21 févr. 2022

TENTATION (suite)

Besoin de bouger, de faire quelque chose, n’importe quoi pour ne plus penser. Me mettre en pause. Si j’avais plus d’énergie, j’irais courir sur les quais. Mais je n’ai aucun influx. Pourquoi pas la voiture ? Rouler au hasard. Me laisser guider. Je sens les clés de contact dans ma poche, mon parking est à cinq minutes. 
Sortie sur le boulevard Saint Germain, puis les quais. Je roule le long de la Seine. Rive gauche, vers l’ouest. L’image d’Étretat et ses falaises se superpose à la Tour Eiffel que je viens de dépasser. Moins de trois heures de route. J’arriverai avant quinze heures. Horaire parfait pour une promenade. 
Une fois Versailles passée, l’autoroute se vide et j’accélère. J’aime la vitesse. Cent cinquante kilomètres-heure. Je continue à accélérer. Cent soixante. Cent quatre-vingt. Ronflement de mon six cylindres souligné par la musique minimale d’Underworld. Rythmique circulaire, pulsion corporelle et tribale. Personne devant moi. Deux cents. Deux cent vingt. Je monte un peu plus le son. Deux cent quarante. 
À cette vitesse, le monde est figé. Toutes les autres voitures sont immobiles. Habillé de métal, lancé à toute allure, je suis le seul vivant. Voyage au pays des morts. 
 Sur ma gauche, la glissière de sécurité brille. Elle guide ma trajectoire. Elle m’attire. Je pourrais m’appuyer contre elle, et la laisser me guider. Inutilité du volant. 
Je me décale un peu plus. Elle n’est plus qu’à quelques centimètres. Je la regarde. Envie de la toucher. Est-ce pour me charmer qu’elle brille autant ? Pour m’inciter à en finir, à devancer l’appel, à faire de l’instant à venir mon dernier futur ? 
Si je disparaissais maintenant, à qui manquerais-je ?

 

 

(Extrait de mon livre Par hasard et pour rien)

 

18 févr. 2022

TENTATION

Cent soixante, cent quatre-vingt. 
Ronflement de mon six cylindres, 
Musique minimale d’Underworld. 
Deux cents, deux cent vingt. 
 
Tout est immobile. 
Habillé de métal, 
Je suis le seul vivant. 
Voyage au pays des morts. 
 
Sur ma gauche, un rail. 
Envie de le toucher, 
De devancer l’appel, 
De vivre mon dernier futur. 
 
(poème inspiré par mon livre Par hasard et pour rien)

16 févr. 2022

AU BORD DU GANGE

 A Bénarès, les eaux du Gange riment avec recueillement, prière et beauté


15 févr. 2022

BAMBOO TRAIN

A Battambang au Cambodge, comment avec un peu de bambou, un moteur de mobylette, et pas mal d'imagination se créer un train qui désenclave des paysans isolés... et constitue une attraction pour les touristes ! 

14 févr. 2022

DANS LE "TOY TRAIN" ENTRE DARJEELING ET KURSEONG (vidéo)

Un train qui sillonne paresseusement dans les contreforts de l'Himalaya, au plus près de la nature et des hommes...
 

12 févr. 2022

DANS LE "TOY TRAIN" ENTRE DARJEELING ET KURSEONG

Échappée de mes souvenirs d’enfant, surnommée le "Toy Train", la minuscule locomotive à vapeur met plus de deux heures pour couvrir les trente kilomètres. 
C’est une reproduction en grand du train Märklin que mon père m’avait envoyé pour mes dix ans. D’ailleurs, où est-il, le train de mon enfance ? Dans un placard ? Non, là : comme moi, il a grandi et m’emporte sur les rails posés sur la route défoncée. Ne l’appelez plus "Toy Train", ne lui manquez plus de respect, ce n’est pas un jeu, plus un jeu. Comme je ne suis plus un enfant. 
En montée, les piétons nous dépassent. En descente, rien ne prouve qu’il pourra s’arrêter. Assis sur une banquette de bois, seul dans mon wagon, je regarde le paysage que je ne vois pas. Toujours la brume. Je me délecte de la lenteur de notre avancée. Presque un surplace. (…) 
Pour me dérouiller les jambes, en côte, je descends et marche le long de son flanc. Après l’avoir caressé, je le frappe délicatement pour l’encourager. Essayer de faire cela avec un TGV. À propos, j’aimerais bien en voir un sur les pentes raides de Darjeeling : il serait incapable de faire vingt mètres. 
Au milieu du trajet, alors que nous nous trouvons en pleine forêt, surgissent de nulle part des écoliers en uniforme. Ayant autour d’une dizaine d’années, impeccablement habillés, résurgence de la colonisation anglaise, ils marchent le long de la route. Aucune école, aucune maison à l’horizon. 
Où vont-ils et d’où viennent-ils ? Mystère. Génération spontanée ? Version indienne des fantômes écossais, la forêt remplaçant le château ? 
 D’un mouvement synchrone, ils tournent la tête vers moi et me sourient. Aucune raison d’avoir peur. Quoique… 
 Ils s’écartent et le train poursuit son avancée. Quelques secondes plus tard, je me retourne : ils ont été absorbés par la brume. 
Ou se sont-ils physiquement effacés ?

 

(Extrait de mon livre Par hasard et pour rien)

 

11 févr. 2022

HISTOIRE DE CHIENS

Chez nous, pas de tribu canine : nos chiens vivent avec leurs maîtresses ou maîtres respectifs. Séparément. Un par un. Du coup, ils sont rangés, parqués, lissés. Ce ne sont pas des hommes, mais plus vraiment des bêtes. Tellement loin des loups.

Ils font partie de la famille, partent en vacances avec elle, ont leurs produits diététiques et cosmétiques, leurs cliniques vétérinaires. Ils sont ordonnés. Pas de pagaille, pas d’aléas.

Ils ne vont chercher la balle que si nous leur lançons, et ne la ramènent qu’à celui qui l’a envoyée. Il ne manquerait plus qu’ils prennent l’initiative. Il n’y a que dans le sketch de Raymond Devos que le chien est le maître. Mais il faut dire qu’il parle. Alors…

Il y a une chose que nos chiens ne font pas : être ensemble. Avez-vous déjà vu un groupe de nos chiens sillonner les rues d’une de nos villes ? Comme une bande de copains partis en goguette. Non. Ou dans un parc, un chien demander à son maître d’aller jouer un moment avec un camarade rencontré opinément ? Non plus. Tout au plus, ils se reniflent de temps en temps, mais vite reviennent dans les jupes ou les pantalons de leurs maîtres.

Ainsi nos chiens vivent-ils indépendamment les uns des autres. Chacun dans sa niche, chacun avec son propriétaire.

À Darjeeling, rien de tel : aucun ne vit avec un humain. Il reste avec les siens. (…)

Jamais, je ne serai un chien en Europe. Jamais, je ne marcherai tenu en laisse. Jamais, je ne suivrai docilement les pas d’un qui ne sera pas mon égal. Jamais, je ne ramènerai une balle qui m’aura été lancée. Jamais, je ne me ferai acheter par une gamelle toujours remplie ou une niche douillette et confortable. Jamais en hiver, je ne porterai de manteau ridicule. Jamais, quiconque ne décidera pour moi.

Avec mes frères les chiens, libre et indépendant, je cours et aboie dans la nuit de Darjeeling.

 

(Extrait de mon livre Par hasard et pour rien)

10 févr. 2022

DARJEELING

Comprimé avec une dizaine d’Indiens dans l’étroit habitacle d’une jeep, collé à la fenêtre, j’escalade les contreforts de l’Himalaya. Accroché tant bien que vaille à un macadam dont les trous ne sont plus en formation depuis longtemps, le 4x4 cahote d’un méandre à l’autre. D’un côté, un précipice, de l’autre, une forêt. Virage après virage, je suis soit au bord du vide, soit de la végétation. 
Quand survient une voiture en sens inverse, en l’absence de toute logique, elle arrive à passer. Magie indienne. Interpénétration moléculaire. Je suis irrigué du calme et de l’indifférence de mes coéquipiers temporaires : celui-ci somnole, ceux-là discutent, d’autres, s’il y avait plus de place, joueraient aux cartes ou aux échecs. Bref, personne ne s’affole. Tout est normal. Donc, aucune raison de m’inquiéter. Ou presque. 
Petit à petit, l’air se sature d’humidité. Dehors comme dedans, tout ruisselle et se gorge d’eau. Les arbres, la chaussée, les corps, les vêtements. Moiteur, sueur, transpiration. 
À Kurseong, l’escalade est terminée. La route reste chaotique, sinuant sur une sorte de plateau. Plus qu’une trentaine de kilomètres, c’est-à-dire près d’une heure et demie de voiture. 
L’eau devient brouillard et le paysage disparaît. Effacé, gommé, avalé. Nous ne vivons plus que dans une peau de quelques mètres. Ni profondeur, ni épaisseur. L’au-delà est affaire de mémoire, rêve et imagination. Je vivrai ainsi trois semaines durant à Darjeeling. Sans perspective, emballé dans un cocon de coton. 
Chaque matin, dès cinq heures, aux premières loges depuis ma chambre qui domine la ville, j’observe le combat du soleil contre la brume. Presque à chaque fois perdu, et si succès il y a, il est de courte durée : il est vain de lutter contre la reine des lieux. Aussi, le plus souvent, mon horizon s’arrête aux ruelles qui dévalent les pentes et aux toits des maisons qui s’accrochent les unes aux autres.
 

 

(Extrait de mon livre Par hasard et pour rien)

 

9 févr. 2022

LIBERTÉ

« Il ignorait tout de la vieillesse, qui était pour lui une notion lointaine et abstraite ; tout ce qu'il savait de la vieillesse, c'est qu'elle est une période de la vie où l'âge adulte appartient déjà au passé ; où le destin est déjà achevé ; où l'homme n'a plus à redouter ce terrible inconnu qui s'appelle l'avenir ; où l'amour, quand nous le rencontrons, est ultime et certain. » (…)

Mais pourquoi Kundera qualifie-t-il de terrible, « l’inconnu qui s’appelle l’avenir » ? Pourquoi redouter ce qui est notre seule vraie source de liberté : sans l’incertitude liée à l’imprévisibilité du futur, chacun de nous serait prisonnier d’un scénario écrit à l’avance, et avec un bon logiciel, toute l’humanité pourrait être mise en boîte. Tant qu’il reste de l’inconnu, la vie est ouverte, inattendue et fantasque. Donc possible.

Non, ce qui est terrible, c’est l’inverse : l’idée qu’un « destin soit déjà achevé », que l’amour comme le reste devienne « ultime et certain ». (…)

Ne pas avoir accès à son passé n’est pas sans avantage : se souvenir, c’est la porte ouverte aux supplices, être l’otage de son passé, être identifié à celui que l’on était il y a un jour, un mois ou un an, éprouver le manque d’un moment chéri ou d’un être aimé, avoir besoin d’éviter celle ou celui qui nous a fait souffrir, rejeter un présent jugé fade au regard de ce que l’on a vécu avant.

Oublier, c’est être libre chaque matin, repartir d’une copie blanche, être perpétuellement neuf, une page vierge, prête à être imprimée par une nouvelle rencontre.

Grâce à ma mémoire de poisson rouge, je ne suis prisonnier ni de ce que j’ai fait, ni de qui j’ai rencontré, ni de qui je pourrais dépendre. Sans préjugés, sans regrets, sans amis, sans amours, je vis protégé des autres et des conséquences de mes actes.

Voilà donc comment j’ai vécu jusqu’à présent. En privilégiant liberté contre lien, futur contre passé.

 

(Extrait de mon livre Par hasard et pour rien)

8 févr. 2022

CAILLOUX

Des jeux solitaires, 
L’odeur de Wycliffe, 
Paul et Serge, 
Les couloirs des Beaux-Arts, 
Les rumeurs de ma première exposition. 
Et un peu de mes parents. 
 
Des cailloux disjoints, 
Distants, 
Sans liants, 
Sans histoire, 
Sans récit, 
Sans chemin dessiné. 
 
Un passé mis en pièces, 
Démonté, 
Désorganisé, 
Dépourvu de sens. 
Des traces. 
Un puzzle impossible.
 
 
(poème inspiré par mon livre Par hasard et pour rien