29 mars 2012

SANS INCERTITUDE, PAS DE STABILITÉ !

Emboîtements, émergences et incertitude (4)
Étrangement, c’est l’incertitude au travers de l’entropie et du chaos qui apporte la solidité et la résilience : ce qui est ordonné est cassant et fragile, ce qui est en désordre ne l’est pas. Pensez à la fable du chêne et du roseau : le chêne rigide casse, là où le roseau flexible survit. C’est un peu la même chose.
Si le futur était prévisible, la moindre perturbation viendrait le détruire. Or de perturbations nous ne manquons pas ! Le monde dans lequel nous vivons n’est pas une mécanique de précision, c’est un système simple, robuste, bricolé. D’où l’importance de ce flou, de tous ces jeux qui existent de partout.
Une des propriétés les plus déroutantes est celle, justement appelée, des attracteurs étranges. Sans entrer dans une description théorique détaillée du chaos, sachez seulement que si le comportement des processus chaotiques est imprévisible, si l’on ne peut dire ce qui va se passer précisément à un moment et un endroit précis, si la trajectoire d’un objet soumis à une telle loi est largement inconnu, l’ensemble dessiné par ces trajectoires ou ces objets converge vers des systèmes structurellement stables.
Ainsi alors que si je modifie un tant soit peu les conditions initiales, les conséquences pour chaque élément sont immenses, rien de tel pour le système global : même si les équations qui le décrivent subissent des modifications, du moment que celles-ci restent dans des limites données, la topologie ne se modifie pas. Autrement dit, chaque élément qui compose la structure va être modifié, mais la structure elle-même restera stable. C’est une des caractéristiques de notre écosystème : il est résilient face aux perturbations, il est structurellement stable. Attention à ne pas en déduire qu’il peut faire face à toutes perturbations, car celles-ci doivent rester limitées pour que tout le système ne soit pas déstabilisé
Quand nous pensons stabilité, les premières images qui nous viennent sont souvent celles des montagnes majestueusement immobiles, ou celle des chaises reposant solidement sur leurs quatre pieds. Ces images sont trompeuses quand on parle de stabilité de notre monde, car rien n’y est immobile, tout est en mouvement, tout se déplace. La stabilité n’est donc pas du tout l’immobilité, elle est comme indiquée précédemment avec les attracteurs étranges, la capacité dynamique d’un système de rester globalement le même, ou sensiblement le même.
Avec le chaos, fini l’idée d’une stabilité immobile.
(à suivre)

28 mars 2012

LE CHAMP DES POSSIBLES N’EXISTE PAS

Emboîtements, émergences et incertitude (3)
Donc notre monde qui dérive depuis le big-bang, sous la loi de l’entropie et du chaos. Chaque instant qui passe, le rend plus complexe, plus imprévisible, et multiplie les possibles.
Possible, voilà bien un autre mot qui nous hante avec celui de désordre : le champ des possibles, le désordre du monde… Mais comme le désordre n’est qu’une affaire de point de vue, le champ des possibles existe-t-il vraiment, ou n’est-il qu’un mirage ?
Partons donc nous promener dans la Bibliothèque de Babel imaginée par Jorge Borges (1). Nous avons devant nous tous les livres susceptibles d’être écrits, dans le passé comme dans le futur. Comment se peut-il ? Simple et lumineux : les livres qui la composent, regroupent toutes les combinaisons imaginables entre les lettres. Prenez toutes les lettres de l’alphabet, commencez par celle que vous voulez, choisissez en une autre, une prise au hasard, et continuez. Vous avez cette bibliothèque, et sa quasi infinité de livres, sur une quasi infinité d’étagères, dans une quasi infinité d’alvéoles. Les bibliothécaires s’y promènent, prenant en main, de temps en temps, un livre et s’extasiant quand ils tombent sur une phrase qui a un sens. Car bien sûr dans cet océan des combinaisons, il y en a d’abord qui n’ont aucun sens.
Dans la nouvelle, l’un des bibliothécaires disserte sur l’idée qu’il pourrait y avoir un chemin, une façon de trouver les livres comprenant au moins des paragraphes porteurs de significations. Mais comment le savoir à l’avance ? Comment prévoir ce qui n’est pas advenu ? Comment dans le dédale de ce qui a été imprimé, localiser à l’avance, ce qui, une fois le livre ouvert, fera que c’est bien un livre, et non pas seulement une collection de lettres ? Impossible et angoissant : tout livre potentiel est bien là quelque part, mais où ? Pourtant : « Il suffit qu’un livre soit concevable pour qu’il existe. Ce qui est impossible est seul exclu. (…) Cette inutile et prolixe épître que j’écris existe déjà dans l’un des trente volumes des cinq étagères de l’un des innombrables hexagones – et sa réfutation aussi ».
Voilà donc bien le champ des possibles : devant nous se dessine tout ce qui est susceptible d’exister, mais nous ne savons pas où il se trouve. Et à chaque seconde qui s’écoule rend l’Univers plus vaste, plus complexe, des nouvelles alvéoles se construisent, des nouvelles étagères sont fixées, et de nouveaux livres posées. Le temps joue contre la volonté de se retrouver dans ce labyrinthe infini.
Charles Pierce au mot de possible préférait celui de priméité (2), c’est-à-dire d’une potentialité à être. Avec justesse et précision, il distinguait cette secondéité qui était ce qui nous était accessible, c’est-à-dire l’événement. En effet, rien de penser que quelque chose peut exister, c’est le faire apparaître, car nous sommes nous-mêmes incarnés, et notre pensée n’est jamais abstraction. Nous ne pouvons pas nous extraire de l’analyse, nous ne pouvons pas penser en dehors du monde.
Aussi près que je me trouve du big-bang, le monde des priméités est déjà immense et s’agrandit sans cesse. Par paresse et commodité, je vais continuer à parler de possibles, mais soyons bien clair : parler de possible, ne veut en aucun cas dire qu’il va advenir, mais simplement que rien ne l’interdit.
Car comme Henri Bergson l’a écrit : « C’est le réel qui fait le possible, et non pas le possible qui devient réel. » (voir mon patchwork consacré à son livre « Le possible et le réel » )
(à suivre)

27 mars 2012

LA LOI DE L’ENTROPIE ACCROÎT L’IMPRÉVISIBILITÉ, ET NON PAS LE DÉSORDRE

Emboîtements, émergences et incertitude (2)
Depuis le Big-bang, l’univers suit la loi de l’entropie, et, classiquement, comme on dit que l’entropie mesure la quantité de désordre d’un système, le désordre s’accroîtrait. Mais posons-nous une question « simple » : que veut-dire le mot « désordre » et comment pourrais-je être sûr que son niveau s’accroît ? Est-ce que je peux mesurer dans l’absolu le désordre d’un système ? Ou est-ce que je ne le fais pas plutôt au regard d’un ordre, ou d’un ensemble de règles que je considère comme représentant ce qui est ordonné ?
En effet, le désordre ne peut se penser qu’en opposition à un ordre. Il n’existe pas par lui-même. Donc son niveau, non plus. Je ne peux donc pas dire que, dans l’absolu, le désordre d’un système s’accroît. Ce n’est que par rapport à mon référentiel, explicite ou implicite, qu’il s’accroît, en s’en écartant davantage.
Finalement le désordre est une affaire de point de vue, c’est un jugement que l’on porte sur une situation, ce n’est pas une donnée intrinsèque. Combien de fois n’avez-vous pas dit en voyant le bureau d’un collègue de bureau ou d’un de vos enfants : « Mais quel désordre ! Comment fais-tu pour retrouver quelque chose là-dedans ? ». Mais pour ce collègue ou cet enfant, le bureau n’est pas en désordre, et il sait très bien où se trouver chaque chose. Simplement son ordre n’est pas le vôtre. Peut-être que pour vous, ordre veut dire alignement et tas bien structurés, alors que pour lui, c’est une affaire de couleur et de proximité…
Revenons donc à l’entropie, et posons-nous la question suivante : qu’entendons-nous quand nous disons que le désordre s’accroît ? Puisque tout le monde l’affirme, et que tous les scientifiques sont d’accord sur le sens qu’il donne à cet accroissement, cela signifie donc qu’ils ont un référentiel, et que ce référentiel est commun. Sinon, pour les uns, le désordre s’accroîtrait, et pour d’autres pas.
Donc ce que l’on entend par « le désordre s’accroît », c’est que le système s’écarte davantage d’un même ensemble de règles, du même ordre.
Quel est cet ordre ? Je crois que cet ordre implicite est la prévisibilité des trajectoires individuelles de ce qui compose le système.
Reprenons en effet la définition de l’entropie issue de la physique statistique : l’entropie d’un système est fonction du nombre de configurations microscopiques que peuvent prendre les particules qui le composent, et, plus exactement, varie homothétiquement suivant le logarithme de ce nombre. Une configuration est à la fois une façon de placer les particules, et de leur distribuer l’énergie interne.
Donc, si l’entropie est nulle, cela signifie qu’il n’y a qu’une seule configuration, c’est-à-dire que toutes les particules ne peuvent être placées que d’une façon, et qu’il n’y a aussi qu’une façon de répartir l’énergie. On connaît alors exactement comment se trouvent les particules : aucune incertitude. Maintenant si l’entropie s’élève, le nombre de ces configurations s’accroît. Or, plus le nombre de configurations, c’est-à-dire d’états possibles, est grand, plus il est difficile de connaître l’état exact du système, et plus il est incertain et imprévisible.
Ainsi l’entropie ne varie pas en fonction du désordre, notion subjective et pour laquelle on manque d’un mètre étalon, mais en fonction de la prévisibilité. La loi de l’entropie pour un système isolé peut être reformulé comme suit : tout système isolé évolue spontanément en augmentant le nombre de ses possibles et devient d’instant en instant moins prévisible.
Or, l’univers dans sa totalité constitue par construction un système isolé, car, puisque il est considéré dans sa totalité, c’est-à-dire tel qu’il était au moment du big-bang, il ne peut rien exister en dehors de lui.
Aussi, l’Univers est, depuis le big-bang, de moins en moins prévisible, et accroît continûment le champ de ses possibles.
(à suivre)

26 mars 2012

HISTOIRE DE BIG-BANG

Emboîtements, émergences et incertitude (1)
Il y a près de quinze milliards d’années, big et bang, big-bang, tout commence. Ou plutôt le temps et le monde dans lequel nous vivons, émergent, car nous sommes bien incapables de remonter plus loin. Parler d’avant n’aurait d’ailleurs pas vraiment de sens, puisque le temps naît alors. Il n’y a pas d’avant. Et comment, nous qui sommes immergés dans le temps, pourrions-nous penser une situation où il n’existe pas ?
Pourquoi le big-bang a-t-il lieu, et pourquoi y a-t-il un commencement à notre monde ? Question fascinante, et vertigineuse, sensation d’être littéralement dépassé par cette question qui relève plus d’une pensée religieuse, d’un acte de foi que d’une réflexion structurée. À part de dire comme je viens de l’écrire, que l’on ne peut rien en dire…
Henri Bergson, dans le Possible et le Réel, qualifie ce problème de pseudo-question. J’aime bien comme il ramasse si efficacement l’absurdité de la question par sa formulation : « L’idée d’une suppression de tout a juste autant d’existence que celle d’un carré rond ». Ou exprimé autrement comment moi qui suis incarné dans le monde, prisonnier de sa temporalité et de son existence, pourrais-je m’en extraire et penser « avant » le monde, c’est-à-dire en dehors de ce qui est moi ? Le propos de Ludwig Wittgenstein, « Ce dont on ne peut parler, il faut garder le silence », s’applique dans sa brutalité.
Bref, quitte à décevoir ceux qui sont dans la recherche métaphysique de l’origine du monde, laissons-les de côté et intéressons nous à ce qui se passe à partir du big-bang.
Faisons un arrêt sur image sur ce moment fondateur et un zoom sur les toutes premières minutes.
Initialement, tout est « simple » : aucun emboîtement, aucune différentiation et quasiment aucune distance. Toute la matière est concentrée en un point infinitésimal, et n’est composée que de particules élémentaires identiques, les quarks, soumises à une seule force, le tout à une température phénoménale de 1032 degrés Kelvin.
Immédiatement, les premiers emboîtements commencent, la course vers la complexité et la différentiation s’amorce. Tout d’abord, dix millionième de seconde après, alors que la température n’est « plus que » de dix milliards de degrés Kelvin, la force unique s’est scindée en quatre.
A quoi servent donc ces nouvelles forces ? Elles définissent comment les composants de la matière inerte du monde interagissent entre eux. Elles sont à la fois la « glu » et la « graisse » du monde, ce qui va lui donner sa cohésion et sa souplesse, ce qui va donner des solidités extrêmes à courte distance (la force nucléaire forte) comme des attirances lointaines (la gravitation). En quelque sorte, elles relient et repoussent, elles assemblent et opposent.
Grâce à elles, le jeu des poupées russes peut commencer, plus rien ne l’arrêtera : les relations de proximité « soudent » les particules, les quarks se combinent, pour donner naissance aux neutrons et aux protons ; puis les neutrons et les protons, trois minutes plus tard, s’associent à leur tour, et naissent l’hydrogène et l’hélium ; ensuite, bien plus tard, naîtront tous les composants de base, comme l’eau ou les chaînes carbonées.
Non seulement la matière se tisse et se complexifie, mais elle s’étend au fur et à mesure qu’elle se refroidit. Depuis le big-bang, l’univers est en perpétuelle expansion. Ce qui était immensément dense, se répand, les particules s’éloignent les unes des autres. Mais elles ne restent reliées entre elles, magie de la gravitation.
Le tissage de la matière a commencé, les emboîtements aussi, car rien ne disparaît, et tout se retrouve à l’intérieur de ce qui se crée : les quarks sont dans les neutrons ou les protons, les neutrons dans l’hydrogène ou l’hélium, l’hydrogène dans l’eau. Si nos yeux étaient des microscopes électroniques, nous serions pris d’un vertige vertical.
De fil en aiguille, de poupée russe en poupée russe, les galaxies, puis les étoiles et les planètes se forment. Ainsi va le monde de la matière inerte...
(à suivre)

23 mars 2012

NAISSANCES ET ÉMERGENCES NOUVELLES....

Quand le vivant se réveille
Fin d'hiver, captation de ressources, énergies longtemps cachées, émergences multiples, naissances chaotiques... 



22 mars 2012

VOIR LE MONDE AU TRAVERS DES CRIS QUE L’ON ÉMET

Nous ne comprenons pas le monde tel qu’il est, mais tel que nous le percevons
Difficile d’imaginer comme notre compréhension du monde est dépendante de nos perceptions, et comme, sans que nous en rendions compte, nous le comprenons pas d’abord tel qu’il est, mais tel que nous le voyons.
Pour essayer d’approcher cette réalité, Jean-Claude Ameisen, dans son émission du 18 février dernier de Sur les Épaules de Darwin, nous incite à voir le monde au travers des perceptions d’une chauve-souris.
Nous avons l’habitude de lire l’univers au travers de notre vue, et du rebond des ondes lumineuses. Ainsi nous projetons notre regard, et saisissons la quantité de lumière renvoyée par ce qui nous entoure, ainsi que les fréquences correspondantes.
La chauve-souris, elle, projette des cris, et est sensible au rebond des sons. Comment se sentir voler dans un noir absolu, guidé seulement par l’écho de ses propres cris ? Comme si un aveugle, pour se déplacer, criait sans cesse, et percevait la forme, la matière et la distance des choses par les déformations des sons qui lui reviendraient en retour.
J’aime la poésie de cette invitation à voir le monde comme une chauve-souris. Tentative impossible bien sûr, mais qui peut nous aider à percevoir notre propre subjectivité…
Plus étonnant, la nature a su s’adapter pour guider les chauve-souris, quand cela peut être nécessaire : ainsi certaines fleurs d’une vigne d’Amérique du Sud, quand elles sont mûres et prêtes à libérer leur pollen, ont une pétale supplémentaire qui se dresse, un sorte d’antenne satellite, un miroir sonore qui renvoie les ultrasons dans la direction où ils ont été émis. Grâce à cela, les chauve-souris les localisent très facilement et pollénisent… Merveille de la coévolution.
Autre promenade dans les méandres des ruelles inconnues de notre monde. Certains animaux voient dans l’ultra-violet. Pour cela, ils ont quatre pigments rétiniens : trois comme nous et un de plus dans l’ultraviolet. Ainsi certains oiseaux qui nous semblent avoir un plumage triste, sont perçus par leurs congénères comme une explosion de couleurs, car c’est dans l’ultraviolet que leur génie créatif s’exprime. C’est un peu comme si nous passions devant une porte qui serait invisible à nos yeux, mais perceptible à ceux de nos voisins. Magie de ces objets cachés ou révélés…
Par exemple aussi deux fleurs qui nous paraissent d’un rouge identique, ne le sont pas pour des abeilles ou des colibris, car elles ne reflètent pas l’ultraviolet de la même façon…
J’essaie de garder cela en tête quand je marche dans les entreprises pour essayer de comprendre ce qui s’y passe. Ma perception  n’est que relative. Peut-être suis-je en train d’ignorer une porte qui m’est invisible, ou d’être attiré par des couleurs perceptibles de moi seul. Qui sait ?

21 mars 2012

COMMENT PASSER AU MANAGEMENT PAR ÉMERGENCE

Le management par émergence – Synthèse 2
Impossible d’entrer ici en détail dans la mise en œuvre effective du management par émergence. Je vais me centrer sur les trois erreurs majeures à éviter, puis donner ensuite des lignes principales d’action.
1. Les trois erreurs à éviter
• Ne pas confondre changement et transformation
Contrairement à l’idée reçue, je suis convaincu que moins on change, mieux on se porte : la performance est dans la constance et la permanence, qui, seules, peuvent permettre de construire un avantage concurrentiel durable et réel. En effet l’excès de réactivité conduit au zapping et à la destruction de valeur.
La transformation est, elle, une adaptation lente et continue. Elle est respectueuse du temps et de l’histoire, ne crée pas de ruptures. Elle forme et déforme, comme le flux d’un fleuve.
• Ne pas avoir un plan d’ensemble rigide et défini
Comme tout est incertain, et que l’objectif est de manager par émergence, nul ne peut prétendre connaître seul ce qui doit être fait, et tout dessin précis serait contre-productif.
Il ne faut surtout pas concevoir l’organisation comme un jardin à la française, avec de grandes perspectives uniformes, mais au contraire comme un jardin à l’anglaise.  Laissons les pas dessiner le chemin, et la solution finale émerger.
• Ne pas croire que le résultat sera obtenu rapidement
Ce ne sont pas seulement des organigrammes qu’il faut redéfinir, des métiers redécouper, des sociétés fusionner. Ce sont surtout des habitudes et des comportements qu’il faut modifier.
Aussi, dans une grande entreprise, est-il illusoire de penser qu’une transformation réelle prendra moins de trois ans. En-deçà, on n’obtient que des résultats apparents et de surface.
2. Agir un peu, localement, patiemment
Comment donc transformer une entreprise, et lui permettre de mettre en œuvre les six points qui conditionnent une émergence efficace ?
Ma recommandation est de prendre le contre-pied des trois erreurs : ne rien changer, ne pas avoir de plan d’ensemble et prendre son temps. Étonnant, non ?
• Ne rien changer
Ne pas lancer une grande mobilisation générale, ni dire que le passé est révolu et que l’entreprise doit changer. N’entreprendre rien de spectaculaire, mais viser une transformation de l’intérieur, qui, au début, sera invisible et se propagera. Ce ne sera qu’in fine, que l’on fera constater que, oui, tous se sont transformés, et qu’en ce sens, tous ont changé, mais en profondeur.
• Pas de plan d’ensemble
Multiplier des chantiers locaux, sans lien entre eux, et les laisser se propager. C’est cette propagation qui les fera progressivement se rejoindre, et dessinera, au bout de quelques mois ou années, un schéma d’ensemble, schéma qui n’aura pas été conçu a priori, mais aura émergé.
• Pas de précipitation
Savoir que les premiers résultats seront lents à obtenir, et que le processus prendra de l’énergie au fur et à mesure de sa diffusion, et de l’apparition de connexions entre les chantiers. La transformation aboutira progressivement à des résultats visibles, et le processus lancé continuera durablement à porter ses effets.
3. Faire comme on peut, partout et en même temps
Comment alors concrètement lancer ces chantiers ? Comme on peut ! Ou encore agir effectivement un peu, localement, patiemment, mais aussi partout en même temps et sur les six points.
Prenons l’exemple du premier point, à savoir le lien entre mer et action. La démarche est de repérer des lieux qui sont plus favorables : un manager local qui a une compréhension profonde et fine de la stratégie ; des équipes qui trouvent qu’elles mènent trop d’actions, sans comprendre à quoi elles servent; une nouvelle acquisition qu’il faut rattacher au reste de l’entreprise…
C’est ce même raisonnement qu’il faut suivre pour chaque thème : choisir la voie de la facilité, c’est-à-dire ce qui sera le plus naturel à cet endroit-là. L’objectif est que, d’une façon ou d’une autre, chacun participe, même modestement, à, au moins, un chantier.
Il n’y a pas de recette, car il n’y a pas, par construction, de plan type : c’est à chaque dirigeant, en fonction de l’histoire et de la culture de l’entreprise, de trouver comment agir. Ne pas oublier simplement de se doter d’une équipe qui sera une ressource pour chacun, diffusera progressivement ce qui est entrepris localement, et les reliera.
*
* *
Au terme de cette transformation, chacun dans l’entreprise sera dynamiquement relié à la mer visée et aux autres, aux aguets vis-à-vis de l’imprévu et en appui sur ses forces immédiates, riche de ses degrés de liberté et soucieux du bon rythme.
Alors, oui, la performance collective émergera, et l’incertitude sera réellement vécue comme source d’espoir et de vitalité créative.

20 mars 2012

COMMENT PERMETTRE L’ÉMERGENCE DE DÉCISIONS QUOTIDIENNES EFFICACES

Le management par émergence – Synthèse 1
Ces derniers jours, j’ai diffusé sur mon blog une série d’articles sur le management par émergence. Pour ceux qui n’ont pas pu lire cette série, et ceux qui veulent en avoir une vision plus synthétique, je reprends tous ces éléments en les condensant en deux articles. Aujourd’hui après un rappel rapide du pourquoi les dirigeants décident moins qu’ils ne croient, je dresse le tableau des six leviers de l’émergence efficace. Dans un deuxième article, je reviendrai sur la façon de passer effectivement au management par émergence.
LES DIRIGEANTS DÉCIDENT MOINS QU’ILS NE LE CROIENT
Tout dirigeant curieux qui se penche sur le processus de prise de décision, est pris d’un double vertige :
  • Vers l’intérieur de l’entreprise : partout, dans les bureaux, réunions, et coups de téléphone, des décisions sont prises quotidiennement sans qu’il ne le sache. L’entreprise, comme tout organisme vivant, respire et avance… et heureusement !
  • Vers lui-même : ses réelles motivations lui sont souvent inconnues. Les raisonnements qu’il construit ne le sont le plus souvent qu’a posteriori, pour expliquer ou justifier une décision qu’il a déjà prise.
Double vertige face à l’émergence de la décision qui naît, plus qu’elle n’est voulue…
Alors, faut-il laisser faire ? Évidemment non, car, spontanément, ces émergences, loin de construire une entreprise forte et résiliente, vont la désagréger aux hasards des initiatives prises.
Comment faire alors ?
D’abord, comme je l’expliquais dans mon précédent article « Réfléchir à partir du futur pour se diriger dans l’incertitude », en trouvant un point fixe à long terme, une « mer » qui fédérera durablement les efforts individuels. C’est en effet possible, car, derrière les mouvements erratiques, il existe des attracteurs qui, à l’instar des mers pour les fleuves, structurent les évolutions à long terme. A condition de penser à partir du futur, d’y repérer ce qui est accessible à l’entreprise, et d’identifier des actes immédiats pertinents.
Mais viser la bonne mer n’est que le préalable : comment permettre l’émergence de décisions quotidiennes efficaces ?
Avant d’en venir aux six leviers que j’ai identifiés, une précision : ce qui suit ne s’applique qu’aux entreprises qui, tout en étant ballottées par les vagues de l’incertitude, ne sont pas en train de sombrer à court terme. Elles disposent du temps et de l’énergie nécessaires pour entreprendre une action de fonds, action dont l’objectif est de précisément leur éviter de se retrouver un jour en situation d’urgence…


LES SIX LEVIERS DE L’ÉMERGENCE EFFICACE
1. Relier mer visée et action individuelle : Être compris ici et maintenant
Dans le monde de l’incertitude, l’action centralisée est inefficace et trop peu réactive : la stratégie ne concerne pas que la Direction générale, et les autres ne sont pas que des exécutants.
Permettre l’émergence de décisions efficaces suppose l’articulation permanente entre stratégie et actions individuelles, ce qui implique que chacun la connaisse, et en quoi elle le concerne personnellement.
Si ceci peut paraître évident, c’est finalement bien mal mis en œuvre, car il ne suffit pas de diffuser un document présentant la stratégie pour que chacun comprenne de quoi on parle et en quoi il peut y contribuer. Informer n’est pas communiquer, parler être compris, ni dire être cru.
Et faut-il encore avoir des marges de manœuvre réelles, et un encadrement de proximité qui encourage à les saisir…
Alors chacun pourra se poser des questions simples : en quoi ce que je fais, est-il réellement utile et contribue à se rapprocher de notre mer ? Puis-je arrêter certaines choses, en commencer d’autres ?
2.  Allier inquiétude et optimisme : Retrouver l’énergie des caravanes du Far West
Je rencontre, le plus souvent, soit :
  • Des optimistes qui croient que le pire n’arrivera jamais, que le plus raisonnable est de s’organiser sur un scénario médian. Mais comment calculer la médiane en univers incertain ?
  • Des pessimistes qui, tétanisés par les périls dont ils se sentent entourés, construisent autour d’eux des lignes Maginot. Mais comment contenir les tsunamis de l’incertitude ? Je repense aussi aux officiers du fort du Désert des Tartares de Dino Buzzati. A quoi bon attendre ce qui n’arrive jamais ?
Je rencontre trop rarement des « paranoïaques optimistes », ce juste équilibre entre action résolue et préparation à ce qui peut survenir à tout moment. Ce n’est pas parce qu’ils ont imaginé le pire, qu’ils pensent qu’il va arriver ; ce n’est pas parce qu’ils avancent, qu’ils croient qu’il n’y a pas de danger.
Ainsi allaient les caravanes qui, parties à la conquête du Far West, traversaient des contrées hostiles. Fortes de la vision qui les habitaient, riches des provisions stockées dans leurs chariots, avares dans l’utilisation de leurs ressources, informées constamment par des éclaireurs envoyés en reconnaissance, entraînées aux combats susceptibles d’advenir, elles avançaient.
3. Rechercher la facilité : Évitons le triathlon si l’on ne sait pas nager
N’y a-t-il pas une contradiction à vouloir allier les caravanes du Far West à la facilité ? Pas du tout, mais à condition de ne pas faire de contresens sur la notion de facilité : elle ne veut dire ni paresse, ni inclination à fuir la difficulté, mais recherche de la pente naturelle et du plaisir.
François Jullien dans sa Conférence sur l’efficacité écrit : « La grande stratégie est sans coup d'éclat, la grande victoire ne se voit pas. (…) Méditer la poussée des plantes : en secondant dans le processus de poussée, on tire parti des propensions à l'œuvre et les porte à leur plein régime. »
C’est ainsi que l’entreprise doit avancer vers sa mer, en prenant appui sur ses savoir-faire, son histoire et ses hommes, sur les tendances de fonds de la situation actuelle, de la concurrence actuelle et potentielle.
Je vois trop de dirigeants qui se font les chantres de l’effort, de la transpiration, de montagnes à escalader… Pour eux, seule, la recherche de la difficulté semble noble. Mais si l’on part à contre-courant, si, dès le départ, on n’a pas privilégié ce qui est le plus naturel, comment faire face à l’imprévu, à la difficulté qui surgira sans qu’on l’attende ? A-t-on une chance de réussir un triathlon, si l’on ne sait pas nager ?
À l ‘inverse, si on aime ce que l’on fait, le plaisir éprouvé viendra démultiplier les capacités individuelles.
4. Lâcher prise : Ne pas tout définir, ne pas tout optimiser
Comme on ne peut pas intégrer ce que l’on ne connaît pas, si l’on ajuste exactement une entreprise à la vision actuelle que l’on a de la situation future, on la rendra cassante, et elle ne pourra pas faire face aux aléas à venir.
Alors, puisqu’il est impossible de tout optimiser, tout prévoir, tout planifier, lâchons prise, et acceptons de laisser le futur répondre à ce que l’on ne connaît pas aujourd’hui.
Je sais combien ceci va aux antipodes de la tendance actuelle, qui, cherchant à accroître la rentabilité immédiate, coupe ce qui ne sert apparemment à rien, et supprime ce qui n’est pas lié directement avec ce qui est planifié. Mais ne voit-on pas que l’on va vers l’anorexie managériale, des entreprises tellement amaigries qu’elles seront emportées par la première bourrasque ? 
Ce qu’il faut préserver, c’est une part de flou, c’est-à-dire des ressources en temps, argent et moyens techniques, non affectées pour pouvoir faire face à l’imprévu, et permettre des émergences créatives.
Est-ce à dire que l’on ne se préoccupe pas de l’allocation des ressources, et que l’on dépense sans compter ? Non, bien sûr.
Commençons par identifier les moyens requis pour tout ce qui est engagé et planifié, assurons-nous que l’on répond aux contraintes immédiates, puis, en fonction de la rentabilité, préservons le plus de flou possible, et diffusons le dans toute l’entreprise.
5. Se confronter continûment : Refuser d’être spontanément d’accord
Comme nous aimons le consensus ! Et pourtant quoi de plus inquiétant et anormal, si tout le monde est immédiatement d’accord.
Pourquoi ? Parce que tout est trop mouvant et complexe pour être compris par tous de la même façon ; parce que chacun est prisonnier de son expertise, de son passé, de l’endroit où il se trouve ; parce que l’entreprise risque à tout moment de se déconnecter de son marché, de ses clients et de ses concurrents. Si les dinosaures s‘étaient un peu plus confrontés à la réalité de leur monde, ils seraient probablement encore là !
Qu’est-ce que la confrontation ? Elle est le chemin étroit entre nos deux tendances naturelles, qui sont le conflit et l’évitement. Elle est cette attitude d’ouverture aux autres, qu’ils soient membres de l’entreprise ou à l’extérieur, cette mise en débat de nos convictions et nos interprétations. Elle est aussi la recherche de nos propres hypothèses implicites, souvent inconscientes, qui nous conduisent à notre vision du monde, et à recommander telle solution, plutôt que telle autre.
Il y a cinq conditions pour une confrontation réussie :
  • Avoir assis ses propres convictions, et être capable d’expliciter le raisonnement qui les a structurées,
  • Discuter des analyses, et non pas des conclusions,  
  • Comprendre le rôle des autres et respecter leur professionnalisme,
  • Connaître l’objectif commun visé,
  • Enfin et surtout avoir confiance en soi-même, en les autres et dans l’entreprise.
D’où une priorité pour un dirigeant : développer un climat de confiance, préalable nécessaire à la confrontation positive dans l’entreprise.
6. Twitter n’est pas gagner : Vive le paresse vertueuse
Si l’on n’y prête pas garde, les tourbillons de l’incertitude poussent à la précipitation, à la confusion entre vitesse et efficacité, et au passage brutal de l’idée à la réalisation, de la pensée à l’agir. Car, s’il suffisait de courir pour réussir, toutes les entreprises seraient efficaces, puisque je n’y vois plus que des gens qui courent…  
Avoir le bon rythme, c’est être un paresseux vertueux : ajuster dynamiquement la vitesse à ce que l’on fait, agir avec parcimonie et au bon moment.
J’emploie volontairement le mot provocateur de « paresseux », car il faut développer un esprit de résistance face à la violence de la folie collective : non, twitter n’est pas gagner ! Comment pourrait-on penser vite à long terme, et construire une stratégie pertinente entre deux avions ?
J’y accole immédiatement le mot de « vertueux », pour ne faire l’apologie de l’inaction et du laisser-faire : le lâcher-prise n’est pas le laisser-faire, il est tout le contraire.
Le lâcher-prise est l’attention portée aux courants en place, à ces moments où vouloir agir ne servirait à rien. Il est le refus de se laisser emporté par ce qui n’est qu’agitation inefficace, dispersion d’énergies, et bruit ambiant. Il est la volonté de se poser pour réfléchir, regarder et comprendre.
(à suivre)

19 mars 2012

LA PLUS-VALUE NE SE DÉFINIT PLUS COMME DU « TRAVAIL NON PAYÉ » MAIS COMME DU « NON-TRAVAIL PAYÉ »

Le pire n’est pas sûr, mais il est devenu possible. Le meilleur est improbable, mais il n’est pas hors d’atteinte
Patchwork de « Les 7 péchés du capital » de Charles-Henri Filippi : Un essai d’un grand banquier qui dresse un tableau sans complaisance de la situation actuelle. Décapant, riche et à méditer… avant d’agir
La richesse vient de la variation de prix, et non plus de la création de valeur réelle
Le temps de la rareté primordiale du travail est désormais fini. Nous n’en mesurons immédiatement que la raison la plus apparente : celle de l’irruption dans le périmètre de la division internationale du travail et de l’échange de marché de milliards d’êtres humains qui créent aujourd’hui abondance et déflation salariales.
La part, dans la création de richesses, du bon vieux temps productif, qui se compte heure par heure, se réduit dramatiquement. La valeur de la marque bien conçue l’emporte sur la constitution et la distribution physique des objets. Le signe, transporté sur la toile, multiplie à l’infini la vente d’une idée talentueuse, peut-être conçue dans l’instant, et sans doute née elle-même de l’analyse numérique des achats et des envies d’une multitude de consommateurs.
Pris en tenaille être ce qui se vend sans devoir être fabriqué, et ce qui ne peut être fabriqué sans recours à des ressources dont la valeur augmente, le travail voit sa position s’affaisser progressivement. Mais plus définitivement encore, la société de marché financier, qui exprime la conquête de l’économie réelle par l’argent, fait de la richesse une résultante de la variation de prix dans l’échange plus que la création de valeur dans la production, du mouvement plus que de la matérialité. (…) Marx se retourne dans sa tombe : la plus-value ne se définit plus comme du « travail non payé » mais comme du « non-travail payé ».
Les élites sont coupées du reste des citoyens
Dans l’ère postmoderne, la classe qui naturellement dirige n’est pas celle qui construit l’ordre social, mais celle qui sait jouir de son absence. « Le rôle primordial de la culture est de substituer l’organisation au hasard », écrivait Claude Lévi-Strauss. On ne peut pas ne pas penser que la globalisation et la société de marché laissent prospérer le hasard, et ceux qui savent s’y mouvoir, au détriment de l’organisation et de ceux qu’elle doit protéger.
Si l’élite nouvelle a encore une nationalité qui peut susciter ses émotions et son attachement, sa citoyenneté ne définit plus son intérêt, désormais à la fois déterritorialisé et dématérialisé. Là où l’État existe encore pour l’homme ordinaire qui en attend tout, il est une contrainte de laquelle l’élite sait s’échapper, un passif auquel elle peut éviter de contribuer : l’élite en vient au minimum à marquer une certaine indifférence à la perspective du déclin national. (…) Les princes sont désormais sans peuples et les peuples sans identité.
Ce retour de balancier, qui revigore l’instinct prédateur au détriment de l’instinct artisan, est une conséquence directe de la péremption des concepts de l’économie politique décrite plus haute dans l’essai : de la marginalisation, dans l’échange, de l’objet au profit du prix et de sa variation ; du fossé progressivement creusé entre rationalité et utilité ; de l’érosion de la valeur travail qui structurait la société et fabriquait hiérarchie, interdépendance et lien social au sein de la collectivité.
Saurons-nous pacifiquement régler les dettes accumulées ?
Chaque année, les citoyens des États-Unis donnent, individuellement et spontanément, à leurs œuvres philanthropiques plus que la Chine ne produit d’excédent commercial avec sa machine industrielle : l’Occident n’est pas appauvri (pas encore, du moins) ; il est simplement devenu incapable – ou peu soucieux – d’ordonner politiquement et socialement sa propre prospérité. (…) Sur le plan social, (l’inégalité) n’est plus une opposition verticale, mais une division frontale dans la classe du dessous, entre les pauvres du monde émergent, que la mondialisation aide à progresser, et les petits du monde ancien, qui paraissent défendre privilèges et droits acquis.
Le monde émergent, s’il a déjà constitué sa créance, n’a pas encore réclamé son dû : notre dette croissante à son égard n’est rien d’autre qu’un droit de tirage inutilisé qu’il détient sur nous et dont il va maintenant vouloir faire usage. Le transfert massif de richesse qui s’annonce pourrait être conduit de manière pacifique dans une univers d’intelligence ordonnées et de ressources infinies : innovation, coopération et croissance feraient naître le rééquilibrage d’une répartition de la richesse nouvelle, certes inégale, mais qui ne toucherait pas nos acquis. La raréfaction des ressources et les désordres de l’intelligence collective font au contraire craindre que l’avancée des uns ne puisse se payer que d’un vrai recul des autres et ouvrir la voie à des rapports internationaux et des situations sociales nationales structurellement contentieux. L’Histoire est en train de rendre impossible l’ambition des philosophes de la liberté, pour qui le progrès de l’humanité passait à la fois par la destruction de l’inégalité entre les nations et le progrès de l’égalité dans un même peuple.