2 oct. 2015

ÊTRE ET AVOIR ÉTÉ

Survivre en Corse
Pas toujours facile de survivre en Corse : les paysages ont beau être superbes, le ciel le plus souvent bleu et le climat clément, les années font leur œuvre et minent tout un chacun.
Regardez donc cette tour et voyez comme elle est sur le point de s’effondrer. Longtemps, elle a été une vigie tout au Nord du Cap Corse. Combien de guerriers se sont terrés des heures durant, pour guetter l’arrivée possible d’un assaillant ? Des milliers peut-être… Mais pierre après pierre, aujourd’hui elle se défait. Puzzle construit à rebours. Bientôt d’elle, il ne restera que le souvenir propagé par les contes des anciens…
Comment croire que ce modeste amas de pierres fut autrefois une chapelle ? Pourtant, pendant des décennies, juchée au sommet d’une montagne, elle a accueilli les prières des bergers. De sacré, il ne reste plus rien. Elle n’est plus qu’une ruine anonyme que quasiment plus personne ne visite. Ce n’est qu’au détour d’une conversation dans un bar du village voisin, que j’ai appris son origine…
Enfin, que dire de cette dernière ? Pas grand chose à part qu’elle se cache au sein du maquis corse. Difficile de la trouver. A-t-elle honte de son délabrement actuel ? Est-ce qu’elle s’est glissée, petit à petit, à l’abri de la végétation pour que plus personne ne l’aperçoive ? J’aime à penser qu’elle a cette sorte de pudeur. Qui aime finir en pleine lumière et montrer, aux yeux de tous, sa déliquescence présente ? L’âme corse a trop d’orgueil pour un tel abaissement…
(Photos prises en août 2015 au nord du Cap Corse, au dessus de Tralonca, et sur la route allant à Morosaglia)

30 sept. 2015

PARTIR À DROITE OU À GAUCHE

Pourquoi l’incertitude s’accroît continûment et de façon accélérée (3)
Si vous passez dans une forêt et notez consciencieusement où se trouve chaque arbre, vous les retrouverez le lendemain exactement au même endroit ; si vous revenez un an plus tard, sauf cas rare d’incendie ou de passage d’un bucheron mal attentionné, ils auront un peu grandi, mais leurs localisations seront inchangées. Faites la même chose avec une fourmi, et je vous défie de la retrouver même une heure après : vous aurez beau l’avoir identifiée avec un petit nœud rouge autour de son cou, il vous sera quasiment impossible de savoir où elle est ; au mieux, si vous avez longuement observé la colonie à laquelle elle appartient, et noté tous les parcours habituels ainsi que la localisation de la fourmilière, vous pourrez faire une cartographie des endroits où elle peut se trouver, en y associant une probabilité. Fini les certitudes !
Car l’animal, par rapport au végétal, a une mauvaise habitude : il bouge, et ce sans prévenir et sans que l’on puisse savoir dans quelle direction et à quelle vitesse. Le végétal pousse – et vite quand c’est un bambou ! -, mais ne se déracine pas pour partir en promenade. Commode pour le retrouver. L’animal, lui, n’a pas de racine : il ne se nourrit pas de la terre sur laquelle il marche, mais de végétaux qu’il arrache ou d’autres animaux qu’il ingère. Et d’un peu d’eau aussi. 
Plus l’évolution du monde se déroule, plus l’animal est sophistiqué et moins il est possible de savoir ce qu’il va faire : essayez de prévoir la trajectoire d’un singe quand il saute d’une branche à une autre. Ses choix ne dépendent plus seulement des habitudes de son espèce, mais de son histoire personnelle. (1)
(1) « Ils sont capables de choisir des configurations apparaissant en un point donné de cette trajectoire et, en se fondant sur leurs histoires personnelles, de les soumettre à des plans en d’autres points de la trajectoire. » (Gérald Edelman, Biologie de la conscience)
(à suivre)

28 sept. 2015

LA VIE DÉRIVE AU HASARD DES POSSIBLES

Pourquoi l’incertitude s’accroît continûment et de façon accélérée (2)
Pourquoi telle évolution génétique plutôt que telle autre ? Pourquoi cette plante-ci naît-elle plutôt que celle-là ? Faut-il pour reprendre la terminologie de Darwin, y voir une meilleure adaptation au milieu dans lequel elle vit ? Oui et non. Oui, car si une évolution a perduré et s’est développée, c’est bien qu’elle est viable et a pu prendre le pas sur les autres. Non, car cela ne veut pas dire pour autant qu’elle était « la meilleure adaptation » : puisque toutes les espèces évoluent continûment et en même temps, et que le monde minéral lui-même est chaotique et incertain, il est impossible de définir ce qu’est « La meilleure adaptation ». Tout est trop mouvant : il n’y a pas de plan a priori, et aucune analyse du présent ne permet de prévoir quel chemin suivra l’évolution.
Ce qui advient n’est que l’expression d’un possible : la vie ne progresse pas dans le sens d’une amélioration mesurable, mais ne fait que dériver de possible en possible. Comme elle peut, elle trace son chemin cahin-caha. Impossible de savoir à l’avance les choix qui seront faits, car les interactions sont trop complexes : il n’y a pas d’explications sur le fait que la vie ait pris tel embranchement plutôt que tel autre ; elle l’a pris, c’est tout ce que l’on peut dire, et on ne peut faire que des constats a posteriori(1)
Une façon imagée de décrire le fonctionnement des lois de l’évolution est d’observer un match de tennis : le terrain est parfaitement défini, ainsi que la position du filet et toutes les règles du jeu. Ajoutez deux joueurs dont vous avez vu tous les matches précédents, et analysé les stratégies de jeu. Vos connaissances sont donc vastes et précises, et pourtant vous savez bien peu de ce qui va advenir : vous ne connaissez ni le score final, ni a fortiori comment et quand aura lieu tel ou tel échange. Il en est de même avec la vie : les règles sont précises et intangibles, les joueurs connus, et la partie totalement incertaine. 
Notons que la notion même de possible est vague. Souvent on l’associe à ce qui peut arriver, mais je préfère une autre approche : ce qui est possible est juste ce qui n’est pas interdit. Dans sa nouvelle de la Bibliothèque de Babylone, Jorge Luis Borges écrit : « Il suffit qu’un livre soit concevable pour qu’il existe. Ce qui est impossible est seul exclu. » (2)Et les bibliothécaires y cheminent d’alvéole en alvéole, ouvrant ce livre ou celui-là. Comme la vie qui vagabonde au hasard de ses rebonds : il y a à tout moment une infinité de mouvements qui ne sont pas interdits, et donc tous potentiellement possibles. Un seul sera choisi, et deviendra le réel. La vie n’a pas évolué parce qu’elle le devait, mais simplement parce qu’elle l’a fait. Finalement, « c’est le réel qui fait le possible, et non pas le possible qui devient réel ». (3)
(à suivre)
 (1) C’est ce que François Varela appelle la dérive naturelle : une évolution n’a pas lieu parce qu’elle est nécessaire, ni même souhaitable, elle se produit juste parce qu’elle satisfait au champ de contraintes à un instant t. Il parle de solution « satisficing », c’est-à-dire instantanément satisfaisante. Mais cette « satisfaction » n’est que provisoire et dynamique : l’évolution est permanente. Dès qu’une a eu lieu, le champ de possibles se transforme : seules perdurent les options compatibles avec la nouvelle avancée, enrichies des nouvelles ouvertures potentielles. (L’Inscription corporelle de l’esprit)
(2) Fictions
(3) Henri Bergson, Le Possible et le Réel

25 sept. 2015

RENCONTRES AVEC DES ROCHERS CORSES

Un peu de magie
Des rochers massifs habillent les pentes des montagnes corses. A leurs côtés, la végétation rampe, et se sait vulnérable. Que lui arriverait-il si l’un en venait à rouler sur elle ? Que pourrait-elle à part se coucher et subir…
Certains sont des sculptures, comme cette main tournée vers le ciel. Est-ce l’amorce d’une prière ? Ou au contraire, une tentative de se saisir d'une parcelle de Dieu ? Je m’assieds à proximité, guettant une réponse qui jamais ne viendra…
D’autres sont des empilements improbables. Qui a bien pu poser le rocher du dessus ? Comment est-il arrivé là alors que rien ne le domine ? Quelle est la poigne gigantesque qui s’en est saisi pour le déposer en équilibre ? Tout autour, je cherche en vain une explication …
Là le divin se fait explicite : il n’y a pas que dans la grotte de Lourdes que la vierge vient faire une apparition. Ici aussi, elle est là, porteuse de miracles. Elle se fait petite et modeste, mais chacun sait bien que sans elle, rien ne serait possible. Loin d’être écrasée par la masse rocheuse, c’est elle qui la soulève…
Telles sont les magies quotidiennes que l’on peut croiser dans les montagnes corses.
(Photos prises en août 2015 au dessus de Campo et Tralonca, et sur la plateau de Coscione)

23 sept. 2015

LA VIE CRÉE DE L’INCERTITUDE

Pourquoi l’incertitude s’accroît continûment et de façon accélérée (1)
Si je lâche un objet, sa trajectoire est complexe à cause des interférences avec les autres objets, son mouvement étant régi par les équations liées aux forces nucléaire, électromagnétique et de la gravitation. Si c’est un système vivant que je lâche dans un nouveau milieu, il est aussi soumis à ces mêmes forces, mais en plus, il est capable de se transformer : il réagit et s’adapte dynamiquement à ce qui l’entoure. La vie malaxe sans cesse la matière, et tout se transforme constamment et inlassablement. 
Elle s’auto-organise : comment savoir précisément quelle sera dans un mois, un an, la forme de telle ou telle plante ? Comment, à partir d’un gland, prévoir la taille d’un chêne ? Comment anticiper les interactions multiples qui se produisent au sein d’une forêt ? Au cœur, il y a tellement de cellules vivantes qui échangent continûment avec ce qui les entoure, et ce selon les conditions climatiques.
Autre facteur d’accélération de l’accroissement de l’incertitude : la capacité des systèmes vivants à se reproduire. Car se reproduire, ce n’est pas photocopier, loin de là : chaque nouvelle génération hérite des codes génétiques de la précédente, mais toujours avec de subtiles différences, subtiles différences qui seront source de potentielles macro-divergences. 
(à suivre)

21 sept. 2015

LE LIEN AVEC LE DÉVELOPPEMENT DU DJIHADISME EN FRANCE

Dernière partie du patchwork consacré au rapport de Malek Boutih, Génération Radicale :
« Au vu de ces données, désigner les individus radicalisés comme des fous ou des marginaux serait une contre vérité. Dans son livre Le vrai visage des terroristes, Marc Sageman l’exprime très clairement : « l'idée que nous nous faisons du terroriste est en fait un cliché : celui du déshérité-révolté ayant grandi dans les faubourgs misérables du monde arabe et en proie à quelque désordre mental »
« Le djihadiste (…) ressemble davantage à un étudiant petit-bourgeois acculturé et frustré qu'à un damné de la terre ». »
 « Il faut comprendre que l’objectif de ce réseau social humain n’est pas destiné à recruter simplement les combattants. C’est toute une communauté humaine qu’ils cherchent aussi à structurer, certains faisant le djihad pacifique (propagande, finance, logistique) et d’autres étant ciblés pour basculer dans la dimension militaire ou terroriste. Ce type d’implantation privilégie bien entendu les milieux urbains et particulièrement les cités populaires, mais on peut aussi le retrouver à petite échelle dans des zones rurales comme ce fut le cas à Lunel dans l’Hérault. »
« A cet égard, prévenir la radicalisation, c’est s’attaquer aux enjeux de cohésion sociale et surtout redonner corps au pacte républicain. Les djihadistes, pétris de haines et de slogans réactionnaires, n’ont pas de projet émancipateur, nous pouvons donc leur opposer un contre-projet fondé sur le progrès, l’autonomie, l’émancipation, qui redonne tout son sens à la citoyenneté républicaine. C’est une nécessité car d’autres mouvements, y compris nationaux, pourraient prendre le relais du djihad et canaliser la volonté partagée par une grande partie de cette génération, de manière plus ou moins forte, de renverser un système qui ne tient pas ses promesses. »

18 sept. 2015

RENCONTRES AVEC DES VACHES CORSES

Vache sacrée et vache salée
Un point commun entre toutes les vaches corses que j’ai croisées cet été : leur calme, leur sérénité… et leur sportivité. Car même si cela n’apparaît sur les photos jointes, le plus souvent, elles arpentent les montagnes corses de l’arrière-pays.
Si je me suis arrêté sur ces deux-là, c’est en commençant par celle du bas, parce qu’elle semble se prendre pour ses congénères indiennes : elle me toise avec le regard déterminé et un rien méprisant des vaches sacrées. Bien ancrée, en plein milieu d’un sentier qui arpente le plateau Coscione, il n’est pas question qu’elle bouge. 
Est-elle en contact par Facebook, Twitter ou simplement SMS avec elles ? Ou alors, peut-être est-ce une vache indienne en vacances en Corse ? Attention à ce que la contagion ne commence pas. Car alors plus une vache n’acceptera de partir à l’escalade des pentes abruptes...
Tout au bout du Cap Corse, à proximité d’une petite église nommée Santa Maria, j’ai fait la connaissance des vaches des prés salés. Mais autant les agneaux du Mont Saint Michel font l’objet d’un marketing intensif, autant leurs homologues bovines et corses restent confidentielles. Peut-être une opportunité pour relancer l’économie locale ? D’autant qu’il y a à proximité une tour qui, sans pouvoir rivaliser avec la puissance de l’abbaye bénédictine, pourrait servir d’emblème à une marque à trouver.

16 sept. 2015

NOTRE SOCIÉTÉ SE DÉSAGRÈGE

Génération Radicale (2)
Suite du patchwork tiré du rapport de Malek Boutih, Génération Radicale :
« Un dernier aspect de ce qui se joue dans le déficit de dialogue et d’expression, l’absence de confrontation entre les points de vue, doit être relevé. Les communautés virtuelles et réelles dans lesquelles les jeunes évoluent sont de plus en plus des communautés d’identité, de ressemblance ; or en évoluant dans ce type de milieu fermé et homogène on ne se confronte pas à l’altérité, on finit même par ignorer qu’un autre point de vue est possible. Les associations qui interviennent dans les établissements scolaires pour travailler sur les préjugés et tenter de les déconstruire en dialoguant avec les élèves témoignent que la méconnaissance est souvent à l’origine des stéréotypes. »
« En définitive, la crise politique est déterminante, y compris dans la persistance de nos difficultés sociales et économiques. Sans projet collectif puissant, notre pays est soumis aux forces centrifuges du monde, aux intérêts divergents de groupes et d’individus. De fait la France est affaiblie. Nos institutions sont de plus en plus contestées, l’action publique bloquée, la morale citoyenne reléguée derrière l’esprit de communauté, de territoire, voire les valeurs consuméristes. Dans un jeu de faux-semblant, les références nationales, nos symboles, notre drapeau sont de plus en plus présents, alors même qu’au cœur de la société ce qui nous unit s’étiole et se déchire. »
« La crise française est une vieille connaissance. On en parle depuis tellement longtemps que chacun a fini par se lasser et par s’adapter de gré ou de force aux nouvelles réalités qui s’imposent. La déstructuration sociale a atteint un stade critique, mais surtout une double fracture territoriale s’est produite ces dernières années. D’abord dans les zones rurales où la fin de l’État providence, la rationalisation des politiques publiques et la désindustrialisation ont rompu un continuum républicain. Avoir 20 ans dans certains territoires c’est se sentir enfermé et sans perspective ; pour les plus âgés c’est attendre son tour, celui où tout s’effondre, où plus rien n’est comme avant. L’autre fracture c’est celle des banlieues des pôles urbains. Comment douter de leur « explosivité » ? Misère aux portes des richesses, déstructuration des forces sociales traditionnelles, concentration des populations étrangères ou des « minorités visibles »… »
« Dans une société d’abondance en termes d’offre culturelle commerciale, les notions d’éducation populaire, d’accès à la culture et aux savoirs, de citoyenneté de proximité ont pu paraitre désuètes et onéreuses. Ces dernières années les politiques publiques n’ont cessé de se désengager du secteur associatif. Cette évolution s’est traduite sur le terrain par l’assèchement des subventions au profit d’une logique d’appels d’offres. Le caractère souple et amateur des associations s’est heurté à l’accumulation de règlements et de normes comptables contraignantes, tant et si bien que peu de jeunes souhaitent continuer l’aventure. Les meilleures volontés se brisent sur le « mur administratif » français. »
« Cette crise du milieu associatif jeune a un impact très fort sur les organisations politiques républicaines. Le monde associatif est le principal « réservoir » de futurs cadres politiques et les organisations de jeunesse des formations politiques manquent aujourd’hui de militants et de dirigeants portant les aspirations des nouvelles générations. Des sections jeunes en dépérissement c’est aussi, à terme, un assèchement du vivier des futurs cadres des partis et élus de la République. »
(à suivre)

14 sept. 2015

LA FRANCE FRACTURÉE

Génération Radicale (1)
Malek Boutih, député de l’Essonne, a remis en juin 2015 un rapport au Premier Ministre sur l’analyse et la prévention des phénomènes de radicalisation et du djihadisme en particulier. Il a choisi comme titre pour ce rapport Génération radicale.
En voici un patchwork à ma façon que je vais diffuser en trois parties.
Aujourd’hui, commençons par des propos de Malek Boutih qui font écho au livre, la France Périphérique, de Christophe Guilluy, dont j’ai parlé il y a quelques mois
« Or comment prétendre ressembler aux actifs urbains ultra-connectés lorsque l’on grandit dans un quartier relégué ou dans un territoire rural et que l’on n’a pas les moyens de s’acquitter d’un abonnement téléphonique ou d’une carte de transports ? Il y a bien un décalage entre le développement économique et technologique que vivent les classes moyennes supérieures, et la précarité, l’insécurité auxquelles doivent faire face les employés et les travailleurs non-qualifiés. »
« Enfin, les distorsions liées aux inégalités en France sont d’autant plus clivantes qu’elles se combinent avec une relégation territoriale, sociale et culturelle. Les émeutes urbaines de 2005, bien plus qu’une réaction de circonstances à la mort de deux jeunes à Clichy-sous-Bois, actaient dans ces territoires la fin de la promesse républicaine pour une génération. »
« La réalité est donc bien loin de la France démocratique et « moyennisée ». La jeunesse est coupée en deux et le destin au sein d’une même classe d’âge sera différent selon que le jeune sera diplômé ou non. L’école produit de l’échec et le marché du travail accentue les clivages. Les jeunes sans diplôme et sans soutien familial se retrouvent dans des situations de grande détresse économique sans pouvoir bénéficier d’aucune aide sociale tant les conditions d’accès sont restrictives lorsqu’on a moins de vingt-cinq ans. »
(à suivre)

11 sept. 2015

LE TRAIN INDIEN EST POREUX, DONC VIVANT

Dans la moiteur d’une nuit
(photo issue de https://frompondywithlove.wordpress.com)
Allongé sur la couchette, synchrone avec le rythme du train, la chaleur ayant baissé dans la nuit, j’apprécie la densité du voyage. Tout l’inverse de l’avion. Dans les airs, le mouvement est masqué, on ne perçoit que le bruit des moteurs, les secousses aléatoires et l’icône qui bouge sur l’écran. Ici, il est en direct, vivant. Toute la différence entre le playback et le live ! Le paysage n’est pas une fiction, un documentaire projeté pour distraire, il est immédiatement perceptible.
Dans l’avion, tout le monde demeure à sa place. Pas de cris, pas de paroles plus hautes les unes que les autres. Chacun mesure ses propos. Là-haut, tout est feutré, artificiel. Le trajet doit être accouché sans douleur, l’alcool servant de péridurale. Surtout pas de vagues, pas d’exclamations, pas d’émotions. Rien que du temps qui s’écoule.
Ici, dans le compartiment du train, rien de tel : les heurts de la vie sont constants, chocs des odeurs et du bruit. Je m’y sens profondément incarné, et l’Inde n’est pas une abstraction lointaine et distante. Je subis une transfusion de l’énergie foisonnante de ce pays, je suis opéré à chaud, sans anesthésie.
Dans l’avion, les fenêtres sont des hublots hermétiques. Nous sommes trop loin du monde des hommes pour pouvoir y vivre : le dehors est dangereux et impur, froid et létal, dénué d’oxygène, chargé de rayonnements nocifs. Aucune molécule ne doit ni rentrer, ni sortir. Nous sommes dans un espace que nous ne pouvons que traverser et en aucun cas habiter. La peau de l’avion devient la nôtre, une nouvelle peau protectrice, dont les fenêtres sont tout sauf des pores. Nous sommes isolés, protégés, coupés de nos racines, pris en charge et infantilisés.
Le train indien, lui, n’est pas une peau qui isole, mais une peau qui relie : rien n’est opaque, les parois sont poreuses, l’organisme métallique respire, tout pousse à l’échange. Même moite, l’air entre et sort régulièrement, les grilles sont des liens, les gares de vrais lieux. Sans cesse, on monte, descend, mange, boit, bouge, dort, parle, crie. Ce n’est plus un objet dans lequel on se déplace, mais une ville que l’on habite.

9 sept. 2015

« UN HOMME POLITIQUE DOIT ARRIVER AU POUVOIR PRÉPARÉ »

Pierre Mendès-France expose sa vision de ce que devrait être un homme politique (2)
Suite des extraits de l’intervention de Pierre-Mendès France dans Radioscopie de Jacques Chancel le 27 novembre 1973
« L'homme politique n'a pas le droit de méconnaître un certain nombre de vérités de fond. (…) Il faut que l'homme qui a des responsabilités politiques ne néglige jamais de réfléchir profondément aux problèmes qu'il a à traiter, avec le concours de ceux, s'il ne les connaît pas suffisamment, de ceux qui les connaissent ou les ont approfondis plus que lui. La conciliation de la science, de la connaissance des choses, de l'approfondissement des problèmes d'une part, et de la volonté de réaliser d'autre part, c'est cela en définitive la responsabilité de l'homme politique. 
 « Question : Un homme politique au pouvoir n'a pas le temps de la réflexion. Il a trop de responsabilités. Vous en ce moment, vous pouvez réfléchir.
Réponse : C'est pourquoi il doit toujours travailler quand il n'est pas au pouvoir. Il doit arriver au pouvoir préparé. Dire : "Eh bien quand j'y serai, je verrai. Il sera toujours temps de décider. Il sera toujours temps de déterminer." Cela, c'est une erreur. (…) Pendant la guerre, j'étais de ceux qui réfléchissaient beaucoup, qui étudiaient, qui travaillaient, qui écrivaient sur la politique qu'il faudrait faire en France à la libération. Et puis il y avait des gens qui disaient : "On verra. On ne sait pas comment cela se fera. On ne sait pas quand, quel sera le degré des ruines, quelle sera l'étendue de la pénurie alimentaire, ou du ralentissement industriel. Il sera toujours temps. On verra.". Je crois que c'est une erreur. Je crois qu'il fallait à l'avance se mettre en état d'agir dans les meilleures conditions possibles. Et dans un certain nombre de pays où cela s'est fait, on en a vraiment profité. Dans les pays où on l'a négligé, on a fait beaucoup d'erreurs. »

7 sept. 2015

« EN DÉMOCRATIE, RIEN N'EST PLUS IMPORTANT QUE LA VÉRITÉ »

Pierre Mendès-France expose sa vision de ce que devrait être un homme politique (1)
Le 27 novembre 1973, Jacques Chancel recevait Pierre Mendès-France dans le cadre de son émission Radioscopie sur France Inter. Grâce à une rediffusion faite début août, je l’ai découverte. Occasion de voir que les propos tenus par Pierre Mendès-France restent plus que d’actualité. En voici quelques extraits :
« Un homme politique a le devoir, surtout dans une démocratie, de dire à tous ceux qu'ils l'écoutent, ce qu'il pense, pour contribuer à ce qu'ils prennent la décision puisque, par hypothèse on est dans une démocratie (…) L'hypothèse de la démocratie, c'est que le peuple doit juger lui-même. Mais pour juger lui-même, il faut qu'il ait entendu le pour et le contre des opinions qui s'opposent. Et par conséquent il faut que chacun lui ait parlé franchement. Si ceux qui viennent s'exprimer devant lui jouent de démagogie, d'habileté, fardent la vérité pour favoriser leur propre carrière, ils ne fournissent pas à l'opinion publique les moyens de se former une opinion valable, et par conséquent ils fourvoient l'opinion publique. Et si, par hypothèse  c'est le pays lui-même qui doit décider, il décide sur des cartes biseautées. Par conséquent en démocratie, rien n'est plus important que la vérité. »
« Ce qui reste critiquable, c'est le cas dans lequel l'intérêt d'un parti passe au-dessus de l'intérêt général, dans lequel les dirigeants d'un parti au moment de prendre une décision au lieu de répondre essentiellement, par priorité, à l'intérêt de la nation ont fait prévaloir l'intérêt de leur formation politique, parce qu'il y avait des élections prochaines ou parce qu'il y avait je ne sais quelle manœuvre parlementaire à l'horizon. C'est cela que j'ai critiqué, pas l'existence d'un parti. »
« Un gouvernement se constitue non pas pour donner des portefeuilles, non pas pour favoriser telle ou telle opération à l'horizon, mais pour faire aboutir une réforme, une transformation, une amélioration qu'on estime indispensable dans l'intérêt du pays, et c'est cela qui doit déterminer des alliances. »

(à suivre)

4 sept. 2015

RÊVERIE PARISIENNE

Promenade nocturne
Marche automatique dans les rues de Paris. Le Marais abandonné, mes pas m’amènent mécaniquement aux bords de la Seine. Pas de bouquinistes à cette heure-là. Leurs boîtes sont fermées, et cachent leurs secrets. 
Songeur, je suis le cours de l’eau. Me voilà au Pont des Arts. Je m’appuie au parapet pour la regarder couler. Jamais, sa surface n’est au repos, toujours elle vibre. Les lumières s’y brisent et se fragmentent. Chaos sans logique, aucun repère à suivre. Quand un projecteur éclaire un mur, l’éclat est lisse et habille la paroi de sa couche. Mais sur l’eau, rien de tel. La lumière ne l’habille pas, elle y est détruite, désagrégée. Le flot se joue des photons, et les renvoie de toutes parts. Billard à mille bandes.
Il n’y a pas que la lumière qui peut rebondir ainsi, les pierres aussi. Je me souviens des ricochets que j’aimais faire enfant. Je passais des heures à lancer des galets, et les regarder prendre appui sur ce qui aurait dû les absorber. Comment léviter au lieu d’être avalé ? Les pierres se font yogis, et savent s’abstraire de la loi de la pesanteur. 
Saisir les opportunités, se nourrir des énergies latentes, repartir sans cesse, et se servir des autres pour ricocher sur eux. S’imprégner de ce que l’on vient de toucher, non pas pour s’y attacher, mais pour avoir l’énergie de s’en extraire.

2 sept. 2015

BACK IN LIVE

Quelques explications
Comme promis après de longs mois, durant lesquels j’ai rediffusé des papiers déjà publiés sur mon blog, retour au live !
J’ai profité de ce break pour écrire un nouveau livre qui structure ma vision sur pourquoi il devient urgent de refonder nos organisations collectives françaises, et comment je pense qu’il faudrait s’y prendre. Avec une conviction : si nous manquons les prochaines élections présidentielles pour enclencher cette refondation, la France est en grand danger de décrocher, ou pour reprendre une expression devenue à la mode d’être « ubérisée » …
Les modalités et le timing de la sortie de ce livre ne sont pas encore arrêtés, je n’en dirai donc pas plus pour l’instant. Mais dès que ce sera possible, je me servirai de mon blog pour expliquer son contenu et en diffuser quelques extraits.
D’ici là, je vais m’en tenir à un rythme de trois billets par semaine, le lundi, le mercredi et le vendredi : ceux du lundi et du mercredi seront liés à certaines de mes lectures récentes, en liaison soit avec le management des entreprises, soit avec la situation politique. Ceux du vendredi, comme à mon habitude, seront consacrés à des instantanés courts issus de mes voyages, de rencontres, de chansons écoutées, etc.
N’hésitez surtout pas à réagir, commenter ou compléter. Ce blog est aussi le vôtre !

31 août 2015

SEULE LA MAGIE EST RÉELLE

Au pays de la magie
L’Inde est un pays magique. Il suffit de s’y promener pour en être persuadé. Vous en doutez ? Vous croyez que, comme chez nous, tout doit y être logique, rectiligne et rationnel…
Observez comme cette statue de Jésus est capable à Goa de courber cet arbre. Avez-vous déjà rencontré chez nous une telle prouesse ? En Inde, même les végétaux s’inclinent devant la puissance divine. Peut-être que prochainement, cet arbre fera une génuflexion complète.
Regardez cet enfant qui marche devant le Taj Mahal, la merveilleuse sépulture faite de marbre blanc. Voyez comme il est grand, et comme sa silhouette, loin d’être écrasée par l’immensité de l’arrière-plan, domine le monument. En Inde, les enfants savent se jouer de la mort. La vie leur est suffisamment âpre et difficile, pour qu’ils se sentent grandis devant elle.
Et que dire du mage qui psalmodie devant les eaux du Gange ? Nous sommes ici à Bénarès, ville magique s’il en est. Lali Baba – c’est son nom – en appelle à des puissances pour qui, ni le temps, ni l’espace, ne comptent. Vision fantomatique. Sa blancheur habille la nuit, et sa voix lancinante la déchire. 
Dans quelques instants, pris par la tourmente de ce qui s’est saisi de moi, je plongerai dans le Gange…

27 août 2015

BOMBAY INSOLITE

Un double-docker, des jeans et des serpents...

Déjà je ne m'attendais pas à rencontrer un authentique bus anglais dans les rues de Bombay, mais encore moins à le voir être utilisé comme une arme terroriste. Dans un remake au ralenti de l'attaque des tours du World Trade Center, il vise manifestement la gare centrale.
Que faire ? Intervenir, oui mais comment ? Et personne n'a l'air de voir l'imminence de la catastrophe...


Est-ce une nouvelle publicité pour une marque de jean ? Levis a-t-il voulu changer de dimension, et trouve-t-il les laveries des spots précédents, trop étriquées ?
Mais je ne vois aucune caméra alentour. Aucun top model non plus.
Juste des indiens accroupis qui frottent sans relâche des piles de linge, sans cesse renouvelées...


L'imaginaire du cinéma transforme parfois les habitants des bidonvilles en vedette de jeux télévisés, magie d'un "Slumdog millionaire". Mais la réalité est plus sinistre, et le futur de ceux qui s'y trouvent est moins glamour.
Dans le noir presque absolu qui y règne, des câbles, tels des serpents venimeux, courent sur les murs. Aucun fakir n'est là pour les dresser. Le seul chant que l'on y entend, est celui de la démarche lourde des porteurs d'eau. Même les enfants semblent être absents.
Pourtant à quelques minutes de là, trônent la fameuse Indian Gate, et le Taj Mahal Palace...

(Les trois photos ont été prises à Bombay en juillet 2012)

24 août 2015

DRÔLE DE RENCONTRES

Télescopages indiens

Les rues indiennes sont l'occasion de rencontres multiples, inattendues, issues du capharnaüm des télescopages multiples qui s'y produisent.

Parfois c'est un singe qui, juché sur un toit, affirme sa supériorité. Conscient d'être le roi de l'eau, celui qui décide qui va boire ou dépérir, celui qui donnera la vie ou la mort, imperturbable à ce qui l'entoure, il s'abreuve.

Un peu plus loin, ce sont des oiseaux, comme issus d'un film d'Hitchcock, qui ont pris possession des lieux. Les uns guettent les passants, qui se font furtifs et accélèrent leur pas,  craignant de devenir à leur tour, victimes. Les autres mangent, et se repaissent de cette offrande des hommes.

Et les terrasses des palaces ne sont pas en reste. Ce ne sont ni des businessmen affairés que l'on y rencontre, ni des couples improvisés qui y balbutient en se découvrant mutuellement,  ni des touristes qui s'y ressourcent avant de repartir vers de nouvelles découvertes.
Non, c'est un brouillard d'insecticide qui squatte la terrasse ! J'imagine la tête des clients qui, tout à l'heure, occuperont ces chaises, si jamais je leur montrais cette photo. Comment rester sereinement à deviser, sans craindre quelque retombée néfaste pour sa propre santé ?

(Les deux premières photos ont été prises à Bombay en juillet 2012, la troisième est la terrasse de l'hôtel Imperial à Delhi en juillet 2008)

20 août 2015

ÉTRANGE CALCUTTA

Moments de calme (2010)
Que fait donc cette poupée qui gît, abandonnée, dans une des sentes qui sillonnent les à-côtés du Maiden, ce grand parc au cœur de Calcutta ?
A-t-elle été perdue par un enfant ? Mais pourquoi ? Pris par les turbulences d’une course effrénée, l’a-t-il laissée choir sans s’en rendre compte ? La pleure-t-il depuis lors, ne sachant où elle se trouve ?
Ou est-elle une de ces poupées maléfiques, que l’on torture pour faire souffrir ses ennemis ? Un vaudou indien en est-il le propriétaire ? L’a-t-il jetée là, volontairement, pour soumettre sa victime aux assauts aléatoires de la chaleur, de la pluie et du vent ?
Je la regarde longuement. Puis, dans le doute, jugeant plus prudent de ne pas prendre parti, je me contente de prendre cette photo, et rebrousse chemin, discrètement, laissant glisser mes pas avec le moins de bruit possible. Je ne passe pas à proximité. Surtout pas…
A Calcutta, les arbres ne se contentent pas de meubler les parcs, ou d’abriter les poupées abandonnées, ils partent aussi à l’assaut des façades des immeubles.
Soyons clairs, il ne s’agit pas comme chez nous, d’arbres domestiqués qui grandissent dans des pots amenés à cet effet, ou sur des terrasses où ils miment des jardins perdus.
Non, ils sont sauvages, et s’insinuent dans les anfractuosités des pierres, telle des lierres. Sont-ils là pour consolider des murs qui, sans eux, s’effondreraient, ou mangent-ils le peu de liant qui a survécu au déroulement du temps ?
Sont-ce des cadeaux empoisonnés laissés par les Britanniques, qui, furieux d’avoir dû abandonner leur capitale impériale, ont tenus à miner de l’intérieur, ce qui venait de les rejeter ? Sont-ce une version occidentale de la lutte non-violente qui avait si bien réussi aux Indiens ?
Y a-t-il un parallèle à faire entre eux et la poupée qui dort à quelques kilomètres de là ?
Au Sud de Calcutta, se trouve une immense réserve de 10 000 km2 où se mêlent la terre et l’eau, les Sunderbans. C’est une mangrove, c’est-à-dire un écosystème de marais maritime dans lequel se développent des arbres qui vivent dans cet univers où le sel est omniprésent.
Ils y déploient des racines qui sont comme des jambes sur lesquelles ils semblent se déplacer. Mais est-ce une illusion, ou se sont-ils figés le temps de notre passage ? Posent-ils pour éviter d’être flous dans le crépitement des appareils de photographie, qui se déchaînent tout autour de moi ?
A l’instar des jouets de Toy Story, ne sont-ils animés que pour ceux qui les comprennent, et les acceptent tels qu’ils sont ? Vont-ils dans un instant, pour les habitants des Sunderbans, reprendre leur ballet ?
J’aimerais pouvoir sauter du bateau, quitter le club des touristes, et aller me cacher dans la forêt voisine. Mais ce serait sans compter sur les tigres qui guettent ceux qui viendraient s’y aventurer.

Alors comme pour la poupée du parc Maiden, comme pour les arbres qui habillent les façades, je ne dis rien, et me laisse glisser doucement dans l’eau du marais.
(Sunderban Tiger Camp)

17 août 2015

TEA TIME

A Kurseong (2010)
A Kurseong, lové en leur cœur, se trouve l’hôtel Cochrane Place. Une vieille bâtisse avec de grandes chambres confortables, une allure de musée, habillée de bois et de meubles anciens. De ma fenêtre, si jamais les brumes se dispersent, les feuilles de thé se reproduisent à l’infini.
A côté de la salle de restaurant, un bar à cocktail propose une carte surprenante : ce ne sont que des cocktails de thé, mélangeant les saveurs et les rapprochements étonnants.
Mais à Kurseong, il n’y a pas que les humains qui apprécient le thé, les animaux aussi. Comme vous pouvez le voir sur ces photos que j’ai prises alors, pour les vaches et les chèvres, c’est aussi tea time ! Mais il est vrai qu’ils le mangent, et ne le dégustent pas infusé. Les anglais pourtant passés par ces terres, n’ont pas dû avoir le temps de leur inculquer les bonnes manières.
Autre surprise découverte entre l’hôtel et le centre de Kurseong : le Darjeeling Polytechnic. Ma chère école d’origine me poursuivrait-elle jusque dans ces brumes ?
Rapidement, je suis rassuré, ce n’est qu’une amusante coïncidence. Je peux donc continuer sans crainte ma douce déambulation dans les terres de l’Inde du Nord.

(Cochrane Place, 132 Pankhabari Road, Fatak, West Bengal, Kurseong 734203, Inde)

13 août 2015

A BOMBAY, SUR MARINE DRIVE

Rêverie
Que regarde-t-il ? Veut-il s’extraire du Bombay tonitruant qui hurle juste derrière lui ? Rêve-t-il d’un voilier qui viendrait l’emporter au travers des océans ?
Ou se voit-il s’envolant vers les tours qui ferment l’horizon ? S’imagine-t-il y travailler ou y dormir ? Y a-t-il caché dans le luxe d’un loft dominant la mer, une compagne qui l’attend ?
Quoi qu’il en soit, je connais au moins un chien qui est indifférent : allongé confortablement sur le quai, soulevant paresseusement une paupière, il observe le monde des hommes. Pourquoi bougerait-il quand la vanité de ce qui l’entoure lui semble évident ?
Il voit sur la plage des couples avancer, quelques enfants jouer, et des ordures voler dans le vent. Les poubelles ne sont que des objets de décor. Inutile de chercher à les vider. Des oiseaux noirs se réjouissent et se nourrissent de tous les déchets qui jonchent le sable. En arrière plan, il peut entrapercevoir des nageurs qui zigzaguent dans les débris flottants.
Les rêveries du promeneur figé et la somnolence du chien sont périodiquement troublées par les cris de vendeurs de thé. « Chai, chai » hurlent ces derniers.
Au bout de longues minutes, j’arrive à m’extraire de ma contemplation. Mon regard alors s’arrête sur une bannière inattendue, et incongrue dans le flux luxueux de Marine Drive : « God created human beings. They created politicians who created chaos ».
Pourtant au travers de toutes mes promenades indiennes, si le chaos m’est apparu omniprésent, il m’a semblé inhérent à l’Inde, et non pas créé par des politiciens…