13 déc. 2010
« ON NE DOIT PAS S’INTERDIRE DE RALENTIR LA BOURSE »
Il est suffisamment rare de voir un dirigeant en appeler à un ralentissement, pour ne pas relever les propos tenus le 9 décembre dernier par Jean-Pierre Jouyet, Président de l'Autorité des marchés financiers, dans le Monde et repris par le Figaro.
Dans cet article, en réponse à la question « Doit-on ralentir le marché ? », il répond :
« Cela relève plus d'une réflexion du G20 que de l'Europe, mais il faut réfléchir à ce qu'apporte cette accélération des échanges : quels sont les bénéfices financiers, économiques, pour quelle utilité sociale ? On ne doit pas s'interdire de ralentir les transactions si cela fait courir un risque systémique et facilite les abus de marché. »
Enfin la bonne question : en quoi, l'accélération des échanges crée-t-elle une valeur réelle ? Et j'ajouterais : en quoi la volonté de tout faire plus vite, crée-t-il une valeur réelle ?
Comme j'aime à le dire, on ne peut pas réfléchir vite à long terme. Ou encore, s'il suffisait de courir pour être efficace, toutes les entreprises le seraient, car je n'y vois que des gens courir (1)…
Il est donc urgent de prendre le temps… de réfléchir sur le temps et la vitesse. Mon propos n'est évidemment de proposer de tout ralentir, mais de se poser la question de l'adéquation entre la vitesse et le sujet traité.
(1) Voir « À force de zapper, on ne sait plus prendre le temps de la réflexion : Prendre son temps, est-ce perdre du temps ? » et « Ne plus être malade du temps : On ne peut pas penser vite à long terme »
10 déc. 2010
CERTAINS NE CHANTENT PAS POUR NE RIEN DIRE...
9 déc. 2010
POURQUOI LUTTER CONTRE L’INCERTITUDE, C’EST LUTTER CONTRE LA VIE
EPEE, société de conseil en intelligence stratégique, créée pour servir et accompagner le développement international des entreprises françaises et européennes, vient de mettre en ligne une critique de mon livre « les mers de l'incertitude » (voir l'article). La voilà in extenso.
« COMMENT DIRIGER AVEC L'INCERTITUDE
Prévisions démenties, informations contradictoires, statistiques battues en brèche, événements inattendus, retournements de situation, surprises « stratégiques », crises imprévues,… l'incertitude est omniprésente dans notre quotidien, privé ou professionnel. Dans la sphère de l'entreprise (où nombre d'entre nous passons plus de temps que dans nos familles), dirigeants et responsables doivent composer avec elle tout en assurant le maximum, possible, de sécurité et de sérénité au sein des équipes et dans leurs relations avec leur environnement.
Entre renforcement et emprise constante d'une discipline collective affirmée autour d'objectifs précis et chiffrés, que l'on espère fédérateurs et assurant la rentabilité à long terme « contre vents et marées », et politique de « l'abandon consenti aux aléas » dont il convient au contraire de tirer avantage en privilégiant la rentabilité à court terme, quel parti choisir ?
Pour Robert Branche, polytechnicien, ingénieur des Ponts et Chaussées, haut fonctionnaire (peu de temps !) puis responsable de la stratégie chez L'Oréal (1), et aujourd'hui consultant auprès des dirigeants de plusieurs grands groupes français, une troisième voie existe pourtant, qu'il explore dans cet ouvrage tout à fait original, aux titres et sous-titres intrigants et un brin provocateurs.
Fort d'une longue expérience du conseil stratégique, il développe ici l'idée selon laquelle « une entreprise, comme un fleuve, doit se fixer pour objectif une mer, qui sera son attracteur stable dans les aléas de l'incertitude ».
Mais quand on a écrit cela… il convient d'en dire plus et surtout de le démontrer faute à passer pour un doux rêveur, ce que n'est à l'évidence pas notre auteur ! Alors, après, dans une longue mais indispensable première partie, exposé pourquoi l'incertitude n'est pas provisoire mais bien structurelle, « pourquoi elle n'est pas le témoin de l'incomplétude de notre savoir, mais le moteur permanent de notre monde », et pourquoi « lutter contre elle, c'est lutter contre la vie même », Branche s'attache à répondre, avec une multitude d'exemples concrets tirés de la réalité de la vie de ses « clients », aux trois questions suivantes : quelle attitude doit avoir le dirigeant ? Comment doit-il se fixer un ou des objectifs ? Comment doit-il agir au quotidien ?
Ceci en évitant deux pièges symétriques : penser que l'on peut s'abstraire de l'incertitude : « mon entreprise est protégée ; elle maîtrise son futur et s'organise en conséquence ; elle sait mieux que les autres et le futur sera ce que j'ai prévu pour elle » et a contrario, renoncer à toute anticipation et confier son avenir à la chance : « puisque rien ne peut être prévu de façon fiable, seule l'action immédiate compte ; il est illusoire de penser le futur ». Autant de citations exactes entendues, ici reproduites par l'auteur…
… Qui recommande plutôt de tirer parti de l'incertitude, de « diriger en lâchant prise », en « abandonnant l'idée de prévoir et planifier au-delà de l'horizon immédiat », en refusant de « tout contrôler et tout piloter depuis le sommet (…), de se laisser emporter par les mouvements ambiants, de mieux maîtriser « son » temps, et d'accepter les intuitions ».
Sauf et seulement, consent-il, si l'entreprise est dans une situation d'urgence extrême, si sa survie à court terme est en jeu, si le dépôt de bilan menace…
Nous n'en dirons pas plus pour laisser à ceux que ce concept de management novateur intéresse découvrir par eux-mêmes pourquoi Robert Branche conseille à ses clients de « faire le vide », sans a priori, de ne plus être « malades du temps », tout en étant « intensément attentifs », de ne plus « tout prévoir sur tableur Excel » mais de « choisir à partir du futur et des « mers » accessibles pour choisir au présent », d'apprendre à « mettre du flou dans l'organisation », renforçant ainsi singulièrement la résilience de l'entreprise.
Et pour ceux que ce concept de « mer » intriguerait toujours, je leur conseille à mon tour la lecture (pour commencer…) des pages 108 et 109, qui ne devrait pas les laisser indifférents. »
(1) En fait j'ai été chef de groupe marketing, et non pas responsable de la stratégie
8 déc. 2010
TRAVAILLE-T-ON À SON BUREAU ?
Une conférence qui remet la notion de travail en perspective
Jason Fried, dans une conférence qui vient d'être mise en ligne sur TED.com (voir l'intégrale ci-dessous) porte un regard intéressant et amusant sur les conditions de travail au bureau. Il commence avec cette question « simple » : "Pourquoi toutes les entreprises dépensent-elles autant d'argent pour créer et équiper des bureaux, alors que, quand on interroge quelqu'un sur l'endroit où il veut aller pour réellement faire quelque chose, il ne répond jamais 'son bureau' ? »
Voici un florilège de cette conférence :
« Vous n'avez plus jamais une journée de travail, vous avez des moments de travail. »
« A cinq heures de l'après-midi, vous réalisez que vous n'avez pas fait grand chose. (…) J'étais au travail, assis à mon bureau ; je me suis servi de mon ordinateur dernier cri et du nouveau logiciel pour lequel j'ai été formé. Je suis allé aux réunions auxquelles je devais assister. J'ai eu des conférences par téléphone. J'ai fait des choses, mais je n'ai rien accompli de vraiment important. »
« Vous êtes comme quelqu'un qui, quand il se lève le matin, se dit : je n'ai pas bien dormi. J'ai fait ce qu'il fallait, je suis allé au lit, je me suis couché, mais je n'ai pas vraiment dormi. On dit que l'on va dormir, mais, en réalité, on ne va pas dormir, on s'en rapproche et cela prend un moment. (…) Aussi comment bien dormir si l'on est interrompu tout le temps ? (…) Alors pourquoi s'attendre à ce que les gens travaillent bien au bureau alors qu'ils y sont tout le temps interrompus ? »
« Toutes les discussions et décisions que vous pensiez avoir à prendre à 9 heures du matin le lundi, oubliez-les simplement et tout ira bien. Les gens auront le matin libre, ils pourront vraiment réfléchir, et vous verrez que peut-être tout ce que vous aviez prévu de faire, vous n'aviez pas vraiment à le faire. »
7 déc. 2010
SALUTAIRE CONTRE-POUVOIR OU DÉBUT DE DÉSÉGRÉGATION ?
Ce week-end, une centaine de passagers, mécontents d'un changement de plan de vol, essaient de prendre en otage leur propre avion (voir « Les passagers se révoltent: un avion de Jet4you bloqué une nuit à Toulouse ».
La semaine dernière, Cantona a lancé son appel à un boycott des banques. Cet appel relayé par Facebook et repris par tous les média se trouve amplifié par la polémique qu'il a déclenchée.
- Le crash du Concorde,
- Un policier renversé volontairement,
- Trois morts dans une avalanche,
- Cherbourg sous un mètre d'eau,
- Le cambriolage chez Ségolène Royal (deux fois)
- Les passagers qui bloquent l'avion,
- Deux enfants sauvés, suite à une rupture de la glace,
- Un SDF qui meurt de froid,
- La relaxe de Mauroy et Cohen-Solal concernant les emplois fictifs
6 déc. 2010
« TU M’EN DONNES COMBIEN DE MON LOT ? »
Tous les samedis matins, se tient à Richerenches, en Drôme provençale, le plus important marché aux truffes de France. Drôle de marché…
Du côté des offreurs, impossible de savoir exactement quelle est la quantité qui est proposée. Chacun arrive avec une sacoche plutôt ventrue. Mais ne contient-elle que des truffes ? Est-elle gonflée par d'autres objets ? Et comment savoir quelles sont la taille et la qualité de ces truffes ? Quelle est la proportion de melanosporum et de tuber ? Sont-elles noires ou blanches ?...
Du côté des acheteurs, chacun est recroquevillé dans le coffre de sa voiture, là où se passent les discussions et les transactions éventuelles. A quel prix est-il prêt à acheter ? Combien vient-il de proposer ? N'est-il intéressé que par des grosses truffes ?
Comment savoir ?
Aucune chambre de compensation n'existe, aucun tableau d'affichage n'indique le prix actuel des transactions, aucune donnée sur les quantités proposées et recherchées. Tout se passe sur le mode heuristique. On est entre soi : on n'achète qu'à un producteur connu, on ne vend qu'à un acheteur connu. On regarde, on se promène, on demande à un ami. Les allées bruissent de « Combien t-a-il proposé ? », « T'en a combien ? Elles sont comment ? », « T'as déjà vendu ? Moi, je préfère attendre, cela devrait monter ».
L'un préfère attendre, pensant que, dans quelques minutes, il pourra vendre 50 ou 100 € de plus le kilo. Un autre a vendu et se demande déjà s'il a bien fait. Un peu comme un casino, comme une roulette. Il ne manque que la présence d'une voix qui annoncerait « Attention, attention, les jeux seront bientôt faits » !
Étonnante métaphore réelle de ces marchés qui régentent le monde et fixe le prix de la plupart de nos biens. A bien y penser, il n'y a pas tant de différences entre le fonctionnement d'un marché aux truffes et celui de l'immobilier parisien ou celui de la fixation d'un cours de bourse ou d'une monnaie.
Simplement, ici à Richerenches, il n'y a ni électronique, ni d'ordinateur, et les sommes en jeu sont sans commune mesure. Finalement, c'est encore ce marché là qui reste le plus transparent…
3 déc. 2010
PRENDRE LE TEMPS D'ANALYSER LE PASSÉ
2 déc. 2010
NOUS SOMMES LIBRES ET RICHES DU CHAOS DE NOTRE PASSÉ ET DE NOS RACINES
Dans le roman de Paul Auster, La nuit de l'oracle (*), l'écrivain Sydney Orr invente un monde qui maitrise le voyage dans le temps :
« Conscient des risques de rupture et de désastre qu'elle implique, l'État n'accorde à chacun qu'un seul voyage durant sa vie. (…) Vous commencez deux cents ans avant votre naissance, en remontant à peu près sept générations, et puis vous revenez progressivement au présent. Le but de ce voyage est de vous enseigner l'humilité et la compassion, la tolérance envers le prochain. Parmi la centaine d'aïeux que vous rencontrerez en chemin, la gamme entière des possibilités humaines vous sera révélée, chacun des numéros de la loterie génétique aura son tour. Le voyageur comprendra qu'il est issu d'un immense chaudron de contradictions et qu'au nombre de ses antécédents se comptent des mendiants et des sots, des saints et des héros, des infirmes et des beautés, de belles âmes et des criminels violents, des altruistes et des voleurs. A se trouver confronté à autant de vies au cours d'un laps de temps aussi bref, on gagne une nouvelle compréhension de soi-même et de sa place dans le monde. On se voit comme un élément d'un ensemble plus grand que soi, et on se voit comme un individu distinct, un être sans précédent, avec son avenir personnel irremplaçable. On comprend, finalement, qu'on est seul responsable de son devenir. »
J'aime vraiment cette idée, non pas seulement par sa dimension poétique, mais parce que cela permettrait effectivement à chacun de percevoir combien la vie procède par tâtonnements, hasards et bifurcations. Ceci nous montrerait aussi que nous sommes le fruit de métissages, de mélanges et de transformations.
Peut-être reviendrions-nous de tels voyages un peu plus ouvert à l'autre et comprenant mieux que le choc des cultures et des différences est ce qui crée le progrès ?
Et comme l'a écrit Paul Auster, on comprendrait « qu'on est seul responsable de notre devenir » et que nous sommes libres et riches du chaos de notre passé et de nos racines.
(*) Éditions Babel, Actes Sud 2004
1 déc. 2010
LES MERS DE L’INCERTITUDE EN VIDÉO
Tout au long de ces dernières semaines, j'ai mis en ligne régulièrement des vidéos – au moins une par semaine –. Elles contribuent, – du moins je l'espère! – à rendre ce blog plus vivant.
Parmi cette liste qui commence à être longue, quatre me semblent particulièrement illustratives de mon propos.
J'ai pensé qu'il serait utile de les rediffuser dans un même article. Les voilà donc réunies :
30 nov. 2010
QUI PROFITE ET EST DÉSTABILISÉ PAR LA MONDIALISATION ?
Je poursuis ma réflexion à partir de l'évolution du RNB, telle que publiée dans mon article d'hier.
Si l'on observe la situation des pays d'Afrique du Nord et de nos anciennes colonies d'Afrique Noire, la situation est plus diverse :
- Le Sénégal et la Côte d'Ivoire voit leur situation se dégrader très fortement depuis les années 60, avec une légère inflexion pour la Sénégal depuis les années 90 : depuis 1962, l'écart vis-à-vis de la France a été multiplié par 4, passant de 10 à 40.
- Les autres pays ont une évolution rappelant celle de la Chine ou de l'Inde, mais avec des évolutions beaucoup plus lentes : du début des années 60 au milieu des années 90, accroissement des inégalités par rapport à la France, puis amélioration mais beaucoup plus lente. Le Gabon a très peu évolué dans un sens comme dans l'autre en restant toujours autour d'un rapport de 5.
La baisse depuis lors est donc là aussi d'abord un rééquilibrage, mais modeste : en 2009, l'écart entre la France et le Maroc retrouve la situation de 1980, avec la Tunisie il est encore plus grand qu'au début des années 60 …
Finalement, tout ceci montre clairement que nos sociétés occidentales se construites sur et grâce à la mondialisation et aux échanges entre nations. C'est ce qui a nourri notre croissance, jusqu'à présent. Maintenant, nous « subissons » un effet boomerang, dû au rééquilibrage. Ce dernier est rapide et brutal vis-à-vis des pays les plus défavorisés comme la Chine et l'Inde, plus lent vis-à-vis des autres. Nous sommes donc « condamnés » à faire des économies, car, en quelque sorte, nous remboursons des dettes passées.
Une dernière remarque concernant la Chine. Autant notre modèle de société, d'économie et de développement repose sur l'ouverture et les échanges avec l'extérieur, autant celui de la Chine repose sur un système historiquement fermé. Jusqu'à ces dernières années, la Chine n'a quasiment pas échangé avec l'extérieur. Depuis une quinzaine d'années, ceci a changé : flux régulier, croissant et important d'étudiants chinois dans les universités occidentales, et qui reviennent tous dans leur pays d'origine (poussés notamment par l'effet de l'enfant unique qui les ramène vers leurs parents) ; diplomatie chinoise qui prend des positions loin de ses bases pour sécuriser des accès à des ressources primaires (énergie, minerai, alimentation) ; internationalisation des entreprises chinoises.
Comment la Chine va-t-elle faire face aux conséquences de cette ouverture ? Jusqu'où cela déstabilisera-t-il le modèle culturel et politique chinois ? Nul ne sait. Mais il est certain que ce flux lent et constant qui fait croître cette ouverture, sera porteur de changements très importants.
Finalement, la mondialisation est moins une remise en cause pour nous – nous nous sommes construits grâce à elle – que pour la Chine…