6 janv. 2012

QUEL EST CET “IL” QUI COHABITE EN MOI ?

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Je suis un iceberg

Étonnant comme nous sommes finalement conscient de bien peu de choses de ce que fait et ressent notre corps : 
  • nous ne pilotons consciemment aucun de nos processus vitaux,
  • nous sommes incapables de savoir comment nous arrivons à parler ou à jouer du piano,
  • quand nous conduisons, la plupart du temps, nous pensons à autre chose, c’est-à-dire que nous ne conduisons pas consciemment,
  • comme indiqué dans l’article d’hier, nous avons une vision aveugle et nous pouvons nous souvenir en rêve de situations dont nous ne pouvons pas nous souvenir consciemment, alors que nous les avions effectivement vécues…

Quelle pagaille ! Finalement, notre conscience n’est que la pointe de l’iceberg de notre vie : la plupart des événements la conditionnent, mais lui échappent. J’ai entendu une fois, sans avoir pu depuis le vérifier, que seulement 5% de l’énergie consommée par notre cerveau était utilisée pour les processus conscients. Bref, nous agissons massivement sans savoir pourquoi… du moins consciemment.
Arrive alors inévitablement la question du « je » et de l’identité. Le « je » se limite-t-il à la conscience ? Instinctivement, j’ai envie de répondre oui. Car, si je ne suis pas conscient d’une chose, comment pourrais-je me l’approprier et dire que « je l’ai faite » ?
Mais dans ce cas, qui est à l’origine de tous ces actes, toutes ces émotions, tous ces traitements mentaux inconscients qui habitent mon corps et participent à son pilotage ? Un autre « je » ? Un « il » ?
Troublant, non ? Et si cet « il » faisait aussi partie de mon « je » ? Parce que ce que voient les autres, ce n’est pas seulement ce que « je » fais consciemment, mais tout ce que mon corps fait. Donc pour eux, cet « il » est aussi mon « je ».
Plus exactement, eux ne peuvent pas faire la distinction entre ce que je fais consciemment et ce que mon corps fait sans que je l’aie décidé consciemment. Seul, moi qui habite mon corps, suis capable de percevoir cette frontière.
Et encore… Suis-je si sûr de la frontière entre processus conscient et inconscient ? Quand, face à une difficulté ou à un problème dont je ne trouvais pas la solution, m’arrive un flash, une illumination, ou une idée venue de « nulle part », est-ce que ce n’est pas ce « il », cet inconscient qui cohabite en moi, qui vient de travailler pour moi et m’apporte une solution possible ?

Mon Dieu, mais quelle prise de tête d'essayer de réfléchir à qui je suis... surtout si je veux le faire consciemment ! 
Et pour les entreprises, qu’en est-il ?...

5 janv. 2012

« NOUS AVONS APPRIS À LIRE DES TRACES DES PENSÉES DES AUTRES »

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Sur les épaules de Darwin : Lire(1)
Cette émission tourne autour d'une question « simple » : comment la lecture est-elle apparue, alors que, pendant longtemps, elle n'a pas servi à la survie ?

Au départ, l'écriture était la représentation directe et stylisée de ce que l'on voulait signifier. C'est le cas notamment des idéogrammes chinois. Dans ce type d'écriture, il y a une séparation complète entre langue écrite et langue orale : l'idéogramme donne le sens, mais rien n'indique comment il se prononce. Ainsi en Chine, les idéogrammes se lisent et se comprennent dans toutes les provinces, alors que les langues orales locales sont différentes et incompréhensibles les unes pour les autres. (2)

Sont apparus plus tard les signes syllabiques ou alphabétiques. Avec eux, on apprend beaucoup plus vite, car il y a infiniment moins de signes (en général une trentaine, vingt-six pour notre alphabet versus plus de cinquante mille idéogrammes dont cinq mille communs), mais il y a association entre langue écrite et parlée : pour comprendre ce qui est écrit, il faut aussi apprendre la langue orale, les deux sont inséparables.
Une telle différence est nécessairement porteuse de différences culturelles majeures entre nos pays : en Chine, quand on lit, on comprend sans rien entendre ; chez nous, lire, c'est entendre avec les yeux.

Maintenant, retour à la question initiale : comment a pu émerger la lecture, que ce soit celle des idéogrammes ou celles des signes alphabétiques ?
Par utilisation de l'aire du cerveau qui nous sert, à nous comme à tous les animaux, à interpréter le monde dans lequel nous vivons. C'est grâce à elle que nous pouvons distinguer les objets les uns des autres, en extraire des significations, les reconnaître et les regrouper en famille (savoir que deux lions, bien que différents, sont tous deux des lions). C'est aussi cette aire du cerveau qui nous a permis, un jour, d'interpréter les traces que nous observions dans la nature, et comprendre que toute trace est une bête absente.
Un jour, selon une légende chinoise, c'est ainsi que sont nés les idéogrammes : par la compréhension qu'à l'image des traces que l'on trouvait dans la nature, on pouvait dessiner un signe qui correspondrait à un seul objet et le désignerait ainsi parfaitement. Les idéogrammes sont des traces voulues et créées par l'homme pour copier celles de la nature. Donc, après avoir appris à lire les traces laissées dans la nature, nous avons appris à lire des traces des pensées des autres.

Quant à nos lettres, elles ne sont pas non plus des formes arbitraires, ou abstraites, mais correspondent aux formes de la nature. Elles ressemblent aux contours que nous avions l'habitude d'utiliser pour comprendre le monde dans lequel nous vivons. Les choix étaient contraints par notre capacité de reconnaissance des formes visuelles.
C'est ce que décrivait dès 1839, Victor Hugo dans En voyage, Alpes et Pyrénées : « Avez-vous remarqué combien l'Y est une lettre pittoresque qui a des significations sans nombre ? – L'arbre est un Y ; l'embranchement de deux routes est un Y ; le confluent de deux rivières est un Y ; une tête d'âne ou de bœuf est un Y ; un verre sur son pied est un Y ; un lys sur sa tige est un Y ; un suppliant qui lève les bras au ciel est un Y. (…) Toutes les lettres ont d'abord été des signes et tous les signes ont d'abord été des images. (…) La société humaine, le monde, l'homme tout entier est dans l'alphabet. (…) A, c'est le toit, le pignon avec sa traverse, l'arche, arx ; ou c'est l'accolade de deux amis qui s'embrassent et qui se serrent la main ; (…) ; C, c'est le croissant, c'est la lune ; E, c'est le soubassement, le pied-droit, la console et l'architrave, toute l'architecture à plafond dans une seule lettre ; (…) X, ce sont les épées croisées, c'est le combat ; qui sera vainqueur ? on l'ignore ; aussi les hermétiques ont-ils pris X pour le signe du destin, les algébristes pour le signe de l'inconnu ; Z, c'est l'éclair, c'est Dieu. »

Jean-Claude Ameisen explique enfin qu'apprendre à lire, c'est renforcer tout ce qui est lié à sa propre langue, et oublier le reste : perdre l'équivalence en miroir pour distinguer le b et le d, ou le b et le q ; savoir prononcer les sons de sa langue et ne plus être capable d'articuler les autres… De même, nous apprenons à percevoir les différences subtiles au sein des visages de notre race, mais seulement celles-là. Alors les autres langues deviennent un bruit indistinct, un son comme « bar bar bar » ce qui amènera les grecs à appeler les étrangers des barbares, et les visages des autres races sembleront tous se ressembler.
Ainsi s'ouvrir au monde, c'est d'abord redécouvrir ce que l'on a perdu lors de son apprentissage initial, et redevenir capable d'apprendre que les autres sont aussi riches et singuliers…

(1) Émission du 15 janvier 2011

4 janv. 2012

DU MANAGEMENT AU ROMAN… IL N’Y A QU’UN PAS !

La vie est souvent affaire de double jeu…
Après deux livres consacrés au management, voici mon premier roman, "Double J". Il est disponible d’ores et déjà chez mon éditeur L’Harmattan, et bientôt sur tous les sites de ventes en ligne, et dans les grandes librairies.
Le 4ème de couverture :
À cause d’une blessure d’enfant toujours présente, l’un s’était enfermé dans le monde virtuel des mots et des mathématiques. Sans raison avouée, l’autre s’était plongé dans l’effervescence du monde des affaires et des voyages.
L’un comme l’autre n’avait jamais aimé que soi-même. L’un comme l’autre s’amusait avec des corps de passage et sans lendemain. Leur rencontre a tout bouleversé, et ils se sont retrouvés ensemble. L’un a donné ses mots, l’autre sa peau. Mais sera-ce suffisant ?
L’un est Jean, l’autre Jacques. Deux prénoms qui se répondent, deux je qui s’entremêlent et se manipulent, deux jeux qui s’articulent et s’opposent.
Jean arrivera-t-il à vivre, sans les mots qui l’habitaient depuis l’enfance ? Jacques supportera-t-il d’être dans une peau qui ne lui appartient plus vraiment ?
Double J nous emmène dans un jeu de miroirs dans lesquels l’histoire rebondit sans cesse de manipulation en manipulation.

Le tout début du roman :
Assis sur le rebord du mur, le visage balayé par la pluie, frissonnant malgré la chaleur de cet après-midi de début d’été, je regardais mon manuscrit se dissoudre devant moi. Des heures, des jours, des semaines de travail coulaient là depuis le papier détrempé. Comme un fleuve de sang, l’encre rouge se répandait, et mon roman inachevé agonisait, sans bruit, sur les pierres du mur. Elles, solides, se supportant mutuellement, fortes toutes ensemble, se teignaient de mes mots et s’habillaient de ma pensée diluée, la destruction de ma création mentale venant recouvrir le puzzle minéral que j’avais construit quelques années auparavant. Une revanche de la pierre sur l’idée, du dur sur le mou, de la force sur l’intelligence, de la violence sur la pensée. Pendant des jours et des jours, me servant de pierres arrachées au sol, j’avais dessiné des lignes qui structuraient le jardin et enserraient la piscine. Pendant des jours et des jours, me servant de mots arrachés à mon imaginaire, j’avais dessiné des lignes qui esquissaient mon roman et en meublaient les pages. La brutalité de l’orage avait saisi ma négligence pour fondre les deux en un, et finalement détruire ce qui n’avait pas été suffisamment encré dans le réel. L’eau venait de me mettre à mort une deuxième fois.
« Tiens, mets cela sur tes épaules, sinon tu vas prendre froid, me dit Jacques ».
Assourdi par la violence de l’orage et la disparition de mon roman, je ne l’avais pas entendu arriver.
« Ce n’est pas si grave, continua-t-il en pressant doucement la base de mon cou. Tu peux toujours le réécrire. »
Je regardai un moment son sourire, puis me retournai vers mon manuscrit qui coulait. 
Il ne comprenait pas, pensai-je, il ne me comprenait pas.

2 janv. 2012

LES SEPT DIMENSIONS CACHÉES DE NOTRE UNIVERS

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Imaginez-vous regardant au loin un fil qui se dessine à l’horizon. Pour vous, ce n’est simplement qu’un trait unidimensionnel. Or en fait, c’est un tuyau, mais, vu la distance, vous ne percevez pas son épaisseur, et donc son volume : sa surface enroulée sur elle-même « n’existe pas » pour vous.
Or sur ce tuyau, une fourmi est en train de se déplacer et tourne autour du tuyau le long de la circonférence. Pour vous, ce mouvement est impossible : comment pourrait-on tourner autour d’un fil, autour d’une dimension qui « n’existe pas »…
Voilà l’image que développe Brian Greene dans l’Univers élégant pour nous faire comprendre ce que veut dire une dimension enroulée.

Et selon les derniers développements de la théorie des cordes, notre univers comprendrait onze dimensions : les quatre que nous connaissons (trois spatiales, une temporelle) et sept enroulées ! Les minuscules cordes (taille de l’ordre de la longueur de Planck, soit environ 10 puissance -37 m) vibreraient non seulement dans nos quatre dimensions, mais aussi dans ces sept dimensions cachées : notre monde est rempli de microscopiques fourmis qui tournent dans tous les sens !
Finalement tous les mondes issus des contes de fées et de la science-fiction sont bien pauvres à côté de cette réalité là…

Et, rien ne dit qu’une dimension enroulée n’est pas temporelle : pensez alors à cette « fourmi » qui tourne sur son tuyau et, à chaque fin de tour, se retrouve au même instant que lors de son départ… Bien plus, comme ce serait une deuxième dimension temporelle qui vient en plus du temps « déployé » que nous connaissons, qu’elle est la vie de cette fourmi qui a deux temps différents et existants indépendamment…
Inimaginable…

Si, une ou plusieurs des dimensions enroulées venaient à se déployer, que se passerait-il ? Casse-tête théorique puisque, par construction, ce n’est pas le cas de notre univers, mais stimulant intellectuellement, non ?
Pour vous aider à « penser » cet univers, allons à l’inverse vers un univers avec seulement 2 dimensions, une spatiale, une temporelle. Soit deux « êtres » de cet univers qui se déplacent sur la ligne qui compose la totalité de la réalité physique de cet univers. S’ils arrivent à se rencontrer, ils se feront face pour l’éternité, car ils ne peuvent pas se doubler, rien n’existant à part cette ligne. Reste la possibilité de repartir en arrière… à moins bien sur qu’un autre « être » ne soit là aussi. Embouteillage éternel…
Alors, si une dimension de plus apparaissait chez nous…

Si vous voulez en savoir plus, je vous conseille de commencer par visionner les vidéos ci-dessous : c'est un documentaire en trois parties dans lequel Brian Greene présente sa vision de "l'Univers élégant".
Vous y découvrirez un monde imaginaire et poétique… et pourtant réel !

31 déc. 2011

BONNE ANNÉE 2012 !

Nous ne vivons pas une crise, mais une transformation du monde
Dernières heures de l’année 2011.
Une année pleine de heurts, de doutes et d’inquiétudes.
Une année où l’incertitude est venue sauter à la face de chacun de nous, se propageant sans cesse d’un bout du globe à l’autre, rebondissant dans les filets de la toile numérique, rendant toute prédiction non seulement incertaine, mais franchement illusoire.
Une année où le mot de crise est venu en leitmotiv dans tous les discours, où les agences de notation sont devenues les stars des media et des cours de bourse, où le fossé entre riches et pauvres s’est accru, du moins au sein de chaque pays.
Une année où la prise en compte des contraintes écologiques est restée au niveau des discours, où nous avons continué à consommer chaque jour davantage un peu plus de notre planète.
Mais aussi une année qui a vu le fossé entre pays riches et pauvres, à l’exception notable de l’Afrique, se combler… un peu.
Une année où l’espoir a surgi dans des pays condamnés depuis longtemps à la dictature, où l’énergie a été croissante en Inde, en Chine ou au Brésil.
Une année où, ici et là, localement et sans bruit, des gens ont agi et se sont mobilisés, où le monde s’est recomposé… un peu.
Et 2012 ?
Cette année sera ce que nous en ferons.
Peut-être allons-nous enfin comprendre que nous ne vivons pas une crise, mais une transformation du monde.
Peut-être saisirons-nous chacun là où nous nous trouvons, la chance d’agir différemment et ne plus penser à partir du passé.
Peut-être en France, élirons-nous un Président, et ensuite des députés, qui ne chercheront plus à diriger en s’appuyant sur le passé et les peurs, mais auront l’audace de le faire à partir du futur qui est en train de se construire.
De mon côté, je poursuivrai ce chemin au travers de nouveaux livres, de ce blog et de tout ce que je pourrai entreprendre.
Bonne année à tous !

28 déc. 2011

ÉMERGENCE : DE LA FOURMI À LA FOURMILIÈRE, DE L’ABEILLE À LA RUCHE

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Peut-on échanger avec une fourmi ?
A proprement parler, nous regardons de haut les fourmis. Il faut dire (ou écrire en l’occurrence) qu’elles sont si petites par rapport à nous. Même pas la taille d’un de nos doigts, le plus souvent plus petites qu’un de nos ongles. Donc de leur cerveau, inutile d’en attendre grand-chose, il est si petit que nous l’imaginons insignifiant. A peine la place pour un tout petit réseau neuronal.
Avec un chien ou un chat, on peut avoir un semblant de communication. Avec un cheval, un singe ou un dauphin, aussi. Mais avec une fourmi ? Impossible de la regarder les yeux dans les yeux ; inutile de lui lancer une balle, elle ne la ramènera pas ; même à votre retour de vacances après une longue absence, n’espérez pas être accueilli par des sauts de fourmis ou des cris de joie.
Par contre, laissez tomber un peu de nourriture par terre et vous allez les voir accourir. Ou plutôt, vous allez d’abord en voir une, puis dix, puis cent, puis vous ne pourrez plus les compter.
Car en fait, pourquoi parler d’une fourmi ?  Comment être sûr que c’est bien elle que l’on va retrouver plus tard ? Essayez donc de la marquer d’une façon ou d’une autre… Des chercheurs y sont arrivés, mais cela n’est pas à la portée d’un premier venu.
Avez-vous déjà vu une fourmi solitaire ? Pourrions-nous imaginer une fourmi Rousseauiste, rêveuse et adepte de promenades ? Certes dans Fourmiz, l’ouvrière Z-4195 tombe bien amoureuse de la belle princesse Bala et a des angoisses métaphysiques, mais elle a la voix de Woody Allen…

Non, les fourmis ne se pensent pas une par une, mais comme un groupe, un ensemble, une colonie. Et certaines fourmilières peuvent atteindre des tailles considérables : le record semble être détenu par la Formica yessensis, une espèce de fourmi des bois, qui a construit une colonie de 45 000 nids sur 1 250 hectares à Hokkaidō (Japon), abritant plus d’un million de reines et 306 millions d’ouvrières.
Oui, mais, en additionnant des êtres aussi petits et apparemment primaires que des fourmis, peut-on aboutir à un système global doué d’intelligence ?
La réponse est oui…
La fourmi est petite, mais la fourmilière est grande
...ou du moins détient-elle des propriétés étonnantes.
Jean-Claude Ameisen, dans « Sur les épaules de Darwin », a consacré en mai et juin dernier plusieurs émissions aux fourmis. Voici quelques exemples de ces étonnantes propriétés collectives :
  • Elles sont industrielles : des fourmis d’Amérique du Sud sont capables de construire des ponts vivants pour franchir un obstacle. D’autres, les fourmis de feu, toujours d’Amérique du Sud, peuvent, en cas d’inondation, fabriquer un radeau vivant étanche qui flottera ensuite pendant des mois : chaque fourmi isolée peut piéger une petite poche d’air, mais la collectivité peut en piéger une grande quantité qui permet aux couches du bas – celles qui se trouvent en dessous de la ligne de flottaison –, de respirer ; pour éviter l’épuisement, les ouvrières se relaient et se remplacent dans la position du bas. En voici une vidéo étonnante :


  • Elles ont, bien avant l’homme, il y a soixante à cinquante millions d’années, inventé l’agriculture : ce sont encore des fourmis d’Amérique du Sud qui en sont en à l’origine avec l’invention des jardins de champignons, ce quarante millions d’années avant les termites (ne concluez pas que les termites sont arriérées, sinon que penser de nous alors ?). Il y a douze millions d’années, sont apparues les fourmis coupeuses de feuilles fraiches, capables d’approvisionner plus efficacement des champignons comestibles. Voir le film sur les Atta, les Fourmis champignonnistes
  • Elles savent aussi faire de l’élevage : elles ne se nourrissent pas d’œufs – elles ne sont pas prédatrices –, mais de la rosée de miel que les nymphes produisent. En échange, elles les protègent contre les prédateurs, et aussi de cette rosée qui les englue, gène leur mobilité, et peut même les noyer. Cette rosée génère également la présence de champignons microscopiques qui peut les détruire, elles ou les feuilles sur lesquelles elles se trouvent.


L'agora est dans le ciel
Poursuite de cette promenade parmi les propriétés étonnantes des fourmilières, toujours largement inspiré par les émissions de Jean-Claude Ameisen. Après avoir été capable de construire un radeau insubmersible, avoir inventé l’agriculture et l’élevage, les voilà qui sont capables de :
  • Elles peuvent vivre en symbiose avec des arbres : comme pour les nymphes, elles échangent nourriture contre protection. Les arbres produisent un nectar, et les fourmis chassent les prédateurs. Elles répondent à une substance volatile, une odeur émise par la feuille, les plus jeunes l’émettant en permanence, les plus vieilles uniquement quand elles sont agressées.
  • Elles ont inventé la division du travail et la spécialisation : au sein des fourmis coupeuses de feuilles, on compte une vingtaine de tâches différentes en fonction de la taille de la fourmi (selon la taille, une fourmi est plus ou moins puissante, mais aussi peut plus ou moins accéder à de petites alvéoles) et de son âge (les plus âgées vont à l’extérieur, les autres sont centrées sur les tâches domestiques
  • Trouver le plus court chemin entre deux points : elles peuvent faire émerger de solutions optimales à partir de connaissances uniquement locales. Pour cela, elles explorent le territoire au hasard et laissent des phéromones qui recrutent des autres fourmis : plus le chemin est court, moins il y a d’évaporation et donc davantage de recrutements, et au bout d’un moment, tout le monde passe par le voie la plus rapide. Elles savent même gérer des réseaux dynamiques, complexes et changeants, car elles savent aussi mémoriser une direction. Voici une vidéo où Joel de Rosnay explique ce phénomène :

    Les abeilles de  leur côté ne sont pas en reste, car elles peuvent :
    • Optimiser la circulation : avec elles, jamais d’embouteillages. Et souvent des soldats immobiles sont sur les côtés pour protéger le flux.
    • S’adapter en fonction de leur environnement : l’expérience individuelle vient compléter, voire infléchir le conditionnement originel. Ainsi chez certaines familles de fourmis, si une exploratrice ne trouve jamais de nourriture, elle finit par se spécialiser dans des tâches internes à la fourmilière. A l’inverse, celles qui ont du succès, sortent de plus en plus. Bel exemple de plasticité cérébrale collective
    •  Faire part à leurs congénères de leurs découvertes : de retour à la ruche, en exécutant comme une danse, elles communiquent le résultat de leurs recherches. La qualité de la découverte est donnée par la vitesse du retour final et le nombre de circuits, la direction par l’angle de la montée par rapport à la verticale, la distance par la durée de la montée. Ensuite, à cette distance et dans cette direction, les abeilles n’ont plus qu’à chercher l’odeur dont l’abeille d’origine était imprégnée. Et comme elles sont sensibles à la polarisation de la lumière, aux rayons ultra-violets, elles trouvent leur chemin même si le soleil est caché. Pratique, non ? Et une vidéo pour vous montrer la danse de l'abeille :


    • Procéder par démocratie majoritaire : la colonie ne décidera la localisation de la nouvelle ruche qu’après un vote démocratique et collectif. Comment ? Facile… D’abord plusieurs centaines d’abeilles partent séparément à la recherche d’un nouveau site adéquat. Chacune procède à une évaluation attentive (volume de la cavité, isolement thermique, isolement par rapport à l’humidité et la pluie, taille de l’ouverture – ni trop grande, ni trop petite -), puis revient pour faire un compte-rendu dansé. Les éclaireuses qui n’ont rien trouvé, si elles sont séduites par la danse, vont à leur tour évaluer le site potentiel. Ainsi petit à petit, les destinations les plus intéressantes recrutent de plus en plus d’éclaireuses. Une option se dégage, et à un moment, il y a un consensus qui se fait et toute la colonie s’envole. 
                                                       

    26 déc. 2011

    EN EMPILANT DES BLOCS SIMPLES, ON CONSTRUIT UN SYSTÈME COMPLEXE ROBUSTE

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    Et si on s'intéressait aussi à la simplicité ?

    Dans sa conférence (voir ci-dessous), Georges Whitesides (voir sa bio) s'intéresse à la simplicité, et comment elle permet de construire la complexité. Il y explique que ce sont avec des blocs simples – comme des pierres, des 0 et des 1, … –, que l'on peut élaborer des systèmes sophistiqués comme Internet ou des cathédrales.
    Ce qui est simple, c'est tout ce qui peut s'empiler facilement et solidement. Guidé par son imagination et son projet, on va poser les blocs les uns sur les autres : l'un fera une cathédrale, quand un autre en tirera un château ou simplement un mur en pierres sèches… 
    Pour construire avec ces blocs, vous n'avez pas besoin de connaitre la logique qui a permis à ces blocs d'exister, vous n'avez qu'à savoir vous en servir et les empiler. Ceci rejoint le propos de Ian Stewart qui a écrit dans « Dieu joue-t-il aux dés ? » :« Ce dont nous avons besoin, c'est de la théorie de la simplicité, pas de la théorie de la complexité. Il y a une rhétorique de la science réductionniste qui prétend que, même si la chèvre ne le sait pas, des choses immensément compliquées doivent se produire en elle pour qu'elle se comporte cette façon. (…) Il vous semble, à vous et à la chèvre, que ce qui se passe est simple : mais, en fait, cela ne l'est pas. (…) Une théorie des particules subatomiques est fongible quand on la regarde à partir du niveau de la chèvre. Il faut bien qu'il en soit ainsi, ou bien nous n'aurions jamais été capables de garder une chèvre sans passer auparavant un doctorat de physique subatomique. »
    Lego ou Meccano ont apporté à tous les enfants de nouveaux blocs simples pour donner libre cours à leur imagination. McDonald a dominé le monde des hamburgers en le décomposant en briques élémentaires – le pain, la viande, les frites…–, en industrialisant chaque composant et en en facilitant l'assemblage. Le jeu de go repose sur des règles que l'on peut énoncer et comprendre en une minute…
    Quand la complexité repose sur des composants eux-mêmes complexes, elle est fragile et vulnérable. Quand elle repose sur des blocs simples, elle est efficace et souple.
    A garder en mémoire…


    23 déc. 2011

    LE TEMPS DES FÊTES

    Noël et jour de l’an
    Voilà revenu le temps des fêtes de Noël et de fin d’années. Occasion de vous proposer un petit florilège de chansons de Noël, en essayant de sortir des sentiers battus.
    Pour les deux semaines à venir, mon blog va prendre quelques vacances, et moi avec lui, occasion d’avancer sur un livre dont j’aurai l’occasion de vous parler le moment venu…
    Afin de le maintenir « en vie », vous y trouverez les lundi, mercredi et vendredi un article tiré parmi ceux déjà parus.
    Simplement un nouveau billet pour le 31 décembre, une forme de message de bonne année, une année qui verra se poursuivre le processus de transformation en cours, processus appelé « crise » par la plupart des commentateurs…
    Et retour en live le 9 janvier pour la poursuite de cette réflexion sur l’incertitude, les emboîtements et les émergences.

    22 déc. 2011

    NOUS CONFONDONS CRISE ET TRANSFORMATION

    Non, le futur n’est pas le reproduction du passé en pire
    Le mot « crise » est sur toutes les lèvres, présent au détour des toutes les analyses, leitmotiv de cette fin d’année 2011. Cette crise omniprésente, qui fut d’abord vue comme courte et provisoire, est aujourd’hui perçue comme devant durer au moins en 2012, et pour la plupart beaucoup plus longtemps.
    Mais, parler de « crise », c’est :
    • Penser que nous ne vivons qu’un moment transitoire et désagréable,
    • Imaginer qu’une maladie est venue troubler notre organisme et qu’il faut la soigner, 
    • Et finalement croire que le futur sera identique au passé. Serrons les rangs, donnons un bon coup de collier, et tout repartira comme avant, en quelque sorte !
    Je crois qu’une telle vue est profondément fausse, et est largement source du désenchantement actuel. En effet, nous ne vivons pas une crise, mais nous nous vivons un processus de transformation : demain ne sera pas du tout comme hier, et, comme une chenille au moment de sa mue en papillon, nous subissons une réorganisation en profondeur de notre monde.
    Quels sont les moteurs de cette transformation et en quoi le monde de demain sera-t-il si différent ?
    J’en vois trois essentiels qui se renforcent mutuellement et s’articulent entre eux : 
    • Les niveaux et le mode de vie convergent entre tous les pays : le niveau de vie moyen d’un habitant de nos pays développés était en 1990, soixante fois celui d’un Chinois ou d’un Indien, et huit fois celui d’un Brésilien ; en 2010, il n’était « plus » que neuf fois celui d’un Chinois, trente fois celui d’un Indien, et quatre fois celui d’un Brésilien (voir mes articles Faire face à la convergence des économies mondiales et Nous n’éviterons pas la baisse de notre niveau de vie),
    • Le système économique et industriel passe de la juxtaposition d’entreprises et d’usines, à un réseau global et de plus en plus complexe : les entreprises ont tissé des réseaux denses entre elles, et entre leurs différents lieux de production. Chaque produit, chaque service, chaque transaction fait intervenir un nombre croissant de sous-produits, sous-services, sous-transactions. Impossible de démêler les fils de ce qui est devenue une toile planétaire.
    • L’humanité passe d’une juxtaposition d’individus et d’appartenances, à, elle-aussi, un réseau global et de plus en plus complexe : sous l’effet cumulé de la croissance de la population, de la multiplication des transports et du développement d’internet, les relations entre les hommes se tissent finement. Les pensées et les actions rebondissent d’un bout de la planète à l’autre, des intelligences collectives apparaissent. (voir l’article que j’ai consacré au dernier livre de Michel Serres Le temps des crises
    Vers quoi allons-nous, je n’en sais rien. Comment une chenille pourrait se penser papillon à l’avance ? Mais je ne vois pas de raison d’imaginer que ce futur sera noir, et j’y vois plutôt des raisons d’espérer :
    • Un meilleur partage des richesses entre tous les pays est plus souhaitable, et moins dangereux que les écarts passés, et encore actuels.
    • L’émergence de réseaux collectifs – tant entre les structures collectives comme les entreprises, qu’entre les individus – est l’occasion de nouvelles découvertes, et d’enrichissements vrais, tant collectifs qu’individuels.
    • Notre passé tapissé de guerres et de gaspillages ne rend pas si sympathique la « chenille » que nous sommes en train de quitter.
    Bien sûr, un tel futur est peuplé de défis qu’il faudra relever. En voici quelques-uns :
    • Comment protéger et développer le libre arbitre individuel dans un monde de réseaux ? Comment éviter l’homme de devenir une fourmi au service de sa collectivité ?
    • Comment faire en sorte qu’aux inégalités entre pays, ne succède pas une inégalité plus forte au sein de chaque région ou pays ?
    • Comment, propulsé par la puissance de ces réseaux, ne pas consommer encore plus vite note planète ?
    • Quelles structures politiques dans un tel monde ?
    La naissance de ce nouveau monde prendra de longues années. Cette transformation qui est en cours, va se prolonger et s’accélérer. Quand sera-t-elle terminée ? Comment savoir ? Mais comment imaginer qu’elle ne va pas prendre plus de dix ans, probablement plus de vingt, et peut-être une cinquantaine d’années…
    C’est de cela dont nous devrions parler, et non pas d’une crise. C’est à cela que nous devrions nous préparer. Une telle transformation est douloureuse, surtout dans sa phase initiale.
    Mais si nous arrivions à faire comprendre que les difficultés actuelles sont des étapes nécessaires à la naissance d’un nouveau monde meilleur, alors chacun pourrait se mobiliser en positif.
    Alors qu’aujourd’hui chacun est persuadé que le pire est devant nous, que le passé est un éden perdu, et qu’une descente aux enfers nous attend.
    Nos pays, et singulièrement la France, sont riches de leur passé, et de le capital accumulé – il suffit de voyager un peu pour s’en rendre compte –, nous avons les ressources pour faire face à cette transformation.
    A deux conditions :
    • Que nous ayons confiance en un futur meilleur et mobilisateur,
    • Que nous développions une politique de solidarité, faisant porter les efforts là où les richesses ont été accumulées effectivement.
    Beaux sujets pour la campagne présidentielle à venir, non ?

    21 déc. 2011

    NOUS TROUVONS TOUJOURS DE BONNES RAISONS… MÊME À CE QUE NOUS NE COMPRENONS PAS

    Emboîtements et émergences (5)
    Nous, les humains, avons la capacité d’analyser ce à quoi nous participons, talent clé de notre existence et de notre survie.
    Notre connaissance n’est pas infinie, mais elle progresse. Ainsi nous repoussons sans cesse les limites de notre science, nous avons percé la logique de l’ADN, nous plongeons chaque jour plus profondément dans l’infiniment petit comme dans l’infiniment grand, nous approchons du moment du big-bang où tout semble avoir commencé, nous dressons des cartographies de plus en plus fines de notre cerveau et des interactions entre nos neurones…
    Certes, certes…
    Mais ceci n’est vrai, par construction, que pour ce qui est accessible à notre compréhension. Si jamais il existe quelque chose qui est d’une dimension qui nous échappe littéralement, c’est-à-dire qui, pour une raison ou une autre, ne peut être concevable par nous, alors nous ne pourrons jamais le comprendre. Nous serions dans la situation des bactéries et des neurones dont je parlais hier…
    Que se passe-t-il donc quand nous sommes face à de telles situations ? Il semble bien qu’alors, nous sommes les champions de la rationalisation a posteriori. Dans mon livre Neuromanagement, je rapportais une expérience troublante :
    « Prenons l’expérience rapportée par Lionel Naccache dans Le Nouvel Inconscient (p. 385) et menée par un chercheur, Michaël Gazzaniga, sur un patient atteint de déconnexion interhémisphérique : dans cette maladie, l’hémisphère droit est incapable de communiquer avec l’hémisphère gauche. L’expérience a été la suivante : à la gauche de l’écran situé devant le patient, est apparu pendant quelques dixièmes de seconde l’ordre verbal « Marchez ». Il s’est alors levé et déplacé : l’ordre lu par l’hémisphère droit venait d’être exécuté, mais, à cause de la maladie, l’hémisphère gauche, qui assure notamment la maîtrise du langage, n’était pas informé de l’existence de cet ordre et donc ne pouvait pas savoir pourquoi il s’était levé.
    Gazzaniga lui demanda alors : « Où allez-vous ? ». Au lieu de lui dire qu’il ne savait pas pourquoi, le patient lui répondit du tac au tac : « Je vais à la maison chercher un jus de fruits. » : il venait d’élaborer une interprétation consciente qui lui permettait d’attribuer une signification à son comportement. Plutôt que de répondre : « Je suis en train de sortir de cette pièce mais je ne sais pas du tout pourquoi, comme c’est curieux tout de même ! », le patient avait construit immédiatement une interprétation de son comportement, mais sans se rendre compte que cette interprétation en était une. »
    Ainsi quand nos actes sont suscités par quelque chose qui nous dépasse, notre tendance naturelle  serait d’imaginer une motivation que nous comprenons.
    Comment alors savoir quand nous comprenons vraiment, et quand nous l’imaginons ?
    (à suivre)