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11 mars 2015

L’ABSENCE DURABLE DE CROISSANCE NOUS CONDAMNE À NOUS REMETTRE EN CAUSE

N’attendons pas qu’un miracle nous tombe du ciel et nous sauve ! (3)
Je ne sais pas lire l’avenir dans une boule de cristal, mais à la lecture de ces scénarios, il me semble plus que raisonnable de nous préparer à être au mieux à une croissance entre 0 et 1%, c’est-à-dire bien peu. Conclusion n’attendons pas de miracle venant de ce côté-ci !
A l’appui de ce raisonnement, je peux témoigner d’une conversation récente avec un ami en charge, au sein d’une des plus grandes banques mondiales, d’une cellule spécialisée sur la conseil auprès des fonds de pension. Les scénarios sur lequel il travaille sont bien ceux-là.
Est-ce à dire que nous sommes face à une catastrophe dans nos pays occidentaux ?
Non, car nous avons un capital accumulé considérable, et qu’une bonne partie de la population – disons les 20 à 30% les plus aisés –, gaspille allégrement l’argent qu’elle gagne dans des objets inutiles.
Nous devons donc nous remettre en cause, et développer des solidarités réelles et fortes !
Et quant à la France, ceci rend encore plus indispensable le fait d’avoir un système public ramassé et efficace. Le temps des vaches grasses est terminé, et nous devons durablement apprendre à concentrer nos dépenses publiques sur le nécessaire si nous voulons préserver le cœur de notre système social et éducatif, ainsi que maintenir les dépenses régaliennes que sont la justice, la sécurité ou la défense. Nous devons aussi recréer du lien et réapprendre à vivre ensemble.

Le miracle ne va pas nous tomber du ciel, et ce ne sont les incantations miraculeuses de notre Président actuel qui vont suffire !

10 mars 2015

CROISSANCE MONDIALE ET CROISSANCE DANS LES PAYS DÉVELOPPÉS

N’attendons pas qu’un miracle nous tombe du ciel et nous sauve ! (2)
Est-ce à dire que nous allons voir repartir la croissance mondiale ? Oui, mais nous avons la limite de l’accès aux ressources physiques rares et à l’accroissement de la consommation énergétique.
Aussi, si je vois effectivement, contrairement à ce que semble prévoir Patrick Arthus, la croissance mondiale repartir de l’avant, elle restera très probablement contrainte par ces ressources.
Quelle conséquence maintenant pour nos pays occidentaux, et singulièrement la France ? Peut-on raisonnablement parier sur un retour proche d’une croissance importante et durable, c’est-à-dire en moyenne supérieure à 2%, et proche de 3% ?
Non, car il faut prendre en compte un autre phénomène mondial, qui est celui du rattrapage des pays comme la Chine, le Brésil, l’Inde, et demain le reste de l’Asie, de l’Amérique du Sud et de l’Afrique.
Il est en effet plus que raisonnable de prendre comme hypothèse que, sous la conséquence de la poursuite de la mondialisation des entreprises et des flux économiques, les écarts entre pays vont inexorablement et tendanciellement continuer à se réduire. Un peu comme quand vous ouvrez les vannes entre des bassins et que vous voyez les niveaux d’eau converger.
Actuellement l’Europe de l’Ouest, le Japon et l’Amérique du Nord représentent de l’ordre de 45 % du PIB mondial, et ont un PIB par habitant supérieur  à 30000 €. Tous les autres pays représentent donc 55% du PIB mondial, et ont eux un PIB par habitant de l’ordre de 6000 € (1), soit 5 fois moins.
Une simulation très simple à réaliser montre que si la croissance mondiale est de 3%, et que celle des pays en retard est de 5%, la croissance dans nos pays sera mécaniquement autour de 0,5%. Si la croissance mondiale reste à 3% et que celle des pays en retard est de 6%, alors nous sommes en récession de près de 1%.
Pour que nous puissions atteindre une croissance supérieure à 2%, il faudrait une croissance mondiale de 5% et une croissance des pays en retard de seulement 7%. 
Peu probable non ?

(1) Avec des écarts très importants entre pays puisqu’il va de plus de 15000 € en Russie à autour de 2000 € en Afrique subsaharienne.

(à suivre)

9 mars 2015

CROISSANCE ZÉRO ?

N’attendons pas qu’un miracle nous tombe du ciel et nous sauve ! (1)
Dans son livre publié en janvier dernier, « Croissance Zéro », Patrick Arthus expose pourquoi la France serait condamnée à faire face durablement à une croissance nulle. Pour lui, tout viendrait d’une érosion de la croissance mondiale, liée à un ralentissement de l’accroissement de la productivité.
Pourquoi ? Parce que le développement d’internet et du numérique ne s’accompagnerait pas des gains de productivité attendus. Toujours selon lui, ceci pourrait être dû à 3 raisons possibles :
- Il est encore trop tôt pour les constater : ce n’est qu’au bout de 40 ans, que le moteur électrique a donné tous ses effets,
- La population mondiale n’a pas assez été formée, et nous ne savons pas comment tirer parti des ces nouvelles technologies,
- Internet n’est pas une réelle révolution, et n’est qu’une amélioration marginale.
Je ne crois pas personnellement que la troisième hypothèse soit la bonne, mais je remarque que les deux premières ne sont que les deux faces d’une même hypothèse : il était trop tôt pour en voir les effets.
Je suis persuadé que ce n’est que maintenant que les choses commencent :
- Une nouvelle génération, la fameuse génération Y, arrive dans les entreprises et a grandi avec Internet. Elle sait intuitivement comment en tirer parti.
- Chaque homme ou femme, ou presque, est aujourd’hui connecté à haut débit, et dispose dans sa poche ou dans sa main d’un terminal avec un écran à haute définition.
- Le développement du Big Data ouvre des horizons inconnus en matière de personnalisation, d’organisation du travail et de désintermédiation.
Pour compléter le tableau, je citerais aussi la multiplication et la sophistication croissante des imprimantes 3D. Sans parler des liens prometteurs avec la biologie.
Bref tout commence !
(à suivre)

24 sept. 2014

CROIRE AU FUTUR ET EN L’AUTRE

Curiosité et attachement, nos deux systèmes vitaux
Dans une conférence tenue en janvier 2011, le neurobiologiste Gerald Hüther met l’accent sur le fait que nous naissons munis de deux systèmes : la curiosité et l’attachement (voir la vidéo de cette conférence à la fin de cet article).
La curiosité ancre en nous que ce qui n’est pas connu peut être meilleur, que la croissance et le développement sont non seulement possibles mais souhaitables. Nous avons commencé au sein d’un utérus en n’étant que des cellules identiques et indifférenciées, puis nous sommes devenus fœtus, et avec l’accouchement, notre grande aventure a commencé.
L’attachement qui est le lien aux autres et à ce qui n’est pas nous, nous laisse à penser que nous sommes les bienvenus et que l’altérité n’est pas une menace, mais un complément, un appui, une aide. Dans l’utérus, nous avions baigné dans cette assistance, sans laquelle jamais nous n’aurions pu naître. 
Aussi c’est confiant que nous en sommes sortis. Partis pour grandir en confiance...
Quel douche depuis, non ? Pas facile de continuer à croire à nos rêves et nos espérances de progrès. Pas facile, non plus de voir en l’autre un recours et non pas un rival.
Dans sa conférence, Gerald Hüther met en exergue combien le système éducatif est en décalage par rapport à ces deux systèmes. Mais il n’y a pas que l’éducation qui est en cause. Le management dans les entreprises ferait bien aussi de se remettre en question. Combien de dirigeants savent créer les conditions pour plus de développement personnel, plus d’ambitions individuelles et collectives, plus de coopération et moins de compétition ?
Malheureusement, bien peu…

25 août 2014

LE CAPITAL DU XXIe SIÈCLE : CROISSANCE, MYTHES ET RÉALITÉS

Le capital du XXIe siècle (Best of - Billets parus entre 10 et 19/6/14)
Difficile depuis quelques semaines de ne pas avoir entendu parler du livre de Thomas Piketty, le Capital du XXIe siècle. Qu'y dit-il à propos de la croissance ?
Tout d'abord, avant d'entrer dans le vif du sujet, une des premières bones surprises à la lecture du livre de Thomas Piketty est son regard distancié et souvent critique sur ses confrères, les économistes.
Laissons-lui la parole avec trois citations :
« Disons-le tout net : la discipline économique n’est toujours pas sortie de sa passion infantile pour les mathématiques et les spéculations purement théoriques, et souvent très idéologiques, au détriment de la recherche historique et du rapprochement avec les autres sciences sociales. Trop souvent, les économistes sont avant tout préoccupés par de petits problèmes mathématiques qui n’intéressent qu’eux-mêmes, ce qui leur permet de se donner à peu de frais des apparences de scientificité et d’éviter d’avoir à répondre aux questions autrement plus compliquées posées par le monde qui les entoure.  »
« L’expérience de la France à la Belle Époque démontre si besoin est le degré de mauvaise foi atteint par les élites économiques et financières pour défendre leur intérêt, ainsi parfois que par les économistes, qui occupent actuellement une place enviable dans la hiérarchie américaine des revenus, et qui ont souvent une fâcheuse tendance à défendre leur intérêt privé, tout en se dissimulant derrière une improbable défense de l’intérêt général.  »
« Je n’aime pas beaucoup l’expression « science économique », qui me semble terriblement arrogante et qui pourrait faire croire que l’économie aurait atteint une scientificité supérieure, spécifique, distincte de celle des autres sciences sociales. Je préfère nettement l’expression « économie politique », peut-être un peu vieillotte, mais qui a le mérite d’illustrer ce qui me paraît être la seule spécificité acceptable de l’économie au sein des sciences sociales, à savoir la visée politique, normative et morale. (…) Trop longtemps, les économistes ont cherché à définir leur identité à partir de leurs supposées méthodes scientifiques. En réalité, ces méthodes sont surtout fondées sur un usage immodéré des modèles mathématiques, qui ne sont souvent qu’une excuse permettant d’occuper le terrain et de masquer la vacuité du propos.  »
Daniel Kahneman a déjà mis l’accent sur ce danger d’une application simpliste des mathématiques, notamment en insistant sur le fait que nous sommes des « Humans » et non pas des « Econs » (voir mon article consacré à ce point : Arrêtons de diriger en croyant le monde peuplé d’ « Écons » !).
J’ai moi-même, à de multiples reprises, expliqué que l’art du management avait peu à voir avec les mathématiques, et davantage avec la philosophie et l’histoire (voir par exemple « Philosophie et histoire sont plus utiles que les mathématiques pour diriger dans l'incertitude  »)
Rassurant de voir que Thomas Piketty, tout en s’appuyant sur de nombreux calculs, ne croît pas que la vérité va miraculeusement en surgir…
Croissance de la production et croissance de la population
Venons-en donc maintenant au thème de la croissance. Que dit-il à son sujet ?


D’abord une remarque de bon sens, mais qui est souvent ignorée : le premier moteur de la croissance est l’expansion démographique.
Aussi, pour parler de la croissance et analyser sa dynamique, il faut d’abord commencer par étudier la croissance démographique : en effet si la population s’accroît de 1%, tout croissance de la production inférieure à 1% représente en fait une régression par habitant.
Donc comment la population mondiale a-t-elle évoluée depuis l’antiquité ?
Pourquoi partir de si loin ? Car c’est bien un des enseignements les plus fascinants de ce livre, c’est la longueur des séries historiques, qui permet de remettre en perspective nos réflexions.
Qu’en dit-il ?
« Quelles que soient les imperfections des sources historiques et des estimations de la population mondiale à ces deux dates, il ne fait donc aucun doute que la croissance démographique moyenne entre l’an 0 et 1700 était nettement inférieure à 0,2 % par an, et très certainement inférieure à 0,1 %.  »
Tout change ensuite.
« Conséquence de cet emballement démographique : le taux de croissance de la population au niveau mondial atteint au XXe siècle le chiffre record de 1,4 % par an, alors qu’il n’avait été que de 0,4 %-0,6 % aux XVIIIe et XIXe siècles.  »
Du coup, on peut alors accéder au calcul de la croissance par habitant, c’est-à-dire celle qui mesure la progression du revenu individuel, et donc la vitesse de transformation d’une société.
« Au niveau mondial, la croissance moyenne de 0,8 % par an de la production par habitant entre 1700 et 2012 se décompose en à peine 0,1 % au XVIIIe siècle, 0,9 % au XIXe siècle et 1,6 % au XXe siècle. En Europe occidentale, la croissance moyenne de 1,0 % entre 1700 et 2012 se décompose en 0,2 % au XVIIIe siècle, 1,1 % au XIXe siècle et 1,9 % au XXe siècle. Le pouvoir d’achat moyen en vigueur sur le Vieux Continent a tout juste progressé entre 1700 et 1820, puis a été multiplié par plus de deux entre 1820 et 1913, et par plus de six entre 1913 et 2012. »
Donc plus d’un siècle de quasi stagnation, puis une accélération depuis 1820, et surtout depuis 1910.
Croître de 1,5% par an, c’est grandir de plus de 50% en 30 %
Quelques premiers commentaires sur la croissance.
Quand nous nous émerveillons de la croissance américaine, et que nous nous lamentons sur l’atonie en Europe, nous oublions que l’essentiel de l’écart est dû à la différence entre les dynamiques démographiques : si les États-Unis croissent plus vite que nos vieux pays, c’est d’abord à cause de la croissance de la population. Voilà qui donne une nouvelle saveur à tous les discours qui veulent limiter l’immigration…
Mais l’essentiel dans l’analyse de Thomas Piketty est ailleurs, elle est dans son affirmation que le rythme normal de la croissance de production par habitant se situe autour de 1 %, et que la croissance à long terme dans les pays avancés ne peut pas être supérieure à 1,5% :
« Qu’importe le détail de ces chiffres : le point important est qu’il n’existe aucun exemple dans l’histoire d’un pays se trouvant à la frontière technologique mondiale et dont la croissance de la production par habitant soit durablement supérieure à 1,5 %. (…) Sur la base de l’expérience historique des derniers siècles, il me paraît assez improbable que la croissance à long terme de la production par habitant dans les pays les plus avancés puisse être supérieure à 1,5 % par an. Mais je suis bien incapable de dire si elle sera de 0,5 %, 1 % ou 1,5 %. Le scénario médian présenté plus loin repose sur une croissance à long terme de la production par habitant de 1,2 % par an dans les pays riches, ce qui est relativement optimiste par comparaison aux prédictions de Gordon (qui me semblent un peu trop sombres), et en particulier ne pourra se produire que si de nouvelles sources d’énergie permettent de remplacer les hydrocarbures, en voie d’épuisement. Mais il ne s’agit que d’un scénario parmi d’autres.  »
Est-ce si grave ? Est-ce que cela veut dire que nous sommes condamnés au déclin ? Non, bien au contraire, car :

« La bonne façon de voir le problème est là encore de se placer au niveau générationnel. Sur trente ans, une croissance de 1 % par an correspond à une croissance cumulée de plus de 35 %. Une croissance de 1,5 % par an correspond à une croissance cumulée de plus de 50 %. (…)
Il s’agit d’une différence considérable avec les sociétés du passé, où la croissance était quasi nulle, ou bien d’à peine 0,1 % par an, comme au XVIIIe siècle. Une société où la croissance est de 0,1 % ou 0,2 % par an se reproduit quasiment à l’identique d’une génération sur l’autre : la structure des métiers est la même, la structure de la propriété également. Une société où la croissance est de 1 % par an, comme cela est le cas dans les pays les plus avancés depuis le début du XIXe siècle, est une société qui se renouvelle profondément et en permanence.  »
Certes, certes, mais nous sommes bien loin du discours des politiques qui rêvent d’une croissance supérieure à 2%, ce qui, vu notre stagnation démographique en Europe, serait donc hors de portée.
Mais pourtant nous avons connu dans le passé, une telle croissance. Ah, ses merveilleuses Trente Glorieuses…
Croître plus vite pour reconstruire et rattraper


Si un rythme de croissance « normale » par habitant est de 1 à 1,5% par an pour une économie développée, pourquoi avons-nous connu au cours des années appelées les Trente Glorieuses une croissance beaucoup plus rapide ? N’étions-nous alors pas développés ?
Pas exactement… mais oui d’une certaine façon. En effet, si les économies européennes étaient déjà dès les années cinquante, sophistiquées, elles venaient de subir le double choc des deux guerres mondiales. Elles avaient donc accumulé pendant la période 1914-1945, un retard de croissance important : les Trente Glorieuses ne seraient qu’un phénomène de rattrapage.
« Une fois ce rattrapage terminé, l’Europe et les États-Unis se sont retrouvés ensemble à la frontière mondiale, et se sont mis à croître au même rythme, qui est structurellement un rythme lent à la frontière. »
Selon Thomas Piketty – et les données venant à l’appui de ses propos sont convaincantes –, pas grand chose donc à voir avec un quelconque meilleure efficacité économique. Nous n’avons pas alors eu une croissance rapide parce que nous étions plus performants qu’aujourd’hui, mais simplement parce que nous rattrapions notre retard et reconstruisions notre pays.
A l’appui de sa thèse, il montre qu’il y a une corrélation directe entre l’importance du taux de croissance par habitant pendant les Trente Glorieuses, et le taux de destruction et de préjudice subi précédemment : l’Europe croît beaucoup plus vite que les États-Unis (attention en mesurant ceci par habitant, car la croissance des États-Unis totale était, elle, importante, parce que tirée par l’expansion démographique), et au sein de l’Europe, l’Europe continentale plus vite que le Royaume-Uni.
Il en arrive à conclure que ceci n’a rien à voir avec la politique suivie alors :
« Il est probable que la France, l’Allemagne et le Japon auraient rattrapé leur retard de croissance à la suite de l’effondrement des années 1914-1945, quelles que soient les politiques suivies, ou presque. Tout juste peut-on dire que l’étatisme n’a pas nui. »
Symétriquement, il en vient à douter de l’impact des politiques libérales développées aux États-Unis et en Angleterre à partir des années 80. Constatant le retard de croissance, ces deux pays ont changé de politique au moment où le rattrapage était terminé, et du coup l’écart de croissance entre eux et l’Europe continentale a disparu… non pas parce que ces politiques libérales étaient plus efficaces, mais simplement parce que le retard accumulé à cause des deux guerres avaient été effacé .
Finalement, il en arrive à douter de la validité de toute corrélation entre le type de politique menée et la croissance observée.
« Aujourd’hui encore, dans ces deux pays (États-Unis et Grande-Bretagne), on considère souvent que les révolutions conservatrices ont été un franc succès puisque les deux pays ont cessé de croître moins vite que l’Europe continentale et le Japon. En vérité, le mouvement de libéralisation entamé autour de 1980 de même d’ailleurs que le mouvement d’étatisation mis en œuvre en 1945 ne méritent ni cet excès d’honneur ni cet excès d’indignité. De même, une fois que la frontière mondiale était rattrapée, il n’est guère étonnant que ces pays aient cessé de croître plus vite que les pays anglo-saxons, et que tous les taux de croissance se soient alignés. (…) En première approximation, les politiques de libéralisation ne semblent guère avoir affecté cette réalité toute simple, ni à la hausse ni à la baisse.  »
Et nous retrouvons avec une France qui rêve de revenir à l’interventionnisme étatique et des pays anglo-saxons chantres de l’ultra-libéralisme, les uns et les autres leur attribuant des vertus qu’ils n’auraient pas !
Attention à ne pas en conclure qu’il n’y a aucun lien entre politique publique et performance économique…
Diriger par émergence s’applique aussi à la politique
Nous voilà donc avec une affirmation plus que troublante : la performance économique d’un pays ne dépendrait que bien peu de la politique menée par ceux qui le gouverne.
Avant de modérer ce propos, et de revenir sur les limites à lui apporter, je veux d’abord relever que ceci est très directement en ligne avec nombre de constats faits dans le management des entreprises, et au premier chef par Daniel Kahneman : un dirigeant qui réussit est d’abord un dirigeant qui est à la tête d’une entreprise qui réussit et se trouve porté par des vagues favorables.
Cela fait écho à cette histoire fameuse dans la culture chinoise, où un grand général apprend qu’il a gagné des batailles d’abord parce qu’il était à la tête de la meilleure armée, et secondairement à cause de ses propres décisions. Écho aussi à Léon Tolstoï qui, dans Guerre et Paix, montre comment la campagne de Russie de Napoléon Bonaparte fut essentiellement le fruit du hasard. (voir mon article « Le succès d’un champion est d’abord dû au hasard, et secondairement à son talent  »).
Que nos hommes politiques, comme les dirigeants d’entreprises, apprennent donc d’abord l’art de la modestie.
Mais est-ce à dire que quel que soit son leader un pays va réussir ou échouer, à cause des circonstances ?
Certainement pas !
Comme je l’ai expliqué longuement dans mon dernier livre, Les Radeaux de feu, l’acceptation du dépassement et le passage au management par émergence, ne sont pas le renoncement au management. Ils impliquent un nouveau mode de management, fait de leadership, de capacité à trouver des points fixes sur lesquels caler sa stratégie, mettre en place des organisations simples où chacun comprend son rôle et celui des autres, développer une culture faite de confiance et confrontation :
« Chacun est riche de sa personnalité, de son histoire, de ses compétences, de ses rêves, de ses envies, de sa compréhension. La cohésion de l’ensemble résulte de processus subtils, tissés de confiance et confrontation, associant lâcher-prise, vision commune, geste naturel et prise d’initiatives. Aussi pour faire que ce radeau collectif ne soit pas le jouet des événements, et que ce ne soit pas le fleuve et les éléments qui choisissent sa destination, l’art du management doit être également subtil : il ne peut être question pour le dirigeant de se voir ni comme une reine véhiculée et protégée passivement par ses troupes, ni comme un Dieu tout puissant, sachant tout et décidant de tout. À lui et à son équipe de direction de trouver le cap, de faire que la rivière devienne fleuve, d’apporter confiance et stabilité, de créer les conditions pour que chacun puisse effectivement agir individuellement et collectivement… Pour cela, il doit agir dans le non-agir, décider par exception, accompagner et soutenir, jamais ne cesser de vouloir mieux comprendre et apporter du sens.  »
Alors, et alors seulement, les processus émergents feront que les actions collectives sauront tirer le meilleur parti des situations et des opportunités.
Quand je regarde comment nos pays, et singulièrement la France, sont dirigés, je ne peux que constater que nous en sommes loin…
Apprendre à vivre durablement avec une croissance d’environ 1%
Si le politique n’est pas sans prise sur ce qui se passe dans son pays, il n’en reste pas moins soumis aux lois globales de l’évolution. Un bateau ne peut pas faire fi du cours du fleuve… Il est donc essentiel de le comprendre et de l’intégrer.


Or en matière de croissance, les prévisions de Thomas Piketty pour les décennies à venir ne nous dessinent pas un futur porté par une forte croissance, du moins dans nos pays occidentaux.
En raisonnant d’abord sur la croissance par habitant, il prévoit pour la période 2012-2100 :
- 1,2 % pour les pays les plus riches (Europe occidentale, Amérique du Nord, Japon),
- La poursuite du processus du convergence jusqu’à 2050 pour les autres pays avec une croissance de 5% puis 4% ; et à partir de 2050, un croissance de 1,2%
Soit en moyenne : « Dans ce scénario médian-optimiste, la croissance mondiale de la production par habitant dépasserait légèrement 2,5 % par an entre 2012 et 2030, puis de nouveau entre 2030 et 2050, avant de tomber au-dessous de 1,5 % après 2050, et de se diriger vers 1,2 % dans le dernier tiers du siècle. »
En intégrant les prévisions démographiques, il obtient comme prévision pour la croissance mondiale totale, un ralentissement progressif depuis le taux actuel de 3,5%, à 3% en 2050, et 1,5% à la fin du siècle.
Notons qu’il considère ceci comme un scenario optimiste :
« Elle suppose une continuation sans heurt politique ou militaire du processus de convergence des pays émergents vers les pays riches, jusqu’à son terme vers 2050, ce qui est très rapide. Il est aisé d’imaginer des scénarios moins optimistes, auquel cas la courbe en cloche de la croissance mondiale pourrait tomber plus vite et vers des niveaux plus bas que ceux indiqués sur les graphiques.  »
Inutile de prendre à la lettre ces prévisions – d’ailleurs Thomas Piketty lui-même attire l’attention des lecteurs sur le fait qu’il ne s’agit que de scenarios de cadrage –, l’important est de retenir les ordres de grandeur, et notamment que le plus probable est que, pour les décennies à venir, la croissance dans nos pays d’Europe se situera guère au-dessus de 1%.
Comme déjà indiqué, cela ne correspond en rien à une stagnation, mais imaginer que l’on pourra grâce à une politique volontariste – qu’elle soit d’inspiration libérale ou étatiste –, renouer avec des taux de croissance de 2, voire 3% est très probablement illusoire.
Ceci rejoint plusieurs articles que j’ai publié ces dernières années sur mon blog, dans le Cercle Les Échos et Sur AgoraVox (voir notamment "Le meilleur est improbable, mais il n'est pas hors d'atteinte" paru en 2012)
Nous devons donc nous organiser pour vivre et prospérer avec ce niveau de croissance. Pour un pays comme la France, cela renforce la nécessité d’entreprendre le plus tôt possible des transformations structurelles : nous ne règlerons pas nos problèmes de chômage et d’endettement public grâce à une croissance revenue miraculeusement.
Et si jamais le futur était meilleur, il serait alors très facile d'y faire face !

19 juin 2014

NOUS DEVONS APPRENDRE À VIVRE DURABLEMENT AVEC UNE CROISSANCE D’ENVIRON 1 %

Le capital du XXIe siècle (7) – Croissance5
Si le politique n’est pas sans prise sur ce qui se passe dans son pays, il n’en reste pas moins soumis aux lois globales de l’évolution. Un bateau ne peut pas faire fi du cours du fleuve… Il est donc essentiel de le comprendre et de l’intégrer.
Or en matière de croissance, les prévisions de Thomas Piketty pour les décennies à venir ne nous dessinent pas un futur porté par une forte croissance, du moins dans nos pays occidentaux.
En raisonnant d’abord sur la croissance par habitant, il prévoit pour la période 2012-2100 :
- 1,2 % pour les pays les plus riches (Europe occidentale, Amérique du Nord, Japon),
- La poursuite du processus du convergence jusqu’à 2050 pour les autres pays avec une croissance de 5% puis 4% ; et à partir de 2050, un croissance de 1,2%
Soit en moyenne : « Dans ce scénario médian-optimiste, la croissance mondiale de la production par habitant dépasserait légèrement 2,5 % par an entre 2012 et 2030, puis de nouveau entre 2030 et 2050, avant de tomber au-dessous de 1,5 % après 2050, et de se diriger vers 1,2 % dans le dernier tiers du siècle. »
En intégrant les prévisions démographiques, il obtient comme prévision pour la croissance mondiale totale, un ralentissement progressif depuis le taux actuel de 3,5%, à 3% en 2050, et 1,5% à la fin du siècle.
Notons qu’il considère ceci comme un scenario optimiste :
« Elle suppose une continuation sans heurt politique ou militaire du processus de convergence des pays émergents vers les pays riches, jusqu’à son terme vers 2050, ce qui est très rapide. Il est aisé d’imaginer des scénarios moins optimistes, auquel cas la courbe en cloche de la croissance mondiale pourrait tomber plus vite et vers des niveaux plus bas que ceux indiqués sur les graphiques. »
Inutile de prendre à la lettre ces prévisions – d’ailleurs Thomas Piketty lui-même attire l’attention des lecteurs sur le fait qu’il ne s’agit que de scenarios de cadrage –, l’important est de retenir les ordres de grandeur, et notamment que le plus probable est que, pour les décennies à venir, la croissance dans nos pays d’Europe se situera guère au-dessus de 1%.
Comme déjà indiqué, cela ne correspond en rien à une stagnation, mais imaginer que l’on pourra grâce à une politique volontariste – qu’elle soit d’inspiration libérale ou étatiste –, renouer avec des taux de croissance de 2, voire 3% est très probablement illusoire.
Ceci rejoint plusieurs articles que j’ai publié ces dernières années sur mon blog, dans le Cercle Les Échos et Sur AgoraVox (voir notamment "Le meilleur est improbable, mais il n'est pas hors d'atteinte" paru en 2012)
Nous devons donc nous organiser pour vivre et prospérer avec ce niveau de croissance. Pour un pays comme la France, cela renforce la nécessité d’entreprendre le plus tôt possible des transformations structurelles : nous ne règlerons pas nos problèmes de chômage et d’endettement public grâce à une croissance revenue miraculeusement.
Et si jamais le futur était meilleur, il serait alors très facile d'y faire face ! 
(à suivre)

18 juin 2014

DIRIGER PAR ÉMERGENCE S’APPLIQUE AUSSI À LA POLITIQUE

Le capital du XXIe siècle (6) – Croissance4
Nous voilà donc avec une affirmation plus que troublante : la performance économique d’un pays ne dépendrait que bien peu de la politique menée par ceux qui le gouverne.
Avant de modérer ce propos, et de revenir sur les limites à lui apporter, je veux d’abord relever que ceci est très directement en ligne avec nombre de constats faits dans le management des entreprises, et au premier chef par Daniel Kahneman : un dirigeant qui réussit est d’abord un dirigeant qui est à la tête d’une entreprise qui réussit et se trouve porté par des vagues favorables.
Cela fait écho à cette histoire fameuse dans la culture chinoise, où un grand général apprend qu’il a gagné des batailles d’abord parce qu’il était à la tête de la meilleure armée, et secondairement à cause de ses propres décisions. Écho aussi à Léon Tolstoï qui, dans Guerre et Paix, montre comment la campagne de Russie de Napoléon Bonaparte fut essentiellement le fruit du hasard. (voir mon article « Le succès d’un champion est d’abord dû au hasard, et secondairement à son talent »).
Que nos hommes politiques, comme les dirigeants d’entreprises,  apprennent donc d’abord l’art de la modestie.
Mais est-ce à dire que quel que soit son leader un pays va réussir ou échouer, à cause des circonstances ?
Certainement pas !
Comme je l’ai expliqué longuement dans mon dernier livre, Les Radeaux de feu, l’acceptation du dépassement et le passage au management par émergence, ne sont pas le renoncement au management. Ils impliquent un nouveau mode de management, fait de leadership, de capacité à trouver des points fixes sur lesquels caler sa stratégie, mettre en place des organisations simples où chacun comprend son rôle et celui des autres, développer une culture faite de confiance et confrontation :
« Chacun est riche de sa personnalité, de son histoire, de ses compétences, de ses rêves, de ses envies, de sa compréhension. La cohésion de l’ensemble résulte de processus subtils, tissés de confiance et confrontation, associant lâcher-prise, vision commune, geste naturel et prise d’initiatives. Aussi pour faire que ce radeau collectif ne soit pas le jouet des événements, et que ce ne soit pas le fleuve et les éléments qui choisissent sa destination, l’art du management doit être également subtil : il ne peut être question pour le dirigeant de se voir ni comme une reine véhiculée et protégée passivement par ses troupes, ni comme un Dieu tout puissant, sachant tout et décidant de tout. À lui et à son équipe de direction de trouver le cap, de faire que la rivière devienne fleuve, d’apporter confiance et stabilité, de créer les conditions pour que chacun puisse effectivement agir individuellement et collectivement… Pour cela, il doit agir dans le non-agir, décider par exception, accompagner et soutenir, jamais ne cesser de vouloir mieux comprendre et apporter du sens. »
Alors, et alors seulement, les processus émergents feront que les actions collectives sauront tirer le meilleur parti des situations et des opportunités.
Quand je regarde comment nos pays, et singulièrement la France, sont dirigés, je ne peux que constater que nous en sommes loin…
(à suivre)

17 juin 2014

CROÎTRE PLUS VITE POUR RECONSTRUIRE ET RATTRAPER

Le capital du XXIe siècle (5) – Croissance3
Si un rythme de croissance « normale » par habitant est de 1 à 1,5% par an pour une économie développée, pourquoi avons-nous connu au cours des années appelées les Trente Glorieuses une croissance beaucoup plus rapide ? N’étions-nous alors pas développés ?
Pas exactement… mais oui d’une certaine façon. En effet, si les économies européennes étaient déjà dès les années cinquante, sophistiquées, elles venaient de subir le double choc des deux guerres mondiales. Elles avaient donc accumulé pendant la période 1914-1945, un retard de croissance important : les Trente Glorieuses ne seraient qu’un phénomène de rattrapage.
« Une fois ce rattrapage terminé, l’Europe et les États-Unis se sont retrouvés ensemble à la frontière mondiale, et se sont mis à croître au même rythme, qui est structurellement un rythme lent à la frontière. »
Selon Thomas Piketty – et les données venant à l’appui de ses propos sont convaincantes –, pas grand chose donc à voir avec un quelconque meilleure efficacité économique. Nous n’avons pas alors eu une croissance rapide parce que nous étions plus performants qu’aujourd’hui, mais simplement parce que nous rattrapions notre retard et reconstruisions notre pays.
A l’appui de sa thèse, il montre qu’il y a une corrélation directe entre l’importance du taux de croissance par habitant pendant les Trente Glorieuses, et le taux de destruction et de préjudice subi précédemment : l’Europe croît beaucoup plus vite que les États-Unis (attention en mesurant ceci par habitant, car la croissance des États-Unis totale était, elle, importante, parce que tirée par l’expansion démographique), et au sein de l’Europe, l’Europe continentale plus vite que le Royaume-Uni.
Il en arrive à conclure que ceci n’a rien à voir avec la politique suivie alors :
« Il est probable que la France, l’Allemagne et le Japon auraient rattrapé leur retard de croissance à la suite de l’effondrement des années 1914-1945, quelles que soient les politiques suivies, ou presque. Tout juste peut-on dire que l’étatisme n’a pas nui. »
Symétriquement, il en vient à douter de l’impact des politiques libérales développées aux États-Unis et en Angleterre à partir des années 80. Constatant le retard de croissance, ces deux pays ont changé de politique au moment où le rattrapage était terminé, et du coup l’écart de croissance entre eux et l’Europe continentale a disparu… non pas parce que ces politiques libérales étaient plus efficaces, mais simplement parce que le retard accumulé à cause des deux guerres avaient été effacé .
Finalement, il en arrive à douter de la validité de toute corrélation entre le type de politique menée et la croissance observée.
« Aujourd’hui encore, dans ces deux pays (États-Unis et Grande-Bretagne), on considère souvent que les révolutions conservatrices ont été un franc succès puisque les deux pays ont cessé de croître moins vite que l’Europe continentale et le Japon. En vérité, le mouvement de libéralisation entamé autour de 1980 de même d’ailleurs que le mouvement d’étatisation mis en œuvre en 1945 ne méritent ni cet excès d’honneur ni cet excès d’indignité. De même, une fois que la frontière mondiale était rattrapée, il n’est guère étonnant que ces pays aient cessé de croître plus vite que les pays anglo-saxons, et que tous les taux de croissance se soient alignés. (…) En première approximation, les politiques de libéralisation ne semblent guère avoir affecté cette réalité toute simple, ni à la hausse ni à la baisse. »
Et nous retrouvons avec une France qui rêve de revenir à l’interventionnisme étatique et des pays anglo-saxons chantres de l’ultra-libéralisme, les uns et les autres leur attribuant des vertus qu’ils n’auraient pas !
Attention à ne pas en conclure qu’il n’y a aucun lien entre politique publique et performance économique…
(à suivre)

16 juin 2014

CROÎTRE DE 1,5% PAR AN, C’EST GRANDIR DE PLUS DE 50% EN 30 ANS

Le capital du XXIe siècle (4) – Croissance2
Quelques premiers commentaires sur la croissance.
Quand nous nous émerveillons de la croissance américaine, et que nous nous lamentons sur l’atonie en Europe, nous oublions que l’essentiel de l’écart est dû à la différence entre les dynamiques démographiques : si les États-Unis croissent plus vite que nos vieux pays, c’est d’abord à cause de la croissance de la population. Voilà qui donne une nouvelle saveur à tous les discours qui veulent limiter l’immigration…
Mais l’essentiel dans l’analyse de Thomas Piketty est ailleurs, elle est dans son affirmation que le rythme normal de la croissance de production par habitant se situe autour de 1 %, et que la croissance à long terme dans les pays avancés ne peut pas être supérieure à 1,5% :
« Qu’importe le détail de ces chiffres : le point important est qu’il n’existe aucun exemple dans l’histoire d’un pays se trouvant à la frontière technologique mondiale et dont la croissance de la production par habitant soit durablement supérieure à 1,5 %. (…) Sur la base de l’expérience historique des derniers siècles, il me paraît assez improbable que la croissance à long terme de la production par habitant dans les pays les plus avancés puisse être supérieure à 1,5 % par an. Mais je suis bien incapable de dire si elle sera de 0,5 %, 1 % ou 1,5 %. Le scénario médian présenté plus loin repose sur une croissance à long terme de la production par habitant de 1,2 % par an dans les pays riches, ce qui est relativement optimiste par comparaison aux prédictions de Gordon (qui me semblent un peu trop sombres), et en particulier ne pourra se produire que si de nouvelles sources d’énergie permettent de remplacer les hydrocarbures, en voie d’épuisement. Mais il ne s’agit que d’un scénario parmi d’autres. »
Est-ce si grave ? Est-ce que cela veut dire que nous sommes condamnés au déclin ?  Non, bien au contraire, car :
« La bonne façon de voir le problème est là encore de se placer au niveau générationnel. Sur trente ans, une croissance de 1 % par an correspond à une croissance cumulée de plus de 35 %. Une croissance de 1,5 % par an correspond à une croissance cumulée de plus de 50 %. (…)
Il s’agit d’une différence considérable avec les sociétés du passé, où la croissance était quasi nulle, ou bien d’à peine 0,1 % par an, comme au XVIIIe siècle. Une société où la croissance est de 0,1 % ou 0,2 % par an se reproduit quasiment à l’identique d’une génération sur l’autre : la structure des métiers est la même, la structure de la propriété également. Une société où la croissance est de 1 % par an, comme cela est le cas dans les pays les plus avancés depuis le début du XIXe siècle, est une société qui se renouvelle profondément et en permanence. »
Certes, certes, mais nous sommes bien loin du discours des politiques qui rêvent d’une croissance supérieure à 2%, ce qui, vu notre stagnation démographique en Europe, serait donc hors de portée.
Mais pourtant nous avons connu dans le passé, une telle croissance. Ah, ses merveilleuses Trente Glorieuses…

(à suivre)

12 juin 2014

CROISSANCE DE LA PRODUCTION ET CROISSANCE DE LA POPULATION

Le capital du XXIe siècle (3) – Croissance1
Premier thème central du livre de Thomas Piketty la croissance.
Que dit-il à son sujet ?
D’abord une remarque de bon sens, mais qui est souvent ignorée : le premier moteur de la croissance est l’expansion démographique.
Aussi, pour parler de la croissance et analyser sa dynamique, il faut d’abord commencer par étudier la croissance démographique : en effet si la population s’accroît de 1%, tout croissance de la production inférieure à 1% représente en fait une régression par habitant.
Donc comment la population mondiale a-t-elle évoluée depuis l’antiquité ?
Pourquoi partir de si loin ? Car c’est bien un des enseignements les plus fascinants de ce livre, c’est la longueur des séries historiques, qui permet de remettre en perspective nos réflexions.
Qu’en dit-il ?
« Quelles que soient les imperfections des sources historiques et des estimations de la population mondiale à ces deux dates, il ne fait donc aucun doute que la croissance démographique moyenne entre l’an 0 et 1700 était nettement inférieure à 0,2 % par an, et très certainement inférieure à 0,1 %. »

Tout change ensuite.
« Conséquence de cet emballement démographique : le taux de croissance de la population au niveau mondial atteint au XXe siècle le chiffre record de 1,4 % par an, alors qu’il n’avait été que de 0,4 %-0,6 % aux XVIIIe et XIXe siècles. »
Du coup, on peut alors accéder au calcul de la croissance par habitant, c’est-à-dire celle qui mesure la progression du revenu individuel, et donc la vitesse de transformation d’une société.
« Au niveau mondial, la croissance moyenne de 0,8 % par an de la production par habitant entre 1700 et 2012 se décompose en à peine 0,1 % au XVIIIe siècle, 0,9 % au XIXe siècle et 1,6 % au XXe siècle. En Europe occidentale, la croissance moyenne de 1,0 % entre 1700 et 2012 se décompose en 0,2 % au XVIIIe siècle, 1,1 % au XIXe siècle et 1,9 % au XXe siècle. Le pouvoir d’achat moyen en vigueur sur le Vieux Continent a tout juste progressé entre 1700 et 1820, puis a été multiplié par plus de deux entre 1820 et 1913, et par plus de six entre 1913 et 2012. »
Donc plus d’un siècle de quasi stagnation, puis une accélération depuis 1820, et surtout depuis 1910.

(à suivre)

9 oct. 2013

NOUS SOMMES EN TRAIN DE MOURIR DE NOS PEURS

Pourquoi laisser le futur aux autres ?
A quoi pouvait bien penser un Européen découvrant dans les années cinquante les tours de New York et l’effervescence qui y régnait ?
Probablement une étrange sensation de différences et de nouveautés, comme celle de la découverte d’un enfant qui a grandi et a échappé à ses parents. Car si cette Amérique était surprenante et nouvelle, elle était bien née des immigrants qui avaient quitté l’Europe plus d’une centaine d’années avant pour la plupart.
Un Européen pouvait donc se sentir plus stimulé que remis en cause : après tout, ce dynamisme venait de la vieille Europe…
En août, lorsque je me suis retrouvé à Singapour, ce sont d’abord ces pensées qui m’ont habitées : je me suis senti cet Européen arrivant à New York. Conviction d’être au cœur d’un nouveau monde naissant…
Mais ce monde n’est plus seulement le fruit d’immigrants issus d’Europe ou d’Amérique du Nord, mais d’une hybridation entre eux (1), et ceux venus de l’Asie. Immense télescopage de races, de cultures, de religions…
De là, naît une énergie d’où surgissent les Tour Eiffel et les Empire State Building de demain. Le paquebot flottant du Marina Bay Sands avec ses 2500 chambres et ses jardins suspendus signe l’envol de Singapour…
Aussi, impossible de voir Singapour comme l’enfant de l’Europe. Nous y participons, mais il nous dépasse. Pour reprendre l’image de la ruche, nous ne sommes qu’un des éléments de la diversité génétique locale.
Une question me hantait déjà avant ce voyage, mais a depuis pris plus d’acuité : pourquoi donc ici ces télescopages créent-t-ils autant d’inventions et de créativités, alors qu’en Europe, et singulièrement en France, ils créent surtout des peurs ? Pourquoi pensons-nous que le progrès est dans la fermeture, et l’érection de barrières protectrices ?
Singapour est-elle dynamique parce qu’elle n’a rien à perdre, et qu’elle profite de sa situation au cœur de l’Asie ?  Peut-être au début, mais cela ne tient plus vraiment quand on voit le niveau de sophistication déjà atteint : elle est devant nous (2) et continue d’accélérer…
Nous pouvons continuer à nous plaindre, et à rêver d’un passé révolu. Mais la question n’est plus de défendre des acquis historiques, elle est de ne pas accumuler plus de retard. Sinon l’écart qui n’est pour l’instant que limité et local, deviendra fossé.
Voulons-nous nous réveiller comme étant l’Inde du milieu du vingt-et-unième siècle ? Car à manquer la révolution actuelle, c’est bien ce qui pourrait nous arriver…
Ne sommes-nous pas largement responsables de notre mal-être actuel ? La dépression qui nous habite chaque jour davantage, et qui nourrit, chaque jour davantage, nos peurs et nos regrets, n’est-elle pas évitable ? Pourquoi donc nous penser au passé, à partir d’où nous venons, et non pas aussi à partir de ce que nous pourrions devenir ?
Nous avons nous aussi la possibilité de construire en tirant parti des différences qui nous habitent. Voyons ceux qui ne sont pas nés ici et qui nous ont rejoints, comme autant de sources de nouvelles richesses.
Nous pouvons, nous aussi, inventer un nouveau Paris, et ne pas le transformer en musée. Avons-nous envie de devenir le prochain Angkor ?
Mais pour cela, il faudrait qu’un projet politique positif et ambitieux soit érigé. On ne répondra pas aux peurs propagées par les extrêmes en étant frileux et défensifs.
Malheureusement, pour l’instant, rien de tel ne semble émerger…

(1) Il suffit de marcher dans les rues de Singapour pour constater la densité de la population venue d’Europe ou d’Amérique du Nord.
(2) Le coût immobilier y est supérieur (plusieurs fois celui de Paris), les rues sont peuplées de voitures de luxe alors qu’une taxe de 50% leur est appliquée, l’écologie n’est pas une théorie mais une réalité

3 juin 2013

SAVOIR NE PAS SE DISPERSER

Le Développement industriel et économique en France (5)
Comment donc redonner du tonus au tissu industriel français ?
Outre le développement d’une expertise indépendante et réelle, telle que je l’ai déjà mentionné, et une politique fiscale réaliste vis à vis des entreprises – qui doit être pensée autour de l’idée centrale du développement : « comment favoriser et accélérer la croissance des entreprises » –, l’action publique doit se centrer sur quelques thèmes, et ne pas se disperser.
D’abord s’attaquer au raccourcissement effectif des délais de paiement, par la modification du transfert de propriété : mettre fin à ce cancer qui mange la trésorerie des PME et les empêchent de grandir,
Puis simplifier vraiment les procédures administratives : arrêter d’en parler – c’est un leitmotiv de toute action gouvernementale… mais rien ne se passe, ou si peu – et le faire. En  comprenant aussi que cela suppose un arrêt de la prolifération réglementaire…
Et pourquoi ne pas lancer un pari ambitieux avec les autres pays de la Méditerranée du Sud ? Pourquoi, comme l’Allemagne a su trouver un nouveau dynamisme en tissant des liens avec les pays de l’Est, ne pas nous appuyer sur nos liens historiques avec l’Algérie, le Maroc, la Tunisie et le Liban pour trouver des ressorts neufs pour notre croissance ?
En effet, l’Allemagne tire notamment sa force du maillage tissé avec les pays de d’Europe centrale et orientale. Il ne s’agit pas de sous-traitance, mais d’un modèle de co-développement, qui bénéficie à l’industrie de ces pays, tout en renforçant la compétitivité du tissu industriel allemand. Il repose pour l’essentiel sur l’externalisation de fragments de la chaîne de valeur. Tel est la logique de la colocalisation.
Dans un document de décembre 2012, « Pour une stratégie euro-méditerranéenne de colocalisation », l’Ipemed a mis en évidence que le temps de la colocalisation est venu en Méditerranée en couplant l’Europe et les Pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée : « L’Europe, la France en particulier et les pays de la Méditerranée occidentale pourraient tout en s’inspirant du modèle coopératif, capitaliser sur les expériences réussies de colocalisation en vue de créer une grande région euro-méditerranéenne et demain une grande région associant Europe, la Méditerranée et l’Afrique. »
L’État, s’il se dote de la bonne organisation – pourquoi ne pas s’inspirer des commissariats à l’industrialisation mis en place par la DATAR dans les années 70 ? – pourraient aider les grosses PME, c’est-à-dire celles qui sont susceptibles de s’impliquer dans un processus de colocalisation, sans avoir assez de ressources propres pour le mettre en place de façon indépendante.
Enfin que l’État s’appuie sur les Régions pour définir avec elles et au travers d’elles, des actions décentralisées maillant le territoire des bons réseaux, notamment en développant les liens entre les Universités, les centres de recherche, les pépinières d’entreprises et les PME en place…
Nous avons les ressorts de la croissance et du dynamisme. Notre pays est riche de son passé, de sa culture, des hommes et des femmes qui y ont grandi, de ceux qui l’ont rejoint, du futur qu’ils peuvent tous ensemble construire. Retrouvons confiance en nous et en les autres.