Mouhammad Alix, le nouveau disque de Kery James – sortie en septembre 2016
Deux
nouvelles chansons de Kery James viennent à propos à la fois venir en
contrepoint de l’atrocité du 14 juillet à Nice et de l’incurie de notre classe
politique actuelle.
Ci-dessous
des extraits de ces chansons, et les clips vidéo
Hier c’étaient les mots de Georges Brassens qui m’étaient revenus pour évoquer la situation d’aujourd’hui et la montée des peurs au nom de nos racines.
Un autre poète contemporain nous parle de ces mêmes peurs. Lui n’est pas mort, et bien vivant. C’est Kery James, mais vous ne le trouverez quasiment jamais à la télévision, ni ne le l’entendrez dans les ondes de la radio. A croire que, comme Brassens, il n’est plus des nôtres. Pourtant il parle de notre société et de notre difficulté à vivre ensemble. J’ai déjà évoqué sur mon blog à de multiples reprises la portée de ses mots…
En voici à nouveau quelques uns piochés dans trois de ces chansons - Lettre à la république, Banlieusards, À l’ombre du show business :
« Ce passé colonial, c'est le vôtre,
C'est vous qui avez choisi de lier votre histoire à la nôtre,
Maintenant vous devez assumer.
L'odeur du sang vous poursuit, même si vous vous parfumez,
Nous les arabes et les noirs, On n'est pas là par hasard,
Toute arrivée à son départ.
(…)
On ne s'intègre pas dans le rejet,
On ne s'intègre pas dans des ghettos français.
Parqués entre immigrés, faut être sensé,
Comment pointer du doigt le repli communautaire,
Que vous avez initié depuis les bidonvilles de Nanterre ? »
« Le 2, ce sera pour ceux qui rêvent d'une France unifiée.
Parce qu'à ce jour y'a deux France, qui peut le nier ?
Et moi je serai de la 2ème France, celle de l'insécurité, des terroristes potentiels, des assistés.
C'est c'qu'ils attendent de nous, mais j'ai d'autres projets qu'ils retiennent ça.
Je ne suis pas une victime mais un soldat.
Regarde-moi, j'suis noir et fier de l'être.
J'manie la langue de Molière, j'en maîtrise les lettres.
Français parce que la France a colonisé mes ancêtres …
Banlieusard et fier de l'être. On n'est pas condamné à l'échec !
On est condamné à réussir, à franchir les barrières, construire des carrières »
« Issu de la 2ème France j'attends encore ma 1ère chance.
Pardonne mon arrogance mais ils condamnent mon art en silence.
Pendant que je pleure, mes potes ont terminé leur dernière danse.
Alors oui, je suis poète dans le cercle des disparus. A l'ombre du show business, mon art vient de la rue …
Oh que j'aime la langue de Molière.
J'suis à fleur de mots, tu sais y'a une âme derrière ma couleur de peau,
Et si je pratique un art triste, c'est que mon cœur est une éponge. »
Kery James vient de sortir un nouvel album, Dernier MC. Nouvel opus d’un des chanteurs français les plus essentiels pour quiconque s’intéresse à ce qui se passe dans cette deuxième France, celle qui peuple nos banlieues et qui est absente des medias et des discours officiels (1).
Cet album est sorti le jour de mon anniversaire, cadeau inattendu et involontaire. Une nouvelle ballade où les mots s’entrechoquent et dessinent sans concession une toile qui cherche, comme à son habitude, à tisser des liens entre ceux qui s’ignorent et s’opposent.
Voilà un patchwork tiré de sa chanson, Constat Amer (voir la vidéo ci-dessous)
« J'ai bien peur que ce « nous » ne soit qu'illusoire, tous adeptes du chacun pour soi. Personne ne nous respecte et je crois savoir pourquoi : on est avares et divisés, on se fait avoir, on ne forme même pas une communauté. (…)
On sera toujours des mendiants aux portes de leur monde tant qu'on croira que le respect se quémande. Le respect s'impose et la lutte est économique. (…)
On ne fait peur à personne, on est la risée de tous, et nos émeutes se déroulent loin de l'Élysée. À part brûler quelques voitures, de pauvres gens comme nous et saboter nos propres structures. Où est notre Révolution, où est notre évolution. (…)
Alors toi, explique-moi pourquoi y'a pas plus divisés. On se plaint du racisme mais ne l'est-on pas nous-mêmes ? C'est eux contre nous, mais surtout nous contre nous-mêmes, les Algériens contre les Marocains, les Marocains contre les Tunisiens, les Antillais contre les Maghrébins, les Maghrébins contre les Africains, les Turcs entre eux. Même dans les Mosquées nos cœurs se sont divisés. (…)
Je mets le doigt où ça fait mal, c'est normal que ce texte vous gêne. Y'aura jamais d'évolution sans profonde remise en question. (…)
La pauvreté ne peut excuser le fait de se comporter comme des non-civilisés. L'agressivité constante et les insultes, en fin de compte, ne profitent qu'à ceux qui nous font passer pour des incultes, ne profitent qu'à ceux qui nous haïssent, nous désignent comme problème et pour ça nous salissent. (…)
Quant à ceux des nôtres qui réussissent, ils se voient contraints de fuir avant que la jalousie ne les punisse, car dans le cœur des envieux et dans les yeux des incapables, la réussite te rend coupable. (…)
Et tes frères disparus que tu continues à pleurer, c'est pas des flics qui les ont butés. On est les premières victimes de notre propre violence, le signe de notre profonde ignorance. On se bute pour du hash, de la coke ou du cash, et bientôt on se butera pour un clash. (…)
Besoin de solidarité. Si l'on veut espérer un jour pouvoir quitter la précarité, il n'y a pas qu'en détestant les autres qu'on se construit. Dans ton miroir, tu vois parfois ton pire ennemi. Je ne serai jamais votre leader, je n'en ai ni la vertu, ni la valeur, ni la rigueur. Si j'ai un mérite, c'est celui d'avoir essayé, et si j'ai une prétention que ce soit celle de vous aimer, et celui qui aime ne triche pas. »
Il est urgent que nous fassions face à la réalité de
notre histoire
Kery James est un
artiste malheureusement constamment absent des radios et des télévisions
nationales. Ce chanteur dresse tout au long de ses différents disques, un
portrait dur et râpeux de la réalité des banlieues, se faisant toujours
l’apôtre de la non-violence et de la prise en main par chacun de son avenir.
Dans son dernier
disque, 92.2012, il semble pris d’un pessimisme croissant face à la réalité
française et à la montée des intolérances. Sa chanson, « Lettre à la
République », sonne avec violence et se termine par cette phrase
terrible : « Je ne suis pas en manque d'affection, comprend que je
n'attends plus qu'elle m'aime ». J’espère qu’il est encore temps pour lui
redonner espoir…
Voici ci-dessous
des extraits du texte de cette chanson, ainsi que la vidéo associée.
Est-il besoin
d’ajouter que je conseille vivement l’achat et l’écoute de tous ces disques…
Lettre à la République
A tous ces racistes, à la tolérance hypocrite
Qui ont bâti leur nation sur le sang
Maintenant s'érigent en donneurs de leçons
Pilleurs de richesses, tueurs d'africains,
Colonisateurs, tortionnaires d'algériens
Ce passé colonial, c'est le vôtre
C'est vous qui avez choisi de lier votre histoire
à la nôtre
Maintenant vous devez assumer
L'odeur du sang vous poursuit, même si vous vous
parfumez
Nous les arabes et les noirs, On n'est pas là par
hasard
Toute arrivée à son départ.
(…)
Les immigrés ce n'est que la main d'œuvre bon
marché
Gardez pour vous votre illusion républicaine
De la douce France bafouée par l'immigration
africaine
Demandez aux tirailleurs sénégalais et aux harkis
Qui a profité de qui ?
La République n'est innocente que dans vos songes
Et vous n'avez les mains blanches que dans vos
mensonges
(…)
On ne s'intègre pas dans le rejet
On ne s'intègre pas dans des ghettos français
Parqués entre immigrés, faut être sensé
Comment pointer du doigt le repli communautaire
Que vous avez initié depuis les bidonvilles de
Nanterre ?
(…)
Et plus j'observe l'histoire, moins je me sens
redevable
Je sais ce que c'est d'être noir depuis l'époque
du cartable
Bien que je ne sois pas ingrat, je n'ai pas envie
de vous dire merci
Parce qu'au fond, ce que j'ai, ici, je l'ai
conquis,
(…)
Au cœur des débats, des débats sans cœur
Toujours les mêmes qu'on pointe du doigt dans
votre France des rancœurs
En pleine crise économique, il faut un coupable
Et c'est en direction des musulmans que tous vos
coups partent
(…)
Vous nous traitez comme des moins que rien, sur
vos chaînes publiques
Et vous attendez de nous qu'on s'écrie « Vive la
République »
Mon respect se fait violer au pays dit des Droits
de l'homme
Difficile de se sentir français sans le syndrome
de Stockholm
(…)
Que personne ne s'étonne si demain ça finit par péter
Comment aimer un pays qui refuse de nous
respecter ?
Loin des artistes transparents, j'écris ce texte
comme un miroir
Que la France se regarde si elle veut s'y voir
Elle verra s'envoler l'illusion qu'elle se fait
d'elle-même
Je ne suis pas en manque d'affection, comprend
que je n'attends plus qu'elle m'aime
La musique est maintenant une interprétation mettant en jeu de plus en plus des créations visuelles. En voici quatre exemplaires que je trouve emblématique de deux styles très différents. Plutôt que de vous les commenter, je vous les laisse les découvrir...
Occasion aussi de faire écouter Kery James qui mériterait un peu plus de présence sur les ondes françaises...
Quand un chanteur de rap essaie de construire depuis la « 2ème France »
Kery James est un chanteur de rap que l'on entend bien peu sur les ondes… Dommage car la qualité de ses textes, son message d'ouverture et de responsabilité, sa connaissance personnelle des banlieues et de l'islam méritent plus que le détour ! Seul Charles Aznavour lui a rendu hommage en participant à une des chansons et en l'invitant à une émission (voir la vidéo ci-dessous).
Voici un patchwork tiré de quatre de ses chansons…
« Issu de la 2ème France j'attends encore ma 1ère chance. Pardonne mon arrogance mais ils condamnent mon art en silence. Pendant que je pleure, mes potes ont terminé leur dernière danse. Alors oui, je suis poète dans le cercle des disparus. A l'ombre du show business, mon art vient de la rue … Oh que j'aime la langue de Molière. J'suis à fleur de mots, tu sais y'a une âme derrière ma couleur de peau, et si je pratique un art triste, c'est que mon cœur est une éponge. On est rappeurs et artistes même si ca vous dérange » (1)
« Le 2, ce sera pour ceux qui rêvent d'une France unifiée. Parce qu'à ce jour y'a deux France, qui peut le nier ? Et moi je serai de la 2ème France, celle de l'insécurité, des terroristes potentiels, des assistés. C'est c'qu'ils attendent de nous, mais j'ai d'autres projets qu'ils retiennent ça. Je ne suis pas une victime mais un soldat. Regarde-moi, j'suis noir et fier de l'être. J'manie la langue de Molière, j'en maîtrise les lettres. Français parce que la France a colonisé mes ancêtres … Banlieusard et fier de l'être. On n'est pas condamné à l'échec ! On est condamné à réussir, à franchir les barrières, construire des carrières » (2)
« La cité et ses drames, parfois on s'en remet pas. Me voila balafré à jamais, la blessure est interne, et à tout moment elle saigne. Si c'était à refaire, assurément j'ferais autrement. Mais les choses sont telles qu'elles sont et ce ne sera jamais autrement » (3)
« J'rap un œil dans l'dos, le regard vers le futur. À chacune de mes blessures, j'ai un rap en point de suture … Je rapperais toujours l'unité, mais seulement sur des bonnes bases, jamais avec ceux qui ne prennent du poids que lorsque qu'ils t'écrasent. Je rapperais toujours l'apaisement, enfin tant que ce sera possible. Permet moi d'ajouter, suis-je né pour servir de cible ? » (4)
(1) A l'ombre du Show Business (2) Banlieusards (3) Si c'était à refaire (4) Le combat continue 3
A l'ombre du show-business Quand Charles Aznavour qui n'a plus rien à prouver, ni de promotion à rechercher, vient chanter sur une chanson de Kery James, on a droit à un vrai moment d'émotion et de reconnaissance. Plutôt que de donner des leçons, si nous prenions le temps d'aller écouter vraiment ceux qui vivent dans les banlieues…
Prenez le temps d'écouter cette chanson de Kery James en duo avec Béné, un duo poignant entre un enfant et un « grand frère » qui répond à cette question « simple » : « C'est maintenant qui me faut des tunes. Dis-moi ça sert quoi de faire des études ? De toute façon en France on est grillé. J'ai pas besoin de leurs diplômes, y me faut des billets. »