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23 août 2013

CACHÉES

Angkor et Encore (3)
Voilà déjà quelques minutes que j’avance dans la jungle cambodgienne, ce sur une piste tout à fait aménagée, quand le bruit sourd du torrent et de ses cascades me parvient. Encore quelques pas, et les arbres se séparent pour laisser libre cours à un paysage fait d’eau et de rocs.
Au premier coup d’œil, rien de particulier, un ruisseau parmi d’autres, un paysage où, comme à l’habitude, règnent les bambous et le vert.
Pourtant si votre regard se fait plus attentif et moins superficiel, s’il ne s’arrête plus à la surface de l’eau, mais plonge à l’intérieur, s’il s’intéresse aux aspérités sur lesquelles le courant rebondit, vous y découvrirez une constellation de sculptures polies par le temps.
A Kbal Spean, les ouvrages de hommes ne sont pas superstructures, ils n’habillent pas des colonnes ou des frontons, non, ils tapissent le fond des cours, et se cachent dans les profondeurs.
Ici, des divinités et des crocodiles sur lesquels rebondit un tourbillon d’eau. Là, des plots et des formes géométriques qui dessinent un tableau géométrique.
Qu’est-ce qui a bien pu conduire ces artistes d’antan à écrire en creux leurs créations ? Pourquoi les avoir cachées de la sorte ?
J’imagine quelque raison pratique, et je transforme ce plan d’eau en une salle de bain, dotée d’un tapis de bain antidérapant.
Peut-être que ces crocodiles ne sont pas des sculptures, mais de vrais animaux transformés en pierre par quelque divinité lointaine.
Une pluie de mousson torrentielle interrompt le cours de mes pensées. Le rideau vertical vient compléter le flux horizontal, créant de nouvelles projections. Lessivé par les images, mes rêveries et la violence de l’orage, je quitte cette exposition aquatique et me replonge dans la jungle…
A Baphuon, les hommes ont été pris à leur propre piège, aux conséquences de leur présomption à vouloir lutter contre le déroulement du temps.
Parce que le temple menaçait de s’écrouler, parce qu’ils croyaient qu’en le démontant, ils pourraient le consolider, ils ont patiemment ôté pierre après pierre, en prenant garde de les numéroter et de dessiner un plan d’ensemble.
Mais la guerre et l’invasion des khmers rouges sont passées par là, et les plans ont été perdus.
Depuis lors, gît un puzzle géant de 300 000 pièces. Ne reste plus que le souvenir d’un temple qui existait, il y a encore quelques années, et un tas de pierres que l’imaginaire de chacun peut s’amuser à assembler…

9 août 2013

ANGKOR ENCORE EN CONSTRUCTION

Angkor et Encore (2)
Au bord d’Angkor Wat, un guetteur est figé de toute éternité. Indifférent à ce qui l’environne, il reste stoïque. Pour bien montrer le mépris qu’il ressent vis-à-vis de la masse des touristes qui se pressent à l’entrée du temple, il leur tourne le dos, laissant sa croupe signifier ce qu’il en pense.
En est-il ainsi depuis l’origine ? Ou dans des temps immémoriaux, faisait-il face à ceux qui pénétraient en ces lieux magiques ? Était-il alors le sourire du gardien bienveillant qui les accueillait ? S’est-il un jour retourné vers l’eau, par fatigue, par ennui, ou par jeu ?
Quoi qu’il en soit, je le comprends. Une telle paix respire de la contemplation de ce paysage.
Doucement, sans bruit, pour ne pas le fâcher, je me glisse à ces côtés, m’assieds sur le sol et laisse glisser mes jambes le long du rebord.
Longtemps, sans nous parler, nous resterons côte à côte, nos regards perdus dans les eaux…
Équilibre improbable de cette colonne qui soutient encore – mais pour combien de temps – la corniche de pierre. La précarité de l’assemblage apporte une beauté insolite à l’extrémité de ce temple, situé au sein de l’ensemble Banteay Kdei.
Mais ma vision n’est-elle pas erronée ? Pourquoi croire que le temple est en train de s’effondrer, et que ce que je vois en est la démonstration ? Pourquoi imaginer un passé reluisant, devenu virtuel et absent ?
Après tout, rien ne me dit que ce n’est pas l’inverse. On vient peut-être de glisser cette colonne sous la corniche. Il faudrait que je revienne dans quelques jours ou quelques mois, pour voir si, oui ou non, la construction a avancé.
J’aime rester dans ce doute et cette incertitude. Le futur m’appartient, tant que je ne le connais pas. Je vois bien que tous les touristes qui m’entourent, sont accompagnés de guides qui leur racontent l’histoire du lieu. Pourquoi ont-ils donc ce besoin, et pourquoi ne s’abandonnent-ils pas aux flux de leurs imaginations et leurs rêveries ?
Autre temple, autre rêverie. À Ta Prohm, les arbres sont les sculptures qui habillent les murs et les parois.
Ils sont assis sur le rebord du mur, et leurs racines, telles des jambes, plongent le long des parois verticales. Leurs troncs émergent, et tout en haut, leurs frondaisons dominent la scène.
Souvenir de mes cours de construction, où l’on m’apprenait pourquoi il fallait mettre des fers à l’intérieur du béton. Si mes souvenirs sont exacts, ils apportent la cohésion en mettant sous tension de béton, tout en apportant une certaine souplesse.
Les arbres me semblent faire de même. Ils sont les fers des temples de Ta Prohm. Des fers vivants qui se rient de la rouille, et se nourrissent au plus profond du sol.
Qui sait, peut-être aussi ont-ils extrait du sol les pierres ? Je les vois comme les architectes, les ingénieurs et les ouvriers. Ils ont dessiné les plans, fait les calculs, et assembler les pierres. Le temple n’est pas détruit par les arbres, il est construit par eux.
C’est un de ces arbres qu’il faut que je ramène à Banteay Kdei pour terminer la colonne et la corniche…

2 août 2013

SYSTÈME D

Angkor et Encore (1)
Passer de la Thaïlande au Cambodge, c’est changer d’univers. Certes l’Asie est toujours évidemment là, ainsi que le bouddhisme. Mais autant la pauvreté est absente en Thaïlande, et la progression du niveau de vie visible et rapide, autant le Cambodge est comme décroché, perdu, isolé du dynamisme des pays qui l’entourent. Si un bâtiment est récent, ou en cours de restauration, il y a toujours sur le côté un panneau annonçant que ceci est fait sous l’égide de telle ou telle organisation caritative…
Finalement ce pays est un peu comme cette enfant qui essaie, au milieu des ruines d’un temple d’Angkor, d’avancer sur ce vélo trop grand.
Impossible pour lui d’atteindre la pédale lorsqu’elle se trouve tout en bas. Toute l’astuce est donc de donner l’impulsion nécessaire avec l’autre. Cahin-caha, il s’en sort et chemine, dans son équilibre précaire, au sein du dédale des pierres qui jonchent le sol.
La scène est certes amusante et pittoresque, et l’enfant est habillé d’un magnifique sourire, mais quelle perte d’énergie, quelle inadéquation entre les deux tailles, et quelle fragilité !
Belle métaphore de son pays qui, presque joyeusement, se reconstruit dans des habits issus du passé, et devenus comme trop grands après les massacres commis par les khmers rouges.
A quelques dizaines de kilomètres de Siem Reap, et des temples d’Angkor, j’ai rencontré un témoignage de la puissance d’imagination des Khmers.
A Battambang, une voie de chemin de fer unique permet de desservir une série de villages, avant d’aller jusqu’à Phnom Penh. Sur un telle voie, les trains ne peuvent pas se croiser, et donc impossible d’organiser correctement la desserte locale.
Aussi une solution originale a-t-elle été trouvée, ne mettant en œuvre que des produits existants localement : avec un petit moteur, quatre roues, un peu de métal, des bambous, et pas mal d’imagination est né le « Bamboo train », un train démontable qui assure le transport des voyageurs et des produits entre les villages.
Quand deux trains se trouvent face à face, ils s’arrêtent, et l’un des deux est rapidement démonté. Il suffit d’enlever le plateau de bambou, de le mettre de côté, de retirer les roues et le tour est joué. Quelques instants plus tard, il est remonté. (voir la vidéo ci-dessous pour mieux comprendre).
C’est aussi une attraction pour les quelques touristes de passage, mais c’est d’abord une solution bricolée qui désenclave la campagne…
Tout ceci mérite bien une bière… et naturellement une Angkor.
Encore et Angkor…