5 janv. 2010

SEXE, ÉLIXIR, TAM-TAM… ET JEU

Histoire de caverne (Saison 4 – Épisode 6)

Grâce au succès des maisons du plaisir, l'économie des deux bouts du monde tournait à plein. L'argent et le temps gagné étaient recyclés pour mon plus grand profit. Et Johnny venait d'avoir une nouvelle idée.

Dans son message, Johnny m'annonçait aussi son arrivée prochaine. Quelle pouvait bien être cette idée géniale qui justifiait qu'il quitte le confort de sa position de vice-roi de Christoville ? J'allais le savoir bientôt…
Une semaine plus tard(1), le crissement d'un attelage me prévint de l'arrivée de Johnny : il n'y avait que lui pour faire un tel ramdam. Je sortis pour l'accueillir.
« Que dis-tu de mon nouveau véhicule, me dit-il en me montrant un drôle de char ». 
Son char était plus étroit que les autres, doté seulement de deux roues (au lieu de quatre, voire six habituellement), et tenait en équilibre, car il était relié à l'avant à une magnifique paire de bisons(2). L'ensemble était un peu ridicule, fragile et clinquant, mais Johnny avait l'air si content d'être le centre de tous les regards…
« C'est un véhicule personnel. Idéal pour une course rapide ou une ballade en amoureux.
- Si tu le dis… »

Quelques minutes plus tard, nous étions assis chez moi, chacun ayant en main une coupe remplie d'un des élixirs d'Isabella.
« Toujours aussi délicieux, cette boisson, commença Johnny.
- Oui, et maintenant, on peut les acheter dans un nouveau réseau de cabanes que vient de monter Isabella. Ce sont de petites cabanes où l'on peut trouver un peu de tout, et, bien sûr, en premier, ses boissons. Elles appellent cela des « Elixstores ». C'est la dernière mode d'aller y faire ses courses. Mais tu n'as pas fait tout ce chemin pour m'entendre parler des elixstores.
- Non, effectivement. Mais cela constitue une bonne introduction, car cela montre le potentiel de développement qu'il y a encore derrière les idées d'Isabella.
- Je t'écoute.
- L'idée centrale d'Isabella a été de transformer le temps libre et le goût au divertissement en un business rentable. Idée simple et brillante, comme toutes les bonnes idées. Pour cela, elle s'est appuyée sur deux tendances majeures de tous les êtres vivants, gorilles et chimpanzés inclus : le goût du sexe et le besoin de s'évader. Pour le sexe, elle a eu l'intelligence de proposer un peu de tout, permettant à chacun selon ses envies de trouver ce qu'il cherche. Pour l'évasion, elle s'en est tenue à la boisson. Certes, elle propose toute une variété d'élixirs, mais cela reste de la boisson. Il y a d'autres façons de s'évader. Jacques, avec ses cavernes, puis ses cabanes au bord des lacs (voir les saisons précédentes), a proposé un peu d'évasion. Mais cela reste très artisanal.
- Tu veux développer un nouveau réseau de cabanes de vacances ?
- Attends… Il y a aussi une autre tendance naturelle, pour l'instant sous-exploitée : le jeu. Regarde des enfants : ils jouent. Idem pour les chimpanzés et les gorilles. Regarde des adultes : ils se racontent des histoires, essaient de se battre à la course, cherchent à viser de loin un arbre avec leur lance… Ils jouent aussi. Or, aucune offre organisée dans le domaine du jeu, rien. Donc mon idée est simple : elle est de compléter la trilogie d'Isabella – sexe, élixir, tam-tam – en y ajoutant le jeu. Je me propose de lancer avec Jacques un nouveau réseau de cabanes où tout un chacun pourra jouer. Ces cabanes seront situées à proximité soit d'un site exceptionnel (lac, point de vue,…), soit d'un centre de vie. Elles proposeront un ensemble associant logement, boisson et jeu. Pas de sexe et pas de musique, pour respecter l'exclusivité accordée à Isabella. Nous ne cherchons pas la guerre.
- Intéressant. Quel type de jeu trouvera-t-on dans ces cabanes ?
- Nous sommes en train de travailler dessus. Nous voulons nous inspirer à la fois des jeux des enfants et de ceux des adultes. Un mélange d'adresse, d'intelligence et de chance. Je suis venu ici pour finaliser tout cela avec Jacques. J'ai avec moi quelques maquettes, mais je préfère ne pas t'en parler pour l'instant. Dernier « détail ». Nous sommes à la recherche de financement pour monter ce projet. Tu es partant ?
- Sur le principe, oui. Reste à analyser plus précisément votre projet, connaître vos besoins financiers et définir ma part correspondante. Je vais demander à ma fille Dorothée de suivre ce projet. Autant Thomas est bon quand il s'agit de chiffres et de technologie, autant quand il s'agit de montages complexes, sa sœur est bien meilleure. Et il est temps qu'elle ait sa propre affaire…

Trois mois après cette discussion, l'Écho du monde annonçait la naissance du premier « Temple du jeu ». Pourquoi « Temple » ? Parce que finalement Johnny et Jacques avait décidé d'enrichir leur offre en lui donnant un côté religieux qui ajoutait une caution de sérieux : les clients pourraient dire qu'ils venaient là, non pas pour le jeu ou le plaisir, mais pour le bien de Dieu. Aussi Jojo avait participé à l'élaboration du concept.
Pour la partie jeu, l'offre était multiple. A l'extérieur du temple, on avait aménagé de grands espaces dans lesquels allaient se dérouler des compétitions : celui qui courait le plus vite, celui qui lançait le plus loin, celui qui tuait le plus d'oiseaux,… On pouvait jouer soit en participant soi-même à la compétition, soit en pariant sur qui allait gagner. A l'intérieur du temple, on trouvait des tables sur lesquelles on pouvait faire rouler des boules de pierre. Ces boules rebondissaient sur les bords de la table et pouvaient tomber dans un trou ou un autre. Pour gagner, il fallait avoir parié sur le bon trou.
Pour la partie logement et boisson, pas de problème. Jacques s'y connaissait. De plus, Isabella, comprenant l'intérêt pour elle de ce nouveau débouché, avait accepté d'y vendre ses boissons.
Dès l'ouverture, la foule se pressa. Un mois plus tard, ouvrait le deuxième temple. Un an plus tard, il y avait vingt temples, venant s'ajouter à la centaine de maisons du plaisir et à la dizaine d'elixstores.

C'est alors que se produisirent les premiers accidents de chars et que certains gorilles se mirent à échapper leur cargaison. Quand cela aboutit à la première mort d'un homme (il avait été lâché par un gorille alors qu'il atteignait son appartement, situé au niveau 4 d'une tour du futur), naquit l'association pour la préservation de l'identité humaine et la lutte contre les élixirs, l'APIHLE…

(à suivre)

(1) La piste qui réunissait les deux bouts du monde avait été considérablement améliorée, ne serait-ce que pour l'entretien des réseaux Internex et Intervox. Le courant de marchandises s'était aussi considérablement accru. Résultat : on pouvait faire le trajet en guère plus d'une semaine.
(2) En fait les animaux en question n'étaient pas exactement des bisons, mais une espèce rare et aujourd'hui disparue, dont, même moi, j'ignore le nom. Alors on va se contenter de les appeler « bison », c'est plus simple !

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