26 févr. 2010

ARRÊTONS DE MATHÉMATISER NOTRE PENSÉE ET DE LIRE LE FUTUR DANS LE MARC DE CAFÉ DE NOTRE PASSÉ

______ Éditorial du vendredi ________________________________________________________________

Rappel du patchwork de la semaine :
- Lundi : L'incertitude est partout et plus rien n'est certain. À court terme, on ne peut que probabiliser ce qui risque d'arriver. Au-delà, c'est le flou et, au mieux, on dessine des futurs possibles.
- Mardi : Malgré le flou, nous continuons à tout vouloir quantifier. Nous voulons prévoir ce qui ne peut pas l'être, et mettre la vie en équation.
- Mercredi : De plan d'économie en plan d'économie, bon nombre d'entreprises, à l'instar des modèles qui marchent sur les podiums de la mode, deviennent anorexiques et cassantes. Prenons garde à préserver la part de flou nécessaire pour faire face aux aléas.
- Jeudi : Paradoxalement, plus l'expertise d'une entreprise progresse, plus elle risque de se couper de la réalité et devenir autiste. Pensons à faire le vide et à ne mobiliser nos savoir-faire qu'a posteriori.

Quand j'observe nos débats collectifs actuels – qu'ils soient politiques, économiques ou sociaux –, je crois que nous tombons le plus souvent dans les travers que j'ai exposés pour les entreprises :
- Nous n'arrêtons pas de manipuler des chiffres et des indicateurs dont le sens et la réalité restent à démontrer : la non-représentativité du taux de croissance a encore été démontrée récemment, mais nous continuons à le suivre obsessionnellement. Sommes-nous sûrs qu'un taux d'inflation mesure autre chose que le résultat du calcul mathématique effectué ? En quoi signifie-t-il vraiment l'évolution du niveau de vie ? Comment pourrions-nous prendre en compte le développement des transactions non-marchandes ? …
- Nous restons avides de prévisions et d'anticipations qui sont quotidiennement démenties : la moindre variation d'un indicateur – qui, par ailleurs, n'est pas significatif d'une réalité – fait l'objet de multiples analyses qui débouchent inévitablement sur des projections et des anticipations. Nous transformons la prospective en une redécouverte de l'alphabet, en passant de la reprise en V, à celle U ou en W. Quand est-ce que l'on comprendra que la bonne lettre est le O, car nous ne faisons que tourner en rond !
- Nous atteignons dans plusieurs domaines l'anorexie : comment pouvons-nous espérer avoir un système éducatif performant avec des niveaux de salaires des enseignants qui les situent au niveau d'ouvriers à peine qualifiés ? Comment exercer sereinement le métier de juge quand les affaires se succèdent à un rythme toujours croissant ? Comment penser que notre système pénitentiaire lutte contre l'insécurité quand les conditions d'hébergement sont dégradées à ce point ? Et dans le même temps, sans états d'âme, nous rajoutons encore une couche de macadam à nos routes déjà excellentes, construisons de nouveaux ronds-points ou maintenons un train de vie versaillais à toutes nos structures politiques, nationales comme locales, …
- Nous regardons le futur à la lumière de ce qui s'est passé : La plupart des experts qui mobilisent et organisent la débat public, sont enfermés dans leurs savoirs et cherchent à lire ce qui se passe au travers de leurs lunettes déformantes. Ils devraient d'abord oublier leurs certitudes pour essayer de comprendre où sont ces mers vers lesquelles va notre monde…

4 commentaires:

Le Blog de Paule Orsoni a dit…

"Les hommes et leurs besoins sont au-dessus des marchés et des profits"viennent de dire les Grecs en colère; et sous les calculs mathématiques se cachent tout simplement des vies humaines.Vous avez raison de questionner le "chiffre" et je m'attarde en particulier sur le salaire des Enseignants,si l'on veut toutefois parler..chiffres :en effet il est symptomatique.On peut désormais s'inquiéter de la tournure que prendra cet ensemble de choses vouées à la plus grande incertitude

Robert Branche a dit…

Et souvent les calculs mathématiques ne représentent que le résultat du calcul... et rien de plus

chria a dit…

Bonjour mssieur Branche.
Votre article montre un aspect juste de notre société (l'incertitude augmente, les politiques ont donc besoin de plus de certitude, d'où les experts et autre modèles mathématiques). Je travaille sur le climat et je vois cela tous les jours. Le souci c'est qu'on est bien obligé de bosser avec des indicateurs, des outils prospectifs, etc. Car ce sont des demandes politiques.
J'aime bien votre concept d'interconnexion et de toile d'araignée, où les causes se propagent le long des relations et s'entremêlent de façon complexe et provocant des conséquences qui effectivement ne sont pas "prévisibles".
Suivant les théorie de l'auto-organisation et des systèmes complexes, on peut aussi imaginer que ce processus va engendrer des émergences de système ou sous-système nouveaux et "catastrophique" suivant les théories de Thom ou de rupture. Mais il semblerait que le système n'est pas encore assez complexe.
Bref, pour un politique, c'est l'enfer.
Attendez-vous à une réaction politique globale face à cette complexification. Le neuromonde balayera la politique telle qu'on la connaît, ou l'inverse. Qu'en pensez-vous ?

Robert Branche a dit…

Je crois effectivement qu'il nous faut réinventer la façon de penser et d'agir en politique. Les télescopages de notre Neuromonde vont en faire émerger les contours.
C'est une des choses à laquelle je veux contribuer, et une des raisons de fonds de ce blog et de mes livres.
J'aurai l'occasion d'y revenir dans le futur (proche...).
Ma réflexion s'appuie sur une triple question à laquelle il faudra construire des réponses :
- Comment construire des structures selon des logiques non plus seulement géographiques ?
- Comment concilier les horizons de temps du politique qui, pour des raisons démocratiques, doit rester court (sinon ce sont des dictatures de fait) et ceux de notre monde qui sont longs ?
- Comment rééquilibrer le poids des structures économiques (les entreprises) et redonner la prépondérance aux structures politiques ?