Aucun accord n'a pu être trouvé avec l'APIHLE. Sa dissolution a été proclamée. Fort de l'appui de Jojo le Devin, elle est bien décidée à ne pas se laisser faire…
Arrêtons-nous pour comprendre d'où venait ce revirement de Jojo, le Devin : pourquoi avait-il décidé de rompre sa collaboration historique avec moi, Bobby, de quitter le CCC et de rejoindre l'APIHLE ?
Jojo avait été mon compagnon dès le début : c'est en discutant avec lui que m'était venue l'idée de lancer une monnaie sous forme des pierres (voir « Pour cent pierres, j'ai une peau d'ours ») et surtout, c'est grâce à son appui et à ses prévisions magiques que j'avais pu m'imposer face à Johnny
Avait-il eu à pâtir de notre collaboration ? Non, certainement pas. C'est grâce à ma monnaie qu'il avait pu faire prospérer ses propres affaires, s'imposer comme le grand sorcier des cavernes. Il avait eu, un temps, maille à partir avec Paulo, le magicien, mais rapidement, ils s'étaient associés devenant les rois incontestés de la prévision au travers de leur société commune « Prévoir et Savoir » (voir « Le temps des cartels a sonné »). Plus rien ne l'arrêta alors, et quand l'union des deux mondes fut célébrée, il devint naturellement le Devin des cabanes et des cavernes, le Grand Sorcier.
Non, vraiment, il n'avait aucune raison de se plaindre : il avait réussi et, avec son entrée officielle au CCC, se trouvait au cœur du pouvoir. Mais c'était justement là le problème : arrivé à la cinquantaine, il avait le sentiment d'avoir trahi le jeune Devin qu'il était plus de trente ans plus tôt. Que voyait-il autour de lui : moi qui empilais les billes au fonds des coffres de mes cavernes, Johnny qui multipliait des inventions, toutes plus inutiles les unes que les autres (1), Paulo qui, sans vergogne, manipulait tous les calculs pour obtenir la bonne prévision… et surtout maintenant l'essor des maisons du plaisir et des temples de jeu.
Il se rappelait très bien la vision qu'il avait eue à l'âge de dix ans dans la caverne paternelle (voir « Comment Jojo devint le Devin »).
Sur le moment, il n'avait pas bien compris ce qui lui était arrivé, et, emporté par l'appât du gain, poussé par ses parents, puis par moi-même, il en avait fait un business. Mais il savait aujourd'hui qu'il avait fait fausse route : l'important n'était pas qu'il ait pu devenir le Devin, l'important, c'était la Voix qui lui avait parlé ce jour-là. Ces dernières années, discrètement, il s'était retiré seul dans une des ses nombreuses cabanes ou cavernes. Là, loin du bruit et de l'agitation du monde, il avait appris à retrouver le chemin de la Voix. Guidée par elle, il avait compris qu'il s'était trompé depuis toujours : il n'avait pas ce don, celui d'entendre la Voix, pour faire des affaires ou aider d'autres à en faire, mais pour être le guide, celui qui allait emmener les hommes vers la Voix. Il était l'Élu.
Quand, il y a quelques années, il croisa Marcel, il ne le reconnut pas immédiatement. Il avait tellement changé. Ce fut la Voix qui l'aida à dépasser les apparences et à retrouver le modeste peintre derrière le chef d'entreprise qu'il était devenu. Il comprit alors que Marcel était là aussi pour se venger. Il lui fut facile d'orienter discrètement la pensée de Marcel, et de lui faire prendre conscience du caractère abject des maisons du plaisir. Jojo avait l'expérience des hommes et de l'art de la manipulation. Si Marcel avait créé l'APIHLE, c'était largement à cause des idées insufflées, l'une après l'autre, par Jojo. L'APIHLE allait être le bras armé de la Voix.
Quand Jojo avait senti que le moment était venu d'agir, il était allé voir Marcel, et lui avait fait comprendre qu'il disposait de tout son soutien. C'est ce qui avait donné le courage à Marcel d'aller affronter le CCC récemment créé.
Aujourd'hui tous les ponts avaient été coupés. Jojo avait démissionné du CCC, rejoint officiellement l'APIHLE et était passé dans la clandestinité.
Au cœur de sa retraite secrète située dans le cœur de la jungle la plus profonde, il venait de passer trois jours à méditer et à réfléchir. Il avait eu besoin de ce temps de recueillement et de ressourcement auprès de la Voix, car il savait que le combat qu'il l'attendait serait rude.
Il avait face à lui la puissance de l'argent, du plaisir et de l'industrie réunies, une union politique forte des deux mondes, le contrôle des média avec l'Écho du Monde et le réseau Internex. Mais il n'avait pas peur : il était l'Élu, celui par lequel parlait la Voix.
Il se devait de détruire le CCC qui n'était qu'une association de malfaiteurs dont le but était de faire sortir les hommes des cavernes et de promouvoir le progrès. Car ce n'était pas le fait que le CCC soit un organe de pouvoir au profit d'un tout petit nombre de personnes qui gênait Jojo – lui-même n'était pas du tout un démocrate et comptait bien concentrer un maximum de pouvoirs entre ses mains. Non, c'était que ce pouvoir pour exister poussait les hommes vers le progrès. Or le progrès était le grand ennemi de la Voix. Elle le lui avait dit.
Jojo quitta sa retraite pour rejoindre Marcel et les troupes de l'APIHLE. Le combat pour la Voix allait commencer. Il serait sans merci.
(Fin de la saison 4)
(1) Comme sa dernière invention : il venait d'avoir l'idée de mettre des roues dans la rivière. Les roues tournaient sous l'effet de la force du courant et, grâce à cela, on pouvait voir tourner de grandes constructions faites de branchages dans le ciel. Johnny appelait de cela de « l'art mobile ». Mais qui pouvait s'intéresser à de « l'art mobile », et qui pouvait penser que faire tourner des roues dans l'eau puisse un jour servir à quelque chose ?