14 déc. 2021

SANS DIVERSITÉ GÉNÉTIQUE, PAS DE PERFORMANCE

Au pays des abeilles, sans diversité, aucune ruche ne peut fonctionner correctement, et cette diversité doit reposer sur un patrimoine génétique ouvert et se renouvelant. (1)

Et si la performance de nos organisations supposait aussi une diversité génétique entretenue ?

J’ai comme l’impression que cette interrogation résonne avec le début de notre campagne présidentielle...

1.    La puissance collective naît-elle des similitudes ?

Qu'est-ce qui ressemble plus à une abeille à miel que sa sœur voisine ? Impossible de les distinguer.

La force de la ruche semble venir de cette gémellité apparemment parfaite : aucun conflit potentiel, pas d'étranger à surveiller, chacune n'a qu'un seul et même objectif, contribuer à la puissance du groupe. Grâce à la merveille du collectif, naît ce que l'on appelle "l'esprit de la ruche".

On a longtemps pensé que ceci reposait sur l’unicité de la reine : un seul patrimoine génétique, d’où une tribu de jumelles.

Or il n'en est rien, car si les abeilles ont bien une seule mère, elles n'ont pas le même père : lors de son vol nuptial, la reine est fécondée par une vingtaine de mâles, ce qui garantit une diversité génétique.

Mais est-ce si important, ou n'est-ce pas plutôt une source de faiblesse ? Une ruche ne serait-elle pas d'autant plus puissante que les abeilles qui la composent sont plus identiques ?


C'est sur cette question que portait l'émission "Sur les épaules de Darwin" de Jean-Claude Ameisen, le 14 septembre 2013 : quel est le rôle du renouvellement permanent de la diversité.

2.    La performance collective suppose des différences

Parmi les problèmes complexes que doit résoudre une ruche, il y a celui de la température : il est vital de maintenir la zone centrale de la ruche, là où se trouvent les larves, le plus proche possible de 35 °C.

A cette fin, les abeilles ventilent si la température au sein de la ruche devient trop élevée, ou vont chercher de l'eau pour qu'elle s'évapore. Si jamais le centre est trop froid, elles frissonnent pour produire de la chaleur.

Comment ceci est-il possible ? Parce que les abeilles sont "programmées" pour agir ainsi : dès que la température dépasse une certaine valeur, elles ventilent ; dès qu'elle devient inférieure, elles frissonnent. Efficace et simple.

Mais si toutes les abeilles réagissaient exactement à la même température de déclenchement, la température varierait brutalement et de façon trop importante.

Or, parce que toutes les abeilles ne sont pas identiques, elles n'ont pas exactement la même température de déclenchement : au départ, seules, quelques-unes vont intervenir. Si c'est suffisant, les autres n'interviendront pas. Si c'est insuffisant, le nombre d'abeilles intervenant augmentera progressivement. Et ainsi la température est efficacement régulée.

La performance collective vient des différences, et non pas des similitudes. Ou plus exactement, des variations autour d'un comportement commun.

Mais ceci vient-il d'un processus d'adaptation et d'apprentissage, ou est-ce génétique :
la performance collective suppose-t-elle une hétérogénéité structurelle et initiale, ou peut-elle être issue d'individus initialement identiques, et qui ont appris à être complémentaires ?

3.    Sans diversité génétique, pas de survie collective

L'expérience la plus frappante est celle menée par Heather Mattila et Thomas Seeley (2) : qu'advient-il si la colonie provient d'une reine ayant été inséminée par un seul mâle, versus une où elle a été inséminée par quinze mâles différents ?

La réponse est sans appel :

- Au bout de deux semaines, les colonies issues d'un patrimoine génétique plus divers ont construit un tiers de rayons de cire en plus, et les butineuses y ont collecté 40 % de réserves supplémentaires,

- Au bout d'un mois, lorsque la floraison est maximum, le nombre des ouvrières des colonies génétiquement diverses est multiplié par trois, versus une augmentation de seulement 50 % pour les autres,

- Fin août, une baisse de température provoque la disparition de la moitié des colonies génétiquement homogènes, alors que toutes les autres survivent.

- À la fin de l'hiver, toutes les colonies génétiquement homogènes ont disparu, alors qu'un quart des autres ont réussi à survivre et seront toujours en activité au printemps.

Ainsi l'évolution élimine ce qui est génétiquement homogène : c'est la diversité des gènes qui apporte la puissance à l'esprit de la ruche.

Être confronté à des expériences diverses ne suffit pas : si l'on est initialement homogène, on ne sait pas en tirer parti… et l'on disparaît.

4.    La résilience naît des différences

Il peut sembler hasardeux de sauter directement des abeilles à miel aux organisations humaines et à nos sociétés.

Mais pourquoi ce qui est vrai pour elles, ne le serait pas pour nous ? L'espèce humaine est née par évolution, est un construit du monde, et il y a fort à parier que ce qui est vrai pour les abeilles l'est aussi pour nous.

Aussi quelle erreur quand des dirigeants croient que la performance viendra de la consanguinité ! Il peut être rassurant de s'entourer de camarades issus de la même école, et avec lesquels on a de nombreux points communs, mais, comme pour les abeilles à miel, ce n'est vraiment pas la meilleure solution pour construire une entreprise résiliente…

Et quand je vois dans nos sociétés, et singulièrement en France, avoir peur de celui qui est différent, et croire que notre futur est dans l'enfermement et dans la fermeture, quel aveuglement !

La France ou l'Europe ne seront pas fortes en se protégeant de la diversité, mais au contraire, en relevant le défi d'une construction collective qui s'appuie sur les différences.

Et pour être efficaces, ces différences ne doivent pas être acquises, mais innées : celui qui n'est pas né ici vient nous apporter la richesse de ce que nous ne sommes pas.

(1) Cet article est la reprise d’une première parution qui a eu lieu en 4 billets entre le 1er et 7 octobre, en commençant par « La puissance collective naît-elle des similitudes ? ».

(2) Geneticin Honey Bee Colonies Enhances Productivity and Fitness, Heather R. Mattila, Thomas D. Seeley, July 2007

13 déc. 2021

COMME LA VIE

Des pierres,

Les unes sur les autres,

Brutes, sans liant,

Râpeuses, rêches, arides.

Comme la vie.

 
Des moments,
Des rencontres,
Des pensées
Se suivent,
Sans raison, sans logique.

Regarder en arrière

Construire un chemin,

Inventer une logique,

À ce qui n’en a pas.

Comme la vie.

© Robert Branche 

(photographie prise à Grignan)

10 déc. 2021

DÉSERT


Chaud, si chaud. Sec, si sec.

L’air n’est même plus brûlant, juste manquant.

Les pas se font glissements, les voix se sont éteintes.

Chaud, si chaud. Sec, si sec.

Juste du sable, juste des pierres.

Pas de vie, ou si peu, pas d’arbres ou si peu.

Je suis seul, perdu en enfer.

Juste du sable, juste des pierres.

Rien ne bouge, rien ne murmure.

Jetés à la va-vite, les uns sur les autres,

Les rocs se font lits, les rocs se font murs.

Rien ne bouge, rien ne murmure.

Personne ne me voit, personne ne me suit.

Devant comme derrière, collés par ma sueur,

Mes instants se font vie, mes instants se font temps.

Personne ne me voit, personne ne me suit.

© Robert Branche 

(photographie prise à Khuri en Inde)

8 déc. 2021

VARKALA


Un homme, une corde, la mer, le ciel.
Des traits, des lignes horizontales ou presque.
Les bleus se répondent,
Décor, palette d’un artiste absent.
Un regard tourné au loin, fixé vers une absence.
L’effort est patent, tout en paraissant facile.
Les tensions du corps et de la corde s’opposent et s’équilibrent. 
 
Difficile d’imaginer ce qui se trame là-bas,  
Dans cet ailleurs qui échappe à l’image.
Un jeu, un rite, une compétition ? 
Non, juste un filet qu’un bateau au loin a plongé. 
Dans de longues minutes,
Des sardines prises au piège de la nasse,

Joncheront le sable de la plage.


© Robert Branche
(photographie prise à Varkala en Inde)

6 déc. 2021

RESSOURCEMENT


Lisse, si lisse.

Ne pas bouger, ne pas nager.

Me fondre dans le silence.

Le ciel et l’eau ne sont que points de vue.

Les arbres regardent leurs reflets,

A moins que ce ne soit l’inverse.

Les minutes se font heures.

Crocodile, des jours durant,

Je guette ma proie.

Perdu au cœur de la jungle thaïe,

Lové dans ma couette d’eau,

Je bois la vie qui m’entoure.

© Robert Branche 

(Photographie prise dans le nord de la Thaïlande)

3 déc. 2021

SUR LE TOIT DU MONDE


Clos, calme, cotonneux,

Sur le toit du monde que la brume me masque,

À l’abri d’un bar anglais d’un hôtel hérité des colonies,

J’écris un roman que quelqu'un lira… peut-être. 

 
L’horizon n’est plus, l’Himalaya a été gommé. 
Les autres ne sont plus, leurs vies ont été éradiquées.
Mon passé n’est plus, je suis vierge de mémoire.
Mon futur n’est plus, je ne suis que présent.

Ancré dans l’instant, habité de mon imaginaire,

Abreuvé des herbes cueillies dans des champs voisins,

Saoulé par le silence, ivre de la vacuité du monde,

J’invente une histoire qui aurait pu être la mienne.

Caché, calfeutré, condamné,

Enfermé sur le toit du monde.

À l’abri d’un bagne hérité des colonies,

Je vis reclus et gorgé d'espoir.

© Robert Branche 

(Photographie prise à Darjeeling)

1 déc. 2021

LA MAGIE DES TRUFFES

 Être intensément attentif

Chercher des truffes, c'est participer à un spectacle de prestidigitation. 

Au départ, il n'y a rien, juste des chênes, de la terre et quelques plantes éparses. 

Et puis quelques secondes après, grâce à l'odorat du chien et au talent de son maître, les truffes sont là. Comme un lapin sorti du chapeau !

Je pourrais marcher pendant des heures au milieu des chênes truffiers, même à quatre pattes, je n'en trouverais pas une. Et pourtant elles sont bien là, cachées dans le sol, à quelques centimètres de moi. 

Pour le chien, c'est facile, évident. Il détecte l'odeur, arrive à la repérer parmi le bruit ambiant et fonce sur la truffe. Quelques coups de pattes et il s'arrête.

La truffe n'attend que d'être révélée… par le bon passeur : celui qui sait repérer ses effluves et les distinguer des autres, celui qui sera aussi assez patient pour attendre le bon moment. Trop tôt : la truffe n'est pas mûre et ne sent pas, donc impossible de la trouver. Trop tard : elle aura pourri et sera sans intérêt. 

Trouver des truffes est une affaire d'attention, mais pas celle de l'attention superficielle de l'humain en train de marcher au milieu des arbres, il faut celle, intense, du chien qui se déplace lentement, le nez (sa truffe !) soit au ras du sol, soit aux aguets du moindre effluve porté par le vent.

Comme le disait Henri Poincaré : « Ce que le vrai physicien seul sait voir, c'est le lien qui unit plusieurs faits dont l'analogie est profonde, mais cachée »1   

Extrait de mon livre "Les mers de l'incertitude : Diriger en lâchant prise"

(1) Henri Poincaré, Sciences et méthodes, p.22

ÊTRE


Ouvrir les yeux, 
Entrapercevoir ce qui m’entoure, 
Embrasser la peau qui m’accompagne, 
Pleurer celle qui est partie. 
 
Regarder le temps passé, 
Habiter le monde qui est là, 
Me vivre au présent, 
Me constater existant.
 
Ressentir l’évidence de mon incarnation, 
Sans connaître, ni chercher 
Le pourquoi du quelque chose 
Que je suis.

© Robert Branche 

(Photographie prise dans le nord du Québec)