Affichage des articles dont le libellé est Economie. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Economie. Afficher tous les articles

7 oct. 2013

LA RÉSILIENCE DES ENTREPRISES ET DES SOCIÉTÉS NAÎT DES DIFFÉRENCES

Sans diversité, pas de performance globale... (4)

Résumons donc ce que nous avons appris du fonctionnement d'une ruche et de ce qui assure sa survie :
- C'est la diversité qui permet la réactivité et l'adaptabilité. Sans elle, pas de performance collective : l'esprit de la ruche n'acquiert de la puissance que si il naît d'abeilles dissemblables.
- Cette diversité pour être efficace ne peut pas venir de la variété des expériences et des accidents de la vie. Seule un patrimoine génétique varié permet à la colonie d'être performante :  la ruche est mieux construite, plus d'ouvrières naissent au bon moment, les réserves sont plus importants, la température est mieux régulée.

Résultat : seules les colonies ayant un patrimoine génétique divers, c'est-à-dire dont la reine n'a pas été inséminée par un seul mâle ont une chance de survivre.

Il est évidemment hasardeux de sauter directement des abeilles à miel aux organisations humaines et à nos sociétés. Mais pourquoi ce qui est vrai pour elles, ne le serait pas pour nous ? L'espèce humaine n'est pas née par rupture, mais par évolution. Elle est elle-même un construit du monde, et il y a fort à parier que ce qui est vrai pour les abeilles l'est aussi pour nous.

Aussi quelle erreur quand des dirigeants croient que la performance de l'entreprise viendra de la consanguinité ? Certes il peut être rassurant de s'entourer de camarades issus de la même école, et avec lesquels on a de nombreux points communs. Mais, comme pour les abeilles à miel, ce n'est vraiment pas la meilleure solution pour construire une entreprise résiliente...

Et quand je vois dans nos sociétés, et singulièrement en France, avoir peur de celui qui est différent, et croire que notre futur est dans l'enfermement et dans la fermeture, quel aveuglement !

La France ou l'Europe ne seront pas fortes en se protégeant de la diversité, mais au contraire, en relevant le défi d'une construction collective qui s'appuie sur les différences.

Et pour être efficaces, ces différences ne doivent pas être acquises, mais innées : celui qui n'est pas né ici vient nous apporter la richesse de ce que nous ne sommes pas...

24 janv. 2013

POURQUOI ACCEPTER QUE LES PMI FINANCENT LA DISTRIBUTION ?

"Pourquoi payer à un supermarché ce qu'il n'a pas payé lui-même ?" ou "Comment les grandes surfaces fleurissent dans des campagnes qui se vident de leur industrie"
Cette petite ville meurt doucement. Située au pied du Vercors, un peu plus de trois mille habitants, l’industrie y a été pendant longtemps florissante. Tirant parti de la possibilité de produire facilement de l’électricité, et de sa proximité avec la vallée du Rhône, notamment le textile s’y était développé. Forte de cette création de valeur réelle, elle rayonnait alors aux alentours, et était un centre local dynamique. Mais tout ceci est bien loin, et les dernières entreprises industrielles ont fermé.
Et pourtant, malgré cette perte de dynamisme et cet appauvrissement, à l’entrée de la ville, trône un Intermarché flambant neuf. Avec sa façade outrageusement moderne, son parking aux lignes bien dessinées, et son enseigne multicolore, il se moque bien de ce déclin, et vient, par son apparition, finir de sonner le glas du petit commerce du centre-ville.
Quel bel exemple de notre maladie collective, pensai-je, en y passant il y a quelques jours : la grande distribution, nourrie par le crédit inter-entreprises, capable de vendre des produits qu’elle n’a pas encore payés, tel un vampire moderne, grandit là où rien d ‘autre ne subsiste, s’abreuvant du peu d’énergie qu’il peut rester.
J’ai, ces derniers mois, écrit à plusieurs reprises, des articles (1) alertant sur cette maladie bien française, qui empêche nos entreprises de croître : comme le transfert de propriété a lieu à la livraison et non pas au paiement, le délai de paiement est le résultat du rapport de forces, et les factures des petites entreprises ne sont réglées que soixante, quatre-vingt dix, voire cent vingt jours après la livraison. Comment voulez-vous dans ces conditions qu’elles puissent financer leur croissance, puisqu’une part majeure de leur bénéfice sert à payer des intérêts aux banques, plutôt qu’à acheter de nouvelles machines, à embaucher des commerciaux, ou lancer une campagne de communication ?
Dans le même temps, la grande distribution prospère, riche d’une valeur qu’elle n’a pas créée : elle revend ce qui ne devrait pas lui appartenir. Les grandes entreprises ne sont pas non plus les perdantes à ce « jeu » du crédit inter-entreprises, puisqu’elles ne paient aussi que tardivement le travail de leurs sous-traitants. Certes la loi a encadré ces délais, mais quel dirigeant de PMI prendrait le risque de perdre ses marchés futurs, en se retournant contre ses clients ? Et comble de double discours, l’État qui s’affirme voulant promouvoir les PMI, est loin de donner l’exemple, notamment par le comportement des entreprises publiques.
C’est ainsi plus de cinq cents milliards d’euros qui sont prélevés aux PMI françaises pour financer la distribution et les positions dominantes des grandes entreprises.
Comment tous les gouvernements successifs n’ont-ils pas compris que c’était là l’origine essentielle de notre déficit en entreprises moyennes ? Sont-ils à ce point, dépendants des grandes entreprises et du monde financier ? Croient-ils que les dirigeants français de PMI sont moins créatifs, moins entreprenants, moins innovants que leurs homologues allemands ? Ne voient-ils pas que, simplement, ces patrons de PMI ne travaillent pas pour eux-mêmes ?
Pour s’en convaincre, il suffit de voir fleurir dans nos campagnes, ici des Intermarché, là des Leclerc, des Carrefour ou des Auchan. Pour ceux qui en doutent, qu’ils aillent donc demander aux notaires qui a fait fortune ses dernières années. Pour ceux qui pensent que les Français ont peur de l’international, qu’ils apprennent que la deuxième communauté étrangère à Shanghai après les américains, est la communauté française, devant les communautés anglaises, allemandes ou italiennes (2).
Alors quand allons-nous nous décider à mettre fin à cette injustice ? Faudrait-il organiser une manifestation collective, amenant tous les consommateurs à eux aussi ne payer ce qu’ils ont mis dans leur caddie qu’avec trois mois de retard ?
Réveillons-nous car, si nous n’y prenons pas garde, la France deviendra, comme cette commune du Vercors, un pays vide d’industrie et rempli de centres commerciaux flambants neufs. Je repense aussi à la chanson de Boris Vian, Le petit commerce, dans laquelle un vendeur d’armes se réveillait seul au monde après avoir « fait faire des affaires à tous les fabricants d'cimetières », et finissait en criant « Canons en solde » !
(1) voir notamment l’article écrit avec Stéphane Cossé et paru le 27 décembre 2012 dans le Figaro et le 31 décembre dans les Échos
(2) Selon le consulat de France : « 12.000 Français (et leurs familles) de Shanghai et sa région sont inscrits au Consulat, contre deux milliers environ au pic de l’ancienne Concession française, dans les années 1930, et 71 en 1985. Cela représente la première concentration de Français en Asie, et la première communauté européenne à Shanghai, en particulier si l’on prend en compte le fait que le chiffre réel pourrait atteindre 16.000 personnes. »

4 déc. 2012

« QUE NOTRE PRODUCTION PUISSE TROUVER DANS LE MONDE ENTIER, DES ACHETEURS SYMPATHIQUES ET SATISFAITS »

La désindustrialisation ne date pas d’aujourd’hui !
A écouter bon nombre des discours actuels ou des propos d’ « experts », il semble que la désindustrialisation française soit récente, et qu’il suffise de quelques mesures financières pour inverser la tendance.
Malheureusement, le mal est beaucoup plus profond et endémique.
Pour ceux qui en doutent, il suffit par exemple de se plonger dans la lecture de cette article qui date de 1937, et déjà intitulé : « Dans la mêlée internationale : où en est l'automobile française ? » (voir la photo ci-jointe du document original).
Dans un élan étonnamment contemporain, on peut y lire :
« A Sochaux, nous pouvons dire que nous avons de la chance ! Nos usines ont suffisamment de commandes pour donner du travail régulier à tout notre personnel. Mais il faut être sûr que cela puisse durer. Et quand on étudie l'ensemble du marché français, on y voit des choses assez humiliantes. »
« La France exporte de moins en moins d'automobiles : nos exportations d’automobiles ont subi une diminution de 20 % ; nos concurrents étrangers nous ont pris beaucoup de clients. Les marques étrangères exportent de plus en plus. »
« Quatre grands pays produisent donc actuellement plus que nous, alors qu’en 1900 la France tenait dans le monde, le premier rang pour l'automobile. »
« Pourquoi produisons-nous de moins en moins ? Parce que nous vendons trop cher : Les pouvoirs publics en France, n’ayant pas su avoir une « politique de l’automobile », comme en ont eu tous les pays qui augmentent chaque année leur avance sur nous. Parce que nous fabriquons trop cher, malgré les perfectionnements apportés à l’outillage et aux méthodes de fabrication, le nombre de voitures construites pour chaque série insuffisant pour permettre l’utilisation de matériel à son plus haut rendement parce que l'automobile a toujours été « l’enfant chéri du fisc », qu’il ne suffit pas d’acheter une auto, qu’il lui faut aussi de l’essence, et que le fisc fait l’essence chère. »
« Tout le monde y perd. Les ouvriers qui n'ont plus de travail ; l’État qui n'encaisse plus autant, et qui, cependant, débourse davantage puisqu’il lui faut entretenir des chômeurs. »
Cet article se termine par un appel à un élan patriotique, qui rappelle celui d’Arnaud de Montebourg : « Que la qualité Sochaux continue à être « celle qu'on ne discute pas », afin que notre production puisse trouver dans le monde entier, des acheteurs sympathiques et satisfaits. »
Il faut comprendre que ce n’est pas en habillant d’une marinière tous les produits français1 que l’on redressera cette situation, et qu’il serait temps de s’attaquer aux problèmes structurels de la France, et non pas seulement à la cosmétique habituelle de tous les plans qui se succèdent depuis plus de trente ans.
A titre d’exemple, pourquoi ne pas s’attaquer vraiment au crédit inter-entreprises qui représente plus de 500 Milliards d’euros et mange la trésorerie des PMI au profit de la distribution et des grandes entreprises…
(1) A quand une Clio ou une 208 à rayures bleu et blanche ?

31 juil. 2012

IMPOSSIBLE DE SAVOIR SI LE TAUX DE CROISSANCE FRANÇAIS EST DE -0,5 OU +3,5%

BEST OF (19 janvier 2012)
Arrêtons de dire et faire n’importe quoi
L’ensemble des experts économiques, et des responsables politiques prennent actuellement leurs décisions au vu des taux de croissance des économies, et de leur évolution. Comme ceci se traduit dans l’évolution effective des taux d’intérêt que chacun de nous, directement ou indirectement, payons, ainsi que dans le niveau de nos impôts et la qualité effective des services publics, il est important de s’assurer que ces taux sont bien pertinents.
Reprenons donc comment ils sont calculés.
Tout part du PIB, c’est-à-dire du produit intérieur brut. Il faut d’abord accepter que ce PIB soit représentatif effectivement l’économie réelle du pays en question. Cela reste à démontrer, mais, soyons bon prince, et acceptons-le…
Ensuite, on calcule donc le taux de croissance du PIB, c’est-à-dire la variation de ce PIB pour une durée donnée, qui est le plus souvent l’année : on prend donc le PIB d’une année N que l’on compare à celui de l’année N-1.
Supposons que le PIB soit mesuré à 1% près. Cela signifie que l’on ne sait pas si la réalité se situe en dessus ou en dessous, et ce à un pour cent. Comme les phénomènes de la vie sont chaotiques, on ne peut pas non plus dire que l’on se trompe toujours dans le même sens. On peut juste au mieux espérer avoir borné le taux d’erreur à 1%. Donc si l’on se trompe par excès lors de l’année N-1, rien ne dit que l’on ne se trompe pas par défaut en année N, ou l’inverse.
Que se passe-t-il alors pour le taux de croissance ?
-        Si le taux de croissance calculé est de 2%, le taux de croissance est en fait compris entre 0 et 4%, et sans que l’on puisse dire où il se trouve dans l’intervalle. (1)
-        Si le taux de croissance calculé est de 1%, l’imprécision est cette fois plus forte, car on ne peut même plus être certain qu’il y a bien une croissance, car le taux se situe entre -1 et 3% ! (2)
Supposons maintenant que le PIB soit calculé dix fois plus précisément, c’est-à-dire à 0,1% près, que se passe-t-il ?
-        Si le taux de croissance est de 2%, il est compris entre 1,8 et 2,2%.(3)
-        Si le taux de croissance est de 1%, il est compris entre 0,8 et 1,2%.
Comme les taux de croissance de tous les pays occidentaux se situent entre 1 et 2%, et que l’on tire des conclusions sur eux-mêmes et leurs variations, j’en déduis donc que l’on sait calculer les PIB à 0,1% près.
Comment sérieusement pourrais-je croire cela ? Mon expérience de consultant m’a montré que la réalité du  chiffre d’affaires d’une entreprise est au mieux approchée à quelques % près. Comment pourrait-on faire mieux pour un pays, réalité infiniment plus complexe et mouvante ?
J’en conclus donc que tout ce que l’on raconte et énonce à partir des taux de croissance est sans fondement…
Pour ce qui est de la France, le taux de croissance est annoncé à 1,5% pour 2010. Si l’on admet que le PIB de 2009 et 2010 est exact à 1% près, le taux français est en fait compris entre -0,5% et 3,5%, et nous n’avons aucun moyen de savoir où il se situe au sein de cet intervalle.
Or on discute d’évolution du taux de croissance de + ou – 0,2%, évolution qui ne serait même pas mesurable, si le PIB était exact à 0,1% près !
Et je fais remarquer que le plus probable est que l’on se trompe de beaucoup plus que de 1% sur le PIB, ou encore que l’écart entre le PIB et la réalité de l’économie française est de plus de 1%...
Et dire qu’en plus, on parle de taux de croissance prévisionnel !
Tout ceci ne serait pas grave si l’on était en train de jouer au Monopoly avec de faux billets. Mais c’est bien de l’argent, du travail et de la vie de tout un chacun qu’il s’agit !
Mon propos n’est évidemment pas de dire que l’on devrait se désintéresser de savoir comment va l’économie de nos pays, et si elle est ou non en croissance, mais que ces taux ne le mesurent pas, et ne veulent rien dire.
Ne serait-il pas temps de s’en rendre compte, et d’arrêter de – excusez la brutalité de mon propos – dire, et  donc de faire collectivement n’importe quoi ? Il y a urgence…

(1) Le PIB initial est donc compris entre 99 et 101, et le PIB après croissance entre 101 et 103 (102 ± 1). Comme on ne peut pas affirmer que l’erreur est toujours dans le même sens, le taux de croissance est compris entre (103/99 - 1) et (101/101 - 1), soit 4% et 0%.
(2) Le PIB initial est toujours compris entre 99 et 101, et après croissance cette fois, il est entre 100 et 102 (101 ± 1). Le taux de croissance est donc compris entre (102/99 – 1) et (100/101 – 1), soit entre 3% et -1%
(3) Le PIB initial est compris cette fois entre 99,9 et 100,1, et après croissance entre 101,9 et 102,1. Le taux de croissance est donc entre (102,1/99,9 - 1) et (101,9/100,1)/100,1 – 1), soit  entre 2,2 et 1,8 %.
(4) LE PIB initial est toujours entre 99,9 et 100,1, et après croissance cette fois entre 101,1 et 100,9. Le taux de croissance est donc entre (101,1/99,9 – 1) et (100,9/100,1 – 1), soit entre 1,2 et 0,8%.

1 févr. 2012

NON, LE TRAVAIL N’EST PAS UNE MARCHANDISE !

Faire des calculs sur le coût du travail n’a pas grand sens
La quasi-totalité des hommes politiques, de gauche comme de droite, et des économistes continuent à considérer que le travail est une quantité que l’on peut additionner et multiplier. Il en était ainsi lors des débats sur les 35 heures, il en est ainsi aujourd’hui quand on parle du coût du travail.
Or les activités humaines ne se prêtent pas aux règles de trois, et heureusement ! C’est déjà ce que j’indiquais dans mon livre, Les mers de l’incertitude, quand je m’attaquais aux dangers de la mathématisation du monde.  J’y écrivais notamment : 
« Si un bagagiste ramasse en moyenne N bagages par heure, combien deux bagagistes en ramasseront-ils ? 2N ? Oui, si l’on applique brutalement le calcul mathématique. C’est ce que l’on fait classiquement. Non, si l’on tient compte de ce que les hommes ne sont pas des objets théoriques dont on peut négliger le comportement. Pourquoi considérer qu’ils ne peuvent pas se mettre à discuter ensemble ou, à l’inverse, profiter chacun de l’expertise de l’autre pour accroître leur rendement individuel ? Les hommes ne sont pas des objets que l’on peut additionner ou multiplier. Faut-il s’en plaindre ?
Malgré tout, nous continuons à ramener le comportement humain à des équations simples et à manipuler les hommes à coup de règles de trois. Quelques exemples :
  • Dans la plupart des démarches de productivité, on calcule combien de temps en moyenne une personne met pour effectuer une tâche. Puis connaissant le nombre de tâches à effectuer par jour, on en déduit combien de personnes sont nécessaires. Comme s’il n’y avait aucun effet lié au nombre de personnes.
  • Pour accélérer le déroulement d’un projet informatique, on double le nombre de personnes impliquées en faisant l’hypothèse que le délai sera divisé par presque deux.
  •  Les approches sur les conséquences de la réduction du temps de travail, considèrent que la quantité de travail est une donnée qui se divise, se multiplie et se répartit. La réalité dément quotidiennement ces calculs. »
Comment ne pas voir dès lors l’absurdité de ramener la compétitivité des entreprises, au coût du travail en France ?
Comment ne pas voir que, en dehors des taches simples et répétitives qui ne représentent, Dieu merci, plus que la minorité du travail, la performance est d’abord liée à l’engagement individuel et collectif, au niveau de formation, à la capacité à travailler ensemble ou à la compréhension de son rôle dans un processus industriel complexe ?
Comment donc penser que c’est en agissant sur la variable du coût du travail, et en plus dans des proportions faibles, que l’on va redévelopper l’emploi industriel en France ?
C’est décidément bien peu comprendre ce que sont les réels modes de fonctionnement des entreprises, et ce qui fait la performance dans le monde globalisé de l’incertitude, le Neuromonde comme je l’appelle.
C’est aussi absurde que de penser, que l’on va mettre moins de temps pour aller de Paris à Lyon par autoroute, en changeant de voiture. Le temps de parcours dépend d’abord des embouteillages, des travaux éventuels et de la météo et du type de conduite. La voiture intervient bien peu, puisque toutes les voitures peuvent atteindre des vitesses moyennes largement supérieures à 130 km/h… Alors arrêtons de parler des voitures, et abordons les vrais sujets.
Est-ce être utopiste que d’espérer que les discours et les actes politiques se raccordent au réel et ne manipulent plus des fictions mathématiques ?

19 janv. 2012

IMPOSSIBLE DE SAVOIR SI LE TAUX DE CROISSANCE FRANÇAIS EST DE -0,5 OU +3,5%

Arrêtons de dire et faire n’importe quoi
L’ensemble des experts économiques, et des responsables politiques prennent actuellement leurs décisions au vu des taux de croissance des économies, et de leur évolution. Comme ceci se traduit dans l’évolution effective des taux d’intérêt que chacun de nous, directement ou indirectement, payons, ainsi que dans le niveau de nos impôts et la qualité effective des services publics, il est important de s’assurer que ces taux sont bien pertinents.
Reprenons donc comment ils sont calculés.
Tout part du PIB, c’est-à-dire du produit intérieur brut. Il faut d’abord accepter que ce PIB soit représentatif effectivement l’économie réelle du pays en question. Cela reste à démontrer, mais, soyons bon prince, et acceptons-le…
Ensuite, on calcule donc le taux de croissance du PIB, c’est-à-dire la variation de ce PIB pour une durée donnée, qui est le plus souvent l’année : on prend donc le PIB d’une année N que l’on compare à celui de l’année N-1.
Supposons que le PIB soit mesuré à 1% près. Cela signifie que l’on ne sait pas si la réalité se situe en dessus ou en dessous, et ce à un pour cent. Comme les phénomènes de la vie sont chaotiques, on ne peut pas non plus dire que l’on se trompe toujours dans le même sens. On peut juste au mieux espérer avoir borné le taux d’erreur à 1%. Donc si l’on se trompe par excès lors de l’année N-1, rien ne dit que l’on ne se trompe pas par défaut en année N, ou l’inverse.
Que se passe-t-il alors pour le taux de croissance ?
-        Si le taux de croissance calculé est de 2%, le taux de croissance est en fait compris entre 0 et 4%, et sans que l’on puisse dire où il se trouve dans l’intervalle. (1)
-        Si le taux de croissance calculé est de 1%, l’imprécision est cette fois plus forte, car on ne peut même plus être certain qu’il y a bien une croissance, car le taux se situe entre -1 et 3% ! (2)
Supposons maintenant que le PIB soit calculé dix fois plus précisément, c’est-à-dire à 0,1% près, que se passe-t-il ?
-        Si le taux de croissance est de 2%, il est compris entre 1,8 et 2,2%.(3)
-        Si le taux de croissance est de 1%, il est compris entre 0,8 et 1,2%.
Comme les taux de croissance de tous les pays occidentaux se situent entre 1 et 2%, et que l’on tire des conclusions sur eux-mêmes et leurs variations, j’en déduis donc que l’on sait calculer les PIB à 0,1% près.
Comment sérieusement pourrais-je croire cela ? Mon expérience de consultant m’a montré que la réalité du  chiffre d’affaires d’une entreprise est au mieux approchée à quelques % près. Comment pourrait-on faire mieux pour un pays, réalité infiniment plus complexe et mouvante ?
J’en conclus donc que tout ce que l’on raconte et énonce à partir des taux de croissance est sans fondement…
Pour ce qui est de la France, le taux de croissance est annoncé à 1,5% pour 2010. Si l’on admet que le PIB de 2009 et 2010 est exact à 1% près, le taux français est en fait compris entre -0,5% et 3,5%, et nous n’avons aucun moyen de savoir où il se situe au sein de cet intervalle.
Or on discute d’évolution du taux de croissance de + ou – 0,2%, évolution qui ne serait même pas mesurable, si le PIB était exact à 0,1% près !
Et je fais remarquer que le plus probable est que l’on se trompe de beaucoup plus que de 1% sur le PIB, ou encore que l’écart entre le PIB et la réalité de l’économie française est de plus de 1%...
Et dire qu’en plus, on parle de taux de croissance prévisionnel !
Tout ceci ne serait pas grave si l’on était en train de jouer au Monopoly avec de faux billets. Mais c’est bien de l’argent, du travail et de la vie de tout un chacun qu’il s’agit !
Mon propos n’est évidemment pas de dire que l’on devrait se désintéresser de savoir comment va l’économie de nos pays, et si elle est ou non en croissance, mais que ces taux ne le mesurent pas, et ne veulent rien dire.
Ne serait-il pas temps de s’en rendre compte, et d’arrêter de – excusez la brutalité de mon propos – dire, et  donc de faire collectivement n’importe quoi ? Il y a urgence…

(1) Le PIB initial est donc compris entre 99 et 101, et le PIB après croissance entre 101 et 103 (102 ± 1). Comme on ne peut pas affirmer que l’erreur est toujours dans le même sens, le taux de croissance est compris entre (103/99 - 1) et (101/101 - 1), soit 4% et 0%.
(2) Le PIB initial est toujours compris entre 99 et 101, et après croissance cette fois, il est entre 100 et 102 (101 ± 1). Le taux de croissance est donc compris entre (102/99 – 1) et (100/101 – 1), soit entre 3% et -1%
(3) Le PIB initial est compris cette fois entre 99,9 et 100,1, et après croissance entre 101,9 et 102,1. Le taux de croissance est donc entre (102,1/99,9 - 1) et (101,9/100,1)/100,1 – 1), soit  entre 2,2 et 1,8 %.
(4) LE PIB initial est toujours entre 99,9 et 100,1, et après croissance cette fois entre 101,1 et 100,9. Le taux de croissance est donc entre (101,1/99,9 – 1) et (100,9/100,1 – 1), soit entre 1,2 et 0,8%.

18 janv. 2012

EST-IL RAISONNABLE DE CONTINUER À DÉRAISONNER EN ÉCONOMIE ?

Défiance, affirmation et autoréalisation
Dans un article paru sur ce blog le 15 mars 2010, je me faisais l’écho de la conférence tenue par Yann Algan en décembre 2009 à l’École Normale Supérieure. Dans cette conférence, il montrait  qu’il y a un lien direct entre le niveau de confiance dans un pays et la performance économique : par exemple, plus le degré de confiance est élevé, plus le pourcentage d’investissement l’est aussi, ce qui « est d’autant plus fondamental dans nos économies d’innovation ». Ou encore, moins il y a de confiance, moins il est facile de créer une entreprise, car plus les contrôles sont tatillons et multiples.
Or que faisons-nous en ce moment en Europe, et singulièrement en France, à part développer un climat de défiance ? Et cette défiance est généralisée : vis-à-vis des dirigeants publics comme privés, vis-à-vis du futur comme du présent, vis-à-vis du reste du monde comme de ses voisins immédiats.
Cette défiance est notamment nourrie par la cascade constante des calculs économiques et des prévisions. Défiance qui accélère donc la récession et la dimension des problèmes… rendant les prévisions pessimistes encore plus vraies.
Que pensent les économistes de leurs prévisions et du sérieux du calcul économique ?
La lecture du numéro de juin-juillet 2010, de la revue Jaune et la Rouge, revue des anciens de l’École Polytechnique, qui était consacré aux « Nouveaux défis de la théorie économique »1, est instructive :
- Patrick Artus, Directeur des études et de la recherche de Natixis, y disait que les économistes utilisaient des « modèles mathématiques (…) très éloignés de la réalité » et qu’il était difficile de « prévoir l’économie dans un monde d’équilibres multiples, ou, de manière équivalente, de crises systémiques ».
- André Lévy-Lang, ancien Président de Paribas, écrivait que : « C’est sans doute la faiblesse la plus grave des premiers modèles utilisés par les financiers, ils ne prennent pas en compte le comportement des acteurs des marchés. ». Il ajoutait ce propos paradoxal et du style méthode Coué : « Et pourtant, avec ces modèles très imparfaits, voire faux, les marchés de dérivés se sont développés, et ils ont permis, en trente ans, de créer beaucoup de richesses, non seulement pour les financiers mais pour l’ensemble des économies mondiales. »
- Thierry de Montbrial,  fondateur de l’Institut français des relations internationales et ancien Directeur Général du Centre d’analyse et de prévision, était encore plus net en disant que : « L’incertitude pure affecte à des degrés divers la vie de tous les hommes. Chacun a sa part, fut-elle modeste, de création et de liberté. C’est pourquoi aucun raisonnement probabiliste ou statistique ne pourra jamais enfermer durablement les comportements humains même agrégés. (…) On ne doit pas prendre la science économique trop au sérieux, c’est-à-dire jusqu’au point de métamorphoser des modèles théoriques en dogmes ou idéologies, ce qui est manifestement une tentation pour certains scientifiques en mal de notoriété. »
Mais donc si l’on ne peut pas prendre la science économique au sérieux, pourquoi donne-t-on tant d’importance à des données comme le PIB ou le taux de croissance ? Pourquoi s’appuie-t-on dessus pour évaluer la performance d’un pays, son risque et le taux d’intérêt pour ses emprunts ?
Car ce taux d’intérêt sera lui bien réel, et conditionnera alors la capacité du dit pays à faire face à ses dettes, dettes qui sont elles-aussi bien réelles ?
Est-ce bien raisonnable de continuer à déraisonner ?

30 nov. 2010

QUI PROFITE ET EST DÉSTABILISÉ PAR LA MONDIALISATION ?

Un juste retour de boomerang ? (suite)

Je poursuis ma réflexion à partir de l'évolution du RNB, telle que publiée dans mon article d'hier.

Si l'on observe la situation des pays d'Afrique du Nord et de nos anciennes colonies d'Afrique Noire, la situation est plus diverse :
- Le Sénégal et la Côte d'Ivoire voit leur situation se dégrader très fortement depuis les années 60, avec une légère inflexion pour la Sénégal depuis les années 90 : depuis 1962, l'écart vis-à-vis de la France a été multiplié par 4, passant de 10 à 40.
- Les autres pays ont une évolution rappelant celle de la Chine ou de l'Inde, mais avec des évolutions beaucoup plus lentes : du début des années 60 au milieu des années 90, accroissement des inégalités par rapport à la France, puis amélioration mais beaucoup plus lente. Le Gabon a très peu évolué dans un sens comme dans l'autre en restant toujours autour d'un rapport de 5.


Ainsi le développement s'est fait jusqu'au milieu des années 90 essentiellement à notre profit. Notamment la délocalisation de l'industrie textile vers l'Afrique du Nord qui a eu lieu dans les années 80 ne s'est pas du tout traduite par un rattrapage.
La baisse depuis lors est donc là aussi d'abord un rééquilibrage, mais modeste : en 2009, l'écart entre la France et le Maroc retrouve la situation de 1980, avec la Tunisie il est encore plus grand qu'au début des années 60 …

Finalement, tout ceci montre clairement que nos sociétés occidentales se construites sur et grâce à la mondialisation et aux échanges entre nations. C'est ce qui a nourri notre croissance, jusqu'à présent. Maintenant, nous « subissons » un effet boomerang, dû au rééquilibrage. Ce dernier est rapide et brutal vis-à-vis des pays les plus défavorisés comme la Chine et l'Inde, plus lent vis-à-vis des autres. Nous sommes donc « condamnés » à faire des économies, car, en quelque sorte, nous remboursons des dettes passées.

Une dernière remarque concernant la Chine. Autant notre modèle de société, d'économie et de développement repose sur l'ouverture et les échanges avec l'extérieur, autant celui de la Chine repose sur un système historiquement fermé. Jusqu'à ces dernières années, la Chine n'a quasiment pas échangé avec l'extérieur. Depuis une quinzaine d'années, ceci a changé : flux régulier, croissant et important d'étudiants chinois dans les universités occidentales, et qui reviennent tous dans leur pays d'origine (poussés notamment par l'effet de l'enfant unique qui les ramène vers leurs parents) ; diplomatie chinoise qui prend des positions loin de ses bases pour sécuriser des accès à des ressources primaires (énergie, minerai, alimentation) ; internationalisation des entreprises chinoises.

Comment la Chine va-t-elle faire face aux conséquences de cette ouverture ? Jusqu'où cela déstabilisera-t-il le modèle culturel et politique chinois ? Nul ne sait. Mais il est certain que ce flux lent et constant qui fait croître cette ouverture, sera porteur de changements très importants.

Finalement, la mondialisation est moins une remise en cause pour nous – nous nous sommes construits grâce à elle – que pour la Chine…


 

29 nov. 2010

MONDIALISATION ET ÉVOLUTION DU REVENU NATIONAL BRUT PAR HABITANT

Un juste retour de boomerang ?

Le 15 novembre dernier, dans mon article intitulé "Les arbres ne montent pas au ciel", je m'étonnais de la tendance de bon nombre de commentateurs à comparer les taux de croissance français et chinois sans prendre en compte l'écart entre revenu national brut (RNB) par habitant (il est en 2009 de 42680 € en France et de 3590 € en Chine)

Je viens d'avoir la curiosité de reprendre les statistiques fournies par la Banque Mondiale et de regarder l'évolution du rapport entre le RNB français par rapport aux trois pays qui font la une des commentaires, à savoir la Chine, l'Inde et le Brésil. Le graphe ci-dessous montre le résultat.


On voit que, jusqu'au milieu des années 90, l'écart entre la France versus la Chine comme l'Inde s'accroît très significativement : il passe d'environ 20 au début des années 60 à 60 versus la Chine et plus de 70 versus l'Inde. Dans le même temps, il n'y a quasiment aucune évolution par rapport au Brésil, le rapport restant quasi stable autour de 7.

A partir de mi 95, les choses changent avec une évolution rapide et parallèle de la Chine et de l'Inde. Notons que le rapport avec l'Inde reste supérieur à celui des années 60 : il est de l'ordre de celui de la fin des années 70. La Chine vient, elle, seulement depuis 2006 d'avoir un rapport meilleur que celui des années 60. La symétrie entre les courbes avant et après 95 est aussi frappante.

Le Brésil évolue, lui, beaucoup moins vite, mais c'est « logique » car il part d'une situation nettement moins défavorable. On constate aussi une oscillation du rapport : l'amélioration sensible depuis 2004 qui voit passer le rapport de 9,1 à 5,3 en 2009 va-t-elle se poursuivre ?

Je ne sais pas comment vous réagissez à la lecture de ce graphe, mais cela montre un paysage plutôt différent de celui propagé la plupart du temps : l'évolution actuelle n'est-elle pas d'abord un juste rééquilibrage ?

9 sept. 2010

« ON NE DOIT PAS PRENDRE LA SCIENCE ÉCONOMIQUE TROP AU SÉRIEUX »

Quand des économistes reconnus et patentés démontrent volontairement ou involontairement leur incapacité à prévoir…

Dernièrement, la revue mensuelle de l'Association des Anciens élèves de l'École Polytechnique (n° 656 Juin-Juillet 2010) a consacré un dossier aux « Nouveaux défis de la théorie économique »
Paradoxalement, alors que dans son éditorial d'introduction, Vivien Levy-Garboua, Senior Advisor de BNP Paribas, écrit : « Heureusement, certains économistes sont là pour nous sortir de cette impasse et nous redonner espoir, en proposant une nouvelle théorie de la Finance de marché », le contenu des articles est d'abord un aveu d'impuissance face à ce qui vient de se passer et surtout à ce futur largement imprévisible.
Le dossier commence par une interview de Maurice Allais, prix Nobel d'Économie. Il a une réponse, à la fois simple et brutale : il propose d'en revenir avant la globalisation et la mondialisation qui seraient source de tous les maux. Pour cela, il faut « restaurer une légitime protection » et « pouvoir se protéger par le rétablissement de protections raisonnables et appropriées ainsi que par le contrôle des capitaux ». Peut-être, mais est-ce faisable et réaliste ? Est-ce que la mondialisation n'est pas plutôt un état de fait, un effet de système ? Comment penser que la réponse aux problèmes actuels est le retour en arrière ? Ne s'agit-il pas plutôt de penser à partir du réel que de vouloir le faire retourner d'où il vient ?

Ensuite se succèdent les articles :
- Vivien Levy-Garboua, dans Questions pour une économiste, après avoir fait un panorama de son analyse du pourquoi de la crise financière, termine en appelant à un renfort de la mathématisation du monde. Selon lui, il faut « enrichir la macro-économie, à l'image de ce que la théorie comportementale a apporté à la théorie financière, en décrivant davantage des comportements observés, en faisant une part à l'irrationnel et au subjectif. » Mais c'est bien là le problème et toute la contradiction interne de la proposition : c'est précisément parce que le poids des comportements humains est prépondérant et qu'il est par essence subjectif que l'on ne peut pas mathématiser le monde … et heureusement !
- Patrick Artus, Directeur des études et de la recherche de Natixis, dans Les économistes avant et après la crise, cherchent « les vraies raisons qui expliquent l'absence de prévision de la crise par les économistes ». Il en trouve trois : « la spécialisation des économistes alors que l'analyse de la crise nécessiterait une approche fortement pluridisciplinaire ; l'utilisation par les économistes de modèles mathématiques (…) très éloignés de la réalité ; la difficulté à prévoir l'économie dans un monde d'équilibres multiples, ou, de manière équivalente, de crises systémiques ». Une fois cette analyse sévère détaillée et argumentée, il s'en sort par une pirouette en affirmant que les économistes ne sont « ni incompétents, ni vendus aux banques », – alors qu'il vient brillamment de montrer à tout le moins la limite extrême de leurs compétences… –, et qu'une sorte de miracle va faire émerger une solution.
- André Lévy-Lang, ancien Président de Paribas, dans Les modèles mathématiques des activités financières, expose d'abord pourquoi les modèles financiers sont limités et faux. Notamment il écrit : « C'est sans doute la faiblesse la plus grave des premiers modèles utilisés par les financiers, ils ne prennent pas en compte le comportement des acteurs des marchés. » Une fois de plus, on a oublié que les comportements humains ne suivaient pas des équations, ni des règles de trois… Il continue avec une affirmation étonnante : « Et pourtant, avec ces modèles très imparfaits, voire faux, les marchés de dérivés se sont développés, et ils ont permis, en trente ans, de créer beaucoup de richesses, non seulement pour les financiers mais pour l'ensemble des économies mondiales. » Merci pour cet aveu et le culot de cette affirmation, mais où sont les justificatifs à l'appui de ce propos ? Plus loin, il en appelle à une meilleure modélisation financière, en faisant le parallèle avec la modélisation de la réalité physique. Il termine en écrivant : « Il y a donc encore beaucoup à faire dans ce domaine (celui de la modélisation financière), en recherche appliquée aussi bien que dans les mathématiques en amont de la modélisation ». Certes… mais est-ce qu'il ne serait pas temps de se poser la question de la pertinence de vouloir à tout prix tout modéliser ?
- Thierry de Montbrial, dans La théorie économique entre Platon et Bergson, prend lui le contre-pied des conclusions des autres articles : « L'incertitude pure affecte à des degrés divers la vie de tous les hommes. Chacun a sa part, fut-elle modeste, de création et de liberté. C'est pourquoi aucun raisonnement probabiliste ou statistique ne pourra jamais enfermer durablement les comportements humains même agrégés. (…) On ne doit pas prendre la science économique trop au sérieux, c'est-à-dire jusqu'au point de métamorphoser des modèles théoriques en dogmes ou idéologies, ce qui est manifestement une tentation pour certains scientifiques en mal de notoriété. » Venant du fondateur de l'Institut français des relations internationales et de l'ancien Directeur Général du Centre d'analyse et de prévision, le propos a tout son poids…
- Alfred Galichon et Philippe Tibi, professeurs à l'École Polytechnique, dans Marché efficients ou marchés efficaces, repartent sur la théorie des marchés efficients, en montrent les limites et expliquent pourquoi cela ne peut pas fonctionner. Mais cela ne les empêche pas d'affirmer in fine que « le marché donne une réponse objective. (…) Il est donc efficace au sens où il assure une règle de partage acceptée de tous ou s'imposant à tous ». Nous voilà ainsi dotés d'un marché qui fonctionne sans que l'on comprenne vraiment comment, qui n'est pas efficient – si je suis leur démonstration –, mais qui est la réalité. Reste alors, comme ils le disent eux-mêmes, à ce que « le résultat obtenu devra en tout état de cause être intelligible et explicable ». Je leur laisserai le soin de cette explication !
- Philippe d'Iribarne, Directeur de recherche au CNRS, dans Comment interroger les postulats fondateurs de l'économie ? , dresse un tableau au vitriol de la science économique. Il commence son article par : « Les postulats fondateurs de la science économique sont fort peu réalistes. », continue plus loin avec : « De même, les démonstrations visant à magnifier le rôle de la concurrence et du marché reposent sur une vision peu réaliste du monde. », poursuit en stigmatisant la faiblesse des échanges interdisciplinaires : « Ce type d'analyse exige de prendre en compte un ensemble de phénomènes actuellement étudiés en ordre dispersé par des disciplines qui, pour l'essentiel, s'ignorent mutuellement : sociologie, anthropologie, linguistique, philosophie politique. » et conclue par une absence d'issue : « A partir du moment où l'état actuel de la discipline est considéré comme caractérisant son essence on ne voit pas bien trop comment elle pourrait évoluer. ». No comment…
- Pierre-Noël Giraud, professeur d'économie à Mines ParisTech et à Paris-Dauphine, dans La crise de la globalisation un défi économique et politique, explique lui-aussi la limite des approches de modélisation, en centrant son propos sur le commerce international. Dès le début il affirme que « cette théorie est d'une part épuisée d'autre part inadéquate à un phénomène, la globalisation, qui ne se réduit pas à l'ouverture commerciale. ». Compte-tenu de toutes ces limites et imperfections qui sont pour lui incontournables, il en appelle à un retour à une science expérimentale : « L'économie devrait abandonner toute prétention normative et devenir une science expérimentale et pas seulement une mathématique combinant des comportements trop simplifiés. » Il pense alors qu'il sera possible d'avoir une modélisation plus réaliste et moins arrogante. Il évoque en conclusion l'intérêt, par exemple, d'une modélisation des conséquences mondiales des décisions prises par le gouvernement chinois. Il finit en disant que cela serait un défi. Certes, mais est-il réaliste ?