6 janv. 2010

LA VENGEANCE EST UN PLAT QUI SE MANGE FROID

Histoire de caverne (Saison 4 – Épisode 7)

Rien ne semblait pouvoir enrayer le développement des maisons du plaisir et temples du jeu, quand apparut l'APIHLE.

Marcel exultait. Après des années passées à ruminer sa vengeance, il la tenait enfin. En tant que Président de l'APIHLE (Association pour la préservation de l'identité humaine et la lutte contre les élixirs), il allait leur en faire voir…
Mais qui était donc ce Marcel et pourquoi en voulait-il autant à moi, Johnny et Jojo ? Pour cela, il me faut remonter bien longtemps en arrière, quand je n'étais encore qu'un modeste entrepreneur spécialisé dans la décoration des cavernes (voir le début de la saison 1 : Comment je suis devenu banquier pour ne plus avoir à faire du troc). À l'époque, je n'exécutais pas moi-même les peintures rupestres, et les sous-traitais à un jeune artiste de talent, Marcel. C'est pour payer Marcel que j'avais fait connaissance avec Johnny, trouvé l'idée des pierres comme monnaie d'échanges et que tout avait commencé.
Marcel, lui, avait continué sa carrière d'artiste, ou du moins avait essayé. Voir mon ascension et celle de Johnny l'avait bloqué : il m'en voulait de ne pas l'avoir associé à mes affaires, et rapidement avait passé ses journées à imaginer que, sans lui, nous ne serions arrivés à rien.

Il y a une dizaine d'années, un peu avant l'arrivée de Jordana et Isabella, Jojo le devin était allé le voir pour lui commander une nouvelle peinture. Quand il avait vu dans quel état se trouvait Marcel (sa caverne était un amoncellement d'os mal rongés, ses peaux de zèbres étaient à moitié rongées par des cohortes d'insectes – Marcel avait depuis toujours la passion des peaux de zèbre –, et même ses peintures rupestres avaient été volontairement raturées…), il était reparti sans lui dire un mot. Il s'était ensuite répandu de partout, en se moquant de l'état de la caverne de Marcel. Il était aussi à l'origine d'un article paru dans l'Échos des Cavernes : « Marcel ou la fin d'un talent ».
Ce fut la goutte d'eau de trop : Marcel plongea encore plus profond. Ce qui le sauva de la dépression, ce fut la haine qu'il développa contre moi, Johnny et Jojo. Elle devint sa fixation, sa raison d'être. Il vécut dès lors dans l'obsession de se venger. Malheureusement pour lui, les années passant, nous devenions de plus en plus puissants. Marcel avait bien pensé s'en prendre à nos enfants, mais il n'avait pas pu : il voulait viser non pas à des enfants innocents, mais directement nos personnes et nos affaires.

Les années passèrent. Petit à petit, Marcel avait remonté la pente. Il s'était remis à la peinture. Quand il avait vu apparaître les cabanes, cela lui avait donné une idée : comme les cabanes étaient un moyen d'habiter là où on voulait et de se libérer de la localisation forcée des cavernes, il avait imaginé de peindre sur des morceaux de bois et non plus sur les murs. Ainsi on pouvait déplacer ses peintures, les mettre n'importe où, et les emmener avec soi. Le succès fut immédiat. Aujourd'hui Marcel était à la tête d'une entreprise prospère de décoration murale, « Decorama ». Il employait une centaine de personnes et était présent des deux côtés du monde. Lui-même peignait encore de temps en temps pour le plaisir.
Il avait renoué des relations d'abord avec nous via Jacques et Jordana. En effet ceux-ci étaient ses premiers clients : Decorama avait le décorateur exclusif de « Cabanes de rêves », la société de J&J. Un soir, il fut présenté à Jojo qui ne reconnut pas en lui le Marcel pauvre et à moitié fou qu'il avait connu, il y a longtemps. Il ne dit évidemment rien et cacha sa haine, attendant le bon moment.

Marcel fut donc aux premières loges pour assister à l'essor des maisons du plaisir, puis des temples du jeu. Il avait gardé de son plongeon une fixation sur la santé physique et morale : il ne s'en était sorti qu'au prix d'une ascèse personnelle extrêmement ferme. Aussi fut-il extrêmement choqué par la luxure promue par ces lieux. Il sentit qu'il tenait enfin sa vengeance : en s'attaquant à ces lieux de débauche, il allait faire d'une pierre deux coups, nous attaquer enfin et défendre l'ordre moral auquel il tenait.
Discrètement, il créa l'APIHLE et commença à recruter auprès de tous les déçus de ce monde en train de devenir moderne. Il avait déjà une centaine de membres quand survinrent les accidents de chars. Son association apparut alors au grand jour en lançant sa célèbre campagne(1) : « Pour des cavernes et des cabanes propres ».

Le lendemain, il avait rendez-vous avec le conseil des cabanes et cavernes (le CCC), organe dirigeant des deux mondes(2).
« Nous ne vous laisserons pas mettre en péril la santé morale de nos enfants, commença-t-il »
Je le regardais en me demandant si j'avais eu raison de créer le CCC et d'en prendre la présidence…

(à suivre)

(1) Cette campagne est enseignée à HECC (L'École des Hautes Études des Cavernes et Cabanes) comme étant la première utilisation de la communication moderne pour le lancement d'une cause politique.

(2) Le CCC a été la formalisation logique de l'instance qui gouvernait de fait les deux mondes. Il comprenait outre moi, Johnny, Jojo, Jacques, Paulo, Jordana, Christina et Isabella. Pour asseoir sa légitimité, nous nous étions contentés d'annoncer sa création dans un numéro spécial de l'Écho des Deux mondes. Comme nous étions tout puissants, pourquoi faire compliqué ? J'avais été élu premier Président du CCC, Christina Vice-Présidente et Jojo Secrétaire.

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