Toute décision est faussée (3)
Donc le sujet qui décide est incertain et flou. Son image est brouillée par la puissance des processus inconscients, et par la complexité des organisations.
Qu’en est-il du premier objet de sa décision, à savoir l’existence de plusieurs options ?
Un souvenir lointain me revient. Il date d’un peu plus de vingt ans. J’étais en charge d’une mission de conseil pour le compte d’une grande entreprise française, appartenant alors au secteur public. L’objet de la mission était de bâtir la stratégie de ses activités de distribution : cette entreprise commercialisait elle-même ses services au travers d’un réseau d’agences, et se posait la question légitime de leur devenir.
Au lancement de la mission, une réunion avec mon interlocuteur au sein de l’entreprise, eut pour but de préciser le champ de l’étude, et les différentes variables à prendre en compte. Au milieu de la réunion, il me dit : « Robert, il est important que vous étudiez un scénario où nous n’aurions plus aucune agence en propre. »
Je l’ai regardé, interloqué, et lui ai demandé : « Certes, mais avez-vous une quelconque chance de mettre en œuvre un tel scénario ? Est-ce que les contraintes s’imposant à vous ne le rendent pas impossible ?
- Effectivement, me répondit-il.
- Alors pourquoi vouloir étudier ce qui ne pourra jamais être appliqué ? »
Il me regarda en souriant, et conclut qu’effectivement, il ne servait à rien d’étudier une telle variante.
Pourquoi est-ce que je raconte maintenant cette anecdote ? Parce qu’elle illustre une tendance que j’ai souvent constatée : nous nous inventons des options qui n’existent pas vraiment, et par là nous créons des décisions fictives. Il peut en effet être rassurant de croire que l’on a plus de marges de manœuvre que la réalité ne nous accorde. Qu’il est bon d’avoir l’illusion de choisir ce que les circonstances nous ont en fait imposé ! (1)
Un sujet qui décide flou, des options qui n’existent peut-être pas… Décidément la clarté de la décision commence à se brouiller de plus en plus. Mais je sens que vous pensez que ceci reste marginal et secondaire : le plus souvent, vous savez qui décide, et les options sont réelles.
Oui probablement, mais il reste encore deux composantes à examiner : le couple objectif/vision et l’analyse de la situation
(à suivre)
(1) Par exemple, une étude a soumis deux équipes travaillant en atelier, à des bruits aléatoires et pénibles. Dans la première équipe, personne ne pouvait rien faire pour lutter contre ce bruit ; dans la deuxième, chacun était doté d’un bouton avec lequel il pouvait arrêter le bruit. Les résultats ont été les suivants : les membres de la première équipe ont été fortement perturbés par ces bruits, alors que ceux de la deuxième pas du tout… et pourtant aucun d’eux n’avait appuyé sur les boutons de contrôle. Comme quoi, nous supportons ce sur quoi nous pouvons agir, beaucoup mieux que ce qui nous est imposé.