18 mars 2010

TOUT EST AFFAIRE DE MÉMOIRE ET D’INTERPRÉTATIONS

Ce n'est pas gagné !

Il y a dix-huit mois, à l'occasion de la sortie de mon livre Neuromanagement, j'ai eu l'occasion dans une courte vidéo de préciser en quelques mots le rôle de la mémoire, et pourquoi ceci était valable tant pour qu'un individu que pour une entreprise.

En effet, l'entreprise, elle-aussi, se nourrit d'interprétations. Comme pour un individu, elles reposent sur la mémoire et des langages. Les langages sont essentiellement ceux des mots, mais pas seulement : chaque population technique a son propre langage qui est un de ses vecteurs d'efficacité. Les mots eux-mêmes dans une grande entreprise relèvent des langues multiples : même s'il existe toujours une langue dominante qui sert de support à la communication collective, cela suppose pour bon nombre un double effort de traduction. On a ainsi des langages multiples et donc autant de traductions qui sont des risques d'incompréhension et d'erreurs. Pour faire court, et m'exprimer en langage populaire : « Ce n'est pas gagné ! »…

17 mars 2010

NOTRE MÉMOIRE NOUS RACONTE DES HISTOIRES

Pourquoi mesurer la satisfaction client en temps réel ?

Quand Daniel Kahneman, prix Nobel d'Économie et spécialiste de l'exploration des conséquences des neurosciences, nous parle du bonheur, et de la différence entre l'expérience vécue et la mémoire que l'on en a, cela vaut la peine de l'écouter.

Vingt minutes passionnantes (en anglais, avec possibilité d'activer les sous-titres anglais), où il nous fait comprendre que ce qui est important ce sont les histoires que la mémoire nous raconte, qu'être heureux dans notre vie ou être heureux de notre vie ne sont pas identiques, que les dernières secondes d'une expérience vécue peuvent à elles-seules provoquer un souvenir globalement négatif…

Ne faudrait-il pas tenir compte de ces enseignements pour suivre la satisfaction des clients, et mieux comprendre pourquoi ils sont fidèles ou pas ?

16 mars 2010

POURQUOI LES RÉCOMPENSES SONT-ELLES CONTRE-PRODUCTIVES ?

La performance est affaire de confiance

Une autre conférence, tenue cette fois par Dan Pink, consultant, dans laquelle il parle de motivation.

Il insiste ainsi sur le décalage entre les pratiques managériales – on veut faire avancer mieux et plus vite par des récompenses – et ce que nous disent les études sociologiques – dans des situations complexes, les récompenses sont contre-productives : « Il y a une disparité entre ce que la science sait et ce que les entreprises font »

Et si la performance était plus une affaire de confiance que de récompense ? (voir aussi la conférence présentée hier)

(dans la video ci-dessous, vous pouvez activer des sous-titres en français)

15 mars 2010

COMMENT VIVRE LA COMPLEXITÉ SANS CONFIANCE ?

En France, nous nous méfions les uns des autres

Dans cette conférence tenue en décembre 2009 à l'École Normale Supérieure, Yann Algan, professeur à Sciences Po, montre que : 
- En France, nous avons un déficit de confiance tant vis-à-vis de nos institutions que de nos concitoyens : par exemple, nous sommes parmi les pays qui ont la plus forte défiance vis-à-vis de leur justice. Ou encore, une français sur cinq fait confiance spontanément à quelqu'un qui ne connait pas versus trois sur quatre dans les pays d'Europe du Nord
- Il y a un lien direct entre le niveau de confiance dans un pays et la performance économique : par exemple, plus le degré de confiance est élevé, plus le pourcentage d'investissement l'est aussi, ce qui « est d'autant plus fondamental dans nos économies d'innovation ». Ou encore, moins il y a de confiance, moins il est facile de créer une entreprise, car plus les contrôles sont tatillons et multiples…

Un peu plus de quinze minutes à écouter… et à méditer

12 mars 2010

PLUS COMPLÉMENTAIRES QUE DIFFÉRENTS, PLUS SOLIDAIRES QUE RIVAUX ?

______ Éditorial du vendredi ________________________________________________________________

Rappel du patchwork de la semaine :
- Lundi : Un homme seul ou un homme mort, A single man ou Dead Man ? Double glissade vers la mort. L'une lancinante et comme immobile. L'autre architecturée et comme compassée. Les deux sont inexorables. 
- Mardi : Bénarès ou Wall Street ? Aux deux bouts du monde, les uns se baignent dans les eaux du Gange, quand d'autres se plongent dans celles du dollar. Les flux de la foi et du mythe face aux flux de l'argent et de l'économie.
- Mercredi : Comment se sortir de la neige ? Quelle que soit l'énergie individuelle que l'on met pour faire face à une situation, sans support collectif, on est bien peu de choses… 
- Jeudi : Mosquée de Casablanca ou Mont Saint Michel ? Chacun face à sa mer est un cri des hommes vers Dieu. Comme un appel qui se répond au-delà du temps et de la distance.

Quand j'observe le monde dans lequel nous vivons et que nous contribuons à construire, quand je le parcours au hasard de mes itinérances, je nous vois comme fascinés par notre mort collective : à l'instar de Dead man, nous nous regardons détruire notre univers. Ce monde n'est pas notre environnement – comme ce mot est dangereux ! –, il n'est pas autour de nous, et nous ne sommes pas au centre : non, nous faisons partie de ce monde et nous ne pouvons nous abstraire de lui et le penser comme en dehors de nous.
Nous jouons de notre monde comme nous jouons à Wall Street : nous spéculons sur des futurs possibles, nous ergotons autour de prévisions chiffrées, nous échangeons des positions. Or, il faut comme à Bénarès comprendre que ce monde est notre Gange, que nous nageons dedans et qu'il est la source de tout.
Bien sûr, nous pouvons continuer encore pendant de longues années à nous croire chacun dans notre pays des Rambo capables isolément de nous extraire de cette « neige » qui nous bloque, nous pouvons chacun sur notre rive appeler notre Dieu à la rescousse, et penser ainsi gagner contre les autres. Mais la fin collective est alors certaine.
Ou nous pouvons sortir de notre jungle mentale et physique pour voir que nous sommes unis par le monde auquel chacun de nous appartient, et que nous sommes plus complémentaires que différents, plus solidaires que rivaux…

 

11 mars 2010

DIALOGUE À DISTANCE ENTRE DEUX CRIS DES HOMMES

La mer les regarde et les unit

Il est devant moi, immense. Insolite comme une anomalie posée là où il ne faut pas. Une pyramide de pierres, cherchant à s'extraire du sol et des remparts… Impossible d'y échapper. Comme un cri des hommes vers ce Dieu qui, peut-être, nous regarde.

Elle est devant moi, immense. Insolite comme un château de sable construit par un enfant de génie. Un geste vers le ciel, un jeté de brique et de marbre, un saut liant avenir et passé. Comme un cri des hommes vers ce Dieu qui, peut-être, nous juge.

A ses pieds, sont les marchands du temple, ceux que Jésus a honnis. Il faut avancer vite, ne pas regarder, passer le plus vite possible du regard lointain à celui de proximité. Se retrouver dans ces pièces étranges et envoutantes, cernées de vent et de mer, de passé et d'imaginaire. Rêver que l'on a été l'un de ces moines et regarder la mer se retirer.

A ses pieds, le vide et le creux. Inutile de se presser, on peut savourer l'approche, pas de boutiques à touristes, juste un espace où l'on peut perdre ce bruit qui nous habite de trop. Se retrouver devant ce mur énigmatique et envoutant, avec la ville tout autour qui bruisse, la musique des vagues qui s'en viennent taper au pied.

Depuis longtemps, j'aime me retrouver au Mont Saint Michel. Lieu magique, commerces païens à l'entrée, présence divine avant et après, beauté mystique, habitée bien que vide, et surtout là où elle est vide. Signature verticale qui émerge du sable et des vagues. Ma première rencontre a laissé en moi une cicatrice qui ne s'est jamais refermée et me ramène périodiquement sur le lieu de sa création.

Ce week-end, j'ai découvert la Grande Mosquée de Casablanca. Lieu magique, aucun commerce à l'entrée, présence divine avant et après, beauté brute, vide bien qu'habitée, et surtout là où il y foule. Signature verticale qui émerge de la ville et des hommes. Cette première rencontre a laissé en moi une cicatrice qui n'est pas près de se refermer et me ramènera à Casablanca.

Télescopage à distance entre ces deux cris des hommes, séparés par des siècles et des milliers de kilomètres. Et si chacun des deux en regardant sa mer, rêvait de pouvoir enfin voir l'autre…

10 mars 2010

EN TOUT PARISIEN, IL Y A UN MALADROIT QUI SOMMEILLE

IIl est parfois des voyages en Provence qui se transforment en randonnée neigeuse

7h50 TGV Gare de Lyon : Malgré – ou plus tôt à cause des informations météo –, j'ai décidé de confirmer mon voyage à Grignan. Occasion de le voir enfin nappé de neige.

10h 43 Arrivée à Montélimar : La neige est bien là. Étrange, comme un goût de Bourg Saint Maurice. Pour un peu, je chercherais le funiculaire allant aux Arcs. Mais non, c'est Moldu(*) que je cherche, elle qui m'attend pour m'emmener à Grignan. Retrouvailles après près de trois mois d'absence. Elle est bien là, fidèle et sage. Un arrêt pour des courses au Carrefour, un sandwich version italienne au McDo – et oui il y a maintenant un McDo au parmesan ! -, et me voilà en route pour Grignan.

13h Arrivée à Grignan : La route s'est passée sans problème. La neige n'est qu'un paysage, elle jalonne les côtés, parfois s'aventure sur la chaussée, mais si peu. Elle sait se faire discrète, elle n'est là que pour le plaisir des yeux. J'avance donc confiant. Traversée de Grignan, prise de la route de Taulignan. Montée, virage à droite, et vue alors sur la petite route qui va m'emmener jusqu'aux Tauliers. Un brin d'inquiétude alors : elle n'est vraiment pas dégagée… Mais je reste confiant, croyant à ma bonne étoile.

13h10 La non-arrivée aux Tauliers : Sur la petite route, je conduis un peu nerveusement. Il y a vraiment beaucoup de neige, et rien n'a été dégagé. Me vient alors l'idée que je pourrais avoir un problème et ne pas atteindre la maison. Et bingo ! Quelques instants plus tard, me voilà fiché dans la neige. Impossible d'avancer. La classe A est une voiture sympa, mais ce n'est pas vraiment un 4x4 : je ne m'étais jamais rendu compte jusqu'alors comme elle pouvait être basse. Elle s'était comme encastrée dans la neige. Impossible d'aller plus loin… en voiture.

13h30 La marche à pied : Pas d'autre solution que de finir à pied. Heureusement en partant de Paris, j'avais pris mes après-ski. Pas de problème, il ne restait qu'un kilomètre. Vision étrange. De la neige fraiche partout, aucune trace. Fantasme du skieur accompli : je suis le premier à marquer la neige. Descente vers la maison, bonjour à la truffière figée dans le blanc. La maison est froide, mais pas glaciale - elle est à 10°C environ -. Reste à s'occuper de la voiture qui bloque la route et accessoirement aux courses restées dans le coffre.

De 14h à 18h L'inutile parisien
: Comment quelqu'un – moi en l'occurrence – qui n'a aucune pratique de la neige et de la conduite automobile dans un tel milieu va chercher à libérer une voiture bloquée. Je ne vais pas entrer dans les détails de cette lutte qui, à part mon côté obstiné, n'est pas à verser dans la colonne des combats noblement gagnés. La neige était plus forte que moi. Sachez simplement que j'ai à l'occasion ruiné les tapis de sol amovibles de la voiture en les mettant sous les roues pour essayer de fournir une adhérence qui ne s'est finalement révélée que fictive. Que, pendant que j'étais parti à la recherche d'un secours quelconque en faisant le tour des maisons voisines, une voiture est arrivée manifestement un peu trop vite, et surprise par la présence de la mienne immobilisée en plein milieu, a choisi d'aller s'abandonner dans le champ voisin, plutôt que d'emboutir Moldu. Je le sais, car, quand je suis revenu bredouille, j'ai vu cette voiture abandonnée à proximité. Je me suis senti vaguement coupable, mais plus par incompétence que par malignité.

18h : La délivrance : Alors que depuis une heure, j'avais choisi courageusement d'abandonner l'idée d'aller en avant et m'évertuais d'essayer à reculer, j'entendis un bruit. Une pelle mécanique arrivait. C'est dans ces moments-là que l'on est content de payer des impôts locaux. En effet, c'était un employé municipal qui, consciencieusement, l'une après l'autre, nettoyait les routes de la commune. « Vous auriez dû appeler, je serais venu plus tôt, si j'avais su que vous étiez bloqué ». Quelques minutes plus tard, la voiture arrivait à la maison…

(*) Moldu est le surnom de ma voiture, par déférence à Harry Potter, car , comme pas mal d'entre vous, je ne suis qu'un moldu…

9 mars 2010

LES DEUX MECQUE

Aux deux bouts du même monde

L'eau semble couler comme paresseusement. Quelques indiens assis sur les marches improbables d'un gât regardent des buffles descendre doucement dans l'eau. Le brouhaha des ruelles résonne dans l'arrière-plan.

Les écrans de contrôle affichent de chiffres qui changent sans cesse. Quelques managers assis sur leur bureau regardent des hommes en chemise frapper frénétiquement sur des claviers. L'effervescence des rues ne parvient pas jusqu'à l'intérieur des salles de marché.

Le chant mélancolique et rythmé de Lali Baba ponctue les lumières qui se reflètent dans les eaux du Gange. En arrière-plan, des danseurs ondulent dans les odeurs de l'encens. Assis parmi les fidèles, je suis envoûté par la synchronicité du lieu, des voix et des mouvements.



Une chanson de Bruce Springsteen fournit le fond sonore aux conversations qui se propagent dans ce bar de Wall Street. En arrière-plan, les lumières des voitures rayent la vitrine. Accoudé au comptoir, je suis plongé dans l'effervescence de la nuit qui se réveille.



Des gurus qui en appellent à trouver le chemin d'un futur incertain, des temples où brûlent espérances et rêves, des charmeurs de serpents qui apprivoisent la mort potentielle en en faisant un spectacle, Bénarès est une Mecque fascinante.

Des experts qui affirment connaître l'évolution des cours, des banques où se consument les spéculations, des traders qui jouent sur la vie du monde, Wall Street est une Mecque fascinante.

Je regarde une fois de plus ce Gange qui borde Bénarès et lui donne son sens. Je finis par me décider : j'enlève mon tee-shirt et me plonge dans l'eau pour retrouver ceux qui sont plus proches de moi que différents. Il est des Mecque qui sont plus porteuses de sens que d'autres, et des eaux dans lesquelles il faut savoir ne pas nager. Celles du Gange ne sont pas les plus dangereuses…

8 mars 2010

LA MORT EST INÉVITABLEMENT AU RENDEZ-VOUS

Histoires d'hommes


Un jeune homme, William Blake, traverse tous les États-Unis dans un train. En même temps, le générique défile en contre-point du paysage. Dans ce symbole de la technologie humaine, il rejoint une ville improbable d'un Far West naissant.
Un homme, George Falconer, dans le milieu de sa vie enchaîne sur un rythme un peu compassé des gestes matinaux. En même temps, des images du passé surgissent en contre-point de son présent. De sa maison californienne sur-esthétisée, il se prépare à sortir.

De la rencontre de cette ville, William ressort blessé à mort. Poursuivi sans relâche pour ce meurtre qu'il n'avait pas voulu, il tente lentement de faire en sens inverse le chemin qu'il avait mécaniquement fait dans le générique. Glissant vers sa propre mort que l'on sent inévitable, il essaie de s'extraire de ce Far West qui n'était pas le sien.
Cette journée, George ne va pas la vivre, mais juste la parcourir. Hanté par un amour tué qui l'a laissé détruit, il traverse les moments et les lieux. Glissant vers sa propre mort que l'on sent inévitable, il prépare méthodiquement sa sortie de ce monde auquel il n'appartient déjà plus.

L'indien Nobody essaie bien de sauver William, en lui ouvrant les portes de cette nature dans laquelle il vit en osmose. Mais comment celui qui n'est que personne pourrait-il se mettre en travers d'une mort déjà programmée ? Alors les notes lancinantes de la musique de Neil Young viennent transpercer l'espace et finir le chemin de la balle qui avait blessé William. Et il s'en va glissant sur les eaux qui, doucement, emportent son corps …


Un des ses élèves, Kenny, essaie bien de sauver George, en faisant le don de sa beauté romantique et du futur potentiel émanant de son corps sortant de l'adolescence. Mais comment l'attraction de la jeunesse pourrait-elle stopper une mort déjà accomplie ? Alors, bien qu'en rangeant son revolver dans le tiroir, George ait finalement abandonné le projet de mourir, son corps en décide autrement. Et il tombe au pied de son lit, pendant que Kenny dort paisiblement.

A la beauté des paysages naturels filmés par Jim Jarmusch répond l'univers sur-construit de Tom Ford. Des deux films émane comme un vide dans lequel soit on se noie douloureusement, soit on tombe amoureusement. On peut s'en réveiller ensuite en baillant … ou en rêvant de nature et de bras réconfortants. La vision de la mort peut détruire ou faire renaître. C'est selon…


5 mars 2010

SE MÉTISSER POUR ÊTRE RICHES ENSEMBLE

______ Éditorial du vendredi ________________________________________________________________
Rappel du patchwork de la semaine :
- Lundi : Premier effet miroir entre le Prophète et Tetro. Parallélisme des chemins, ouvertures créées par des portes poussées, réponses inattendues et morts du père inévitable.
- Mardi : Deuxième effet miroir, cette fois entre le Bal de Laze et Mourir pour des idées. Où l’on voit que, dans le monde de l’incertitude, il est bien imprudent de vouloir mettre sa vie en jeu trop vite…
- Mercredi : Deux fois quatre femmes qui n’ont apparemment rien en commun et que tout oppose, celles de Desperate Houseviwes et celles de Sex and the city. Et pourtant quand on y regarde de plus près, les frontières sont floues et perméables.
- Jeudi : Finalement c’est le regard du littéraire Proust qui est plus scientifique que celui d’Asimov. Il est illusoire de croire que l’on pourra un jour prévoir le futur et exact que notre mémoire recompose constamment notre passé.

Voilà le début d’un jeu de miroirs. Pourquoi cela ?
Pour montrer que notre monde est fait de yin et de yang, de différences créatrices, d’écarts significatifs.
Avant l’humanité avait vécu cloisonnée, chaque nation restant enfermée chez elle. Les échanges se faisaient aux franges, les rapprochements à l’occasion des conflits.
Depuis un siècle, nous sommes devenus juxtaposés : sur nos territoires, cohabitent les origines, les cultures et les religions. Cette cohabitation est source de combats, de frictions et d’incompréhensions.
Demain, nous devons apprendre à dépasser ces différences, trouver nos points communs et aller vers le métissage. Alors nous pourrons être riches tous ensemble.

4 mars 2010

À LA RECHERCHE DU TEMPS PERDU OU D’UN FUTUR INCONNU

Le plus moderne n’est pas le plus scientifique
Proust part à la recherche du temps passé, quand Asimov part à celle du temps qui n’est pas arrivé. Quêtes symétriques et opposées.

Au travers d’un long retour en arrière, Proust nous faire replonger dans les détails de son enfance, puis nous fait cheminer dans les méandres de sa vie. Son récit est fait de rebonds multiples associant les odeurs, les bruits ou les couleurs. Il s’arrête souvent dans un passé immobile, n’en finissant plus de zoomer à l’intérieur d’un moment, ajoutant précision sur précision, fioriture sur fioriture. Comme dans les mathématiques fractales, nous tombons verticalement dans des structures autosimilaires. Comme si notre œil était vissé sur un microscope électronique, nous n’en finissons pas d’entrer plus au cœur de cet instant. Quand le récit reprend son cours, nous sommes presque surpris, de sentir le temps à nouveau s’écouler.
Au travers d’une longue plongée vers le futur, dans sa saga sur la Fondation, Asimov nous projette dans des mondes hypothétiques. Son récit est fait de fulgurances et de constantes accélérations. Nous suivons la progression de cette petite fondation créée au bout de l’empire galactique et son passage au travers des différents stades de développement d’une société. Asimov n’a pas le temps de s’arrêter dans de longues descriptions, les années et les siècles s’enchaînent à toute vitesse, et nous avons devant nous un film accéléré du futur. Quand parfois il prend le temps d’une précision, nous sommes interloqués de sentir le temps s’arrêter.

Proust nous fait découvrir que le passé n’est pas figé, mais un souvenir constamment composé et recomposé : notre mémoire est une matière vivante dans laquelle nous pouvons jouer. Source infinie de créativité.
Asimov nous fait croire que l’on peut prévoir le futur et agir au présent pour le modifier de façon certaine. Il imagine des psycho-historiens qui sont capables de savoir à l’avance que le monde va à sa perte et ce qu’il faut faire aujourd’hui pour que quelque chose advienne demain
Finalement le plus moderne des deux est le moins scientifique : Asimov est encore imprégné de la vision de Laplace qui pensait que nous saurions tout un jour. Or tous les développements scientifiques du siècle dernier - mécanique quantique, théorie de la relativité, et tout récemment mathématiques du chaos, biologie et neurosciences- nous ont montré que le futur était encore plus incertain que notre passé. Ainsi il est inutile de partir à la recherche d’un quelconque futur, car, tant qu’il n’est pas advenu, on ne peut pas savoir ce qu’il sera !

3 mars 2010

HISTOIRES DE FEMMES

De Wisteria Lane à New York

Quatre femmes attablées autour d’une table de salle à manger échangent sur les heurs et malheurs de vie de couple. Quatre autres attablées à la table d’un café font le point sur leurs dernières frasques amoureuses.
La première scène se passe à Fairview, la deuxième à New-York. Les premières sont les héroïnes de Desperate Houseviwes, les autres de Sex and The City.
Étonnant effet de miroir entre les deux séries.
La première se déroule dans le conformisme d’une banlieue américaine. Comme dans un huis clos élargi, on retrouve épisode après épisode, saison après saison, les mêmes couples prisonniers de leurs habitudes et de leurs conventions. Quelques apports externes – un couple qui emménage ou déménage, un meurtre suspecté et inexpliqué,… –  viennent apporter une apparence de diversité, mais ce n’est pas l’essentiel. L’important est dans le jeu sans fin qui les occupe, elles quatre et leurs époux.
La seconde se passe dans la folie de la vie new-yorkaise. Cette fois, tout bouge autour d’elles. Les amants et les aventures défilent dans un carrousel sans fin. Elles se disent à la recherche d’une stabilité qu’elles rejettent dès qu’elle se présente. Prises dans la bourrasque de leur vie et de leur ville, d’une nouvelle paire de chaussures à une nouvelle partie de jambes en l’air, elles courent sans cesse.
Si maintenant on zoome à l’intérieur de ces deux groupes féminins, les différences commencent à se gommer et les frontières deviennent floues : Gabrielle Solis, ancienne mannequin, rêve de shopping et semble être toujours à deux doigts de s’enfuir de Wisteria  Lane pour rejoindre une boutique branchée de New-York. Charlotte York a du mal à suivre le rythme débridé des trois autres, et on la sent pouvoir à tout moment se réfugier dans un pavillon confortable d’une quelconque banlieue bourgeoise.
Et finalement que l’on soit resté immobile dans Wisteria Lane ou que l’on ait couru dans les rues de New York, on finit toujours par rester au même endroit : toutes quatre se retrouvent sans cesse autour de la même table à ressasser les mêmes histoires.

Comme le miroir de ces deux séries, notre monde est fait de contrastes apparents, de proximités cachées, de métissages potentiels et de vaines agitations…

2 mars 2010

NE MOURRONS PAS TROP VITE ET POUR RIEN !

Difficile dans le flou d'être sûr de ses choix

La chanson « Le bal de Laze » a toujours été au Panthéon de mes chansons préférées. Michel Polnareff y dresse le tableau d'un jeune homme qui raconte son amour impossible pour la fille des châtelains dont il n'est que l'employé. Comme il n'avait pas pu supporter de la voir en épouser un autre, le soir des fiançailles, il avait tué le fiancé. La chanson se passe alors qu'il est en prison et va être pendu le lendemain. À la fin, il dit : « Ma dernière phrase sera pour qu'on me plaigne, puisqu'on va lui donner un autre fiancé et que je n' pourrai pas supprimer celui-là ». Beauté d'un amour romantique absolument désespéré.



Ceci me fait penser à cette autre chanson, cette fois de Georges Brassens, « Mourir pour des idées » : « Car, à forcer l'allure, il arrive qu'on meure pour des idées n'ayant plus cours le lendemain. Or, s'il est une chose amère, désolante, en rendant l'âme à Dieu c'est bien de constater qu'on a fait fausse route, qu'on s'est trompé d'idée. Mourrons pour des idées, d'accord, mais de mort lente »



Ainsi si les combats désespérés sont bien les plus beaux, ils n'en restent pas moins le plus souvent inefficaces et sans portée réelle. Dans l'incertitude qui nous baignent tous, prenons le temps de la réflexion et faisons attention à ne pas « mourir » trop vite et pour rien…

1 mars 2010

LA VIE N’APPORTE JAMAIS CE QUE L’ON CHERCHE

Télescopage entre Tetro et le Prophète ou quand Coppola répond à Audiard…


Deux jeunes hommes, sortis depuis peu du monde de l'adolescence, poussent une porte qui fera que leur vie ne sera plus jamais la même.

L'un la pousse volontairement : Bennie, échappé du domicile paternel, tout habillé du blanc de son uniforme de marin, pénétrant dans l'appartement de son frère. Ce frère, nettement plus âgé que lui, l'a abandonné brutalement, sans un mot, sans une explication, le laissant désemparé. Il le retrouve ici à Buenos Aires, au milieu des jeux du théâtre et de la musique. Est là aussi celle qui a recueilli son frère et peu à peu aider à se reconstruire.

L'autre la pousse involontairement : Malik, condamné à six ans de prison, habillé d'un jogging gris, propulsé dans un univers qu'il n'a pas choisi et qui lui est étranger. Muré dans son incapacité à lire ou écrire, il n'est que le jouet des événements et la victime de ceux qui, tout puissants, règnent. Il n'a d'autre choix que de se plier à cette loi, et de devenir une sorte de bonne du chef de clan corse.

Petit à petit, Bennie va se rapprocher de ce frère qui cherche à le garder à distance. Il était venu pour fuir son père et retrouver son frère. Entremêlé dans les fils de son passé, prisonnier d'une histoire qui est bien la sienne, mais à laquelle il ne peut rien, le voilà qui finira par trouver ce qu'il n'aurait jamais pouvoir imaginer trouver. Celui qui était son père au début en sera pour une deuxième mort…

Petit à petit, Malik va faire son chemin, décryptant instinctivement les règles de ce monde qui n'était pas le sien. Se fondant dans le paysage, retournant à son profit ce que les autres prennent pour sa faiblesse, le voilà qui finira par devenir le caïd. Celui qui était son protecteur au début sera sa victime.

Drôle de parallélisme entre deux résurrections : l'une en forme de rédemption, l'autre de damnation. L'un croyait savoir ce qu'il cherchait, l'autre ne cherchait rien. L'un perd définitivement le frère qu'il voulait pour y gagner un père auquel il ne croyait plus, l'autre s'insère dans la société au moment où celle-ci a voulu l'enfermer. Les deux en viennent à tuer leur père d'origine. Et à chaque fois, la vie vient apporter des réponses à des questions que l'on ne se posait pas…


PS : Sur Tetro, allez lire  "Garde le fil qui te lie à ton âme", et sur le Prophète "Un film initiatique total", deux excellents textes de la philosophe Paule Orsoni



26 févr. 2010

ARRÊTONS DE MATHÉMATISER NOTRE PENSÉE ET DE LIRE LE FUTUR DANS LE MARC DE CAFÉ DE NOTRE PASSÉ

______ Éditorial du vendredi ________________________________________________________________

Rappel du patchwork de la semaine :
- Lundi : L'incertitude est partout et plus rien n'est certain. À court terme, on ne peut que probabiliser ce qui risque d'arriver. Au-delà, c'est le flou et, au mieux, on dessine des futurs possibles.
- Mardi : Malgré le flou, nous continuons à tout vouloir quantifier. Nous voulons prévoir ce qui ne peut pas l'être, et mettre la vie en équation.
- Mercredi : De plan d'économie en plan d'économie, bon nombre d'entreprises, à l'instar des modèles qui marchent sur les podiums de la mode, deviennent anorexiques et cassantes. Prenons garde à préserver la part de flou nécessaire pour faire face aux aléas.
- Jeudi : Paradoxalement, plus l'expertise d'une entreprise progresse, plus elle risque de se couper de la réalité et devenir autiste. Pensons à faire le vide et à ne mobiliser nos savoir-faire qu'a posteriori.

Quand j'observe nos débats collectifs actuels – qu'ils soient politiques, économiques ou sociaux –, je crois que nous tombons le plus souvent dans les travers que j'ai exposés pour les entreprises :
- Nous n'arrêtons pas de manipuler des chiffres et des indicateurs dont le sens et la réalité restent à démontrer : la non-représentativité du taux de croissance a encore été démontrée récemment, mais nous continuons à le suivre obsessionnellement. Sommes-nous sûrs qu'un taux d'inflation mesure autre chose que le résultat du calcul mathématique effectué ? En quoi signifie-t-il vraiment l'évolution du niveau de vie ? Comment pourrions-nous prendre en compte le développement des transactions non-marchandes ? …
- Nous restons avides de prévisions et d'anticipations qui sont quotidiennement démenties : la moindre variation d'un indicateur – qui, par ailleurs, n'est pas significatif d'une réalité – fait l'objet de multiples analyses qui débouchent inévitablement sur des projections et des anticipations. Nous transformons la prospective en une redécouverte de l'alphabet, en passant de la reprise en V, à celle U ou en W. Quand est-ce que l'on comprendra que la bonne lettre est le O, car nous ne faisons que tourner en rond !
- Nous atteignons dans plusieurs domaines l'anorexie : comment pouvons-nous espérer avoir un système éducatif performant avec des niveaux de salaires des enseignants qui les situent au niveau d'ouvriers à peine qualifiés ? Comment exercer sereinement le métier de juge quand les affaires se succèdent à un rythme toujours croissant ? Comment penser que notre système pénitentiaire lutte contre l'insécurité quand les conditions d'hébergement sont dégradées à ce point ? Et dans le même temps, sans états d'âme, nous rajoutons encore une couche de macadam à nos routes déjà excellentes, construisons de nouveaux ronds-points ou maintenons un train de vie versaillais à toutes nos structures politiques, nationales comme locales, …
- Nous regardons le futur à la lumière de ce qui s'est passé : La plupart des experts qui mobilisent et organisent la débat public, sont enfermés dans leurs savoirs et cherchent à lire ce qui se passe au travers de leurs lunettes déformantes. Ils devraient d'abord oublier leurs certitudes pour essayer de comprendre où sont ces mers vers lesquelles va notre monde…

25 févr. 2010

L’ENFERMEMENT PAR L’EXPERTISE

Comment éviter d'être déformé par son passé ?

Affirmer « Plus une entreprise est performante et expérimentée, moins elle comprendra ses clients » est apparemment une contrevérité. En effet, plus l'entreprise est performante, mieux elle connaîtra son marché, ses clients, sa concurrence. 

Certes, mais plus elle aura accumulé d'expériences, plus elle va se poser des questions selon sa logique. In fine, elle risque d'avoir un tel niveau d'expertise qu'elle est décalée par rapport à tous les autres, ses clients y compris.

Prenez l'exemple d'une banque dotée d'un système sophistiqué permettant de mesurer et de comparer le temps d'attente dans toutes ses agences, non seulement entre elles, mais vis-à-vis de la concurrence bancaire. 

Cet outil semble performant et pertinent, mais il présente un vice majeur : il compare la banque dans un référentiel qui n'est pas celui des clients. En effet, la plupart des clients n'ayant qu'un seul compte bancaire, n'ont pas la possibilité de comparer la performance de leur agence versus celle des concurrents. 

Par contre, puisque, quand ils vont dans leur agence, ils sont le plus souvent en train de faire leurs courses, ils comparent l'agence aux autres commerces de la rue. Difficile quand on est un banquier chevronné de comprendre que l'on doit se comparer à une poissonnerie ou une crèmerie pour savoir si le client sera content ou mécontent !

Ainsi, plus l'entreprise est experte, moins elle parle le langage commun et plus elle peut se tromper. Plus l'incertitude se développe, plus ce risque est grand.

Ceci va souvent de pair avec le développement d'une forme d'arrogance issue de succès répétés et de la sensation d'être invulnérable. Au stade extrême, l'entreprise et ses collaborateurs vont devenirs « autistes » : forts de leur expérience, ils savent ce que veulent les clients, comment va évoluer le marché, quels sont les risques technologiques…

Pour comprendre ses clients, il faut d'abord faire le vide, oublier ce que l'on sait et ne mobiliser qu'a posteriori son expertise.

24 févr. 2010

L’ « ANOREXIC MANAGEMENT »

Comment faire face à l'incertitude sans réserves ?

Quand on évalue une performance, on met en regard les dépenses allouées et les résultats obtenus. Puis on cherche à comprimer les coûts en supprimant ceux qui sont les moins productifs.

Ceci présente deux risques majeurs :

- La mort comme résultat ultime de la règle magique des 80/20 : quoi que j'observe, je vais constater que 80% du résultat est obtenu avec 20% des efforts faits. Si l'on zoome, on constate que les derniers 5% ont un impact très faible. Alors arrive la question inévitable : pourquoi l'entreprise ne supprime-t-elle pas ces efforts qui ne sont pas rentables ? Si elle le fait et qu'un an plus tard, on mène la même étude, on identifiera à nouveau 5% d'efforts « inefficaces ». Que fait-on ? Coupe-t-on aussi ces efforts là ? Si oui, il n'y a aucune raison que cela s'arrête, et, on va par étapes vers le système le plus productif, le seul qui ne consomme aucune ressource inefficacement : la mort. C'est ce que l'on appelle aussi le « syndrome du wagon de queue » : quoique je fasse, il y en aura toujours un.

- La rigidité comme résultat de la cure d'amaigrissement : quand on mesure les résultats obtenus ou attendus, on n'est incapable par construction de prendre en compte ce qui n'est pas prévu. On va ainsi considérer comme non productif tout ce qui ne peut pas être relié à un bénéfice connu. L'application brutale et sans discernement de l'amélioration de la productivité va supprimer tout ce qui est flou et non-affecté, et rendre l'entreprise cassante : elle sera dépourvue des redondances et du flou indispensable à sa résilience.

Faut-il « jeter aux orties » toute approche de productivité et toute réflexion sur l'adéquation entre moyens et résultats ? Non, bien sûr, mais elle ne doit porter que sur la part « hors flou », et intégrer que ce qui est observé n'est que la partie émergée d'un iceberg.

J'ai parfois l'impression que, comme pour les mannequins qui meublent les magazines de mode, on fait l'éloge de la maigreur excessive : il n'y a qu'un pas du lean management à l' « anorexic management » !

(à suivre)

23 févr. 2010

LA MALADIE DE LA PRÉVISION EXCEL

Pourquoi chercher à quantifier ce qui ne peut pas l'être ?

Première des approches managériales dangereuses et obsolètes qui perdurent : la maladie de la prévision.

Sous la pression de leur environnement et/ou de leur direction, les entreprises continuent à construire des business-plan peuplés de prévisions à trois ou cinq ans.
Or ceci est faux et dangereux.
Faux parce que :
- On est incapable de modéliser réellement la situation actuelle et de tenir compte de toutes les interdépendances.
- Ceci repose sur une modélisation mathématique du comportement des individus, modélisation le plus souvent contestable.
- La projection suppose que ce qui a sous-tendu l'évolution passée, sera vrai dans le futur. Or au mieux, il y aura de faibles déformations ; au pire, tout sera changé.
- Si, par chance, les lois passées restent encore valables, comme les évolutions complexes sont régies par des lois de type chaotique, la moindre erreur initiale générera des erreurs non quantifiables.

Dangereux parce que :
- Elle fait croire le problème résolu et baisser la vigilance : comme on imagine avoir maîtrisé le risque en l'ayant encadré dans des scénarios, on ne prête plus assez attention à ce qui se passe et émerge.
- Souvent les prévisions se retrouvent dans les budgets des années à venir : alors qu'elles ne sont que des construits imaginés, on va évaluer la performance d'une unité ou d'un manager sur sa capacité à les respecter, et non pas sur celle de tirer le meilleur parti de ce qui advient réellement.

(à suivre)

22 févr. 2010

NOUS NE POUVONS PLUS PRÉVOIR

Le flou et l'incertitude sont devenus la règle

Tout le monde se sent débordé par l'incertitude : omniprésente autour de nous, elle en est venue à tout envahir. Quel que soit le journal que je saisisse, quelle que soit la radio que j'écoute, quelle que soit la télévision que je regarde, je suis certain d'y trouver des prévisions démenties, des reprises qui n'arrivent pas, des catastrophes et des succès inattendus. 
La crise économique déclenchée en septembre 2008 a rendu encore plus évidente cette propagation de l'incertitude.
Dans le même temps, nous continuons à rêver d'un monde sécurisant où, à l'image des livres de cuisine, on connaitrait la liste des ingrédients à réunir et le mode opératoire à suivre pour obtenir à coup sûr un résultat connu à l'avance et conforme à la photographie affichée.

Le monde des entreprises, loin d'être épargné, est au cœur et souvent à l'origine de cette tourmente. Qu'en est-il de sa capacité à prévoir ce qui va advenir ? Pour répondre brutalement, il n'en reste plus grand-chose :
- Il n'y a quasiment plus de certitudes, c'est-à-dire de situations dont on peut définir à l'avance l'évolution : la présence des boucles de rétroaction et la densité des interactions empêchent de prévoir de façon certaine ce qui va se passer.
- Il est même impossible, sauf à court terme, de probabiliser l'évolution. Au mieux, nous pouvons définir le monde des possibles : avoir une idée de ce qui est susceptible de se produire, élaguer en définissant des zones impossibles, préciser des chemins, mais sans savoir lequel sera suivi.
- L'horizon du court terme varie selon les pays et les secteurs, mais dans tous les cas, il se rapproche constamment. Il est de l'ordre de l'année, parfois beaucoup moins, rarement beaucoup plus. Au-delà, règne le flou.

Et pourtant des approches managériales dangereuses et obsolètes perdurent…

(à suivre)

19 févr. 2010

APPRENONS À FAIRE FACE COLLECTIVEMENT AUX CYGNES NOIRS

______ Éditorial du vendredi ________________________________________________________________


Rappel du patchwork de la semaine :
- Lundi et mardi : Où l'on voit que bien peu avaient vu venir la crise qui a éclaté en septembre 2008. Pourtant de nombreux signaux d'alarme avaient tiré, mais, tant que la tour n'est pas tombée, on a du mal à croire que cela puisse arriver.
- Mercredi : Toyota a fait, bien involontairement, la démonstration que les cygnes noirs existent et que l'un d'eux vient de mettre à mal cette entreprise. Tellement tendue vers la performance, elle en était devenue potentiellement cassante.
- Jeudi : Et si la facilité était ce qu'il fallait rechercher ? Et si dans ce monde hautement imprévisible, c'était la seule façon de pouvoir faire face au marathon qui nous attend ?

Collectivement, nous n'arrivons pas intégrer l'existence fatale des cygnes noirs et à en tirer les conséquences :
- Alors que tout nous montre notre incapacité à prévoir ce qui va se passer et à lire les événements en cours, nous continuons à optimiser les entreprises et les systèmes sur la base de ce que nous avons prévu : quand comprendrons-nous que c'est en mettant du flou et en redonnant des marges de manœuvre que nous serons plus résistants aux aléas, et par là résilients ?
- Alors que toutes les transformations prennent des années et des années à se mettre en œuvre, nous continuons à faire comme si l'on allait résoudre un problème en deux ou trois ans, comme si le bout du tunnel était déjà en vue : quand aurons-nous le courage collectif de faire face à cette nécessaire durée ?
- Alors que les ruptures en cours font que le monde qui émerge – celui que j'appelle le Neuromonde – aura bien peu de points communs avec celui dans lequel nous avons grandi, nous raisonnons toujours à partir du passé en recherchant des solutions de continuité : quand essaierons-nous de penser à partir du futur et de ces mers qui se dessinent et nous attirent ?