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7 mars 2018

POURQUOI LE MOUSTIQUE PIQUE-T-IL ?

Ainsi va l'évolution...
Maudit moustique. Ma nuit n’est qu’un long chapelet de batailles inutiles. Ma main maladroite et endormie essaie en vain de mettre un terme à la vie de cet insecte. 
Au matin, le nombre des boutons rouges dresse le score du match lamentablement perdu : 4-0. Pas brillant… 
Mais, au fait, pourquoi le moustique nous pique-t-il ? Vous êtes-vous déjà posé la question ? Non ? Moi, si. J’ai voulu savoir pour quelle raison ce petit avorton vient régulièrement perturber mon sommeil. Sans parler de toutes les maladies qu’il propage joyeusement tout autour du monde.
Est-il le fruit de la création divine ? Un peu d’enfer offert gracieusement et gratuitement ? Un apéritif de ce qui attendra bon nombre d’entre nous ?
Ou plus prosaïquement le fruit logique de l’évolution ? L’expression d’une volonté ? 
Pas vraiment. Plutôt le jeu de l’amour et du hasard. Une rencontre fortuite.
Voilà l’histoire…
Il y a longtemps, très longtemps, un lointain ancêtre du moustique a développé un appendice pour aspirer un liquide, par exemple de l'eau. Une sorte de pipette. Pratique pour boire rapidement. Et donc accroître les chances de survie. 
Un jour, l'un d'eux s'est posé sur la peau d’un animal quelconque – une femme ou un homme si cela vous fait plaisir –, et peut-être par fatigue, a appuyé sa tête. Alors l'appendice a pénétré la peau. Là, il a trouvé un liquide riche et nourrissant : du sang. Super bon, a-t-il pensé ! Du coup, non seulement il est revenu, mais il en a parlé à ses congénères. Rapidement ils en sont tous devenus accros. Des junkies du sang.
Et voilà, comment cette espèce est devenue une sorte de vampire nocturne : par le hasard de la rencontre d'un appendice créé pour aspirer un liquide et d'une peau perméable pour assurer la respiration.
Cette rencontre fortuite a modifié le cours des espèces : le moustique a prospéré, la malaria a pu se propager, et nos nuits être chroniquement pourries.

Ainsi va la vie. Elle avance, cahin-caha, sans raison, sautant de possible en possible au hasard des rencontres...

27 janv. 2015

TENIR SA TÊTE À BOUT DE BRAS

La technique est l’externalisation progressive du corps
Michel Serres, à nouveau dans ses œuvres, avec une vidéo lumineuse, où, partant de l’image de Saint Denis tenant sa tête à bout de bras, il explique comment le développement technique serait l’externalisation des fonctions du corps.
En effet, le marteau n’est jamais que l’externalisation du bras et du poing – la force physique relayée par un objet plutôt que d’endommager son poing –, l’écriture et l’imprimerie de la mémoire – ce qui permet à Montaigne de dire qu’il vaut mieux une tête bien faite qu’une tête bien pleine –, et enfin l’ordinateur de nos fonctions cognitives.

13 mai 2014

ÊTRE LE PREMIER DES PILOTES DE SON CORPS, MAIS PAS LE SEUL

L’écosystème de notre corps (11)
Qui décide ?
Est-ce moi qui, consciemment, choisit de faire ceci ou cela ? Quelle est la portée de l’influence du cerveau intestinal qui pèse sur mes émotions et modifie ma perception du monde et des risques ?
Jusqu’à quel point les bactéries qui sont présentes dans mon microbiote intestinal peuvent-elles me faire mener des buts qui servent leurs intérêts, ce voire au préjudice de ma propre survie ? Puis-je être une sorte de véhicule passif de micro-organismes qui me manipuleraient ?
Très probablement pas… mais je suis certainement influencé. Je repense à ces scènes cauchemardesques des films Alien où les humains se transforment en simple véhicule d’êtres qui les détruisent. Rien à craindre de tel.
Je repense aussi au livre de Richard Dawkins, Le Gène égoïste, publié en 1976, où il soutient la thèse que ce sont les gènes qui manipulent le vivant et son évolution. Comme il est expliqué dans Wikipedia, « en décrivant les gènes comme étant « égoïstes », l'auteur n'entend pas par là (comme il l'affirme sans équivoque dans le livre) qu'ils sont munis d'une volonté ou d'une intention propre, mais que leurs effets peuvent être décrits comme si ils l'étaient. Sa thèse est que les gènes qui se sont imposés dans les populations sont ceux qui provoquent des effets qui servent leurs intérêts propres (c'est-à-dire de continuer à se reproduire), et pas forcément les intérêts de l'individu même. Cette vision des choses explique l'altruisme au niveau des individus dans la nature, en particulier dans le cercle familial : quand un individu se sacrifie pour protéger la vie d'un membre de sa famille, il agit dans l'intérêt de ses propres gènes. »
Finalement la réalité est très certainement plus complexe, et est le résultat de tendances naturelles et compétitives : des gènes qui cherchent à survivre et à se propager, des êtres vivants multiples qui cherchent à élaborer un écosystème plus favorables pour eux, un néocortex qui analyse sous influence et fait des choix, des chocs aléatoires et imprévisibles qui organisent des télescopages entre tous les acteurs et toutes les actions.
De cet écosystème global et chaotique, émergent des trajectoires individuelles dont nous croyons être à l’origine, alors que nous n’en sommes qu’un des participants.
Comprenons et admettons que notre corps est constamment pénétré par le monde dans lequel il baigne, et que, si nous en sommes le premier des pilotes, nous n’en sommes pas le seul.

12 mai 2014

LE « JE » ÉMERGE CONTINÛMENT DE NOS INTERACTIONS AVEC LE MONDE

L’écosystème de notre corps (10)
Trois acteurs : deux cerveaux en propre – un venu du fond des âges et tapi dans les méandres de notre intestin, un doté d’un néocortex, qui fait de nous un homme –, et le microbiote intestinal – cent mille milliards de bactéries, depuis notre naissance, nous accompagnent et nous influencent. C’est de l’interaction de ces trois composantes que naissent nos décisions… et non pas seulement de ce que nous appelons notre conscience.
Qu’en aurait pensé Sigmund Freud s’il avait su que des bactéries agissaient sur nos émotions et nos choix ? A côté de la psychanalyse gastrique, que j’évoquais dans le cinquième billet de cette série, faut-il en appeler à une psychanalyse bactérienne ? Amusant. Je ne vois pas bien comment arriver à les faire parler de leurs rêves. Faut-il essayer de faire allonger les bactéries sur des divans ?
Plus sérieusement, notre identité est donc le fruit d’une triple histoire : une innée venue de notre passé et constituée de notre double cerveau initial, une acquise très vite après la naissance avec notre microbiote intestinal, et enfin une vécue qui forme et déforme nos émotions, notre mémoire et nos savoirs conscients.
Notre « je » est donc doublement perméable au monde extérieur : par les bactéries qui entrent et sortent, par les évènements qui se produisent et qui nous heurtent.
Nous baignons doublement dans les écosystèmes du monde, et le dehors nous pénètre continûment. La limite entre dehors et dedans devient floue.
Nous sommes des milliers de gènes, des milliards de neurones, des centaines de milliards de bactéries, et un nombre non calculable d’échanges d’informations et de messages.
De cela, le « je » émerge. Mais qui décide et pourquoi fait-on ceci plutôt que cela ? …
(à suivre)

7 mai 2014

SOUS L’INFLUENCE DES BACTÉRIES QUI NOUS HABITENT

L’écosystème de notre corps (9)
Selon les bactéries qui nous habitent, selon notre flore intestinale, notre corps fonctionne plus ou moins bien. Mais nos pensées ? Est-ce que notre comportement dépend de ces hordes de micro-organismes qui vivent en nous ?
Pour commencer à répondre à cette question surprenante, des tests ont été réalisés sur des souris.
Prenons deux groupes de souris : certains sont agressives, d’autres ne le sont pas. Échangeons maintenant leurs microbiotes. Résultat : les calmes deviennent agressives, et réciproquement ! Une preuve que le microbiote influence le cerveau.
Serions-nous conditionnés par les bactéries qui nous habitent ?
Autre exemple d’action conditionnée chez la souris avec le cas de la toxoplasma : présente au sein d’une souris, elle peut générer une attitude suicidaire en poussant la souris à se laisser approcher par des chats, et ainsi à être mangée, ce pour le seul bénéfice de la toxoplasma. En effet, celle-ci se développant mieux dans l’organisme d’un chat a tout intérêt à ce que la souris soit mangée.
Et l’homme ? Sommes-nous aussi influencés par notre microbiotique intestinal ? Difficile de répondre à cette question, car comment isoler l’effet mental d’un probiotique, surtout car il est à chaque composé d’une multitude de molécules ?
Une étude publiée en mai 2013 par Kirsten Tillisch, du centre de neurobiologie du stress de Los Angeles, apporte une première réponse positive. Le test a porté sur soixante femmes auxquelles on a donné des yaourts avec ou sans probiotique. L’étude a montré que celles qui ont pris des probiotiques sont moins réactives aux images négatives et potentiellement menaçantes.
On modifie des yaourts… et en conséquence, on modifie ce qui se passe dans le cerveau ! Mais attention prudence car on ne connaît pas les effets secondaires. Les effets sont certains, mais largement encore imprécis.
Il semble donc bien une composante de notre cerveau vienne des bactéries qui nous habitent.
Nous aurions donc en quelque sorte trois cerveaux : deux liés à nos propres neurones, un grand et un petit, et un lié à l’intelligence de notre microbiote. Nous sommes aussi le résultat de qui vit en nous, et non pas seulement de notre ADN et de ce que nous avons vécu…
(à suivre)

6 mai 2014

L'ENTÉROTYPE OU UNE FORME D'ADN INTESTINAL

L’écosystème de notre corps (8)
Comme on peut séquencer notre ADN, c’est-à-dire avoir une photographie analytique de notre identité génétique, il est possible de séquencer l’ADN de notre microbiote, et d’analyser ses propriétés.
C’est à cette tâche apparemment herculéenne – n’oublions pas que notre microbiote intestinal comprend environ cent mille milliards de bactéries –, que notamment Dusko Ehrlich, chercheur à l’INRA, s’est attelé… et les premiers résultats ouvrent des perspectives sur un nouveau monde… qui est très probablement le nôtre.
Quelques exemples.
D’abord on a montré que tous les microbiotes intestinaux pouvaient être classés en trois groupes principaux, appelés entérotypes. Chacun d’entre nous est donc caractérisé non plus seulement par un groupe sanguin, mais aussi par un entérotype. Plus surprenant, l’appartenance à un groupe ne dépend ni de la race, ni de l’âge, ni du sexe.
Quelles sont les conséquences de cette appartenance ? Ils conditionnent notre capacité à plus ou moins bien transformer notre nourriture en énergie.
Ainsi, une bactérie vient d’être identifiée qui, selon sa présence chez la souris, fait que celle-ci grossit plus ou moins. Elle dialogue avec les cellules de la paroi intestinale de la souris, et active les gènes qui déclenchent le fait de brûler des graisses. Résultat : la souris stocke plus ou moins d’énergie.
Autre propriété des microbiotes : selon ses caractéristiques, nous avons des prédispositions à certaines maladies. Peut-être prochainement, pour avoir une action préventive, il suffira d’étudier la flore intestinale.
Un vaste monde donc la découverte ne fait que commencer.
Mais tant que l’on ne parle que de capacité à plus ou moins bien digérer, ou à stocker de l’énergie, rien de bien inquiétant. Cela ne concerne pas notre processus de décision et notre comportement.
Comment des organismes si petits, même en nombre gigantesque, pourraient-ils bien agir sur nos pensées et nos actes ? Quand même, nous ne sommes pas sous influence.
Là aussi, rien n’est certain…
(à suivre)

5 mai 2014

NOUS SOMMES UN VÉHICULE À BACTÉRIES

L’écosystème de notre corps (7)
Notre identité et nos pensées ne naissent pas seulement de notre cortex, mais le cerveau intestinal y participe. Mais est-il le seul ?
Ne répondez pas trop vite oui, les surprises ne sont finies, car notre intestin héberge une population d’hôtes : cent mille milliards de bactéries habitent notre tube digestif, soit mille fois plus que d’étoiles dans notre galaxie. C’est le microcosme le plus dense qui regroupe dix fois plus que de cellules que celles de notre corps.
Sensation bizarre d’imaginer cette population qui squatte notre intestin.
Échange de bons procédés, car, sans ces bactéries, la digestion ne serait pas possible : nous leur offrons le gîte et le couvert, et elles digèrent notre nourriture pour nous. Sans les deux kilos qu’elles représentent, nous ne survivrions pas.
Quand commence cette colonisation ? Dès notre naissance, c’est-à-dire dès que l’embryon quitte le milieu stérile et protégé de l’utérus de sa mère. Dès les premières minutes, les bactéries nous envahissent, et les premières occupantes contribuent à sélectionner les suivantes.
Nous voilà ainsi quasi immédiatement doté d’un microbiote intestinal, c’est-à-dire d’une population de micro-organismes vivant en accord avec nous.
Nous avions hérité de l’ADN de nos parents, et nous héritons, selon les hasards de la vie, du moment et de l’endroit où nous naissons de ceux, d’un ADN complémentaire infiniment plus vaste.
Nous sommes un véhicule à bactéries, et c’est pour notre bien.
Mais est-ce une simple cohabitation digestive ?...
(à suivre)

30 avr. 2014

LES PARTIES ET L’ÉMERGENCE D’UN TOUT

L’écosystème de notre corps (6)
Notre cerveau intestinal interagit donc avec notre cerveau principal, celui que pendant longtemps nous avons cru unique.
Finalement, une image pertinente pour imaginer le fonctionnement de notre corps est de le voir comme un monde de tubes, de fluides et de tuyaux, un réseau complexe au sein duquel des informations et des messages sont continûment échangés.
De ce réseau, selon des modalités qui nous dépassent et dont nous ne percevons encore que des bribes, émergent des propriétés. A nouveau donc, retour de l’émergence, elle qui est au cœur des réflexions de mon dernier livre, les Radeaux de feu.
Telle est bien d’ailleurs l’approche de la médecine chinoise qui pense globalement le corps. Elle le conçoit comme un ensemble de flux d’énergies reliés au reste de l’univers. En Occident, on analyse chaque élément ; en Chine, on s’intéresse au tout, aux relations entre les différentes parties du corps.
Deux approches plus complémentaires que contradictoires.
Le documentaire sur Arte qui a inspiré cette série d’articles sur l’écosystème de notre corps, présente alors l’acupuncture abdominale découverte en 1972 par le Docteur Bo Zhiyun, à Canton. Il est convaincu du rôle central du cordon ombilical, autour duquel s’est développé l’embryon, rôle central qui perdurerait ce même une fois le cordon coupé.
Plus étonnant grâce à un traitement par acupuncture abdominale, il arrive à traiter la dépression. Je pique le ventre, et mes soucis s’en vont, en quelque sorte. Troublant, non ?
Et pourtant, le plus troublant reste à venir…
(à suivre)

29 avr. 2014

A QUAND UNE PSYCHANALYSE GASTRIQUE ?

L’écosystème de notre corps (5)
Un cerveau entérique qui pilote la digestion, un cerveau central qui, déchargé de cette tâche essentielle mais locale, gère le complexe. Je digère en bas, je pense en haut. Entre les deux, un nerf vague relie les deux pour transmettre ce qui doit l’être.
Belle vision simpliste et mécanique du fonctionnement de notre corps… mais éloignée de la réalité…
D’abord parce que l’interaction entre les deux ne se fait pas que par le biais des voies dites normales.
Par exemple, la sérotonine qui est produite par le cerveau entérique pour piloter le processus de la digestion est aussi un des neurotransmetteurs utilisés par notre cortex. Aussi quand nos neurones intestinaux en produisent en excès, et qu’une partie vient se perdre dans notre sang, un peu de cette sérotonine vient influencer nos émotions : sans en être conscients, nous vivons sous l’influence de notre ventre.
Nous voilà donc avoir réellement la peur au ventre ! Comme quoi, nos mots ont anticipé ce que nous ne venons que de comprendre. Si les messages transmis par notre cerveau entérique n’atteignent pas notre conscience, ils agissent sur notre capacité à voir le monde : notre ventre contribue à notre inconscient. A quand une psychanalyse gastrique ?
Nous découvrons de plus en plus que le ventre et la tête partagent bon nombre de maladies. Ainsi la maladie de Parkinson et la dépression pourraient apparaître d’abord dans le cerveau intestinal. Pourra-t-on demain les diagnostiquer préventivement simplement en prélevant un morceau d’intestin ? Ce serait un double bénéfice : savoir plus tôt, et sans avoir à faire une biopsie dangereuse du cerveau.
Le ventre, une fenêtre ouverte sur le cerveau, sur les maladies psychiatriques ?...
(à suivre)

28 avr. 2014

LE FEU EST LE PROPRE DE L’HOMME

L’écosystème de notre corps (4)
Un intestin sur pattes, avec des yeux et des oreilles… et donc doté d’un cerveau plus important que le cerveau originel, l’intestinal, pour gérer un système devenu complexe à déplacer et protéger, le tout pour accroître les chances de survie, et donc digérer. Voilà en quelque sorte un résumé brutal, et donc schématique, de ce qu’est un animal, et donc l’homme au moment de son apparition.
Alors que s’est-il passé qui nous a permis de nous doter d’un cortex tellement élaboré que nous nous trouvons capables de penser notre monde, écrire des poèmes… et faire la guerre à nos congénères au nom de possessions, le tout bien éloignée de la seule logique de survie et de digestion ?
Le feu. Nouvelle surprise énoncé au détour de ce documentaire : ce serait le feu qui a permis de décupler la performance de nos processus digestifs, et donc de libérer une quantité d’énergie devenue brutalement disponible.
En effet, cuire un aliment avant de l’ingérer, c’est le pré-digérer. L’homme avec l’invention du feu s’est donc trouvé doté d’un surplus d’énergie et de cellules – notamment nerveuses – capables de se développer pour d’autres finalités. Travailler moins en gagnant plus, en quelque sorte.
Nouveau résumé donc brutal : l’homme est devenu homme parce qu’il est un tube digestif plus performant grâce à l’invention du feu. Amusant, non ?
Au fur et à mesure, notre cerveau qui n’était qu’au service de son ancêtre originel, a pris son indépendance : le voilà devenu tellement développé que nous en sommes venus à oublier le cerveau intestinal, et la liaison qui demeure entre les deux.
Car oui, aujourd’hui encore, notre ventre contribue à nos pensées…
(à suivre)

24 avr. 2014

APPRENDRE À SE SAISIR DU LOINTAIN OU À S’EN PROTÉGER

L’écosystème de notre corps (3)
Pourquoi donc un cerveau autonome s’est-il développé ? Pourquoi progressivement des neurones se sont-ils développés loin des tubes digestifs ?
Pour piloter les sens qui ont émergé : la vue, l’ouïe, le toucher. Telle est la fonction primaire du nouveau cerveau qui a grandi loin du tube digestif : ce deuxième cerveau – car oui, le premier, c’est bien le cerveau intestinal ou entérique – est là pour mieux nourrir le corps qui l’héberge. L’œil est là pour repérer la proie, l’oreille pour l’entendre s’approcher, le membre pour mieux la saisir.
Il est là aussi pour mieux se protéger : l’œil est là pour identifier le prédateur, l’oreille pour entendre ce que l’on ne peut pas voir, le membre pour courir et se défendre.
Finalement ce deuxième cerveau n’est bien que la prolongation de la digestion. Il l’a perfectionnée, et permet de se saisir et se protéger d’un dehors lointain et distant, dont on peut se rapprocher et ingérer, ou qui peut surgir et nous attaquer.
Ce cerveau, petit à petit, a grossi : il contrôle les organes moteurs, assure le pilotage d’un organisme sans cesse plus complexe, et est le principal acteur de la survie. Oui, mais le cerveau primaire est toujours là, tapis dans les recoins des intestins, et sans lui, la vie ne serait pas possible.
Et qu’en est-il de notre cortex ? En quoi ce passé lointain nous concerne-t-il ? Sommes-nous réellement encore dépendants de cette origine ? Nos pensées sont-elles encore conditionnées par notre digestion ?
(à suivre)

23 avr. 2014

LA PENSÉE VIENT-ELLE DE LA PANSE ?

L’écosystème de notre corps (2)
Nous avons donc un cerveau dans notre intestin. Étrange sensation, non ?
Mais ne serait-il pas plus exact de dire que nous étions un intestin intelligent qui s’est progressivement doté d’un cortex pour mieux survivre ? Encore plus étrange, non ?
Et pourtant c’est bien dans cet ordre que la vie a déroulé le ruban de son évolution.
Tout a commencé au début par des organismes qui n’étaient que des tubes digestifs : savoir à se nourrir du dehors, capter ce qui peut être transformer en énergie, se protéger de ce qui peut détruire. La peau de la vie est ce qui limite et qui permet les échanges.
Je digère donc je vis. Si le propre de l’homme est le rire, celui de la vie est la digestion, c’est-à-dire la capacité à manger l’autre…
Et ce n’est pas facile : comment trier dynamiquement dans le bain qui entoure ce qui est bon, et rejeter le reste ? Petit à petit, au fur et à mesure du développement, ce qui n’était que des cellules primaires est devenu des tubes digestifs intelligents. Des neurones sont venus tapisser les parois et l’intelligence est née.
Voilà donc l’origine des neurones : apprendre à digérer.
Aussi notre cerveau entérique – appellation scientifique du cerveau intestinal – est-il celui qui a précédé l’autre.
Certes, mais notre « vrai » cerveau, ce cortex qui nous permet de penser, et de nous voir comme des « Je » indépendants et responsables, n’a rien à voir avec cette activité primaire : la pensée ne vient pas de la panse ! 
Est-ce si vrai ?
(à suivre)

24 août 2012

LE MONDE ANIMAL BOUGE, COLLABORE... ET COMMUNIQUE

BEST OF (19 avril - 9 mai 2012)
Si petite fourmi !
A proprement parler, nous regardons de haut les fourmis. Il faut dire, ou écrire en l’occurrence, qu’elles sont si petites par rapport à nous. Même pas la taille d’un de nos doigts, le plus souvent plus petites qu’un de nos ongles. Donc de leur cerveau, inutile d’en attendre grand-chose, il est si petit que nous l’imaginons insignifiant. A peine la place pour un tout petit réseau neuronal.
Avec un chien ou un chat, on peut avoir un semblant de communication. Avec un cheval, un singe ou un dauphin, aussi. Mais avec une fourmi ? Impossible de la regarder les yeux dans les yeux ; inutile de lui lancer une balle, elle ne la ramènera pas ; même à votre retour de vacances après une longue absence, n’espérez pas être accueilli par des sauts de fourmis ou des cris de joie.
Par contre, laissez tomber un peu de nourriture par terre et vous allez les voir accourir. Ou plutôt, vous allez d’abord en voir une, puis dix, puis cent, puis vous ne pourrez plus les compter.
Pourtant ces fourmis que nous méprisons, dès qu’elles sont en groupe, elles font des prouesses et elles ont largement conquis le monde. Impossible de marcher en un quelconque endroit du globe sans tomber sur une de leurs colonies.
Le record en terme de taille semble être détenu par la Formica yessensis, une espèce de fourmi des bois, qui a construit une colonie de 45 000 nids sur 1 250 hectares à Hokkaidō (Japon), abritant plus d’un million de reines et 306 millions d’ouvrières.
Bref à cause du monde animal, notre univers littéralement fourmille de vie qui va dans tous les sens. Avec la matière inerte, on avait l’entropie et le chaos, avec le végétal l’auto-organisation et la dérive naturelle. Le voilà avec le monde animal prit comme de folie : danserait-il la Saint-Guy au rythme du mouvement brownien de toutes ces espèces qui s’y sont répandues ?

A gauche ou à droite ?
La gazelle était là, tranquille. Fatiguée par une longue journée passée à sillonner la savane, repue de toutes les herbes glanées de-ci de-là, elle pensait goûter d’un repos bien mérité au bord de sa poche d’eau favorite. Mais ce ne fut pas le cas. Elle sentit très vite le danger. D’abord un craquement dans le lointain, puis cette odeur qu’elle avait, depuis son enfance, appris à reconnaître. Elle se figea, sachant un lion tapi derrière le buisson qui jouxtait les arbres.
Elle savait qu’elle n’avait qu’une chance pour lui échapper : la fuite et la course. Heureusement, forte de son dernier chrono – elle venait de réaliser une pointe à 104 km/h, nouveau record des gazelles de la savane locale –, elle était sûre de pouvoir échapper à n’importe quel lion.
Bien, mais il s’agissait de ne pas trébucher, ni de se retrouver prise en tenaille entre plusieurs lions. Et surtout pas un guépard, son ennemi juré, le seul à pouvoir la rattraper.
Alors devait-elle partir à gauche ou à droite ?
Elle n’eut pas le temps de finir sa réflexion, car le lion jaillit brutalement. Sans réfléchir, elle partit vers la droite, et, telle une fusée, disparut dans les herbes de la savane. Le lion eut beau faire de son mieux, il ne la rattrapa pas. Pas grave se dit-il, je me ferai la suivante…
Ainsi va le monde animal. Rien n’est certain, rien n’est gagné d’avance. Quand un lion surgit, la gazelle s’en va… mais impossible de savoir si elle partira à gauche ou à droite, et pas moyen de prévoir de façon certaine l’issue du combat…
Haro sur les moustiques !
Il était immobile, plaqué sur le plafond de la chambre à regarder, de façon obsessionnelle, ma veine qui palpitait. Persuadé que je dormais, n’en pouvant plus d’attendre, il se décida à plonger.
C’est ainsi que commença un des mes plus violents combats nocturnes : la lutte infernale et sans cesse renouvelée contre le moustique. Pendant de longues minutes, tout vola dans la pièce : je lançai tour à tour mes baskets, une serviette de bain qui passait par là, un pantalon, mes mains… et pour finir, un tee-shirt qui, sans raison particulière, atteint, lui, son but. Le moustique finit ainsi, venant accompagner les tâches gagnées dans la journée.
Épuisé par cette lutte, je m’assis sur mon lit et me posai alors cette question simple : pourquoi ce moustique voulait-il me piquer, et plus généralement, pourquoi les moustiques veulent-ils piquer les humains ?
Est-ce pour nous empêcher de dormir ? Pour assouvir une vengeance lointaine et oubliée, une forme de vendetta ?
Ou est-ce le fruit d’une analyse comparative scientifiquement menée, un test qui aurait démontré aux moustiques que, dans la grande bataille de la survie, le sang humain était la meilleure nourriture ?
Je rêvais d’une assemblée de moustiques, un conseil supérieur de leur espèce, qui aurait supervisé cette étude. Des milliers et des milliers de tests, une infinité de peaux piquées, des myriades d’éprouvettes remplies des prélèvements, des générations de moustiques mises à l’épreuve, un grand plan de formation pour améliorer le piqué et la vitesse de succion… Tout cela pour aboutir logiquement, rationnellement et efficacement à cette guerre des moustiques contre le repos des humains.
Évidemment cela ne s’est pas passé comme cela.
Comment les moustiques en sont-ils donc arrivés à devenir ces vampires nocturnes ? Comme toujours par hasard…
Tout avait effectivement commencé, il y a longtemps, très longtemps même : le lointain ancêtre du moustique était un insecte qui, comme bon nombre d’autres, avait développé un appendice effilé pour absorber un liquide, une sorte de paille si vous voulez. Pratique pour survivre et boire rapidement.
Un jour, l’un d’eux est parti en promenade, et s’est posé sur la peau d’un animal à sang chaud. Or cette peau, pour assurer la régulation de température et les échanges avec l’extérieur, était poreuse. Notre moustique préhistorique, perdant l’équilibre, a logé son appendice très effilé dans l’orifice. Une fois à l’intérieur, il a trouvé un liquide riche et nourrissant : du sang. Il a trouvé cela tellement bon qu’il en est devenu complètement accro, et qu’il a fait partager l’aubaine à ses congénères.
Et voilà…
Que comprend-on de ce à quoi on participe? - Sans microorganismes, pas de À la recherche du temps perdu !
Étonnant contraste entre la petitesse de la fourmi et la puissance de tout ce que collectivement elles peuvent réaliser. Dans mon article « La fourmi est petite, mais la fourmilière est grande », je présentais plusieurs de leurs prouesses les plus spectaculaires : la capacité de construire des ponts vivants pour franchir un obstacle, la fabrication d’un radeau étanche protégeant la reine et permettant de survivre aux inondations, l’invention de l’agriculture ou de l’élevage, trouver le plus court chemin entre deux points, optimiser la circulation… J’y évoquais aussi les performances des abeilles qui ne sont pas en reste en matière de prouesses collectives.
Le monde animal est ainsi peuplé d’espèces qui, faibles individuellement, sont fortes grâce à des propriétés qui émergent collectivement, c’est-à-dire des propriétés qui n’existent pas au niveau d’un individu, mais qui ne se manifestent qu’au niveau du groupe : une fourmi seule ne pourrait ni trouver le plus court chemin, ni résister à une inondation, ni faire de l’élevage de puceron ; une abeille seule serait de même incapable de trouver les meilleures fleurs…
Fascinante puissance du groupe.
Mais au fait, est-ce que chaque individu est conscient de ces propriétés émergentes ? Ou formulé autrement, une fourmi ou une abeille comprennent-elles ce qu’elles font et pourquoi elles le font ? Quand une fourmi s’associe à ses voisines pour créer un radeau et permettre à la fourmilière de devenir insubmersible, sait-elle ce qu’elle fait et pourquoi elle le fait ? Ou quand une autre de ses congénères se livre à la culture de champignons, est-elle consciente de participer à créer une nourriture indispensable à la survie future ? Et quand d’autres viennent au secours de nymphes pour faire partir des prédateurs, ont-elles en tête le nectar que cette même nymphe pourra donner en retour ?
Difficile de répondre à une telle question, non ?
Probablement un peu, sinon comment imaginer que chacune pourrait se prêter efficacement à sa tâche. Mais probablement pas complètement, car on ne voit pas bien comment la complexité de l’ensemble irait se loger dans la petitesse d’une seule. Une forme d’intelligence distribuée, en réseau : j’agis avec juste les informations nécessaires à mon action, mais sans savoir les buts finaux de mon action, buts qui me dépassent.
Sautons à un tout autre aspect de ce monde animal, et de ses emboîtements, à celui de ces multitudes d’organismes vivants qui habitent chacun de nous. Ils sont des millions de milliards à se promener sur nous et en nous. Infinité de la vie, de ses cohabitations et de ses articulations.
Chacun de ces microorganismes vit à son rythme, suit sa propre logique, subit les influences de ce qui l’entoure et contribue sans le savoir à la dynamique d’ensemble. Parmi ce troupeau invisible, certains nous sont nuisibles, d’autres au contraire sont nécessaires au bon fonctionnement de notre corps, contribuant à sa survie.
Repensons alors à la scène fameuse de Marcel Proust trempant sa madeleine et se retrouvant brutalement replongé dans son enfance à Combray chez sa tante Léonie. L’écriture de cette scène n’a été possible que grâce à l’existence de ces microorganismes qui habitaient le corps de Marcel Proust. D’une certaine façon, on se trouve à nouveau devant une propriété émergence : pas de microorganismes, pas de À la recherche du temps perdu.
Mais cette fois l’émergence est lointaine, et non pas de proximité comme avec les fourmis et les abeilles de tout à l’heure. Et plus de doute à avoir : ces microorganismes ne peuvent pas même imaginer ce à quoi ils contribuent. Soyons rassurés, leurs descendants ne vont pas venir demander leur part des droits d’auteurs !
Nous sommes des doigts pour les fourmis : Réagir à ce que l’on ne comprend pas
Dans Les Fourmis, le célèbre livre de Bernard Werber, nous vivons le monde au travers des yeux des fourmis, et apprenons que, pour elles, nous sommes des doigts. C’est en effet grâce à ces extrémités de nos mains que les fourmis nous connaissent le plus souvent. Mais comment à partir d’une information aussi incomplète, pourraient-elles se faire une idée, ne serait-ce qu’approchante, de qui nous sommes ? Impossible. C’est d’ailleurs la réponse qu’apporte Bernard Werber dans son livre.
Mettons-nous maintenant dans la peau, – si je puis dire… –, d’un des microorganismes qui nous habitent. Comment pourrait-il bien nous appeler ? Quelle expérience a-t-il de la cohabitation avec ce corps qui l’englobe ? S’il est conscient de quelque chose, – si tant est que le terme de conscience est un sens dans ce cas… –, cela ne peut être que des cellules qui l’environnent, ses alter-ego en quelque sorte.
Or, si jamais ces fourmis ou ces microorganismes nous importunent, nous allons chercher à les neutraliser, voire les détruire, à coup d’insecticides ou d’antibiotiques.
Voilà alors leur vie qui va s’arrêter brutalement, et pour une raison qui, au sens strict du mot, les dépasse : comment une fourmi qui, au mieux, a repéré les principales propriétés des « doigts » pourrait en inférer les dangers d’un insecticide. La quantité d’informations qu’elle détient, et sa capacité cognitive de traitement, même collectivement au niveau de la fourmilière, sont très certainement insuffisantes. Que dire alors du « pauvre » virus qui se trouve confronter à un antibiotique…
Et pourtant, on voit se développer des insectes résistants aux insecticides, et des virus résistants aux antibiotiques. Est-ce à dire que des races de surdoués auraient réussi à décrypter nos attaques, à les analyser et à trouver la parade ?
Non bien sûr ! C’est, une fois de plus, une des propriétés de l’évolution, et de la dérive naturelle telle que développée par Francesco Varela : à force de bricoler, et de se modifier aléatoirement, les solutions émergent et se répandent.
Pourquoi de tels développements sur l’incapacité des fourmis et des microorganismes à théoriser ce qui leur arrive, et sur l’émergence, pourtant, aléatoire de solution ? Parce que je crois que ceci s’applique aussi à nous, humains : nous comprenons beaucoup moins que nous le croyons ce qui nous arrive, nous définissons les choses par ce que nous en voyons ou percevons, et nous trouvons beaucoup plus souvent que nous ne l’imaginons les solutions par hasard.
J’aurai l’occasion de revenir plus tard sur ces points, mais, pour l’instant, je n’en ai pas fini avec les animaux…
Représentations et langages: De la réponse automatique à la communication volontaire
Joëlle Proust dans son livre « Les animaux pensent-ils ? », nous emmène sur le chemin de la représentation et du langage.
Premier stade, celui de la réponse automatique, ce qu’elle appelle « Bien faire sans rien savoir ». Il en est ainsi du thermostat qui, tout en ne comprenant pas ce que peut vouloir dire le concept de température, sans même en fait la mesure, peut réagir à un changement de température, grâce un dispositif physique dont les modifications covarient avec l’environnement.
Au deuxième stade, émerge un premier degré d’extraction de l’information, la « protoreprésentation ». Qu’est-ce que cela caractérise ?  Un état neuronal qui, à la fois, sait lire une modification donnée du monde extérieur et agit en fonction de cette information acquise. On peut résumer cet état par la création d’un couple : je perçois, donc j’agis. Ce sont des conditionnements associatifs comme celui du retrait de la tête et du pied dans la coquille pour l’escargot. Autre exemple plus sophistiqué de ce même état : la capacité de l’araignée de réagir à une vibration de la toile. Dans ce cas, elle n’a pas mémorisé un seul type de vibration, mais tout un ensemble, ce qui va lui permettre de moduler sa réaction et de « comprendre » qui a été pris dans sa toile. Caractéristique donc de l’action face aux protoreprésentations : l’unité de temps et de lieu. On agit ici et maintenant. L’information n’est pas extraite, elle est simplement un déclencheur.
Le troisième stade est celui de la représentation. Quelle est la différence entre une protoreprésentation et une représentation ? Une protoreprésentation est liée à une situation donnée, elle est « immergée » dans ce cadre : l’araignée ne sait pas lire une vibration indépendamment de sa toile. A l’inverse, une représentation n’est pas liée à une situation donnée, elle est la capacité de renvoyer à un objet ou un événement donné indépendamment de ce qui apporte l’information : un animal devient capable de lire les régularités du monde, c’est-à-dire de repérer des constantes. Il pourra alors acquérir la capacité de répondre à ces régularités, et améliorer l’efficacité de ses réponses à des situations données. Il pourra aussi agir de façon différée, manipulant ainsi mentalement des représentations.
Comment maintenant aborder la question du langage ? Joëlle Proust identifie trois types de support :
1. Les indices : un indice est une information portée par un animal, et qui n’a pas la possibilité de le faire disparaître. L’apparition des plumages nuptiaux de la frégate est ainsi un indice qui informe les mâles qu’elle est disponible à l’accouplement.
2. Les traces ou les signes : bien que pouvant être effacés par l’émetteur, ils ne sont pas non plus contrôlés par eux ; ce sont donc des sources involontaires d’informations. Il en est ainsi par exemple des traces de pas, ou encore d’une transpiration exprimant une nervosité.
3. Les signaux : il s’agit là d’un processus ritualisé et volontaire de diffusion d’une information. La danse des abeilles leur permet ainsi d’indiquer l’intérêt de ce qu’elles ont trouvé, et dans quelle direction, cela se trouve.
Est-ce que les signaux forment un langage ? Par nécessairement. Il faut encore qu’une grammaire existe et que le sens naisse de la combinaison des signaux. On ne peut pas donc dire que les abeilles se parlent,  même si elles communiquent entre elles.
Les fourmis peuvent-elles discuter entre elles des doigts qu’elles rencontrent ?  Allez donc leur demander !
(1) Voir les extraits que j’avais mis en ligne dans un article intitulé « Un chimpanzé peut-il, non seulement voir, mais penser qu’il voit quelque chose ? »

Et arriva un nouvel animal 
Voilà quelques dizaines de milliers d’années, pas grand chose au regard des quinze milliards écoulées depuis le Big-Bang, un nouvel animal a émergé, fruit du bricolage vivant. Un physique banal, ou du moins rien d’exceptionnel, rien pour en faire un athlète de la création, pas un de ces géants de l’ère des dinosaures.
Quand il est apparu, l’univers était devenu fort de son incertitude, de ses emboîtements et de ses émergences. On en était bien loin de l’état simple et primitif de la matière. Sous les empires conjugués de la loi de l’entropie qui ne cesse d’accroître l’incertitude, du chaos qui, tout en créant des systèmes structurellement stables, fait diverger les moindres décalages, de l’auto-organisation des cellules vivantes qui accélèrent les ajustements, et du monde animal qui progressivement a appris les langages et les représentations, le monde était infiniment complexe et imprévisible.
Ce nouvel habitant de la Terre allait porter un cran plus loin cette capacité animale à agir ensemble, à inventer et à construire. Avec lui, le langage deviendrait des mots, les représentations des symboles et des images dont il allait habiller les murs de ses habitations. Un matin, il en viendrait à entendre des voix intérieures, à se tourner en lui-même, à penser et se penser, et à vouloir comprendre ce monde qui s’était inventé bien avant lui.
Au bout de sa route, il allait transformer en profondeur la Terre qui l’avait vu naître, restructurant la nature et l’enchâssant dans des constructions de métal, de pierre et de verre. Il allait aussi se doter progressivement de structures collectives de plus en plus sophistiquées qui, emboîtant ses cellules familiales d’origines, seraient d’abord géographiques et tribales, pour devenir très récemment économiques et industrielles.
Alors cet animal, qui ne se reconnaissait plus dans ses congénères et se pensait comme une espèce à part, allait inventer l’art du management, cet art qui se voulait diriger ce monde collectif dans lequel la plupart vivaient.
Mais finalement comment comprendre l’art du management sans l’inscrire dans ce grand continuum qui l’unit au Big-Bang ?

17 août 2012

LA VIE VÉGÉTALE BRICOLE COMME ELLE PEUT...

BEST OF (11-18 avril 2012)
Même les chênes ne naissent pas égaux
Assis sur la terrasse de ma maison en Provence, tout en tapant ces lignes sur le clavier de mon ordinateur, je regarde ces chênes qui commencent à se dessiner au milieu des lignes des lavandes. Certains ont largement dépassé le mètre de haut, alors que d’autres n’émergent pas et restent cachés par les lavandes voisines.
Pourtant, ils ont tous été plantés en même temps, voilà environ cinq ans, proviennent tous du même producteur – ils sont sensés produire des truffes dans quelques années –, et se trouvent sur le même type de sol.
Mais voilà, rien n’est jamais si simple avec le vivant : un peu plus d’eau ici, un peu moins de minéraux là, un rien d’ombre portée par un arbre voisin, peut-être quelques vers trop souvent de passage, sans parler de toutes les herbes sauvages venant se semer et se reproduire au hasard du vent.
Et voilà donc plus de cent chênes que l'on pourrait croire égaux, mais qui ne le sont pas vraiment, et ce en quelques années. Ainsi va le monde végétal, il diverge, bifurque, s’amuse à se rendre imprévisible…

La vie malaxe sans cesse la matière
Intéressons-nous à une molécule d’eau, un morceau de calcaire ou une montagne. Ils sont incontestablement dans un état beaucoup plus complexe que la matière au moment du big-bang : la molécule d’eau est un assemblage sophistiqué de particules élémentaires et elle est en interaction constante avec tout ce qui l’entoure, sous les contraintes des quatre grandes forces de la nature. Si j’arrive à zoomer à l’intérieur de cette molécule, je vais apercevoir le mouvement chaotique et quantique des particules. Quant au calcaire, sa composition est beaucoup plus complexe, et celle de la montagne fait, elle, intervenir un grand nombre de molécules. Dans tous les cas, derrière la stabilité apparente, il y a un mouvement interne, largement imprévisible.
Enfin, si je les observe sur une très longue période, disons quelques millions d’années, plus rien n’est stable, ni prévisible. Le calcaire va se transformer, la montagne s’effondrer, et l’eau s’être évaporée ou avoir été associée à d’autres molécules. Multiplicité des états possibles tant présents à l’intérieur de la matière, que futurs, et donc imprévisibilité et incertitude.
Mais si je les regarde à mon échelle de temps et d’espace, ils me semblent terriblement prévisibles et je peux modéliser ce qu’ils vont devenir. Notons quand même que si la molécule d’eau est partie prenante d’un nuage, les perturbations sont beaucoup plus rapides et incertaines. Il suffit de voir l’imprécision de la météorologie pour s’en persuader. Mais le plus souvent, nous percevons le monde inerte comme prévisible.
Avec la vie, le mouvement change de rythme : la cellule échange sans cesse avec son environnement, et les perturbations qui se faisaient avant souvent sur des périodes longues, sont cette fois accélérées. Voilà à cause de la vie, le nombre d’états possibles dans un délai de temps donné, au sens d’accessibles, considérablement augmenté.
La vie apporte par son nouvel ordre, l’auto-organisation, une explosion de l’incertitude. Elle assure en quelque sorte l’émergence au niveau macroscopique de l’instabilité qui n’était jusqu’alors qu’au niveau macroscopique. Avant la vie, il fallait descendre jusqu’aux particules élémentaires, pour ne pas savoir exactement où elles se trouvaient, ni quel était leur niveau d’énergie réel. En dehors de ces échelons cachés dans la profondeur de la matière, le reste semblait prévisible, car si les processus d’évolution étaient chaotiques, ils étaient le plus souvent lents.
Avec la vie, rien de tel : tout change constamment et continûment. La vie malaxe la matière sans cesse, et de façon imprévisible. Allez donc prévoir la forme d’un chêne, ou quelle sera sa taille dans cinq ans, à partir de la taille d’un gland et de la nature du sol où il est planté…
Le vivant comme la matière inerte suit bien les lois de l’entropie et du chaos : accroissement de l’incertitude et sensibilité extrême à tout changement des conditions initiales. 
La vie accélère l'horloge de l'imprévisibilité
Comment caractériser la vie, et quelles sont ses caractéristiques essentielles qui la différencient de la matière inerte ?
Pour faire simple, je dirai… qu’elle est vivante ! C’est-à-dire parce qu’elle peut s’adapter dynamiquement et rapidement aux conditions du milieu dans lequel elle est plongée, et parce qu’elle peut se reproduire. Adaptation et reproduction.
L’adaptation implique qu’une cellule vivante ne reste littéralement jamais en place. Elle n’est que flux et changement. A la différence d’un morceau de matière inerte, un corps vivant ne peut être ni pensé, ni compris, immobile et figé. Il est en perpétuelle transformation. Il est dynamiquement identique à lui-même, c’est-à-dire aux règles qui le définissent, mais si vous l’arrêtez, il cesse précisément d’être vivant, pour redevenir matière inerte.
La reproduction n’est pas non plus un facteur de stabilité, car elle n’est pas une photocopie de ce qui préexistait. Au contraire, chaque « enfant » hérite des codes génétiques de son ou ses « parents », mais avec toujours une subtile différence. Or qui dit « subtile différence », dit de potentielles macro-divergences, grâce aux effets du chaos. Il y a de cela cinq ans, j’ai planté devant ma maison en Provence, cent quarante nouveaux chênes, possible truffière future. Depuis des mois et des années ont passé. Une goutte d’eau dans l’épaisseur du temps de l’univers, une virgule imperceptible, et pourtant ils sont déjà ces cent quarante petits arbres si différents. Les uns ont à peine grandi, quand d’autres mesurent nettement plus d’un mètre. Aujourd’hui, je sais lesquels ont le plus profité, mais comment aurais-je pu le savoir au départ ?
Ainsi va la vie. Grâce à elle, l’univers a acquis un nouveau niveau d’incertitude : elle se manifeste dans une échelle de temps qui n’a plus rien n’avoir avec celle de la matière inerte. L’incertitude du vivant bat plus vite, l’horloge de l’imprévisibilité vient de considérablement accélérer.
Le principe d'accélération de l'incertitude
Le vivant est-il né pour accélérer les battements de l’incertitude ?
Je n’ai aucun élément pour le démontrer, mais je suis prêt à parier que c’est le cas… surtout quand l’observe que cette incertitude va continuer à accélérer avec l’apparition du monde animal, puis des humains, et plus récemment avec le Neuromonde.
Prenons-le donc comme le principe de l’accélération de l’incertitude que j’énoncerais ainsi : non seulement tout système isolé évolue spontanément en augmentant le nombre de ses possibles et devient d’instant en instant moins prévisible, mais la vitesse de l’augmentation du nombre de ses possibles est croissante.
Retournons au tout début de notre univers, juste après le big-bang. Que se passe-t-il alors ? Non seulement la loi de l’entropie, mais aussi la multiplication du nombre de corps en interaction. Un seul ou quasiment à l’instant initial, puis les particules, et etc.
Or Henri Poincaré a démontré dès le début du XXe siècle, que l’équation dynamique d’un système à trois corps était déjà insoluble. Plus le nombre de corps est grand, plus dans toute portion de l’espace, j’en trouverai plus de trois. Ainsi, l’accroissement exponentiel du nombre de corps en interaction vient non seulement accroître l’incertitude, mais le faire de plus en plus vite.
J’avais donc omis ce point essentiel quand j’ai reformulé la loi de l’entropie (1) : même avant le vivant, non seulement l’incertitude s’accroissait, mais cela arrivait de plus en plus vite. Le nombre d’états qui composent l’univers non seulement s’accroît, mais la vitesse d’accroissement aussi.
Que s’est-il passé alors ?
Est-ce que cette vitesse arrivait à une asymptote dans la matière inerte ? Est-ce que cette accélération continue devait nécessairement conduire à des interactions dynamiques, à l’homéostasie, et donc à la vie ? Est-ce que la naissance du vivant était inéluctable ?
Je crois que le mot inéluctable n’est pas le bon. En effet, rien n’est jamais ni inéluctable, ni écrit à l’avance : comme je l’ai indiqué précédemment dans « Le champ des possibles n’existe pas », l’univers ne fait que définir ce qui ne peut pas advenir, pas l’inverse.
Donc ce que l’on peut dire, c’est que l’apparition du vivant est logique, car c’est une façon pertinente d’accélérer la croissance de l’incertitude : tout se passe dans des intervalles de temps plus court.
Est-ce qu’il aurait pu ou pourrait exister d’autres façons pertinentes de l’accélérer ? Peut-être, et même probablement oui. Est-ce qu’elles existent quelque part dans l’univers ? Peut-être, et même probablement…
Mais comme je ne suis inclus que dans la réalité de ce monde et du vivant, je vais me centrer sur celle-ci…
La vie dérive naturellement
Comment évolue donc le monde ? Comment est-on passé de ce moment « simple » du big-bang où tout était en un quasi-point, en un seul état et une seule force, à ce monde si complexe du végétal, et demain au monde animal, et bientôt à l’homme ?
Faut-il absolument un architecte qui en aurait défini les règles et le piloterait ? Mais comment une telle vision serait-elle compatible avec la loi de l’incertitude, et le principe de son accélération ? Aurait-il lui une connaissance infiniment précise qui ferait que, malgré les lois du chaos, les évolutions lui seraient prévisibles ?
Tout ceci n’emporte pas ma conviction, et sans préjuger de l’existence ou non d’un architecte, je ne le vois pas ayant un rôle prédictif de ce qui est en train de se passer. Surtout que nous pouvons très bien avoir une explication plausible de l’évolution sans une telle hypothèse.
Je vais reprendre ici en la résumant l’approche développée par François Varela, approche qui constitue une forme d’actualisation de la théorie de Darwin, et qu’il appelle la dérive naturelle.
En simplifiant la vision développée par Darwin, elle reposait sur l’affirmation suivante : un être vivant passe d’un état A à un état B parce, dans cet état B, il est mieux adapté que dans A au milieu dans lequel il vit.
Cette affirmation pose deux problèmes majeurs :
-        Le milieu dans lequel il vit n’est pas un point fixe ou un référent immuable : ce milieu évolue lui-même, et c’est donc d’une co-évolution qu’il s’agit. Tout bouge en même temps.
-        On ne peut pas définir intrinsèquement qu’un état est mieux adapté qu’un autre : vu le nombre de variables mises en jeu, toute préférence est contingente et fonction de la grille de critères choisis, ainsi que de la pondération.
Les « possibles » sont en beaucoup trop grand nombre pour pouvoir être comparés entre eux, et la notion d’optimisation absolue n’a pas grand sens. Tout est emmêlé et il n’y a pas de juge de paix capable de définir la meilleure évolution : trop de variables, trop d’interdépendances, trop de boucles retour. Si l’évolution procédait ainsi, elle n’aurait jamais commencé !
Non, l’optimisation est plus modeste, elle est contextuelle et locale : une évolution se produit non pas parce qu’elle est optimale, mais simplement parce qu’elle est acceptable, parce qu’elle apporte une solution possible.
Ainsi la logique de l’évolution est peu précise et floue, elle tâtonne et dérive d’écueils en écueils. Elle n’est certaine qu’a posteriori, car a priori rien ne s’imposait vraiment. Disons que la vie « joue au tennis » : comme au tennis, les règles de l’évolution ne définissent pas à quelle hauteur il faut précisément lancer la balle, ni à quel endroit elle doit exactement rebondir. Elles se contentent de mettre un filet, de dessiner des lignes et, laissent la vie jouer avec.
Cette recherche de solution acceptable se produit au sein de chaque composante du monde. Au plus profond de la matière inerte comme vivante, se poursuit une course en avant de déséquilibre en déséquilibre : chaque unité, quelle que soit sa taille et sa nature, a autour d’elle un champ de possibles qui est la résultante des contraintes qui lui sont appliquées. Ces contraintes proviennent des lois qui régissent l’univers, et aussi des conséquences des mouvements des autres unités qui l’entoure, la compose et l’emboîte.
Chaque unité bricole donc avec ses voisines, et cahin-caha le monde avance.
Comme tout végétal est constitué d’une multitude de sous-systèmes emboîtés, et que chacun de ces sous-systèmes n’est ni seul, ni simple, les interférences entre tous les logiques auto-organisatrices dessinent un bricolage dynamique d’une complexité défiant toute modélisation. On ne peut que constater l’évolution, et en aucun cas la prévoir : Francesco Varela parle de solution « satisficing », c’est-à-dire instantanément satisfaisante.
Mais cette « satisfaction » n’est que provisoire et dynamique. L’évolution est permanente, et pour prendre une autre image, le monde fait du vélo en permanence : si jamais il s’arrêtait de bouger, il tomberait.
Telle semble bien être la logique apportée par la vie, telle est sa contribution décisive à l’accélération de l’incertitude : elle transforme les encastrements des poupées russes de la matière inerte, en un flux mouvant et changeant d’interactions emboîtées.