19 sept. 2012

LE PIRE N’EST PAS SÛR, MAIS IL EST DEVENU POSSIBLE…

Déplacer les inégalités ou les éradiquer (3)
Si nous n’y prenons pas garde, ce sont les plus fragiles qui vont supporter la baisse relative de pouvoir d’achat, et une paupérisation massive va se diffuser chez nous.
Alors la réduction en cours des inégalités entre pays se traduira par le creusement des inégalités à l’intérieur de chaque pays, la mondialisation des activités aura créé des classes mondiales de riches et de pauvres, avec un transfert des écarts : aux inégalités géographiques se substitueront des inégalités sociales, et tout le bénéfice des actions entreprises dans nos pays depuis un siècle seront gommés.
Or que constate-t-on depuis vingt ans ? Précisément ce creusement des inégalités. Les données fournies par François Bourguignon sont sans appel :
- Aux États-Unis, entre 1979 et 2004, le revenu des 1% les plus riches a cru de 176 %, alors que celui des 20% les plus pauvres stagnait, et que celui des 20% suivant n’augmentait que de 17%. En moyenne le revenu de 80% des Américains n'a augmenté que de 21%... soit plus de 8 fois moins que les 1% les plus riches.
- Au sein de l’OCDE, entre 1985 et 2005, les inégalités ont fortement augmenté non seulement dans les pays anglo-saxons, mais aussi en Allemagne, Autriche, Belgique, Italie et dans les pays d’Europe du Nord. Les seuls pays où elles n’ont pas progressé sont la France, la Grèce, l’Espagne, l’Ireland, l’Islande ou des pays de l’Est.
François Bourguignon s’interroge pour savoir si ces pays où les inégalités progressent sont des éclaireurs. Quand je vois que ce sont plutôt ceux qui aujourd’hui résistent mieux à la crise, le futur n’est pas particulièrement réjouissant : pour s'adapter à un monde globalisé, ces pays ont creusé les inégalités. Est-ce une fatalité ?
Autre complément d’information : au lieu de s’intéresser à la convergence entre les populations, il a aussi regardé si les pays globalement convergeaient, c’est-à-dire si l’écart entre les pays les moins favorisés versus les plus favorisés diminuait lui aussi. La réponse est cette fois inverse : alors qu’en moyenne le niveau de vie de la population mondiale converge, ce sous l’effet du développement essentiellement de la Chine, de l’Inde et du Brésil, l’écart se creuse si l’on raisonne en terme de pays, ce spectaculairement depuis vingt ans.
C’est là la traduction du retard croissant pris par l’Afrique. Petite lueur d’espoir, mais bien fragile, la croissance en Afrique sub-Saharienne s’est accélérée depuis 2004. Est-ce durable ?
Bref le tableau est noir : la réduction des inégalités géographiques s’est traduite par le développement d’inégalités locales, et rien n’indique que ceci va s’arrêter naturellement. Bien au contraire…
Charles-Henri Filippi, dans Les 7 péchés du capital, insiste sur la dévalorisation de la valeur travail par « l’irruption dans le périmètre de la division internationale du travail et de l’échange de marché de milliards d’êtres humains qui créent aujourd’hui abondance et déflation salariales ». Il poursuit : « pris en tenaille être ce qui se vend sans devoir être fabriqué, et ce qui ne peut être fabriqué sans recours à des ressources dont la valeur augmente, le travail voit sa position s’affaisser progressivement. Mais plus définitivement encore, la société de marché financier, qui exprime la conquête de l’économie réelle par l’argent, fait de la richesse une résultante de la variation de prix dans l’échange plus que la création de valeur dans la production, du mouvement plus que de la matérialité. (…) Marx se retourne dans sa tombe : la plus-value ne se définit plus comme du « travail non payé » mais comme du « non-travail payé ». ».
Il parle enfin de « princes (qui) sont désormais sans peuples, (et de) peuples sans identité ».
Autre remarque qui n’apparaît pas directement dans ces statistiques, mais qui peut venir aggraver la situation future : la mondialisation en cours, la diffusion des technologies de l’information, la montée en puissance des arbitrages financiers, et la raréfaction progressive de quelques matières premières critiques conduisent toutes à un effet de polarisation qui fait que la richesse du monde se concentre de plus en plus en quelques points ou en quelques mains.
Je ne pense pas qu’il faille se résigner à un tel diagnostic, car alors nous irions droit vers des fractures sociales extrêmement dangereuses : qui ne voit pas qu’elles conduiront à des explosions, et qu’aucune ligne Maginot ne pourra protéger demain une classe de favorisés immergés dans un monde de pauvres.
Il est plus que temps de se réveiller car, comme Charles-Henri Filippi conclut : « Le pire n’est pas sûr, mais il est devenu possible. Le meilleur est improbable, mais il n’est pas hors d’atteinte. »

18 sept. 2012

LA CONVERGENCE EST LOIN D’ÊTRE TERMINÉE…

Déplacer les inégalités ou les éradiquer (2)
À l’occasion du suivi des cours de Pierre Rosanvallon au Collège de France, je viens de découvrir une conférence faite, le 23 février 2011, sur « la Mondialisation de l’inégalité » par François Bourguignon, ancien Premier Vice-Président de la Banque Mondiale et actuel Directeur de l’École d’Économie de Paris.
Dans celle-ci, en s’appuyant sur une étude considérablement plus approfondie et étayée que la mienne, il confirme la convergence dont je parlais hier : il l’observe aussi à partir des années 90, et, la remettant en perspective grâce à une série statistique remontant aux années 1800, montre qu’elle est un retournement récent et extrêmement rapide. Selon ses estimations, le rattrapage aurait déjà ramené les pays émergents à la situation prévalant il y a un siècle.
Pour ce faire, il s’appuie non pas seulement sur le revenu brut moyen, mais le pondère par la parité de pouvoir d’achat, qui tient compte du coût de la vie dans un pays donné.
A quoi attribue-t-il ce retournement ? Essentiellement à un découplage apparu récemment entre les taux de croissance des pays de l’OCDE et des pays en voie de développement. Il constate en effet à partir des années 2000, un écart constant et d’environ 5 à 6 % entre les deux taux de croissance. Ceci rejoint très exactement aussi mon analyse.
Une remarque : pour mesurer les inégalités, il est effectivement pertinent de pondérer les écarts en tenant compte des parités de pouvoirs d’achat, mais cela masque une partie des effets de transfert entre pays.
En effet, pour apprécier la dynamique concurrentielle entre pays, c’est bien le revenu brut qui est pertinent : un Indien reste actuellement presque 30 fois moins cher qu’un ouvrier occidental, un Chinois 9 fois et un Brésilien 4 fois. Pour évaluer plus finement la situation concurrentielle, il ne faudrait pas redresser ces données par la parité de pouvoir d’achat, mais en tenant compte du niveau de qualification, des équipements des usines, des savoir-faire…
Plus la produit est sophistiqué, plus ce redressement sera réel… du moins pour un temps : il suffit de voir les performances des usines mécaniques chinoises ou des entreprises de software indiennes pour comprendre que ces coefficients correcteurs tendent rapidement vers zéro.
Je maintiens donc que je ne vois pas comment nous éviterons une baisse relative de notre niveau de vie, et ce durablement. En effet, l’effet de convergence se poursuivra au moins pendant dix à vingt ans, temps nécessaire pour finir le rattrapage.
Est-ce possible de supporter une telle évolution ? Oui, vu le niveau de richesse de nos pays, mais à une condition : que nous fassions porter cette baisse relative sur les plus favorisés, et que nous veillions à ne pas laisser se creuser les écarts.
(à suivre)

17 sept. 2012

LA TRIPLE TRANSFORMATION DU MONDE : CONVERGENCE, GLOBALISATION ET CONNEXION

Déplacer les inégalités ou les éradiquer ? (1)
Au cours du 4ème trimestre de l’année dernière, j’ai écrit plusieurs articles portant sur la situation à laquelle nous faisons face (1). Mon propos essentiel était qu’il ne s’agissait pas d’une crise, mais d’une transformation en profondeur du monde : parler de crise, c’est laisser penser que les problèmes actuels sont graves, mais transitoires, et que l’objectif est de revenir à un passé perdu. Je crois qu’une telle vision est une erreur profonde, car demain ne pourra être comme hier, ce sous l’effet de trois forces qui s’entremêlent :
1. La convergence des niveaux de vie entre les grands pays :
Nos problèmes économiques ne sont ni nés en 2008, ni d’abord issus d’une crise financière, mais sont les effets de la convergence, amorcée à partir des années 90 : les écarts entre nos pays et les pays ex-émergents, aujourd’hui largement émergés (Chine, Inde et Brésil) se réduisent rapidement, le revenu brut moyen d’un habitant de nos pays occidentaux étant passé de 60 à 9 fois celui d’un Chinois, de 70 à 30 fois d’un Indien, de 8 à 4 fois d‘un Brésilien.
J’y écrivais notamment : « Prenez deux bassins ayant des niveaux d’eau très différents, séparés par des vannes, et approvisionnés par un cours d’eau. Commencez à ouvrir un peu les vannes : les niveaux vont alors se mettre à converger. Tant que la fuite est inférieure à l’apport d’eau, les écarts entre les niveaux se réduisent, mais le niveau le plus élevé ne baisse pas, au contraire. Ouvrons davantage les vannes. À un moment donné, la fuite devient supérieure à l’apport, et alors, le niveau le plus élevé baisse. Cette baisse durera tant que les niveaux ne seront pas identiques. 
C’est très exactement ce qui nous arrive. La mondialisation a rendu communicante nos économies, et a amorcé la convergence, d’abord lentement, puis de plus en plus vite à partir des années 2000. Grâce à l’endettement, nous avons masqué un temps cette baisse, mais cela ne peut plus durer. Comme nous sommes encore en 2011, trente fois plus riche qu’un Indien, neuf fois qu’un Chinois et quatre fois qu’un Brésilien, la convergence n’est pas terminée, et va s’étaler sur les dix à vingt ans à venir… sans compter les dettes qu’il va nous falloir rembourser. »
2. La globalisation du système économique et productif :
Le système économique et industriel passe de la juxtaposition d’entreprises et d’usines, à un réseau global de plus en plus complexe : les entreprises tissent des réseaux denses entre elles, et entre leurs différents lieux de production. Chaque produit, chaque service, chaque transaction fait intervenir un nombre croissant de sous-produits, sous-services, sous-transactions. Impossible de démêler les fils de ce qui est devenu une toile planétaire.
Cet entremêlement contribue à l’accroissement de l’incertitude, par la propagation du moindre aléa :
- Autrefois le monde était cloisonné, et les incertitudes restaient locales : ce qui se passait à Pékin, Johannesburg ou Bombay, n’était imprévu que pour les habitants de ces villes et de ces pays, car, vu la vitesse de propagation de son effet, les autres avaient le temps de s’y préparer.
- Maintenant la planète vibre de façon quasi synchrone, et ce qui se passe en un lieu, a des effets immédiatement de partout : nous sommes soumis à toutes les incertitudes. Un nuage de poussières issu d’un volcan islandais perturbe tout de suite une bonne partie de l’économie mondiale…
3. L’émergence d’une humanité d’individus connectés :
L’humanité passe d’une juxtaposition d’individus et d’appartenances, à un réseau global et de plus en plus complexe : sous l’effet cumulé de la croissance de la population, de la multiplication des transports et du développement d’internet, les relations entre les hommes se tissent finement. Les pensées et les actions rebondissent d’un bout de la planète à l’autre, des intelligences collectives apparaissent.
Comme Michel Serres l’a écrit dans le Temps des Crises, « le connectif remplace le collectif ». Dans une conférence tenue le 31 janvier 2011, il insistait sur les conséquences de a disparition d’individus spatialisés : « On est dans un nouvel espace topologique où on est tous voisins. Les nouvelles technologies n’ont pas raccourci les distances, il n’y a plus de distance du tout. (…) C’est l’adresse qui nous relie au politique. Donc ce ne peut plus être le même droit et la même politique, car ils étaient bâtis sur là où on habitait. (…) Nous habitons un nouvel espace, et comme il est nouveau, c’est un espace de non-droit. (…) Robin des bois : Robin vient de Robe, c’est l’homme de loi, l’homme de droit. Il habite la forêt de Sherwood qui est un espace de non-droit dont il construit le droit. Nous avons besoin de nouveaux Robins des bois. »
Un an s’est donc écoulé depuis lors, et rien ne m’amène à revoir mon propos. Au contraire, les malentendus me semblent perdurer…

14 sept. 2012

DANS LES RUINES DE HAMPI (suite)


Promenade en terres indiennes (2)
« Elle se rappelait l’émotion qu’elle avait vécue, il y a quelques années, lors de sa découverte des temples d’Angkor
Classiquement, les visiteurs avaient la vision des murs mangés par les arbres. Elle, à l’inverse, y avait eu celle d’une érection, d’une construction. Elle avait senti l’énergie vitale de la nature en train de fouiller les tréfonds du sol pour en extraire la bonne pierre ; elle avait regardé les racines l’enserrer pour la polir, l’amener à prendre la forme exacte, celle qui s’emboîterait sur ce qui avait déjà été érigé ; puis elle les avaient accompagnées quand elles la tiraient doucement jusqu’à la surface. Alors, les branches de l’arbre avaient pris le relais, et hissé la pierre jusqu’à la bonne place, celle qui lui avait été réservée, celle pour laquelle elle avait été taillée. Non, les arbres ne détruisaient pas les temples, car ceux-ci n’avaient jamais existé dans le passé. Ils étaient en cours d’élaboration. Le végétal venait au secours des hommes pour manifester à la face des Dieux, un nouveau cri de respect.
Eva vivait intensément la résonance entre Angkor et Hampi. Ici aussi, les pierres n’attendaient qu’à être saisies et taillées pour venir compléter ce qui était déjà en place. La brutalité du paysage naturel n’était qu’un chantier en plein air, une immense zone de stockage dans laquelle il fallait venir piocher la bonne ressource.
(…)

Elle se prit à imaginer des créatures gigantesques et disparues qui se seraient jouées de la pesanteur des roches. Pour elles, elles n’auraient été que des fétus de paille, et un souffle de leur part les aurait faites rouler. Ces géants sillonnaient la Terre à la recherche de tâches à la hauteur de leur talent : ils érigeaient les statues de l’Île de Pâques, aidaient à la construction des pyramides, faisaient une pause au Japon pour s’initier à l’art du zen, et mettaient en œuvre, ici à Hampi, leur nouveau savoir-faire en dessinant le plus grand jardin du monde. »

13 sept. 2012

NOUS IMAGINONS LE MONDE AVANT LE VIVRE

Nos neurones sont organisés pour ne coder que les écarts (Neurosciences 28)
Nous ne voyons donc le monde non pas tel qu’il est – d’ailleurs que voudrait donc dire voir le monde tel qu’il est ? –, mais tel que nous l’avons connu, compris et mémorisé. Nos perceptions sont constamment enrichies, et donc déformées, par tout ce que nous avons déjà appris précédemment.
Est-ce vraiment tout ?
Non, car nous ne nous contentons pas de voir le monde tel que nous l’avons connu, nous dressons constamment des visions du futur : notre cerveau, et toutes nos neurones, sont un système prédictif.
En effet, à partir de nos données sensorielles et de notre expérience, nous anticipons, et nous n’arrêtons pas de rêver le monde avant de le vivre. Nous créons au plus profond de nous-mêmes, une vision de ce qui devrait ou pourrait arriver : notre savoir-faire bayésien ne nous sert pas seulement à comprendre le monde, mais aussi à penser ce qu’il pourrait devenir.
Alors quand nous regardons ce qui se passe, nous le comparons à ce futur que nous avions imaginé, à ce futur qui devrait être devenu notre présent.
Pourquoi l’évolution a-t-elle permis et encouragé l’apparition d’une telle compétence ?
Voici les réponses de Stanislas Dehaene sur les avantages d’une telle capacité à prévoir le futur :
-        Gagner du temps : anticiper, c’est avoir l’information à l’avance, parfois avant même qu’elle atteigne nos récepteurs sensoriels, et donc se tenir prêt à faire face,
-      Filtrer les entrées : utiliser le passé pour prédire le présent, c’est bénéficier d’un filtre optimal qui peut aider à interpréter une entrée bruitée, voire remplacer totalement un stimulus masqué, manqué ou absent.
-        Simplifier l’architecture et le traitement des données : il n’est pas la peine de représenter ou de transmettre ce que l’on peut prédire.
-     Tirer des inférences optimales : maximiser la vraisemblance d’un modèle des entrées sensorielles implique de minimiser l’erreur de prédiction sur ces entrées.
En reprenant la vision de Karl Friston, il termine en ajoutant un dernier bénéfice : selon ce dernier, ceci correspondrait à la logique de tout système auto-organisé, qui obéirait au principe de la minimisation de l’énergie libre, ce qui supposerait d’imaginer un ordre à venir, et chercher à « minimiser la moyenne à long terme de la surprise ».
Voilà donc nos cellules qui, nourries de cette vision d’un futur imaginé, ne codent plus le présent que comme un écart. Si le présent est tel qu’il a été prévu, rien n’est transmis. A quoi bon en effet, annoncer ce qui a déjà été anticipé !
Nous sommes donc organisés pour vivre l’incertitude comme une perturbation, et n’avoir à dépenser de l’énergie que quand le présent n’est pas tel que nous l’avons prévu.

Comme le présent est de moins en moins en ligne avec ce qui s’était passé avant, comme la logique du monde est de plus en plus l’incertitude, comme notre liberté est d’abord liée à ces ruptures imprévues, merci donc à Stanislas Dehaene de nous avoir aidés à comprendre le chemin qu’il nous reste à parcourir !

Nous ne percevons pas le monde, mais ce sont nos pensées que nous percevons : nous ne voyons, n’entendons, ne sentons, ne goûtons, et ne touchons que les images, les bruits, les odeurs, les saveurs et les formes de nos neurones. Et nous parcourons le monde, avec en nous, une idée de ce qu’il devrait être : nous l’imaginons avant de le vivre. Aussi sommes-nous en avance sur ce que nous vivons… au risque de nous retrouver dans un présent imaginaire, comme un voyageur dans le temps qui serait parti dans un futur irréel…

FIN

12 sept. 2012

TOUTE DÉCISION IMPLIQUE UNE INFÉRENCE BAYÉSIENNE

Nos neurones codent et manipulent des distributions de probabilités (Neurosciences 27)
Le long périple au sein des cours de Stanislas Dehaene, commencé le 19 juin, interrompu pendant six semaines, touche à sa fin. Ces deux derniers articles vont se centrer sur la conclusion de son cours 2012. Ils portent sur la prise de décision et l’élaboration de la vision du monde que nous nous faisons.
Comment prenons-nous de décisions ?
Pour répondre à cette question, Stanislas Dehaene part de la constatation suivante : pour choisir une action donnée, il ne suffit pas d’avoir une perception du monde qui nous entoure, il faut aussi être capable de pondérer la valeur des différentes actions possibles. En effet, sans cette capacité à bâtir des préférences nous resterions immobiles, face au monde… sauf à supposer que nous ayons une loterie interne qui choisirait au hasard !
Donc la boucle perception-action serait la suivante :
-        Lecture de l’environnement par nos sens perceptifs,
-        Interprétation de cette lecture et élaboration d’une perception du monde (ce qui implique une série d’inférences bayésiennes),
-    Élaboration de scénarios d’actions et évaluation de leurs conséquences, ce en mobilisant nos connaissances passées, conscientes et non-conscientes,
-        Attribution d’une valeur à ces différents scénarios, qui peut être une perte ou un gain,
-        Choix de l’action individuelle qui maximise le gain et mise en œuvre.
En cas d’inclusion dans un groupe, une deuxième boucle peut alors intervenir, cherchant à maximiser une fonction de gain collectif : chacun apporte sa perception de la situation, son niveau de confiance dans cette perception, les différents options d’actions possibles et leurs valeur associées, puis est recherchée une maximisation de la valeur collective.
Les tests réalisés et les modélisations mathématiques associées montrent qu’effectivement, c’est bien ainsi que procède notre cerveau, en réalisant dynamiquement des calculs d’inférence Bayésienne.
On a pu même montrer que les circuits neuronaux des primates (et sans doute d’autres espèces) doivent permettre :
1. La représentation de plusieurs distributions de probabilité qui correspondent aux indices sensoriels,
2. Le calcul avec ces distributions(1) pour combiner ces fragments d’évidence, ce au fil du temps,
3. L’ incorporation d’un a priori, qui représente les informations connues
4. L’identification du maximum d’une distribution a posteriori pour pouvoir faire un choix
Quand je vous disais au début de la présentation du cours 2012 que nous étions des Monsieur Jourdain du calcul Bayésien !
Pour ceux qui veulent en savoir plus, et qui n’ont pas peur des calculs mathématiques, je leur conseille de se plonger dans le détail du cours.
Voilà donc comment nous décidons.
Mais cette tendance à nous appuyer constamment sur le passé, et à maximiser la vraisemblance, est-ce que cela ne nous prépare à constamment avoir à faire face à des surprises ?
(à suivre)
(1) Le produit de deux distributions ou ce qui est équivalent l’addition de leur logarithme