Sommes-nous égaux face à Internet ? (Démocratie 7)
Le 10 mars 2010, Dominique Cardon, sociologue, est intervenu dans le cadre
du cours de Pierre Rosanvallon au Collège de France. Sa conférence1
est un tour d’horizon complet et facile d’accès sur les rapports en Internet et
la démocratie.
Il y aborde les points
suivants :
- Le flou entre les mondes de l’information privée et publique :
on passe progressivement de l’un à l’autre. Ainsi sur un profil Facebook, on va
trouver aussi bien des commentaires d’ordre strictement privé (comme une fête
de famille ou des troubles de santé récent) que des prises de position sur des faits
de société. Selon Dominique Cardon, c’est l’internaute qui fait le tri,
s’abstenant de commenter ce qui appartient à la sphère privée s’il n’en fait
pas partie, ou intervenant dans un propos portant sur un débat plus large.
- L’idéalisation de l’égalité présupposée : sur Internet,
personne n’est jugé ni à partir de ce qu’il est, ni de son statut, mais en
fonction de ce qu’il dit et fait dans ce nouveau monde. C’est le cas de
Wikipédia où ce n’est pas la position sociale qui apporte de l’autorité, mais
son degré d’implication dans cette encyclopédie en ligne. Dominique Cardon
relève que ceci ne va pas sans une forme d’injonction à participer, créant une
nouvelle forme d’inégalité : la démocratie participative promeut les
hyperactifs et nie de fait ceux qui ne s’impliquent pas.
- L’auto-organisation : la publication se fait « par le
bas », il n’y a pas de plan a priori. Tout est assemblage, impossible à
prévoir. Les conversations privées et les commentaires généraux sont
entremêlés, et leur statut même est évolutif. Les périmètres sont flous, et les
niveaux d’engagements très variables, les plus actifs étant à l’origine de la
majeure partie de l’information.
- La hiérarchisation a posteriori par la foule : aucun système
ne définit a priori ce qui est important de ce qui ne l’est pas. C’est la
multiplication des liens, l’abondance des lectures qui font apparaître en haut
des moteurs de recherche certaines informations plutôt que d’autres. C’est le
fait d’être choisi par le plus grand nombre qui fait que l’on est vu encore
davantage.
- La force des coopérations faibles : on commence en disant un
peu de soi-même, et en précisant ce que l’on aime et ce à quoi l’on croît. Ceci
amène certains à se connecter par affinité. La coopération et le partage se
renforcent ensuite, et des communautés se créent. Ainsi à la différence du
monde physique, le collectif n’existe pas au départ, mais émerge à partir de
dynamiques individuelles et autonomes.
Il a une belle formule,
« Internet pousse les murs et enlève les planchers » : quiconque
peut parler, il y a une porosité entre conversations publiques et privées, on
ne fait plus confiance à des professionnels, mais à la force de l’agora
publique pour faire émerger les propos intéressants.
Reste à se demander ce qu’il va
advenir suite à la massification d’Internet : toutes ces règles et ces
habitudes sont nées avec une communauté limitée et un peu élitiste.
Que va devenir demain Internet,
pris entre quelques individus extrêmement entraînés et sans scrupules qui ont
appris à en manipuler les règles à leur
profit, et une masse qui ne se rend pas compte que chacun est constamment
soumis au regard de tous les autres et qu’il propage sans réfléchir un effet
viral qui le dépasse ?