapacité foncière à s'assimiler les valeurs traditionnelles qui sont les « nôtres », sont fallacieux et réfutés par provision. »
la Philosophie rime-t-elle avec paganisme ?
« La philosophie est un discours sur le monde et l'âme qui véhicule un certain nombre de thèses heurtant de front le dogme chrétien (les trois plus « célèbres » étant le polythéisme en théologie, l'éternité du monde en cosmologie et l'absence de survie personnelle en psychologie). (…) Les Arabes héritent de l'Antiquité tardive l'idée d'une certaine affinité entre philosophie et paganisme. Une grande partie de leurs efforts va consister à tirer l'Islam du côté du paganisme philosophique et le paganisme philosophique du côté de l'Islam. (…) C'est l'Islam qui ai vu se constituer « le Dieu des philosophes et des savants » en objet philosophique. »

Dieu se préoccupe du bonheur des pauvres mortels
« Comme on supposait à la fois que Dieu voulait le meilleur, on était confronté à la contradiction. (…) Dieu dédommagera dans l'au-delà les souffrances de l'innocent, mais cette solution ne résiste pas à l'argument des trois frères (Le mort-né dans les limbes reprochant à Dieu de ne pas lui avoir permis de vivre pour mériter le paradis comme l'un de ses frères, et le criminel reprochant à Dieu de ne pas l'avoir fait mourir à la naissance pour lui permettre d'éviter les tourments de l'enfer). »
« Dieu met en œuvre sa puissance (quadra) et sa science pour réaliser le meilleur des mondes. (…) La destinée, pour un individu, c'est la détermination, donc la mensuration, donc la limitation, de son bien, permettant de concourir au bien maximal du Tout. »

Quand Dieu crée le monde, peut-il prendre son temps ?

« Dieu, qu'Il soit exalté, n'a pas besoin d'une période de temps pour sa création, en raison de ce qu'il a expliqué, puisqu'Il a créé « cela » à partir de « non-cela » (…) Car l'acte humain étant impossible sans matière, l'acte de celui qui n'a pas besoin de matière pour produire ce qu'il produit n'a pas besoin de temps. »
« Si l'acte de création divine se traduit, au niveau cosmique, par une production, donc une action continue, cette création ne saurait être instantanée comme le voulait al-Kindï et comme le soutiennent les théologiens. Mais si l'on admet la création divine se déroule sur une certaine période de temps finie, des difficultés ne manquent pas surgir. Pourquoi telle période et non pas sa moitié, ou son quart, etc. La toute-puissance de Dieu rend la fixation d'un seuil arbitraire, donc insatisfaisante. »

Tout est relatif

« Comme le disait Étienne Gilson, les médiévaux ignoraient qu'ils vivaient au Moyen Âge. Ils se croyaient comme nous « modernes ». »
« Est-ce seulement grec de croire qu'agir contre la raison va à l'encontre de l'essence divine, ou cela vaut-il en soi et toujours ? (discours de Ratisbonne) »
(*) Enquête réalisée sous la direction de Philippe Büttgen, Alain de Libera, Marwan Rashed, et Irène Rosier-Catach