25 janv. 2022

VIVRE AVEC UN ALIEN EN MOI

ALIEN  
Une réunion après l’autre, 
Un dîner après l’autre, 
Un mensonge après l’autre, 
Un moi officiel 
Parade dans la lumière. 
 
Un bar après l’autre,
Un sauna après l’autre, 
Une backroom après l’autre, 
Un Alien homosexuel 
Éjacule dans le noir. 
 
Dual sans comprendre. 
Sans me comprendre. 
Jusqu’à Marc. 
 
Moi fissuré, 
Nu, 
Sans carapace, 
Sans repère, 
Rongé de l’intérieur.
 
Peur de le rejoindre, 
Incapable de continuer, 
Déchiré. 
 
Que faire ?
 
« Dans ma maison en Provence, j’avais patiemment remonté tous les murs en pierres sèches. J’avais appris l’art de poser à cru les pierres les unes sur les autres. (…) J’avais fait pareil avec ma vie. Depuis vingt ans, j’avais posé une pierre après l’autre. Rien de gros, rien de spectaculaire. Juste de petites pierres. Un geste après l’autre. Une réunion après l’autre. Un dîner après l’autre. Un mensonge après l’autre. Le tout aboutissait à un mur immense et résistant à tous les chocs. 
Au cœur, bien caché, végétait mon Alien. Un homosexuel qui, afin de ne pas exploser, éjaculait dans des saunas ou des bars obscurs. Vidange nécessaire et sans lendemain. Oui, un tout solide, à défaut d’être cohérent. Aucun ciment, aucun liant, juste des pierres. Sèches. Sec. 
Décider de rejoindre Marc dynamiterait ce mur. Me dynamiterait. De ma nouvelle vie potentielle avec lui, je n’avais aucun repère, aucune expérience. Ce futur inconnu n’était pas moi. Du moins ni le moi d’hier, ni le moi d’aujourd’hui. Quitter Cécile et les enfants, c’était me quitter. Tout le monde ne me connaissait que grimé et déguisé. Mes amis, mes camarades de travail, ma famille. Tout le monde. 
Que deviendrais-je ? À leurs yeux, je n’existerais plus. Sans mur, je ne serais rien. Le mur n’était pas une protection, il était moi. Sans lui, je me dissoudrais. Il n’était pas ma carapace, mais mon ossature. Sans lui, je serais flasque, mou, sans consistance. 
Mais, rester avec Cécile n’avait pas non plus de sens. L’Alien ne rentrerait plus jamais dans sa niche, je le savais. Il était sorti pour de bon. Je sentais encore dans ma chair le moment où, dans l’avion pour Cagliari, il avait surgi et m’avait pour un temps dévoré, englouti. Ensuite, il avait laissé un peu d’espace à mon passé. Un peu, mais pas tout. Il était là et bien là. J’étais définitivement un "Je-Il". 
L’Alien tapait chaque jour plus fort contre les fondations qui me soutenaient. Mon mur n’y résisterait pas. Pas longtemps. Déjà il se fissurait. Le barrage volerait bientôt en éclat, et le torrent de l’eau contenue me submergerait. 
Que faire ? »

24 janv. 2022

COMING OUT OU COMING IN ?

Souvent à la radio, à la télévision ou dans la presse, on entend parler de « coming out ». (…) Comme si l’homosexualité est une variété de furoncle qu’il faut percer pour que son pus jaillisse en plein jour : « Purgez donc cette vilaine boursouflure, et tout ira bien ensuite, vous verrez ! ». (…) 

Dans l’expression « coming out », il y a surtout implicitement l’idée d’une destruction, d’une implosion sentimentale. C’était précisément ce que je vivais actuellement : à force de trop de coming out, je me désintégrais. Je brûlais. Chaque morceau de mon identité s’écartait des autres, chaque parcelle de mon « Je » suivait sa propre trajectoire. Divergente. Toutes divergentes. (…) 

Non, le coming out n’est pas la solution, mais le problème. Il me fallait arrêter mon coming out, arrêter mon implosion. Tant qu’il en était encore temps. (…) Continuer mon coming out, ce serait l’échec assuré. Mon autodestruction. Au mieux, le rejet par tous ceux qui m’avaient connu autre : pourquoi accepteraient-ils de me découvrir différent ? Au pire, la rupture par fragmentation. Désintégration. (…) 

J’avais besoin de l’inverse. D’un coming in. 

Pour pouvoir décider ce que je voulais faire, et le décider pour moi ainsi que Marc me l’avait dit, il me fallait réparer ma fracture. De l’intérieur, et non pas de l’extérieur. In et non pas out. Prendre le temps de plonger en moi. 

Pour comprendre comment et pourquoi j’étais passé à côté de moi-même. Comment et pourquoi j’avais élaboré une identité fictionnelle et artificielle. Comment et pourquoi celle-ci n’était pas seulement « fictionnelle et artificielle », mais représentative de qui j’étais. Comment et pourquoi mes deux parties – mon identité apparente et celui que j’avais pris l’habitude d’appeler « mon Alien » – étaient indissociables et constituaient ensemble mon identité réelle. Comment et pourquoi l’Alien n’en était pas un. Comment et pourquoi cet Alien était moi. Moi aussi. Comment et pourquoi sans lui je ne serais pas moi. 

Bref comprendre qui j’étais.

 

(Extrait de mon livre "Coming in")

22 janv. 2022

COMING IN

Dans quelques jours, sortie de mon nouveau livre, "Par hasard et pour rien"
En apéritif, cette semaine, je reviendrai sur mon livre précédent, un roman largement autobiographique, "Coming in". 
En commençant aujourd'hui par un poème inédit…
 

COMING IN 
 
Réparer de l’intérieur, 
Pas de l’extérieur, 
Au moins essayer. 
 
Trouver caché, 
Derrière ma fiction, 
Un Alien maltraité. 
 
Accepter qu’il n’en soit pas un. 
Qu’il soit moi, moi aussi, 
Que sans lui, je ne serais pas moi. 
 
Inclure sans exclure, 
In et non pas out, 
Coming in, pas coming out. 
 
(Poème inspiré par mon livre « Coming in »)

21 janv. 2022

COMME QUOI…

Apprendre à vivre loin de toi,
Me contenter du présent réel. 
Il le faut bien. 
 
La plaie se fait cicatrice, 
La cicatrice, trace. 
L’absence devient nostalgie, 
La nostalgie, souvenir. 
 
L’espoir cherche des voies nouvelles,
L’avenir se reconstruit, 
Un peu, 
Maladroitement. 
 
Je croise des vies, 
Embrasse des bouches, 
Caresse des peaux, 
Esquisse des amours. 
 
Treize années passent.
 
Et un message dans les airs,
Imprévu et inattendu,
Nous découvre disponibles, 
Prêts à un nouveau futur commun. 
 
Comme quoi…

19 janv. 2022

ILLUSION

 

Sentir un courant,

Qui va, qui vient,

De mon épaule à ma nuque.

Caresser les draps froissés.

 

Nostalgie de ta présence,

De tes lèvres qui frémissent,

De ton corps qui s’abandonne,

De ton souffle qui s’accélère,

De ton énergie qui avale la mienne,

De mon énergie qui devenait la tienne.

 

Et me contenter du vent sur ma peau.

© Robert Branche

18 janv. 2022

LA BEAUTÉ CALME DES MURS EN PIERRES SÈCHES

Un art paradoxal : agir pour rien ne se voit


Tout autour, des coups de crayons d’artistes disparus soulignent là une courbe, ici délimitent des espaces, plus loin soutiennent une butte.

Fruit de ce qui a été trouvé en labourant les champs, pratique d’un art transmis de génération en génération, les murs en pierres sèches architecturent les paysages de la Drôme provençale.

Agir pour se fondre dans le paysage

Un mur réussi semble avoir toujours été là. Un mur correctement réparé ne semble pas l’avoir été.

Tel est le paradoxe de cette activité : agir pour que rien ne se voit.
Le but de ce lent et laborieux travail est de disparaître, de ne surtout pas être remarqué.

À l’inverse du spectaculaire et de l’immédiateté, qui sont nos maladies contemporaines.

L’art des murs en pierres sèches est celui de la lenteur et de la modestie. C’est probablement pourquoi il émane d’eux une sensation de plénitude et de calme…

Comment procéder si d'aventure vous voulez en réparer un, voire en créer un nouveau ?

Pas si simple

Si, sans expérience, vous empilez des pierres les unes sur les autres, vous n'obtiendrez qu'un tas de pierres disgracieux et instable.

Si vous ne vous découragez pas, si, comme moi, vous vous obstinez, alors, petit à petit, d’échec en échec, d’observation en observation, vous apprendrez l’art ancestral des murs en pierres sèches.

Et un jour, vous pourrez, sans trahir le passé, ajouter à votre tour, un nouveau trait dans l'espace.

Comme l'entraide est importante, voici ce que j'ai appris...

Attention à ne pas privilégier les grosses pierres

Tentant de trier les pierres et de choisir les plus belles, celles qui sont grosses et plates. Logique non ? 

C’est ce que j’ai cru.

Mais aucune de ces pierres n’est ni parfaitement lisse, ni parfaitement plate. Aussi tout branle et est bancal.

Et in fine, que faire du tas des pierres délaissées ? Silencieuses et ironiques, accusatrices de notre façon de faire, elles se moqueront de nous.

Il y a manifestement un problème.

Observer un vieux mur pour comprendre comment il est construit

Tout d'abord les apparences sont trompeuses : la plupart des pierres de façade sont de taille moyenne, voire petite. D'où grâce à leur petitesse, aucun problème d’ajustement entre elles.

Ensuite puisque le mur est large, il existe un espace important entre les pierres de façade. Cette cavité est remplie de pierres de toutes tailles. 

Plus le mur est large, plus il est solide. Bénéfice collatéral, la quantité de pierres utilisée augmente, donc pas de risque d’en avoir en excès à la fin.

Enfin, de temps en temps, une grosse pierre est posée, et renforce la cohésion de l’ensemble. Une exception qui confirme la règle.

Ainsi toutes les pierres ont trouvé leur place... ou presque : ne reste que l'essentiel des grosses pierres. Elles vont servir à réaliser le sommet du mur.

Comment obtenir un haut de mur qui dessine une ligne horizontale

Le sommet du mur est constitué des grosses pierres posées sur la tranche. Cette technique contribue à la solidité du mur : elles sont mises en compression par de petites pierres plates glissées entre elles. Ainsi impossible d’en enlever une.

Certes, mais comment arriver à obtenir que le haut du mur dessine une ligne horizontale, alors que la largeur de ces pierres terminales varie du simple au double ?

En regardant un mur existant, on voit se dessiner, sous la dernière rangée de pierres, la ligne heurtée de leur base : si la ligne du sommet est presque parfaitement horizontale, c’était parce que l’avant-dernière rangée de pierres ne l'est pas.

Telle est la solution : choisir l’avant-dernière pierre mise à plat, voire les deux avant-dernières, en fonction de la largeur de celle qui sera mise dessus sur la tranche. 

Et voilà !

17 janv. 2022

APRÈS

 
 
Avant,

Avant toi,

Avant je vivais,

Avant, avant…

 

Mais j’ai bougé en toi,

Mais j’ai cru en toi,

Mais…

 

Faut-il que je meure

D’un trop-plein de souvenirs,

D’une douleur immergée ?

 

Faut-il poursuivre,

Blessé, meurtri,

Enrichi de ta perte ?

 

Tout ce que j’ai appris,

Vient de ton absence.

Tout ce que j’ai appris,

Vient de ta voix

Qui me déchire.

© Robert Branche

14 janv. 2022

MANQUE

Attendre, immobile et hanté

Par le manque d’un ailleurs,

De ce qui s’est échappé,

De ce qui ne sera plus.

Flotter en mémoire,

Sourire à ton absence,

Tendre vers rien,

Vers toi qui es parti.

 

Attendre et rester là,

Face au vide

De la fin d’un amour perdu.

© Robert Branche

12 janv. 2022

SEUL

Ta voix en moi crie,

Ton regard sur moi me brûle.

Pour quoi, pour qui, pour moi ?

Je suis vide,

Vide des mots que je ne t’ai pas dits,

Vide des sourires que je ne t’ai pas faits,

Vide des matins où je ne t’ai pas embrassé.

Ta voix en moi ne peut rien,

Ton regard sur moi sonne creux.

A quoi bon ?

Je suis seul,

Seul de ce que je n’ai pas pu te dire,

Seul des pleurs qui sont restés en moi,

Seul de ta vie qui s’en est allée.

© Robert Branche

10 janv. 2022

RUPTURE

Je ne sais que te dire,
Ni par quoi commencer. 
À quoi bon, 
Au moment de partir, 
T’assener un pourquoi. 
 
Le temps a glissé, 
La vie nous a écartés, 
L’eau a coulé et nous a fissurés. 
Je te regarde et ne te connais plus, 
Tu me regardes et ne me comprends plus. 
 
Ni larme, ni tension, 
Juste l’amertume d’un possible achevé. 
Demain, tu ne seras plus là. 
Demain, je ne serai plus là. 
 
Le temps va glisser un peu plus. 
La vie va nous éloigner un peu plus, 
Nous qui n’étions plus unis. 
 
La vie va nous rapprocher 
D’autres que nous ignorons encore. 
 
Ainsi va la vie… 
 
© Robert Branche