3 févr. 2009

No future ?

La camera est comme figée par le vide qu’elle filme. Successions de plans fixes. Alternance de décors ou paysages qui composent autant de natures mortes, venant en écho morbide à la désespérance des acteurs.
Il émane de ce film une tristesse hypnotique, sans fonds, sans solution. Rien n’est proposé, ni même esquissé. Même vieillir n’est pas une solution. Rien.
Le film commence et finit par une mort par overdose. Nous aussi, nous recevons une overdose face à l’impasse de ces vies. Nous sommes shootés, nous sombrons, petit à petit, image après image.
« Better Things » n’est pas un film, mais un cri muet… A voir d’urgence.
Il fait écho à « Everything is fine ». Là c’est un adolescent dont les 4 copains viennent de suicider et qui se retrouve seul face à sa douleur et au vide de ses journées. Pas gai non plus, mais troublant et émouvant.
Lien évident avec des films aussi comme Paranoid Park ou Elephant de Gus Van Sant.
Prenons garde à ce que ces « no future » ne deviennent pas la marque de nos sociétés…

2 févr. 2009

POUR SORTIR DE LA CRISE, NOUS N'AVONS PAS BESOIN DE ZORROS - QUELS QU'ILS SOIENT -, BIEN AU CONTRAIRE !

J’entends de plus en plus se développer un discours dominant : la sortie de la crise va dépendre de la qualité de nos dirigeants et de la capacité de quelques uns à reprendre les manettes en main.
Ce discours est vrai en politique. Pour preuve, le niveau des attentes liées à l’arrivée de Barack Obama comme nouveau Président des États-Unis. Ou encore l’exacerbation des réactions vis-à-vis de Nicolas Sarkozy : il est tour à tour le démon ou le sauveur suivant le bord politique de l’observateur.
Ce discours est vrai dans les entreprises. L’hyper-crise actuelle provoque le plus souvent une recentralisation des décisions et un renforcement du pouvoir des PDG et de leurs équipes rapprochées. Ceci est encouragé par bon nombre de cabinets de conseil qui prônent ceci comme un levier nécessaire.
Cette raréfaction de la sphère dirigeante s’accompagne d’une diminution du nombre des experts reconnus et patentés. On assiste maintenant à un ballet bien huilé de quelques « spécialistes » – en économie, culture, politique, philosophie, … – Les plus « performants » deviennent même des « multicartes de l’expertise » capables d’apporter le bon éclairage sur à peu près tout thème ou tout sujet. Ils deviennent, en quelque sorte, le conseil d’administration de la holding de l’expertise.
Or je voudrais faire deux observations simples :
1. Nous avons vu, ces dernières années, monter en puissance la sphère financière, sphère que j’appelais dans mon livre Neuromanagement, la Neurofinance : « Le système financier, dopé par sa connectivité globale et tous les systèmes experts qui s’y rajoutent, prend une importance chaque jour croissante et capte de plus en plus de revenus à son profit… Ainsi, sans contre-pouvoir face à lui, à force de renforcer sa puissance, à force d’élargir son étendue, à force de complexifier sa structure, le système financier risque de dériver du réel, c’est-à-dire de se décarreler de la production effective de richesse. ». La crise financière actuelle est largement due à cet excès de pouvoir de quelques personnes. Comme toujours, le pouvoir absolu corrompt…absolument.
Comment, dès lors, ne pas voir comme le renforcement du pouvoir de quelques personnes – quelles que soient leurs qualités – est dangereux et inquiétant ?

2. L’accroissement de la population mondiale, la gestion des impacts sur les équilibres écologiques, le développement rapide de toutes les connexions entre individus et organisations – connexions physiques par les transports, immatérielles par Internet -, et la sophistication croissante du fonctionnement de nos sociétés – multiplication des associations, spécialisation des entreprises, … – viennent accroître de façon exponentielle la complexité du fonctionnement de nos systèmes. Il est de moins en moins possible à un petit nombre d’individus d’intégrer cette complexité et de trouver le bon chemin. Prévoir, anticiper devient de plus en plus une gageure (cliquer pour voir ma série d’articles sur ce thème).
Comment imaginer que la solution va venir d’un renforcement de la centralisation, c’est-à-dire par une diminution de la capacité auto-adaptative ?

Ainsi, je suis convaincu que, plus nous allons confier la sortie de la crise à un club restreint de dirigeants politiques et économiques, s’appuyant sur une poignée de gurus, plus nous allons en amplifier la profondeur. Et ceci n’est pas dû à la compétence de ces « élus ». Non, ce n’est pas simplement pas la bonne approche : la crise est précisément venue d‘un excès de concentration.

Nous ferions mieux de nous inspirer du mode de fonctionnement des organismes vivants et du moteur de l’évolution : il repose sur un principe d’auto-organisation (voir notamment les travaux d’Henri Atlan ou Francisco Varela). La forme, le sens, la direction ne sont pas « pensés » ou « décidés » a priori, mais sont la résultante des actes et des interactions entre des agents multiples et codépendants : ils « émergent »…

Ainsi que l’écrit Francisco Varela dans L’inscription corporelle : « Le système entier ressemble à un patchwork de sous-réseaux assemblés par un processus complexe de bricolage bien plus qu'un système résultant d'une conception unifiée, claire, nette et précise... Les esprits consistent en un grand nombre « d'agents » dont les aptitudes sont fortement circonscrites : chaque agent pris individuellement n’opère que dans un micromonde de problèmes de petite échelle ou problèmes « jouet »... Ce faisant, l’esprit émerge comme une sorte de « société ». »

Vaste programme à appliquer pour repenser nos modes de management de nos entreprises, nos sociétés, et, par là, notre monde…

En liaison avec cet article, lire mes articles sur :
- Comment distinguer les faits et les opinions
- Pourquoi prévoir est un art paradoxal et "impossible"



31 janv. 2009

REFUSONS LE HOLD-UP MÉDIATIQUE DU "LES FRANÇAIS PENSENT QUE…"

Ouvrez au hasard une radio ou une chaîne de télévision, et très vite, vous allez entendre : « Les Français pensent que… », ou « Oui, mais les Français ne sont pas prêts… », ou bien encore « C’est clair que la manifestation d’hier veut dire… »… Et ces propos peuvent être tenus indifféremment par un journaliste, un économiste, un syndicaliste ou un homme politique.
Ces « experts » des media nous assènent ces affirmations sans même prendre la peine de les justifier. Ils n’en ont pas besoin, car ils s’approprient « de façon magique » le point de vue de la société : agissant comme des medium modernes, des « cartomanciens » de l’opinion, ils savent ce que les Français veulent, ou, si leur pouvoir est plus limité, ce qu’une catégorie – les professeurs, les ouvriers, les marseillais, les beurs… c’est selon – veut. Magie de l’affirmation. Hold-up médiatique.

Car sauf exception, ils n’ont aucun sondage, ni aucune mesure qui viennent appuyer leur propos. Non, ils n’en ont pas besoin. Ils savent « par essence ».

Commode pour éviter de répondre à une question. Pourquoi en effet prendre la peine de justifier quoique ce soit, puisqu’il suffit de répondre par « Ce n’est pas possible puisque les Français n’en veulent pas » ? Simple et efficace, non ?
Je ne sais pas pour vous, mais je suis de plus en plus fatigué de voir ces « soi-disant experts » venir me voler mon opinion, sans même d’ailleurs me la demander, mais en l’inventant. Halte à ce hold-up !
Souvent dans mon métier de consultant, j’ai entendu des dirigeants me dire : « Oui, bien sûr, je suis d’accord avec vous ; mais mon entreprise, elle, n’est pas prête ». En moi-même, à chaque fois, j’ai pensé : « Bien, donc lui n’est pas prêt et il faut que je comprenne pourquoi. Pour l’entreprise, on verra ensuite ce que les gens pensent à l’intérieur. »

Là aussi le mécanisme est le même : quand un « expert » a besoin d’en appeler à un témoignage extérieur dont personne ne peut vérifier la véracité – pas facile de convoquer au pied levé les Français dans un studio de radio ou de télévision ! –, c’est qu’il n’est pas d’accord lui-même, et que, pour une raison ou une autre, il ne veut pas le reconnaître.

Que faire alors ?

Organiser une manifestation pour réclamer la libération de nos opinions et l’arrêt des hold-up ? Inefficace, car, comme ce sont les « experts » qui vont commenter notre manifestation, ils pourront « en toute bonne foi » réécrire le pourquoi du comment. Par exemple en disant : « Il est clair que la manifestation d’aujourd’hui est un appel à plus de démocratie et à plus d’engagement citoyen. Toutes choses qui viennent à l’appui de ce que je disais la semaine dernière… ».

Brûler tous les « experts » en place publique ? Irréaliste, car ils sont trop nombreux, puissants et irresponsables de leurs actes. Et oui, puisque ce sont nos opinions qu’ils relaient, de quoi pourrions-nous les accuser ?

En appeler à la vengeance divine contre ces usurpateurs ?
Oui, pourquoi pas. Je ne suis vraiment pas sûr que Dieu existe, mais cela ne coûte rien d’essayer. Et si jamais Dieu existe, comme il est la première victime de ces « experts » – combien de crimes n’a-t-on pas commis au nom de Dieu ! – , il sera pour sûr de notre côté.

Bon donc, je vais, de ce pas, mettre un cierge à Notre Dame…

En liaison avec cet article, lire mes articles sur :
- Comment distinguer les faits et les opinions
- Pourquoi prévoir est un art paradoxal et "impossible"



30 janv. 2009

JE SUIS LE CENTRE DU MONDE !

L’Atlas des Atlas élaboré par Courrier International montre la subjectivité du regard induit par une carte. Ainsi que l’écrivent Christine Chameau et Philippe Thureau-Dangin dans leur introduction : « Cet atlas ne cherche pas à donner une vision cohérente, européo-centrée du globe. Il invite au contraire à décentrer le regard, en prenant d’autres points de fuite et d’autres angles. »
L’ouvrage commence par les « Visions du monde » : selon le continent auquel on appartient, la planisphère tourne et chacun se voit toujours au cœur du monde (ci-contre en bas celle des cartographes australiens issue de ce livre, complétée de deux autres cartes trouvées sur Internet).
Or ces visions modifient la compréhension, faisant « oublier » des proximités : ainsi notre vue depuis l’Europe nous masque la proximité entre la Californie et l’Asie…

Il en est de même dans notre vie quotidienne : nos interprétations sont construites à partir de notre point de vue et de « l’endroit » où nous nous trouvons, endroit à la fois physique, culturel et mental.
Prenons conscience que ceci point de vue n’est pas absolu, mais relatif, et qu’il va nous « tromper », faussant notre analyse.
Que faire face à cette erreur de centrage, forme d’erreur de parallaxe ?
Apprendre à découvrir le point de vue de l’autre en se « déplaçant » soi-même : changer de pays, apprivoiser d’autres langues, approcher d’autres cultures, pratiquer le métissage…
Et à chaque fois, ne pas trop poser de questions – car dès que je pose des questions, que je le veuille ou non, je vais projeter ma vision du monde –, mais simplement « s’asseoir » là, dans cet ailleurs, et regarder le monde sous cet angle neuf.

Ceci est aussi bien sûr vrai pour une entreprise qui doit veiller à ne pas voir le monde – clients, technologie, concurrence, … – que depuis son point de vue. Elle aussi doit apprendre à « se déplacer » pour revisiter la pertinence de sa vision stratégique.
Quête et remise en cause sans fin.

Laissons la parole à Michel Serres qui, au tout début de son livre « Le Tiers Instruit » écrit : « En traversant la rivière, en se livrant tout nu à l’appartenance du rivage d’en face, il vient d’apprendre une tierce chose. L’autre côté, de nouvelles mœurs, une langue étrangère certes. Mais par-dessus tout, il vient d’apprendre l’apprentissage en ce milieu blanc qui n’a pas de sens pour les rencontrer tous… Les instituteurs se doutent-ils qu’ils n’ont enseigné, dans un sens plein, que ceux qu’ils ont contrariés, mieux, complétés, ceux qu’ils ont fait traverser ?... Car il n’y a pas d’apprentissage sans exposition, souvent dangereuse, à l’autre. Je ne saurai jamais plus qui je suis, d’où je viens, où je vais, par où passer. Je m’expose à autrui, aux étrangetés. »

On ne peut mieux dire !


29 janv. 2009

ON N’EST PAS À L’ORIGINE DES CHOSES, ON SE TROUVE SIMPLEMENT À L’ENDROIT OÙ ELLES SE PRODUISENT.

« Issue de la culture asiatique, et plus précisément bouddhiste, cette idée est dérangeante pour notre logique occidentale : comment se pourrait-il qu’avec nos écoles de management et d’ingénieurs, nos ressources techniques et financières, nos manuels, nos modèles mathématiques… nous ne soyons que le jouet des événements, sans prise sur eux ? Vraiment déraisonnable cette idée ?
Et pourtant, quand on repense aux situations réelles, les succès ne sont-ils pas souvent plus des opportunités qui se sont présentées et que l’entreprise a su saisir plus vite et plus efficacement ? A-t-elle créé les situations ou les a-t-elle repérées et exploitées ?

Prenons l’exemple de Microsoft. On pourrait écrire son histoire comme le fruit d’une stratégie pensée et remise en cause à chaque fois au bon moment. Une autre lecture est possible : celle de la capacité de Microsoft à s’être trouvé au bon endroit, au bon moment et d’avoir fait alors les bons choix, puis d’avoir excellé dans la mise en œuvre.

Première étape initiale dans les années 70. IBM considère que le système d’exploitation du petit ordinateur qu’il veut lancer – le PC – n’est pas stratégique, décide de le sous-traiter et le confie à une équipe proche. Microsoft est né et va se développer d’abord dans l’ombre d’IBM. Sa naissance n’est pas le fruit d’une stratégie propre mais le résultat du choix fait par IBM. Microsoft est né de la volonté de Bill Gates de créer une société, de regarder les opportunités qui se présentent à proximité de lui et de saisir celle-là.

Deuxième étape dans les années 80. En parallèle, Apple s’est créé et a fait le choix d’une solution intégrée autour de son système d’exploitation. Ce système est largement préféré par tous les utilisateurs : il est beaucoup plus simple d’accès et plus ergonomique que le système MS-DOS développé par Microsoft. Face à cette concurrence qui progresse, Microsoft veut avoir un nouveau système d’exploitation compétitif. Mais il n’y arrive pas, du moins pas assez vite à son goût. Alors il s’adresse à Apple pour avoir une autorisation de licence de son système. Restant fidèle à sa vision intégrée, Apple refuse et Microsoft n’a pas d’autre solution que de s’obstiner. Finalement, Windows naît. Le système est imparfait, car MS-DOS reste sous-jacent derrière le système Windows. Mais, Microsoft sait compenser ceci par la qualité de son marketing opérationnel, et notamment les accords passés avec les fabricants de PC. À nouveau c’est le choix d’un autre qui conditionne le sien : Microsoft a suivi la dynamique créée par Apple, a été contraint par son refus de le licencier et a pallié le handicap logiciel par la puissance de la distribution.

Troisième étape dans les années 90. Arrive l’essor d’Internet et une nouvelle menace : Netscape. Au début Microsoft ne croit pas à l’importance du phénomène Internet et l’ignore. Quand elle en prend conscience, Netscape domine le marché des navigateurs et personne n’imagine qu’elle puisse être délogée. Microsoft se lance dans un sprint pour imposer son navigateur Internet Explorer. Elle va y arriver à nouveau non par une meilleure performance logicielle, mais par l’intelligence de son marketing opérationnel. Cette fois encore elle n’est à l’origine ni d’Internet, ni du concept du navigateur, mais a su mieux que d’autres à ce moment-là en tirer parti. On peut vraiment parler d’excellence opérationnelle, notamment dans sa capacité à se remettre en cause : elle a su rester connectée au réel et revoir son interprétation.

Résultat : Microsoft se retrouve aujourd’hui une des entreprises les plus puissantes au monde non pas tant parce qu’elle a anticipé les changements, mais bien parce que :
- elle s’est trouvée au bon endroit, au bon moment,
- elle a su mieux que d’autres en tirer parti,
- elle a repéré les changements dans son marché et senti les changements de courant,
- elle est restée en éveil, alors même qu’elle était devenue grande et puissante.

Aujourd’hui elle fait face à un nouveau défi avec la montée en puissance de Google. La quatrième étape est en train de s’écrire…

De nombreux autres cas d’entreprises sont du même type : McDonald a su industrialiser le hamburger, Coca-Cola le soft-drink, L’Oréal repérer le shampooing aux USA.
Ainsi un mouvement efficace doit s’inscrire dans les forces qui l’entourent et en tirer parti.

Et notre libre arbitre dans tout ceci ? On ne deviendrait Microsoft, McDonald ou L’Oréal que par chance ? Bien sûr que non !

Sentir les opportunités et exceller dans la mise en œuvre, voilà le libre arbitre réel et efficace :
- Savoir exploiter les marges de manœuvre et les degrés de liberté qui existent au sein du réseau des forces et du champ de contraintes : mieux lire la réalité de la situation, grâce à l’efficience du système qui connecte l’entreprise au réel et élabore des interprétations pertinentes ; identifier les options possibles en passant des interprétations à l’élaboration de scénarios ; exceller dans la mise en œuvre.
- Si le réseau de contraintes amène l’entreprise dans une direction qu’elle refuse, savoir se déplacer et « changer d’endroit » : modifier son portefeuille d’activités par des cessions/acquisitions ; aller vers de nouveaux marchés en inventant de nouvelles applications ;... »
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(EXTRAIT DU LIVRE NEUROMANAGEMENT)

Vidéo : "Pourquoi ce blog ?"



28 janv. 2009

ON SAUTE RAREMENT D’UN AVION SANS PARACHUTE

« Imaginons-nous un instant dans un avion. Mon objectif est de vous faire sauter en parachute. Si vous n’avez jamais sauté, si vous ne vous êtes même jamais exercé au sol, je vais avoir du mal à vous persuader de sortir de l’avion… et vous aurez raison. Inutile de dire que, sans parachute, aucune chance de vous faire sauter : j’aurais beau vous parler du plaisir de se trouver en l’air ou de l’intérêt de ce qui nous attend une fois arrivé, rien n’y fera.
À l’inverse, si vous êtes expérimenté, une simple explication va vous amener à sauter. Ainsi ce qui va déclencher la décision de sauter, ce n’est pas tant la perspective du gain attendu que l’appréciation du risque à prendre pour atteindre ce gain. Cette appréciation n’est pas absolue, mais relative à l’expérience de la personne : c’est l’interprétation du risque qui compte.

Autre situation : vous êtes maintenant au bord d’une rivière et mon objectif est de vous la faire traverser. Je vous ai expliqué que vous alliez trouver de l’autre côté quelque chose qui correspond à ce que vous aimez et recherchez, ce qui signifie que j’ai déjà fait l’effort de projeter sur vous non pas pourquoi moi je veux que vous traversiez, mais bien pourquoi vous, vous y trouveriez un intérêt personnel.
Vous avez envie d’y aller, mais vous regardez l’eau qui tourbillonne devant vous. Vous savez nager, vous pouvez traverser, mais finalement vous avez peur de cette eau et restez immobile. À ce moment, arrive sur votre rive une menace importante, par exemple un animal sauvage ou un feu.
Entre ce risque certain et immédiat et le risque potentiel de la traversée, vous vous décidez à plonger, ce d’autant plus que vous savez que de l’autre côté vous allez trouver ce que vous cherchez.
Ainsi donc finalement, le déclencheur aura été plus la peur que l’attraction : votre interprétation du risque a été différentielle. Elle est ainsi fonction de l’expérience passée – Quelle est mon évaluation du risque lié à la traversée ? – et de la criticité de la situation présente – Quel est le risque à ne pas bouger ? –.


Dernière histoire : celle du Petit Poucet. Simplifions-la : les parents n’ont plus de quoi nourrir leurs enfants et décident de les abandonner dans une forêt. Le Petit Poucet avec ses frères doit revenir à la maison sans y être du tout préparé. Il va avoir de lui-même à résoudre tous les problèmes : comment retrouver son chemin, comment arriver à prendre le leadership sur ses frères, comment faire face aux menaces rencontrées…
Pour déclencher cette action, les parents ont employé une solution extrême : l’abandon – comme si je vous avais poussé tout à l’heure de l’avion –. L’ensemble joue avec les peurs des enfants et reste dans nos mémoires comme une expérience effrayante.

Nous sommes tous d’accord pour considérer que les parents du Petit Poucet, même s’ils avaient à faire face à une situation dramatique, ont recouru à une solution évidemment condamnable.

Repassons maintenant à l’entreprise. Quand un manager fixe à l’un de ses collaborateurs un objectif sans s’être assuré qu’il a les ressources techniques et humaines pour les atteindre, il est dans l’attitude des parents du Petit Poucet : « Je vous largue dans la forêt, à vous de vous débrouiller ! ». Le collaborateur n’exprimera probablement pas ses craintes, intériorisera son stress… et fera tout pour ne pas aller dans cette forêt. Idem quand une Direction Générale fixe une cible sans avoir réfléchi au chemin.
À l’inverse, si les parents du Petit Poucet lui avaient fait suivre au préalable un stage de formation sur la traversée d’une forêt et la conduite à suivre, s’ils lui avaient fourni dans un sac à dos un matériel de survie, et si, alors seulement, ils l’avaient laissé seul avec ses frères dans la forêt, toute la fable serait changée et cesserait d’être effrayante : elle deviendrait une sorte d’aventure scoute avec pour seul risque d’avoir à faire un bivouac…

Dans tous ces exemples, un point commun : l’analyse du risque. Le risque n’a pas une valeur intrinsèque, il est relatif : je vais comparer ma perception du risque de la situation actuelle au risque du changement. Revenons un moment sur l’exemple de l’avion : si celui-ci est en feu, dans tous les cas, je saute, sauf évidemment sans parachute ! Ainsi plus le changement sera perçu comme risqué, plus il sera difficile à déclencher. À la limite, si le risque est perçu comme infini, rien ne pourra déclencher… »

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(EXTRAIT DU LIVRE NEUROMANAGEMENT)

Vidéo : "Les entreprises sont-elles meilleures en situation de danger ?"


27 janv. 2009

SAVOIR ÉVITER UN CHIEN

« Comme le dit Antonio R. Damasio dans l’Erreur de Descartes : « Arriver à une décision demande de posséder des informations relevant de toutes sortes de domaines, et d’être en mesure de leur appliquer certaines stratégies de raisonnement. » (Opus P. 115)

De la même façon, la Direction Générale doit être capable de construire des scénarios intégrant l’ensemble des informations pertinentes situées dans l’entreprise. Ces informations portent sur :
- Le fonctionnement interne : l’état de performance instantanée ou « l’état du corps » pour l’individu,
- La mémoire : l’expertise cumulée ou « les souvenirs de ce que l’on a vécu ou pensé »,
- Le dehors : ce qui se passe en ce moment ou « ce que je vois, sens, entends, touche ou goûte ».
Cette connexion peut se faire sur activation de la Direction Générale, lorsqu’elle veut mobiliser les réseaux de l’entreprise pour construire une vision de la situation. Elle peut aussi se faire « spontanément » quand apparaît en un point quelconque de l’entreprise un élément que « cherche » la Direction Générale.
Arrêtons-nous sur ce point : qu’est-ce que je veux dire par « cherche » ?

Retour sur l’individu et la neurobiologie : une des clés du bon fonctionnement du cerveau est dans la capacité de la remontée de l’inconscient vers le conscient, soit pour propager une alerte lorsque la survie est en jeu, soit pour signaler l’obtention d’une solution possible lors d’un processus d’innovation. Dans le premier cas, la remontée fonctionne parce qu’il existe le moteur émotionnel ; dans le deuxième, parce que la phase initiale a positionné consciemment le problème et précisé ce que l’on recherche.

Revenons à l’entreprise : ce que cherche donc la Direction Générale, c’est être prévenue soit d’une évolution des risques de survie – menace ou opportunité -, soit de l’obtention d’une information correspondant à une de ses préoccupations du moment. Pour que ceci se produise, il faut au préalable avoir :
- construit le moteur émotionnel de l’entreprise – c’est-à-dire ses conditions de survie –, et l’avoir diffusé en profondeur,
- explicité les priorités de la Direction Générale et ce qui est de nature à nourrir les réflexions, et avoir aussi diffusé l’ensemble.
Tout le monde dans l’entreprise doit avoir une vue commune de ce qui peut mettre en cause la survie et de ce que sont les objectifs de la Direction Générale. Les enjeux de survie sont à plusieurs horizons : à court terme comme la fabrication, les ventes ou la trésorerie ; à moyen terme comme les investissements, les produits nouveaux ou le marketing ; à long terme comme le portefeuille stratégique, les acquisitions ou les diversifications.

Mais quand le chien s’est précipité vers moi lors de ma course, l’information n’est pas arrivée brute à ma conscience : elle a d’abord été traitée par la zone du cerveau chargée de la vue et a été élaborée une image qui était une représentation visuelle complète du chien. En parallèle, des premiers traitements cognitifs inconscients ont eu lieu pour calculer sa trajectoire, qualifier l’objet, rechercher dans ma mémoire des éléments pour l’identifier, évaluer le degré de risques et associer le tout à l’émotion issue de mon enfance. Enfin, toujours inconsciemment, une action immédiate d’évitement a été décidée et mise en œuvre. Ainsi j’ai pu décider quoi faire en connaissance de cause et en ayant déjà pris de premières mesures de sauvegarde.

Pour l’entreprise, l’analogie se poursuit : ce dont a besoin la Direction Générale, ce n’est pas d’une information brute, mais bien d’une information prétraitée et qualifiée, avec les différentes « interprétations » possibles, c’est-à-dire des analyses. De même si cela est nécessaire, sans attendre l’intervention de la Direction Générale, des mesures d’évitement doivent être prises là où l’action doit être faite. Ainsi la remontée d’une alerte doit en parallèle avoir initié une réponse appropriée et « automatique » en attente des décisions venant de la Direction Générale. »
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(EXTRAIT DU LIVRE NEUROMANAGEMENT)

Vidéo : "Les entreprises peuvent-elles commettre des erreurs d'interprétation ?"



26 janv. 2009

NE NOUS LAISSONS PAS BERNER PAR LA « MAGIE DES BATTEMENTS DE L’AILE D’UN PAPILLON »

Je prolonge ma réflexion sur la difficulté à prévoir une évolution future et sur notre propension à reconstruire a posteriori la logique passée (voir « Plus facile d’expliquer a posteriori que de prévoir a priori », « Il est bien trop tôt pour se prononcer sur la Révolution Française » et « Résonances entre dérive naturelle et cygne noir »).

J’aime beaucoup l’histoire du « battement de l’aile d’un papillon ». Je pense que la plupart d’entre vous la connaissent : dans certaines circonstances, un simple battement d’aile d’un papillon à un bout du monde peut provoquer plus tard un bouleversement climatique à l’autre bout du monde.

Magie des signaux faibles, de ces phénomènes apparemment sans importance qui, par la propagation d’une « fissure », vont avoir des effets disproportionnés par rapport au changement initial. Ou encore comme l’écureuil irrésistible de l’Age de glace qui, à cause de sa noisette, va fissurer la banquise et déclencher une catastrophe.

Oui, sympathique tout cela. Mais j’aimerais poser 2 questions simples :

- Comment peut-on vraiment prétendre isoler les effets d’un seul événement – surtout quand il s’agit d’un phénomène de faible amplitude –, et être sûr que c’est bien à cause de lui que se produit plus tard un changement majeur ? Ou autrement dit, peut-on isoler un processus de propagation et garantir qu’il n’y a pas des interférences d’un autre ensemble de « battements d’aile de papillon » ? Souvenir de mes études scientifiques et de quelques lectures depuis, j’ai comme un doute sur la possibilité d’une démarche fiable : tout est tellement entremêlé que je ne vois pas bien comment on peut démêler les fils…

- En admettant que mes doutes ne soient pas justifiés et que le phénomène soit bien provoqué par ce seul battement d’aile de papillon ou par cet écureuil un peu fou et amoureux de sa noisette, comment repérer au début le bon papillon ou le bon écureuil – il est vrai qu’il n’y a pas beaucoup d’écureuils sur la banquise ! – ? Vous faites face à une nuée de papillons et vous allez être capable d’un coup d’œil de trouver non seulement quel est le bon papillon, mais quel battement est celui qui va tout déclencher. Vraiment ? Et sinon, à quoi cela sert-il de reconstruire a posteriori une chaîne de causalités, chaîne dont la « solidité » reste à prouver ?

Nous avons un tel besoin d’explication, de « logique » et de cartésianisme que nous avons du mal à accepter une situation telle qu’elle, sans savoir d’où elle vient et ce qui a pu la provoquer.

Attention alors à ne pas construire des raisonnements trop simplistes et à nous laisser berner par la « magie des battements d’aile de papillon ».

25 janv. 2009

LES TRAINS US ROULENT « DERRIÈRE » LES CHEVAUX DE GUERRE ROMAINS !

Pas facile quand on observe une situation – que ce soit dans la vie courante ou professionnelle – de comprendre les origines, le pourquoi de ce que l’on voit ou de ce que l’on fait. Les origines sont le plus souvent obscures et cachées.

Avec notre culture occidentale, nourrie au sein du cartésianisme et à la pensée théorique – merci à la philosophie grecque –, nous avons tendance à croire à des schémas logiques, pensés, prévus… Or la plupart de temps, il n’en est rien. Ce qui s’est passé n’est que le fruit de hasards successifs, de chocs de la vie, d’une dérive évolutive (voir sur ce thème mon article « Résonances entre dérive naturelle et cygne noir »).

C’est aussi ce que je voulais évoquer dans mon article d’avant-hier sur « Clavier Azerty, inconscient et inefficacité collective ». Comment un adolescent qui tape sur son clavier pourrait-il imaginer que la localisation des touches a pour but d’éviter que des tiges métalliques se bloquent entre elles ? Pas évident…

Cet article a été publié sur AgoraVox et a provoqué de nombreux commentaires. L’un d’eux m’a signalé une anecdote du même genre : pourquoi aux USA la distance standard entre deux rails est-elle de 4 pieds et 8,5 pouces.

Je laisse pour un temps à ce commentaire issu d’un papier paru en juillet 2003 :

« Parce que les chemins de fer US ont été construits de la même façon qu'en Angleterre, par des ingénieurs anglais expatriés, qui ont pensé que c'était une bonne idée car ça permettait également d'utiliser des locomotives anglaises.

Pourquoi les anglais ont-ils construits les leurs comme cela ? Parce que les premières lignes de chemin de fer furent construites par les mêmes ingénieurs qui construisirent les tramways, et que cet écartement était alors utilisé.

Pourquoi ont-ils utilisé cet écartement ? Parce que les personnes qui construisaient les tramways étaient les mêmes qui construisaient les chariots et qu'ils ont utilisé les mêmes méthodes et les mêmes outils.

Okay, pourquoi les chariots utilisent un tel écartement ? Et bien, parce que partout en Europe et en Angleterre les routes avaient déjà des ornières et un espacement diffèrent aurait causé la rupture de l'essieu du chariot.

Donc, pourquoi ces routes présentaient-elles des ornières ainsi espacées ? Les premières grandes routes en Europe ont été construites par l'empire romain pour accélérer le déploiement des légions romaines.

Pourquoi les romains ont-ils retenu cette dimension ? Parce que les premiers chariots étaient des chariots de guerre romains. Ces chariots étaient tirés par deux chevaux.

Ces chevaux galopaient côte-à-côte et devaient être espacés suffisamment pour ne pas se gêner. Afin d'assurer une meilleure stabilité du chariot, les roues ne devaient pas se trouver dans la continuité des empreintes de sabots laissées par les chevaux, et ne pas se trouver trop espacées pour ne pas causer d'accident lors du croisement de deux chariots.

Nous avons donc maintenant la réponse à notre question d'origine. L'espacement des rails US (4 pieds et 8 pouces et demi) s'explique parce que 2000 ans auparavant, sur un autre continent, les chariots romains étaient construits en fonction de la dimension de l'arrière train des chevaux de guerre. »

Je ne sais pas si cette explication est exacte – si vous avez des informations la confirmant ou l’infirmant, n’hésitez pas à réagir –, mais elle me paraît plausible. Et elle est surtout une illustration parfaite de mon propos : comment imaginer a priori un tel enchaînement ?

Finalement ce n’est qu’a posteriori que l’on peut savoir pourquoi et comment les choses se sont passées.

Décidément, comme je le concluais dans mon billet intitulé « Il est bien trop tôt pour se prononcer sur la Révolution Française » : « Oui la prévision est un art impossible. Et pourtant il faut bien en faire. Paradoxe de toute réflexion stratégique… »



24 janv. 2009

VEUT-ON DÉVISSER OU ENFONCER DES CLOUS ?

J’ai rarement quelqu’un s’obstiner à desserrer des vis avec un marteau ou enfoncer des clous avec un tournevis…
Alors si vous voulez que quelqu’un enfonce des clous, ne lui donnez pas de tournevis, mais plutôt un marteau … et faites lui confiance : pas besoin de lui expliquer ce que vous attendez de lui. Il n’est pas stupide, une fois qu’il est muni d’un marteau, il va vite comprendre ce qu’il doit faire. Ne craignez pas de le voir plus tard en train de dévisser.
J’enfonce des portes ouvertes. Oui, peut-être… mais pas tant que cela.
Mon expérience de consultant m’a montré que certains dirigeants ne comprenaient pas pourquoi, dans leur entreprise, le personnel ne faisait pas ce que l’on attendait de lui. Très souvent, c’est parce que, alors que l’on voulait qu’il « enfonce des clous », on lui avait « donné des tournevis »… et, alors tout le monde cherchait des vis.
La rationalité n’était pas dans ce cas du côté du dirigeant : l’outil structure les comportements plus que les discours !