Création, voyage et lâcher prise - Interview
imaginaire (2)
Récemment, vous avez affirmé
que vous cherchiez à être la pomme de Newton. Vous prenez-vous vraiment pour
une pomme quand vous peignez ?
C’est évidemment une image ! Ce que je veux dire, c’est que je vise à
atteindre le mouvement pur et net, le déplacement brut, comme une pierre qui
tombe, comme une pomme qui suit l’attraction qui la dépasse.
La pomme qui est tombée un jour sur Newton, est tombée sans raison, sans
projet, sans but, elle est juste tombée parce qu’elle le devait, mûre à point,
incapable de résister à la force de la gravitation qui l’attirait vers le bas.
Est-elle tombée pour Newton, pour lui permettre cette percée conceptuelle qui
allait révolutionner la physique ? Non, évidemment non. Elle est tombée
gratuitement. Elle se sentait bien sur son arbre, elle ne voulait pas le
quitter, cela s’est produit, voilà tout… et cela a tout changé… ou beaucoup.
Quand je peins ou quand je voyage, ce qui est un peu la même chose pour
moi, je cherche à me rapprocher de la pomme, à avoir sa force, la force
d’attendre sur mon arbre le moment où je devrai tomber, sans projet, sans
envie, simplement par nécessité, par gravité, parce que je serai mûr.
Rêve impossible, horizon ultime. Suis-je devant une toile ou dans un lieu
comme une pomme, vide d’a priori, vide de projet ? J’aimerais, car je serais
alors dans l’émotion pure, dans la réceptivité maximum à l’instant, à ce qui
advient ou serait susceptible d’advenir. Mais non, probablement non, certainement
non. Dommage. J’aimerais devenir une pomme et attendre sur mon arbre.
Ou alors être une bouteille à la mer ballottée par les courants. Mais pas
une bouteille jetée intentionnellement, une bouteille avec un message dedans,
une bouteille dont on attend quelque chose. Non, surtout pas. Non, je voudrais
être une bouteille partie d’on ne sait où, pour aller nulle part. Une bouteille
qui flotte au hasard des flux et reflux.
Je repense aussi à ce que disait Giacometti. Il affirmait travailler
comme une mouche. La mouche, elle vole à l’aveuglette, elle ne sait pas où
aller, elle se heurte contre une vitre, encore et encore. Je n’ai évidemment
pas le talent de Giacometti, mais j’aime cette image de la mouche. Pourquoi
imaginons-nous que nous comprenons l’univers ? Pourquoi avons-nous la fatuité
de nous croire supérieurs aux mouches ? Nos vitres sont plus complexes, plus
sophistiquées, mais comme nous les heurtons, encore et encore… comme les
mouches.
(à suivre)
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