10 juin 2010

L’INCERTITUDE EST PLUS QUE JAMAIS NOTRE AVENIR CERTAIN

Nous sommes pris dans les mailles du Neuromonde

Nous sommes six milliards d'êtres humains, bientôt neuf milliards, dotés d' "objets-monde" et tous connectés. Nous entrons dans un Neuromonde hypercomplexe et incertain. Qu'est-ce à dire ?




9 juin 2010

LA VIE DÉRIVE DE POSSIBLES EN POSSIBLES

L'évolution procède par bricolages et émergences

Le voyage au sein des « Mers de l'incertitude » amène à des extraits issus de la fin de la première partie.

« L'abeille a-t-elle évolué pour mieux tirer parti de l'existence des fleurs ? Oui, mais les fleurs ont, elles aussi, changé pour mieux attirer ces abeilles essentielles à leur reproduction, et donc à leur survie. Cette co-évolution a rendu fertilisation et alimentation conjointement possibles et les a améliorées. Était-ce la meilleure solution ? On ne sait pas : ensemble, la fleur et l'abeille ont simplement « bricolé » une évolution satisfaisante, qui permettait à l'une et à l'autre d'accroître leurs chances de survie. (…)

Chaque élément de l'univers est soumis à un ensemble de règles et de lois : les lois générales de la matière (comme les quatre lois de base : gravitation, force électromagnétique, forces nucléaire forte et faible), et des règles spécifiques à l'acteur ou l'espèce en question, règles pouvant être innées ou acquises.
Cet ensemble de règles oriente l'évolution en structurant ce champ des possibles : est considérée comme satisfaisante3, toute évolution qui reste dans ce champ des possibles.
Comment est produite l'évolution ? Par un bricolage constant et continu, une dérive de possibles en possibles, un enchaînement plus ou moins rapide de microévolutions. (…)

Aucun objet n'a de sens ni de finalité en soi, le sens et la finalité émergent dans et par la relation avec ce qui l'environne : l'objet reste le même, mais le sens de l'objet et sa fonction sont dépendants de ce qui se trouve face à lui et de l'interaction entre les deux. De ce point de vue, on peut dire que le réel n'existe pas a priori, mais émerge de l'interaction avec ce qui est là.
La mécanique quantique et la relativité ont mis l'accent sur l'interdépendance entre ce que l'on observe et celui qui l'observe. C'est la même idée que l'on retrouve ici.
Telle est la logique de l'émergence : la réalité n'existe pas en tant que telle, elle n'est pas un absolu immuable mais naît de l'interaction entre l'observé et l'observateur. En reprenant la terminologie de Varela, elle « enacte ».
Il ne s'agit plus seulement de co-évolution, mais bien de co-dépendance instantanée : chacun donne un sens à l'autre, chacun est dépendant continûment de l'autre. »
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(1) Extrait des Mers de l'incertitude p.65 et 66

8 juin 2010

« SE CHANGER AVEC L’AUTRE, CE N’EST PAS SE PERDRE, ET CE N’EST PAS SE DÉNATURER »

Quand Édouard Glissant parle de la différence entre mondialité et mondialisation

Grâce à un échange sur AgoraVox suite à un des mes articles, j'ai eu connaissance d'une interview donnée par Édouard Glissant(1), le 14 février 2005 sur TV5(2)En voici un patchwork personnel…

« C'est bien de partir de l'endroit où l'on est né. On ne peut jamais faire abstraction du lieu, de son lieu. Je dis toujours que le lieu est incontournable. Mais, il est incontournable aussi dans le sens ou on ne peut pas en faire le tour, c'est-à-dire qu'on ne peut pas l'emmurer. On ne peut pas mettre des murailles, des murs autour de son lieu. Et, dans ce sens, on est appelé à connaître même par l'imaginaire tous les lieux du monde car tous les lieux du monde, aujourd'hui, aujourd'hui, dans les temps modernes, tous les lieux du monde se rencontrent, s'affrontent. Il y a des guerres, il y a des génocides, il y a des massacres, il y a des épidémies, il y a des famines, il y a des inondations, il y a des incendies, des tremblements de terre, mais il y a aussi quelque chose de nouveau qui est que nous avons tous le sentiment que nous vivons la même dimension que j'appelle mondialité. (…)

Je pense que plutôt que de l'universel, je parlerais de quelque chose de tout à fait nouveau pour nous dans le monde actuel, je parlerais de la relation. Je parlerais de la relation parce que, pour moi, la relation, c'est la quantité finie de toutes les particularités du monde, sans en oublier une seule. Et, je pense que la relation c'est l'autre forme d'universel, aujourd'hui. C'est notre manière à nous tous, d'où que nous venions, d'aller vers l'autre et d'essayer comme je dis souvent de se changer en échangeant avec l'autre, sans se perdre, ni se dénaturer. Et, je pense que sans cette révolution nous continuerons à souffrir les souffrances que le monde endure aujourd'hui. (…)

La mondialisation, c'est l'envers négatif de ce que j'appelle mondialité. La mondialisation, c'est le nivelage par le bas. C'est la monotonie. Tout le monde s'habille de la même manière, tout le monde a les mêmes réactions, tout le monde veut manger les mêmes produits universels (…) Combattre la mondialisation, on ne peut pas le faire si on s'enferme sur soi-même. Si je ne suis pas dans la mondialité je ne peux pas combattre la mondialisation. Si je me renferme sur moi-même, si je me renferme dans mes murs, dans ma maison, dans ma cité (…)

Et, c'est pourquoi, je pense que ce sentiment de mondialité qui est presque une poétique, mais qui est une poétique active, qui n'est pas une poétique contemplative, purement contemplative. C'est une poétique active qui permet l'échange et qui permet le change, et qui permet de se maintenir tout en devenant autre et ça, c'est difficile pour les peuples et les individus d'aujourd'hui. C'est difficile à comprendre parce que on a l'impression que si on devient autre, on se perd, on se dilue, on s'évanouit, on abandonne quelque chose, une part de soi qui était séculairement là et que ce n'est pas possible. Et pourtant, il faudra bien qu'on y vienne, à ceci, qu'aller à l'autre et se changer avec l'autre, ce n'est pas se perdre, et ce n'est pas se dénaturer. (…)

Et, par conséquent, il est possible de concevoir, n'est-ce pas, aujourd'hui que l'identité ce n'est pas un isolement, ni un renfermement, que l'identité ce peut être un partage. Il est possible. Et quand je dis, que le monde entier se créolise parce que c'est cela ce partage, c'est une créolisation, ça ne veut pas dire qu'il devient créole, n'est-ce pas? Ça veut dire que, il est… Il entre dans une période de complexité et d'entrelacements tels qu'il nous est difficile de le prévoir. Le monde est inextricable. (…)

C'est ça qui nous frappe. Qu'une brousse est à la fois une unité et une diversité. Une forêt, c'est des individus et c'est des individus ensemble, des individus qui ont quelque chose ensemble. Et, nous avons le même sentiment aujourd'hui qui est très fort que le monde et nous, c'est une unité-diversité. Si tu tues l'arbre, tu tues l'homme. Si tu tues la rivière, tu tues l'homme. Si tu tues la mer, tu tues l'homme. Et par conséquent, nous avons ce sentiment qui n'existait pas auparavant – auparavant, c'était un sentiment qui était réservé aux saints, aux poètes, aux innocents, etc. – c'est une affaire d'intuition du monde, d'intuition de la totalité-monde et c'est pourquoi, peut-être encore, les poètes sont les plus à même de pressentir cela et de le dire. »

(1) Pour savoir qui est Édouard Glissant
(2) Cliquer pour voir l'article in extenso

7 juin 2010

LA VIE NAÎT DU DÉSORDRE

C'est beau la vie, mais quelle pagaille !

Poursuite de la promenade au sein des « Mers de l'incertitude » avec des extraits issus de la première partie et portant sur la vie et l'évolution.

« Quand je me penche à l'intérieur de la vie pour voir un peu ce qui se passe, je n'y trouve que des séries de désordres emboîtés les uns dans les autres : chaque fois que j'ouvre la poupée d'un niveau, j'en trouve une autre plus petite, à l'intérieur. Interminable jeu de poupées russes.
A chaque niveau, l'instabilité est la règle, et seul le mouvement permet au système de tenir debout et d'avancer. Ainsi ce ne sont pas des poupées russes qui sont emboîtées, mais plutôt des « vélos russes » : des vélos qui pédalent sans cesse emboîtés les uns dans les autres. Chaque particule de matière infinitésimale va de déséquilibre en déséquilibre ; chaque cellule est composée d'une multitude de particules qui entrent et sortent de la cellule ; chaque être vivant est un ensemble dynamique de cellules qui collaborent provisoirement, naissent et meurent sans cesse, s'hybrident constamment avec le dehors. Et, cerise sur le gâteau, nous, humains, nous avons en plus un cerveau sophistiqué composé de milliards de neurones et d'un nombre quasi incalculable de connexions synaptiques : le tout n'arrête pas d'intégrer de nouvelles informations, de recomposer ses interprétations passées et d'en construire de nouvelles. Nous ne sommes donc qu'un gigantesque désordre, une pagaille à faire peur si nous pouvions la voir.
De tout cela, émergent notre conscience et notre conviction d'exister, c'est-à-dire une sensation de continuité et de responsabilité dans le temps : je suis celui que j'ai été et je me sens responsable de ce que j'ai fait. Nos systèmes de pensée et de droit sont fondés sur ce sentiment d'identité et de responsabilité.
Ainsi de ce fouillis indescriptible, de ces vélos russes qui tournent sans cesse les uns dans les autres, sommes-nous nés. (…)

Ordre et désordre sont donc indissociables : c'est la présence des deux qui apporte à la vie la capacité à s'adapter, indispensable pour inventer par tâtonnements et ajustements successifs, et la continuité, nécessaire à la construction de l'identité et de l'expérience.
La vie se nourrit aussi d'elle-même : tout organisme vivant absorbe constamment d'autres organismes vivants, avant d'être lui-même absorbé. Nous sommes tous des cannibales du vivant.
Pour être vivante, l'entreprise a besoin aussi de dualité et de cannibalisme : une forme d'ADN qui va lui apporter stabilité et continuité, des réactifs élémentaires changeants et volatils capables de se composer et décomposer rapidement ; la croissance externe qui est une des sources essentielles de son développement, en lui permettant d'absorber l'énergie accumulée par les autres. »
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(1) Extraits des Mers de l'incertitude p.57-58 et 60

3 juin 2010

A VAINCRE SANS COMPRENDRE, ON TRIOMPHE INUTILEMENT !

Veni, vidi, vici, sed concepi ? (1)

Difficile de comprendre que pour précisément comprendre, il faut d'abord oublier ce que l'on sait.

Comme je l'ai écrit dans les extraits publiés depuis le début de la semaine, ainsi que dans mon billet sur Mulholland Drive, comprendre, c'est accéder au langage de l'autre, que cet autre soit un individu, un groupe d'individus ou une situation. Si je cherche à comprendre à partir de ce que je sais, je vais projeter mon langage et mes a priori. Il faut d'abord faire le vide, et ne mobiliser que dans un deuxième temps son expertise, ses connaissances, ses langages.

Ensuite, comment savoir si ce que l'on observe est constitué de faits indépendants ou reliés : comment savoir si ce cercle et ce rectangle ne sont que les intersections d'un même cylindre ? Comment reconstruire le puzzle en ne prenant que les pièces qui correspondent à celui-là ?

Difficile si l'on n'est que de passage et impossible si l'on reste à la surface des choses : on ne peut pas savoir ce qui se passe au travers de tableurs excel ou de prétendus systèmes expert. Plus le management sera durable, plus il aura une connaissance intime et personnelle, plus il sera à même de reconstituer les bonnes images et de faire les bonnes liaisons.

A condition que cette connaissance, il ne la mobilise que dans un deuxième temps. Mais s'il n'a pas cette connaissance, il n'aura rien à mobiliser, restera à la surface et ne pourra pas accéder à une compréhension réelle. Comment pourrait-il alors diriger efficacement ? A vaincre sans comprendre, on triomphe inutilement !

(1) Je suis venu, j'ai vu, j'ai gagné, mais ai-je compris ?

2 juin 2010

COMMENT SAVOIR LE SENS DE CE QUE L’ON REGARDE?

Dépasser les apparences

Nouvel extrait des « Mers de l'incertitude », toujours dans la première partie, cette fois issue de celle qui porte sur les mathématiques et le chaos

« Un cylindre peut être défini simplement : si, en coupant un objet selon un plan, vous obtenez un rectangle, et qu'en le coupant selon le plan perpendiculaire, vous obtenez un cercle, c'est un cylindre. Maintenant si vous avez devant vous un rectangle et un cercle, et que vous savez seulement que chacun est le résultat d'une coupe faite sur un objet, vous ne pouvez rien conclure sur l'objet lui-même : rien ne vous dit que les deux coupes viennent du même objet et que ces deux coupes sont orthogonales.
Dans la vie quotidienne, nous sommes constamment devant ce dilemme : est-ce que les différentes informations qui m'arrivent simultanément proviennent oui ou non du même objet ? Comment puis-je être certain que ce que je vois et ce que j'entends proviennent de la même source ? Parfois, nous avons la possibilité de « passer derrière l'écran » et de nous assurer que, oui, c'est bien le même objet et que, donc, nous avons le droit de réunir les informations. Mais souvent, ce n'est pas possible : pour nous qui ne lisons le monde qu'à partir de ce que nous voyons, comme savoir ce qui se passe vraiment ? Peut-on réunir des données et considérer qu'elles décrivent des aspects différents de la même réalité ? Ou qu'à l'inverse ce sont des données qui correspondent à des réalités disjointes ? Comment savoir ?
La réponse est malheureusement assez claire : on ne sait pas. Nous n'avons accès qu'aux apparences et nous n'avons pas accès à la « chose en soi ». Il faut faire avec. Attention donc à tous les raisonnements menés hâtivement…

(…) Dès qu'il fait noir, au fond de leurs lits, les enfants ont peur des monstres qui se blottissent dans les placards et qui n'attendent que la première occasion pour leur sauter dessus. Les Écossais ont eux des fantômes qui peuplent leurs manoirs et leurs châteaux, sans parler du monstre du Loch Ness. En tête des best-sellers, on trouve bon nombre de livres ou de films qui jouent à nous faire peur. Bref, nous aimons et craignons en même temps ce qui est caché, ce qui peut surgir à tout instant et ce qui peut venir perturber notre tranquillité.
La science moderne, comme par opportunisme marketing, s'est ingéniée depuis un siècle à peupler notre univers d'êtres étranges, car difficilement accessibles à notre compréhension et soigneusement cachés. Est-ce pour nous faire peur ? Ou à l'inverse pour stimuler notre envie d'aller à leur découverte ? Ni l'un, ni l'autre. Ils sont simplement là et nous apprennent à penser à dépasser les apparences !
Ainsi, l'incertitude des comportements des acteurs élémentaires, individus et entreprises, loin de déboucher, au niveau macro, sur un monde lissé et prévisible, se voit amplifiée : notre monde est hautement imprévisible. »
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(1) Extraits des Mers de l'incertitude p.50 et 55

1 juin 2010

LA COMPRÉHENSION PASSE SOUVENT PAR L’ABANDON DE LA PENSÉE LOGIQUE ET RATIONALISANTE

Que veut dire David Lynch ?

Une route sinueuse, un accident la nuit. Une jeune femme s'en extrait, chemine péniblement au milieu des broussailles. Elle échoue dans la première maison rencontrée. Deux femmes alors se retrouvent face à face : Rita, celle qui vient d'avoir cet accident, et Betty, celle qui vient de l'accueillir. L'une et l'autre, l'une ou l'autre vont alors essayer démêler les fils de la mémoire perdue de Rita.

Nous sommes spectateurs de ce cheminement aléatoire. David Lynch nous donne, les unes après les autres, des pièces de puzzle et, comme ses héroïnes, nous laisse essayer de reconstituer l'histoire. Mais avons-nous toutes les pièces ? Est-ce que les pièces qu'il nous donne, se rapportent bien à une seule histoire ? Ou alors comme un enfant malicieux ou maladroit, a-t-il mélangé sans nous le dire plusieurs puzzles, puis en a extrait quelques morceaux pris au hasard ?

Comme savoir ? Nous n'avons pas accès à la réalité, mais seulement à la vision que nous en propose David Lynch. Nous sommes vite pris dans les méandres de ce puzzle diabolique, nous aussi nous sommes bringuebalés dans les secousses de Mulholland Drive. Comment accéder à ce qu'il veut nous dire ? Comment comprendre son langage ?

Si j'applique à ce film les clés classiques de l'analyse et de la logique, je bute sans cesse sur des contradictions et des impossibilités. Certains s'obstinent et veulent faire rentrer ce film dans une construction classique : ils cherchent à rationaliser la construction de David Lynch.

Quelle erreur commentent-ils ? Celle de vouloir plaquer sur ce film un langage qui n'est pas le sien. On ne peut comprendre et aimer les films de David Lynch, et singulièrement Mulholland Drive, qu'en oubliant ce que l'on a l'habitude de faire, et en se laissant porter par ce langage qui lui est propre. Comme des toiles d'art moderne, comme des tableaux surréalistes, ces films se contemplent en acceptant de ne pas rationaliser ce que l'on voit.

C'est cette attitude qu'il faut avoir dans la vie face à des problèmes complexes : ne pas chercher à les faire rentrer de force dans nos logiques, mais les accepter comme ils sont. Chaque situation a son propre langage, et nous ne pourrons l'interpréter qu'à partir de ce langage.


31 mai 2010

LANGAGE, INTERPRÉTATION, COMMUNICATION ET DÉCISION

Comment passe-t-on de l'observation à la compréhension et à la décision ?

Je poursuis la présentation de la première partie de mon livre avec des extraits sur les langages qui sont d'abord le moyen par lequel nous structurons notre pensée, avant d'être celui par lequel nous tentons de communiquer, puis sur la décision.

« Le premier langage est celui de notre langue et de ses mots. Mais ce n'est pas le seul qui peuple notre cerveau : les mathématiques ou le jeu d'échecs sont aussi des langages. Là où le profane ne voit que des assemblages de lettres, de chiffres et de symboles, le mathématicien lit le problème et architecture des solutions ; là où le débutant ne voit que des pièces juxtaposées sur un échiquier, le joueur averti voit des configurations avec lesquels il va construire des stratégies.
Ainsi, avec nos langages, nous lisons la situation présente et l'enrichissons de notre expérience tirée de notre passé. De tout ceci, naissent nos interprétations, mélanges du passé recomposé, du présent perçu et du futur imaginé, toutes intimement liées à chaque individu car elles reposent d'abord sur l'histoire personnelle (tant dans sa partie réellement vécue que dans tout l'imaginaire associé), sur les déformations de la mémoire et sur l'analyse de la situation présente, sans parler de la perception que chacun peut avoir du futur. On n'est donc pas près de pouvoir modéliser et prévoir des interprétations individuelles !

Qu'en est-il de la communication entre individus ? Pour faire court, communiquer est un objectif impossible ! Vous êtes surpris par ma formulation, vous pensez que j'exagère… Je ne crois vraiment pas. Quand vous voulez exprimer quelque chose, quoi que ce soit, vous employez des mots qui correspondent, pour vous, au sens que vous voulez donner. Pour cela, vous vous référez à votre mémoire et à la compréhension que vous avez de ce que vous voulez dire. Celui qui reçoit votre message, l'interprète, lui, à partir de son histoire, son expérience et l'ensemble de ses ressorts émotionnels propres. Les deux sont, sauf en cas d'histoire commune longue et dense, structurellement différents. Comment arrivons-nous alors à communiquer ? Par l'existence d'usages et de règles collectives qui ont construit progressivement des sens communs. Par des ajustements progressifs et aussi beaucoup grâce à la communication non verbale : celle-ci ne passe plus par les mots, mais sollicite essentiellement les neurones miroirs qui nous permettent de « lire l'autre »

(…) Supposons d'abord que nous sommes face au cas le plus simple : je suis seul à décider. Dans ce cas limite et un peu théorique, nous savons donc répondre à la question « qui décide ? ». La réponse est moi. Certes, mais comme nous l'avons vu précédemment, ma décision va reposer sur une interprétation, interprétation fonction de ma mémoire, de mon histoire et de ma perception de la situation. Comme je ne peux pas penser en dehors de mes propres langages, je ne peux pas être conscient des présupposés qu'ils induisent. En ce sens, je ne peux donc pas vraiment comprendre comment je décide.

De plus, comme ma mémoire et mon histoire se recomposent sans cesse, mon identité change continûment et de façon imprévisible : je ne peux pas savoir qui je serai vraiment demain, du moins pas assez précisément pour en déduire ce que je déciderai. Ainsi ce « moi » qui décide est-il constamment en évolution : je ne sais plus vraiment qui j'étais car ma mémoire fluctue, je ne sais pas vraiment qui je serai car cela dépendra ce qui va m'arriver. »1


(1) Extraits des Mers de l'incertitude p.40-41et 44-45

28 mai 2010

NI MENTEUR NI INCOMPÉTENT !

_____ Éditorial du vendredi ________________________________________________________________


27 mai 2010

COMMENT POURRIONS-NOUS VIVRE DANS UN MONDE CERTAIN ?

Première vidéo de présentation du livre "Les mers de l'incertitude"

L'incertitude est le moteur de la vie et non pas la preuve d'un manque de connaissance


26 mai 2010

L’INCERTITUDE EST LE MOTEUR DU VIVANT, ET NON PAS LA PREUVE D’UN DÉFICIT DE LA CONNAISSANCE

Présentation de la 1ère partie de mon nouveau livre « les mers de l'incertitude » (suite)

Après « quelques histoires improbables en guise d'introduction »(1), la première partie de mon livre vous propose une promenade dans trois domaines et cherche à apporter la réponse aux questions suivantes (voir ci-joint la table des matières de la cette première partie – cliquer dessus pour agrandir la photo) :
- Les neurosciences : grâce à l'imagerie cérébrale et à tous les développements effectués surtout depuis les années 80, les neurosciences, appelées aussi neurobiologie, nous aident à analyser la complexité des phénomènes de la mémoire, de la compréhension et de la décision. Avec elles, allons-nous être capables de comprendre de mieux en mieux le fonctionnement de nos processus de décisions, et par là de prévoir l'évolution du monde ?
- Les sciences physiques et mathématiques : avec la relativité et la mécanique quantique, le temps n'est plus une constante, l'espace peut se courber, et une particule peut être à plusieurs endroits à la fois. Les derniers développements scientifiques, notamment ceux liés aux mathématiques du chaos, vont-ils nous permettre de trouver de nouvelles lois, ou à l'inverse, l'incertitude va-t-elle quitter les limites de l'infiniment grand et de l'infiniment petit, pour se retrouver au cœur de notre univers ?
- La biologie et la théorie de l'évolution : les frontières entre les organismes vivants sont devenues comme perméables, on parle d'auto-organisation et de théorie de la complexité, l'émergence règne. Plus nous avançons dans la compréhension des mécanismes de la vie et moins nous les voyons comme des processus certains, suivant des logiques linéaires. Aussi cette vie, faite de processus ouverts et indécidables quant à leur évolution future, peut-elle globalement déboucher sur des évolutions prévisibles ?

Pourquoi un tel développement ? Pour montrer que l'existence de l'incertitude n'est pas la preuve d'un manque de connaissance, mais est bel et bien un des éléments essentiels et constitutifs de notre monde.

Ce qui illustre le mieux mon propos est la mise en regard des propos tenus par Pierre Simon de Laplace et Henri Poincaré à près de cent ans de distance l'un de l'autre :
- En 1816, Pierre Simon de Laplace écrivait : « Une intelligence qui pour un instant donné connaîtrait toutes les forces dont la nature est animée et la situation respective des êtres qui la composent, si d'ailleurs, elle était assez vaste pour soumettre ces données à l'analyse, embrasserait dans la même formule les mouvements des plus grands corps de l'Univers et ceux du plus petit des atomes : rien ne serait incertain pour elle, et l'avenir comme le passé serait présent à ses yeux. » (2)

- En 1908, Henri Poincaré changeait totalement de point de vue : « Lors même que les lois naturelles n'auraient plus de secret pour nous, nous ne pourrons connaître la situation initiale qu'approximativement. (…) La prédiction devient impossible et nous avons le phénomène fortuit. » (3)

(à suivre)

(1) Où vous pourrez « découvrir » la naissance de la roue, de l'écriture, de l'énergie…
(2) Essai philosophique sur les probabilités
(3) Science et méthode

25 mai 2010

INTRODUCTION AU MANAGEMENT DANS L’INCERTITUDE

Présentation de mon nouveau livre « Les mers de l'incertitude »

Depuis longtemps, l'incertitude régnait, et la crise de 2008 est venue balayer les dernières illusions : chacun mesure aujourd'hui les limites de la prévision économique. Mais comment diriger une entreprise si l'incertitude est reine ?
Faut-il renoncer aux projets durables et se contenter de gérer au jour le jour ? Mais comment donner alors un sens à l'action collective, attirer les talents et motiver les investisseurs ? Doit-on, au contraire, renforcer la discipline autour d'un objectif fort et fédérateur, derrière un leader charismatique ? Mais comment dans ce cas résister au gros temps et adapter son cap aux changements conjoncturels ?
Voilà ainsi les entreprises écartelées entre poursuite d'un objectif collectif et adaptabilité aux aléas.
Comment sortir de cette tenaille ? Peut-on marier force instantanée et création durable de valeur?
Oublions un moment ce problème, pour regarder la Seine couler. Elle aussi est plongée dans l'incertitude, et pourtant, quoi qu'il arrive, l'eau fera son chemin jusqu'à cette destination finale. La Seine sait dépasser notre problème. Pourquoi ? Parce que sa destination est un attracteur : quoi qu'il se passe, la mer fait venir à elle l'eau.

Voilà l'idée centrale de mon nouveau livre, « Les mers de l'incertitude »(1) : comme un fleuve, une entreprise doit se fixer pour objectif, une mer qui sera un attracteur stable dans les aléas qui l'entourent. J'y propose trois pistes pour réussir dans l'incertitude :
- Penser à partir du futur : on ne peut pas, en effet, comprendre vers quoi coule un fleuve en regardant les méandres de son cours.
- Choisir sa mer une fois pour toutes : L'Oréal n'en a jamais fini de viser la beauté, ni Google l'information ou Nestlé l'alimentation.
- Rechercher la facilité : sans l'appui de la pente naturelle du terrain, il est impossible de progresser dans la bonne direction au milieu des tempêtes, déluges ou sécheresses.

J'y mets aussi en exergue cinq points nécessaires pour sortir de la « schizophrénie » ambiante, schizophrénie qui nous fait accepter l'incertitude intellectuellement, mais qui nous pousse à agir comme si le futur restait prévisible et modélisable : 


1. Ne plus chercher la réponse à l'incertitude dans les mathématiques
Alors que tous les spécialistes nous alertent sur les limites et les risques de vouloir mettre les comportements humains en équation, nous continuons à ramener le comportement humain à de équations simples et à manipuler les hommes à coup de règles de trois. Les tableaux de chiffres n'évaluent pas la viabilité réelle d'un projet ou d'une entreprise.

2. Ne plus confondre vitesse et efficacité
Comme le dit un proverbe chinois, on ne fait pas pousser plus vite un arbre en le tirant vers le haut, on risque seulement de le faire mourir. Pourtant, on oublie sans cesse cet adage de base. La crise récente n'arrange rien, car, au lieu de se rendre compte que c'est parce que l'on a trop couru que l'on n'a pas vu les signes annonçant la crise, on court encore davantage.

3. Comprendre qu'une entreprise anorexique ne pourra pas faire face aux aléas
Adaptabilité, souplesse face à l'imprévu impliquent redondance, ressources disponibles, capacité à improviser. Je sais combien ceci va aux antipodes de la tendance actuelle qui cherche par tous les moyens à accroître la rentabilité des entreprises. Mais si l'on améliore les résultats immédiats, on se prépare pour un mort future probable, car ceci peut conduire à l'anorexie, au temps des dinosaures, ces méga-entreprises vulnérables au moindre changement climatique.

4. Être un paranoïaque optimiste
Souvent nous manquons d'imagination : conditionnés par nos habitudes, nos savoirs et nos expériences, nous pensons trop le futur comme le prolongement du présent. Dans le même temps, nous pêchons souvent par optimisme en nous organisant sur le scénario médian, voire maximum. Ceux qui vont réussir seront des paranoïaques optimistes : ils ont le culot de penser à partir du futur, mais, sachant que le pire est possible, ils s'organisent non pas sur le scénario médian, mais sur le pire.

5. Promouvoir un management durable
Comme nous sommes en train de passer au développement durable, nous devons promouvoir le management durable. En effet, plus les dirigeants changeront souvent d'entreprises, et les actionnaires seront volatils, plus les uns comme les autres voudront se protéger par des prévisions et des chiffres. Dirigeants comme actionnaires croiront se protéger dans des tableaux et des certitudes, alors qu'ils ne sont que source d'erreurs et d'incompréhension, des lignes Maginot mentales. 

Alors, l'incertitude ne sera plus tant une contrainte qu'une formidable opportunité. Car, est-ce une si mauvaise nouvelle que de voir l'incertitude se propager de plus en plus ? Imaginons à l'inverse que nous allions vers un monde de plus en plus certain. Quelle y serait la place laissée à l'intelligence, au professionnalisme et à la créativité ?

Aussi, en contre-point de Jean-Paul Sartre qui écrivait : « Je préfère le désespoir à l'incertitude », je dirais plutôt qu'il n'y a pas d'espoir sans incertitude.

(1) Les mers de l'incertitude, Éditions Palio 2010



21 mai 2010

LES MERS DE L’INCERTITUDE, LIVRE DU JOUR DANS LES ÉCHOS

Un ouvrage éminemment moderne

Un message exceptionnellement court, mais c'est juste pour annoncer que mon livre vient d'être chroniqué aujourd'hui comme le « Livre du jour » par Philippe Escande dans les Échos (voir la photo ci-jointe – si vous cliquez, dessus, elle s'agrandira et deviendra lisible)

Il y associe même le célèbre Sun Zi en disant qu'il ne renierait pas mon livre. J'apprécie d'autant plus le compliment qu'il fait référence à un des penseurs asiatiques majeurs…

CONFIANCE, CONFIANCE, VOUS AVEZ DIT CONFIANCE ?

______ Éditorial du vendredi ________________________________________________________________

A partir ce cette semaine, les synthèses du vendredi seront faites sous la forme d'une vidéo courte. Une occasion de rendre ce blog plus vivant… du moins je l'espère !
N'hésitez pas à réagir et à me dire ce que vous en pensez

20 mai 2010

« N’ESSAIE PAS. FAIS. OU NE FAIS PAS. »

Au pays des Jedis

Dès le début, il l'avait vu arriver. Comment manquer la chute brutale de son X-Wing au beau milieu de la jungle ? Il l'avait ensuite entendu jurer contre ce marécage dans lequel il voyait son engin s'enfoncer doucement. Puis il avait suivi son cheminement maladroit au milieu de la végétation jusqu'à ce qu'il ne se retrouve plus qu'à deux pas de lui. Là, Yoda s'était manifesté :
« T'aider, je peux, lui dit-il.
- Je ne pense pas, lui répondit Luke, à la fois interloqué et irrité. Je cherche un grand guerrier.
- Ahhh ! Un grand guerrier. »
Yoda eut un rire, secoua la tête et continua : « Les guerres ne font pas grandir. »

Difficile pour Luke d'imaginer que cet être chétif et à l'allure improbable était ce grand maître qui allait de faire de lui un Jedi.

L'entrainement de Luke put alors commencer. Succession de courses, d'épreuves diverses, toutes apparemment plus impossibles les unes que les autres. La progression était trop lente pour Luke qui supportait mal ses échecs. Il arrivait bien à faire bouger des pierres, mais pas moyen de faire sortir son X-Wing du marécage. Yoda, imperturbable, lui demandait de recommencer.
« Maitre, faire bouger des pierres, c'est une chose. Là, c'est totalement différent.
- Non ! Pas différent ! Seulement dans ton esprit différent. Tu dois oublier ce que appris tu as.
- Bon, je vais essayer.
- Non ! N'essaie pas. Fais. Ou ne fais pas. D'essai il n'y a pas. »

Luke se concentra, le X-Wing commença à s'élever, avant de retomber brutalement.
« Je ne peux pas. C'est trop gros.
- La taille ne compte pas. Regarde-moi. Me juger pas la taille, tu fais ? Mmmmm. »
Luke secoua la tête et Yoda lui expliqua alors l'importance de la force qui les entourait et sur laquelle Luke devait prendre appui.
« Je n'arrive pas à y croire.
- C'est pourquoi tu échoues. »

J'ai toujours trouvé ces dialogues entre Yoda et Luke moins superficiels qu'ils n'y paraissent. Pas vous ?

19 mai 2010

CONFRONTATION ET CONFIANCE, LE TANDEM DE L’INCERTITUDE

La peur n'est jamais bonne conseillère

J'ai déjà eu l'occasion à de multiples reprises de parler de la confrontation et de pourquoi je pensais qu'elle était un élément essentiel face à l'incertitude(1) :
- Le monde est trop complexe et mouvant pour qu'un individu puisse à lui seul avoir une interprétation exacte d'une situation donnée : grâce à la confrontation des différentes interprétations, une entreprise va pouvoir construire localement et dynamiquement des compréhensions plus complètes de ce qui se passe.
- L'ajustement créé par la multiplicité des confrontations permet de maintenir une cohésion au sein de l'entreprise sans la rigidifier : l'entreprise évite ainsi à la fois l'éclatement – chacun suit la dynamique locale sans maintenir l'articulation avec les autres – et la calcification – l'entreprise devient rigide et ne sait pas s'adapter aux évolutions.

Je rappelle que la confrontation n'est pas le conflit, et que quelques conditions sont requises pour qu'elle puisse se mettre en œuvre positivement :
- On ne se confronte pas sur les conclusions, mais sur l'analyse,
- On se connait mutuellement et on se respecte,
- On ne perd jamais de vue l'objectif commun

Une autre façon de formuler ces conditions est de dire qu'il faut que la confiance existe au sein de l'entreprise :
- Confiance en soi et en sa capacité à contribuer efficacement à l'avancée vers la mer commune : sans cette confiance en moi, je ne serai pas prêt à mettre mes convictions en débat et à écouter les autres interprétations.
- Confiance en les autres et en leur professionnalisme : sans cela, la confrontation tournera en un happening collectif où chacun cherchera à déstabiliser l'autre plutôt qu'à prendre en compte ses arguments.
- Confiance en la mer visée : elle est bien un attracteur stable dans le chaos de l'incertitude et l'entreprise est armée pour s'en rapprocher constamment.

Finalement, je crois que ce tandem « confrontation et confiance » est vraiment un élément clé pour le succès dans l'incertitude. C'est donc une des responsabilités essentielles de la Direction Générale de le promouvoir.

(1) Cliquer pour voir tous mes articles sur la confrontation. C'est aussi un thème important dans mon nouveau livre.
(2) Je mets volontairement deux photos issues de la série Docteur House. En effet, au-delà de son côté théâtral et caricaturalement agressif, House développe au sein de son équipe à la fois confrontation et confiance : chacun prend l'habitude d'exposer ses théories et n'a pas peur de la contradiction, il y a aussi entre tous une réelle confiance basée sur le respect du professionnalisme des autres ; enfin ils visent tous la même mer : trouver la solution de l'énigme médicale.

18 mai 2010

COMMENT LA CROISSANCE EUROPÉENNE AURAIT PU ÉGALER LA CROISSANCE CHINOISE

Heurs et malheurs de l'euro

Voilà l'euro reparti à la baisse : ce lundi 17 mai, il vaut 1,2234 dollar. Les commentaires vont bon train pour expliquer d'où vient cette baisse, qu'elles pourraient en être les conséquences, et bien sûr ce qu'il faudrait faire.
Tout cela m'a amené à me plonger dans ce qui avait été écrit dans le journal Le Monde sur ce sujet entre 2001 et aujourd'hui. Je n'ai pas tout lu – le nombre d'articles est beaucoup trop considérable pour cela ! –, mais j'ai fait une lecture aléatoire, comme j'aime à promener au hasard dans les rues d'une ville.

Qu'est-ce que je retire de ce voyage ?

Tout d'abord il est bon d'avoir en tête la variation historique de l'euro versus le dollar (voir courbe ci-jointe) : créé en 1999 au cours de 1,17 dollar, il a eu un plus bas à 0,82 en octobre 2000, puis est monté régulièrement pour atteindre un plus haut à 1,5990 à mi juillet 2008. Si l'on regarde les deux extrêmes, il a donc quasiment varié de 1 à 2 en moins de 10 ans ! Quel effet de choc relatif entre les économies européennes et tous les marchés libellés en dollar ! On comprend mieux la nécessité pour toutes les grandes entreprises de se prémunir face à de telles variations…

Ensuite, j'ai particulièrement apprécié tous les commentaires définitifs sur le lien entre taux de change et croissance, surtout quand on arrive à quantifier la relation. Voici quelques exemples :
- « Si elle est de nature à flatter l'amour-propre des dirigeants européens, la remontée de l'euro est la pire chose qui pouvait arriver aux économies du Vieux Continent. (…) Les grandes puissances ont un intérêt vital à posséder une monnaie faible pour stimuler leur croissance. » (Pierre-Antoine Delhommais, 12 février 2003,)
- « A plus long terme, les choses se gâtent, les produits de la zone euro perdent en compétitivité ; les exportations baissent, et cela pèse sur la croissance. Dès le sixième mois, et pendant deux à trois ans, une hausse de la monnaie est dommageable pour l'économie. Une hausse de 10 % de la monnaie unique dans l'année a un impact sur la croissance de la zone euro, dès cette première année, amputant de 0,9 % le produit intérieur brut (PIB), puis l'année suivante, en le réduisant encore de 1,8 %. » » (Valérie Chauvin, de l'Observatoire français des conjonctures économiques(OFCE), 5 février 2003)
- « S'appuyant sur les conclusions des experts, selon lesquelles une hausse de 10 % de l'euro ampute la croissance de la zone euro de près d'un point, le monde politique, d'ordinaire partisan de la politique de l'autruche dès lors qu'il s'agit d'évoquer le pilotage de la monnaie unique, donne de la voix devant cette évolution monétaire qu'il juge à présent néfaste. » (Pierre-Antoine Delhommais et Serge Marti, 16 décembre 2003)


Sachant que finalement, l'euro s'est apprécié de 50% depuis début 2003, comment dois-je calculer de combien la croissance européenne a été amputée ? Dois-je appliquer « l'équation de Madame Chauvin » ? Est-ce qu'en prenant la croissance moyenne sur la période qui a été de 10% par an, je dois cumuler des handicaps de 0,9 et 1,8% successifs ? Est-ce que la croissance aurait donc été amputée de près de 8% en 2008 ? Est-ce ce qui explique l'écart entre la croissance européenne et chinoise ? Ou formulé autrement est-ce que, si l'euro était resté au cours de 1 dollar, la croissance européenne aurait été du niveau de la croissance chinoise ?
Décidément, j'aime quand les économistes font des calculs mathématiques !

Ce que je retiens aussi, c'est que la division européenne et notre angélisme face aux américains feraient de nous comme des jouets dans la main des grands méchants américains, et récemment asiatiques. Ainsi :
- « Si le dollar baisse, c'est peut-être tout simplement parce que la Maison Blanche souhaite qu'il baisse et fait en sorte qu'il baisse. » (18 mai 2003, Pierre-Antoine Delhommais)
- « Donc aujourd'hui, l'Europe est en train progressivement d'étouffer sous le poids d'un euro fort. Les Américains ne l'auraient pas toléré, et le secrétaire d'État au Trésor aux États-Unis, qui a la responsabilité de la politique de change, aurait fait des déclarations multiples et successives qui auraient inquiété les marchés » (Jean-Paul Fitoussi, 1er décembre 2004)
- « L'hyperpuissance monétaire américaine contraste avec l'incapacité de l'Europe à faire entendre sa voix. » (Pierre-Antoine Delhommais, 19 décembre 2004)
Comme l'euro baisse maintenant, dois-je en conclure que les Américains ont décidé de concert avec les Asiatiques de faire baisser l'euro ? Est-ce pour relancer notre croissance en application du lien avec le taux de change ? Doit-on alors organiser des galas en leur honneur ?

Au passage, j'ai aussi relevé quelques affirmations dont je vous laisse juge de la pertinence ou non :
- « Je ne crois pas trop à une chute massive et rapide du dollar, de l'ordre de 25 % face à l'euro » (Jean-Pierre Petit, à la société de Bourse Exane, 17 février 2002)
- « Mais d'un autre côté, il faut savoir que l'Allemagne est le pays malade de l'Europe. Que malgré ses exportations, l'économie allemande stagne depuis trois ans, ce qui plombe la zone euro. » (1er décembre 2004, Jean-Paul Fitoussi)

Enfin, je décerne la palme de la franchise à :
- « Ayons donc la sagesse de reconnaître que la parité entre l'euro et le dollar relève de l'offre et de la demande mondiales, et d'elles seules. Imaginer que la BCE va changer cette parité en baissant son taux d'intérêt d'un demi-point est simplement absurde. (…) Allons-nous rendre les États-Unis responsables de notre incapacité à avoir une politique économique commune en Europe? » (7 juin 2003)
- « Je ne fais aucune prévision sur les taux de change depuis que je suis économiste. Il me semble que toutes les prévisions qui avaient été faites se sont révélées erronées, sauf sur de très courtes périodes. Et aujourd'hui, on n'a jamais été aussi incertain de l'avenir depuis au moins la fin de la seconde guerre mondiale. » (Jean-Paul Fitoussi, 13 novembre 2009) 

Si cela continue, on pourrait voir les économistes reconnaître que, eux non plus, ne comprennent pas vraiment ce qui se passe et, encore moins ce qui va se passer. Nous serions alors condamnés à réfléchir. Heureusement, ceci n'est pas près de se produire…



17 mai 2010

IL N’EST JAMAIS TROP TARD POUR ÊTRE HEUREUX

Les prisons sont faites pour mettre en sécurité les souvenirs que l'on ne veut pas oublier

Assis à son bureau, il griffonne sans relâche une feuille, la regarde, l'arrache et recommence. A chaque fois, comme une amorce imparfaite, nous voyons une séquence de ce qu'il essaie d'écrire. Finalement, il se décide de partir à la recherche de ces mots qu'il n'arrive pas à trouver. Il pousse une porte et se retrouve face à elle.
Tourné vers le futur, le pays essaie de se construire, démocratie dans un continent en réémergence. A chaque fois, il reste hanté par son passé, ses années maudites. Finalement, il va devoir de partir à la recherche de ces souvenirs qu'il n'arrive pas à oublier.

Benjamin Esposito se retrouve face à Irène Menéndez Hastings, celle qu'il a aimée dès la première rencontre. Impossible alors de mettre des mots sur cet amour, impossible de lui exprimer quoi que ce soit. Tout n'était passé que par le regard, par ses yeux, dans ses yeux. Face à elle, il était tétanisé, maladroit. Elle, non plus, n'a pas pu lui dire ce qu'elle ressentait. L'un comme l'autre ont été emportés dans la violence de l'enquête qui les réunissait. Mis en danger, au lieu de l'emmener avec lui, il est parti, poussé par elle qui ne demandait qu'un mot pour partir aussi.

Isidoro Gomez n'avait été qu'objet de mépris, ou pire d'indifférence. Impossible d'attirer ne serait-ce que le regard de celle qu'il désirait en secret. Tout n'était passé que par son regard, par ses yeux, dans ses yeux. Alors un jour, il avait tué celle qu'il désirait. Ce geste violent et désespéré avait transformé sa faiblesse en domination. Démasqué par Benjamin et Irène, condamné à perpétuité, il avait été sauvé par cette junte qui ne prospérait que de la perversité de ses défenseurs. Il avait pu alors se retourner sur ceux qui l'avait pourchassé.

Plus on avance dans le film, plus Benjamin dénoue les fils restés en suspens, et plus sa vie personnelle devient le miroir de celle de l'Argentine. A force de courage, d'intelligence et de ténacité, il va enfin arriver à exprimer à Irène l'amour qu'il ressent pour elle. Cela ne sera possible que quand il aura trouvé les dernières pièces de puzzle manquantes, celles qui étaient restées enfermées dans les méandres de son inconscient ou physiquement dans une geôle perdue.

Le premier passeur est une machine à écrire qui n'a jamais su taper les « A ». Elle lui apporte la clé de ce message que son inconscient lui avait dicté : il avait écrit « Temo », c'est-à-dire « Je crains » ; avec le « A », cela devient « Te amo », c'est-à-dire « Je t'aime ». Sa censure l'enfermait dans ses peurs.
Le deuxième est Isidoro, retrouvé caché et enfermé dans la campagne argentine. Celui qui le retient là est Ricardo, l'amoureux de sa victime, de la femme qu'il avait sauvagement assassinée. Comme la junte avait libéré Isidoro, il s'était substitué à la justice et l'avait remis dans la prison à perpétuité que Benjamin lui avait promise. On n'échappe ni à son passé, ni aux promesses faites. 


Alors, Benjamin va pouvoir pousser à nouveau la porte d'Irène et la laisser se refermer sur leur amour enfin affirmé. Et la démocratie argentine va avancer un peu plus loin en ayant regardé ses propres errances.
On ne progresse, on ne trouve son chemin qu'en affrontant les démons de son passé, non pas pour les détruire, mais pour les mettre dans une prison à laquelle on pourra constamment se référer. C'est la survie d'Isidoro qui permet à Benjamin et l'Argentine d'avancer…

Ces quelques lignes sont ma lecture personnelle du film « Dans ses yeux » de Juan José Campanella. Faut-il que j'écrive que je vous conseille vivement d'aller le voir ?