Transformer, c’est modifier un langage
Extrait
de Neuromanagement
Un
établissement financier avait décidé de transformer son  organisation France. L’entreprise était
classiquement structurée  en directions
régionales regroupant les agences. Ces dernières  faisaient marginalement de l’accueil physique
et majoritairement  du contact
téléphonique, et étaient « propriétaires » d’un 
portefeuille clients, ceux qui habitaient sur son territoire. Dans  la nouvelle organisation, elles ont été
maintenues, mais aucun  portefeuille
clients ne leur était plus rattaché : les appels téléphoniques  étaient gérés par un système central qui les
routait  en fonction des disponibilités
locales et de quelques critères de  priorité.
C’était un changement extrêmement important non 
seulement sur le plan technique, mais aussi sur le plan du management  puisque le rôle et le métier de chaque agent
se trouvaient  modifiés en perdant sa
dimension géographique. Dans un  changement
de cette ampleur, le rôle de la Direction - et singulièrement  des Directeurs Régionaux - est essentiel pour
indiquer  la cible et accompagner le
mouvement. Or le métier même du  Directeur
Régional était profondément changé, puisqu’il n’était  plus, lui aussi, responsable géographiquement
des clients. Le  maintien du nom « Directeur
Régional » a été un facteur de  confusion
et n’a pas indiqué la portée du changement, puisque  le mot de « Régional » a été maintenu. Une
appellation comme  « Directeur Délégué »
aurait été préférable. On a constaté, au 
bout d’un an, que la plupart des Directeurs Régionaux ne portaient  pas la nouvelle réforme et que l’organisation
commerciale  avait du mal à se
l’approprier. Le maintien du nom n’a pas été 
à lui seul la cause de ses difficultés, mais il y a contribué : le langage
interne était en contradiction avec l’objectif.
La
culture dominante de ce groupe pétrolier était industrielle,  aussi la distribution avait été pensée
jusqu’alors plus comme une  activité de
logistique, dont le rôle principal était d’acheminer  efficacement le carburant jusqu’au client
final, que comme le lieu  d’un service
pour des clients. Le mot marketing ne faisait pas  du tout partie de la culture. Logiquement
l’entreprise ne parlait  jamais de « part
de marché » mais de « quota ». Comment était-il 
possible de passer à une approche marketing, à une analyse  de la concurrence et à une orientation client
réelle tant que l’on  voyait le monde via
des « quotas » ? Une des actions entreprises 
a donc été, en parallèle de la réorganisation, la modification  de ce point de vocabulaire. Ce changement n’a
pas été facile,  car tout le monde en
interne avait l’habitude d’utiliser le mot 
quota. Cela a pris plusieurs années. Inertie des comportements  humains.
Au
début des années 90, l’entreprise Treca, spécialiste de  matelas, s’est lancée avec retard dans le
latex. Au-delà des raisons  «
rationnelles », le nom même de l’entreprise avait été un  frein : Treca est un raccourci pour «
Tréfileries câbleries ». Le  nom était
lié à l’existence de ressorts à l’intérieur du matelas,  ressorts qui étaient faits à partir des
câbles métalliques. Ainsi la  présence de
ressorts faisait partie de l’identité d’origine de l’entreprise.  Passer au latex, c’était pour cette entreprise
quasiment  « tuer le père ». Ce fut
forcément difficile…
Pendant
longtemps, L’Oréal a parlé de « déterminisme du 
succès » en faisant référence au fait que tout succès réalisé en  un lieu quelconque n’avait pas de raison a
priori de ne pas pouvoir  être généralisé
à l’ensemble de l’entreprise. C’est un élément 
essentiel et explicatif de la logique interne de l’entreprise. Cette  expression était décryptée en interne, mais
n’était pas directement  compréhensible
de l’extérieur. La répétition régulière de 
l’expression amenait chacun à mettre en œuvre ce principe.
Enfin,
quand Michel Bon a voulu redynamiser France 
Telecom au milieu des années 90, il a résumé ceci à travers  une expression « le delta minutes » : il
s’agissait d’indiquer à  tous qu’il y
avait encore des réservoirs de croissance en France  en matière de consommation de téléphone.
Cette expression  est devenue centrale
dans toute l’entreprise et a fédéré les énergies  pour relancer alors effectivement le
téléphone fixe. Elle a  fonctionné car,
dans une culture fortement technique, le mot 
« delta » était compris et relayé. Avec le développement des  offres au forfait, l’approche a depuis lors
évolué.  


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