Nous pensons en échelle logarithmique (Neurosciences 4)
Nous voilà donc non
seulement comptant, mais aussi subitisant (quel beau verbe, pour parler de
l’émergence immédiate d’une conviction !) et estimant les quantités qui
nous sont proposées.
Poursuivons donc
notre promenade aléatoire (presque aléatoire…) dans le cours 2008 de Stanislas
Dehaene sur les fondements cognitifs de l’arithmétique élémentaire.
Comme pour la lecture (voir « Nous lisons comme nous regardons le
monde ») , les symboles qui représentent les nombres, sont un langage, un
langage qui nous ouvrent de nouvelles possibilités, notamment celles de
visualiser des nombres très grands, et ce précisément.
Dotés de ce vocabulaire, nous allons pouvoir additionner, soustraire,
multiplier, diviser. Nous irons même jusqu’à inventer le monde des nombres
irrationnels et irréels. Mais cela, c’est une tout autre histoire.
Restons-en aux opérations élémentaires. Puisque nous manipulons des
symboles, est-ce à dire que seuls les humains peuvent additionner ?
Que nenni ! Les animaux ont eux aussi un sens de la quantité. Même
des perruches ou des rats sont capables d’estimer entre deux quantités,
laquelle est le plus grande. Et des singes savent approximativement additionner
des quantités.
Bien plus, en 2006, Jessica Cantlon et Élisabeth Brannon, de l'Université
de Duke, ont pratiqué le même test d'addition élémentaire avec des singes
macaques et avec des étudiants : on présentait aux sujets deux nuages de points
(3 points suivis de 5 points par exemple) et il s'agissait de choisir ensuite
entre deux propositions, celle qui correspondait le mieux au total. Les
performances des deux espèces se sont révélées extrêmement proches, avec un
léger avantage quand même pour les étudiants sur le plan de la précision. Mais
pas de quoi pavoiser non plus : on a observé plus de différence entre le
meilleur étudiant et le moins bon, qu'entre la moyenne des étudiants et la
moyenne des singes...
Autre expérience au résultat étonnant : quand il s’agit de comparer
deux quantités, la réaction est d’autant plus rapide et exacte que la distance
relative et non pas absolue entre les deux, est grande. Ainsi on réagit à la
même vitesse à la comparaison de 2 et 4 qu’entre 8 et 16, ou 32 et 64. A croire
que notre cerveau connaît les logarithmes, et que c’est eux qu’il
compare !
Eh bien, c’est exactement cela : notre cerveau est construit pour
avoir une perception naturelle des quantités non pas linéaires, mais
logarithmiques : pour lui 4 est à la même distance de 2, que 64 de 32 ;
et 30 est beaucoup plus près de 29, que 10 de 9 ! Et ceci est vrai chez
les jeunes enfants comme chez les singes…
Décidément les neurosciences nous emmènent à des découvertes étonnantes,
vous ne trouvez pas ?
(à suivre)