Qui voudrait changer d’enfants ?
Parfois, pour une désobéissance
de trop, une remarque de plus ou un moment de fatigue, nous pouvons avoir envie
de changer nos enfants. Mais bien vite, au contraire, pour rien au monde, nous
ne voudrions les perdre. Ils sont ce qui nous est le plus cher, la chair de
notre chair comme on a l’habitude de le dire. Donc pas question d’en
changer : qui accepterait une forme de loterie qui viendrait tous les ans
ou à des échéances plus espacées, nous proposer une nouvelle progéniture ?
Non, ces enfants, nous les avons vu
naître, apprendre à parler et à marcher, passer au travers de leur enfance et
leur adolescence, émerger petit à petit en tant qu’adultes, prenant
progressivement leur autonomie. Nous les connaissons, ils nous connaissent, et le
temps de la vie a tissé entre eux et nous, mille liens qui, bien au-delà du
seul lien biologique, nous articulent les uns avec les autres.
Cette codépendance est née d’une
transformation permanente et continue : nous ne sommes plus les adultes
qui les avons mis au monde, ils ne sont plus les nouveaux-nés qui étaient
apparus un jour. Tout au long des minutes, des heures, des jours et des années
qui se sont écoulées, nous avons évolué ensemble et séparément. Et si l’un et
l’autre, nous sommes attachés ensemble, ce n’est pas au souvenir de celui qui n’est
plus que nous sommes attachés, mais bien à cet être présent, si différent de
celui qui était, que nous le sommes.
Ainsi l’amour filial et paternel
est-il le fruit d’un mouvement, d’une transformation permanente et continue, et
en même temps le refus d’un changement : nous n’accepterions pas l’idée
d’avoir d’autres enfants, mais non plus qu’ils soient restées les bébés qu’ils
étaient. Goût de la transformation, refus du changement. Force de la vie, crainte
de la perte.
Faut-il dès lors s’étonner que,
dans notre vie professionnelle, nous rencontrions une telle opposition au
changement ? N’est-il pas logique là aussi de constater que les changements
sont vécus comme des pertes et des abandons ? Pourquoi vouloir imposer
comme critère de performance, ce que nous fuyons dans notre vie
quotidienne ? Ne faudrait-il pas éviter le changement, c’est-à-dire la
rupture, pour privilégier la transformation, c’est-à-dire l’évolution lente et
imperceptible ?
Je crois donc que l’on a fait
fausse route – et qu’on le fait encore trop souvent –, quand on promeut le
changement permanent dans les entreprises.
Comme je l’ai déjà souvent écrit,
le bon fonctionnement des organisations et des relations entre les hommes et
les femmes qui les composent, suppose :
-
une connaissance intime du rôle
de chacun, de celui des autres et de ce qui est visé,
-
une complexité croissante des
processus et des systèmes qui sous-tendent et facilitent les actions humaines,
-
une reconnaissance par les tiers
extérieurs à l’entreprise, qu’ils soient clients, fournisseurs ou compétiteurs.
Si l’on
change souvent les organisations ou les objectifs poursuivis – les mers visés pour
reprendre ma terminologie –, on ne pourra pas construire une réelle efficacité, et les hommes ou les
femmes ne pourront adhérer, ni comprendre à ce qui n’est pour eux qu’une perte
ou un abandon, celle des enfants qu’ils avaient adoptés et dont ils se
souviennent.
A
l’inverse, si chaque jour, l’entreprise ciselle son organisation, affine sa
stratégie, et optimise un peu plus chacun de ses actes, elle se transforme
continûment, et les hommes et les femmes qui la composent s’investiront
progressivement davantage dans ce qu’ils vivront comme un processus vivant et
enrichissant.
2 commentaires:
Je suis d'accord avec ce qui est écrit mais il me semble qu'il y a des "transformations" qui sont par nature des ruptures et pour lesquelles ce qui est communément appellé Changement et les méthodes de conduite du changement sont pertinentes. Un exemple est l'installation d'un Logiciel intégré de gestion (ERP) global en remplacement de nombreux logiciels indépendants.
Pour reprendre votre métaphore, il ne s'agit pas de changer un de nos enfants mais de changer ses vétements.
Ce que vous appelez transformation me semble plus se situer au niveau des stratégies, cultures, mode de management alors que le changement avec rupture est à un niveau tactique et est plus lié aux méthodes de travail.
Je ne partage pas votre remarque concernant les ERP. Ce sont précisément des processus qui transforment en profondeur l'entreprise, tout en laissant elle-même.
Mais ce n'est peut-être qu'une question de vocabulaire.
Je vous conseille sur ce thème la lecture des livres de François Jullien, et singulièrement sa conférence sur l'efficacité
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