Comment s’engager à cinq ans quand c’est
indispensable ?
« Vous affirmez qu’il est illusoire, voire
dangereux, de se fixer des prévisions chiffrées au-delà de l’année qui vient.
Je comprend votre propos, mais, excusez-moi d’être direct, il ne me semble pas
très réaliste. En effet, comme notre président se doit de répondre aux demandes
des analystes financiers, on vient à l’inverse de nous demander de fournir des
prévisions non plus à trois ans, mais à cinq ans. Et bien sûr, pas question de
donner des chiffres en l’air, et d’imaginer que l’on n’en sera pas comptable
ensuite. »
Voilà ce que me
disait dernièrement un dirigeant d’un grand groupe.
« Très bien,
dont acte, lui répondis-je. Si vous devez pour des raisons externes, fournir
des prévisions à cinq ans, et que vous n’avez pas le choix, faites-le. Principe
de réalité. Simplement, il me semble essentiel qu’en parallèle, vous renforciez
votre connexion au réel.
- C’est-à-dire ?
- Je m’explique. Cette prévision à cinq ans, puisqu’elle va vous engager
tant en interne que vis à vis de vos partenaires externes, vous allez la
construire le plus sérieusement possible, ce à partir de la vision actuelle du
futur à venir. Elle va reposer sur une série d’hypothèses. Ce sont ces hypothèses
que, en même temps que vous élaborer votre prévision, il faut expliciter.
- Certes, mais comment ne pas se perdre dans le détail et les faire
émerger.
- En appliquant la logique des « cygnes noirs », c’est-à-dire
en se posant la question suivante : que pourrait-il m’arriver de
pire ? Qu’est-ce qui peut me faire complètement sortir de l’épure
prévisionnelle ? Par exemple, prenez le pays où votre situation est la
plus fragile, et dites-vous : « Que se passera-t-il, si cela se généralise ? ».
Ou, prenez votre produit phare, et dites-vous : « Que se passera-t-il
s’il s’effondre ? ». Surtout ne pensez pas : « Cela n’a
aucune chance d’arriver », car, dans le monde de l’incertitude qui est le
nôtre, on ne peut plus probabiliser le futur.
Pour chacun de ces cygnes noirs potentiels, essayez d’imaginer comment
réagir, et quelles pourraient être les conséquences. Comme pour un tsunami,
pouvez-vous à l’avance déplacer des maisons, construire des digues et
construire des chemins d’évacuation ? Pour tous les cygnes noirs que vous
ne pouvez pas contrecarrer, demandez-vous alors quels seraient les signes
avant-coureurs : comment savoir qu’il est en train d’advenir.
Une fois tout ce travail fait, vous aurez d’une part renforcé la
fiabilité de votre prévision et de vos plans d’actions, et surtout vous saurez
quels sont ses points de vulnérabilités. Ce sont ces points qu’il faudra mettre
sous surveillance. C’est ainsi que vous resterez connecté au réel, et que vous
pourrez le cas échéant, revenir sur ce que vous aviez prévu, car vous vous
serez engagé sous conditions…
- Je comprends. Plus nous voulons nous projeter dans le futur, plus nous
devons mettre de l’énergie à suivre ce qui se passe réellement, et surtout ce
qui pourrait rendre nos prévisions obsolètes.
- Très exactement. C’est un travail lourd et difficile. Et il ne s’agit
pas de le laisser uniquement entre les mains des patrons de pays. En effet,
sinon chacun aura beau jeu de vous expliquer qu’il n’est plus tenu par les
prévisions faites, car elles sont caduques. C’est à vous de mener avec eux ce
travail, et de piloter le suivi des cygnes noirs. »