23 nov. 2015

TOUT EST MAINTENANT EN PLACE

Le tsunami des technologies numériques (2)
Pour que tout puisse être bouleversé, il fallait la conjonction de plusieurs conditions maintenant réunies :
- Chacun, ou presque, a sur lui, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, un terminal connecté à haut débit, géolocalisé, et doté d’un écran de qualité,
- Le coût d’utilisation est bas,
- La puce du terminal certifie l’identité de son détenteur et permet des transactions financières,
- La génération Y qui a grandi avec Internet et sait intuitivement s’en servir, est montée en puissance,
- La masse des données peut être traitée dynamiquement pour en extraire des connaissances et des informations structurées.
Cette conjonction ouvre le champ à des innovations qui dynamitent les entreprises existantes.
C’est bien le propos de Steve Blank dans un dossier récent publié par Compass :
« With two billion broadband Internet users and billions of smartphones now entering circulation, the necessary tools and infrastructure are in place for the Information Age to burst into full bloom, moving beyond the confines of just the technology world to transform all aspects of society. » 
 « If the traditional Industrial Era approach to decreasing costs and the traditional approach to increasing revenue have both reached a point of diminishing returns, what then is the solution? The answer is disruptive innovation; achieved through the creation of new Information Era products and services. » (1)
(1) The Global Startup Ecosystem Ranking 2015, Steve Blank, Compass, Juillet 2015
(à suivre)

20 nov. 2015

A DEUX ENTRE-DEUX

Perdus
Au dernier étage du Seven Seventeen, un modeste hôtel tenu par un couple de tibétains, cocktail mélangeant des objets religieux, des dorures inutiles, des pièces dépouillées, et des éclairages au néon. 
A droite et à gauche, vue en plongée sur Darjeeling. Des rues étroites sillonnées de piétons et de chiens s’évitant les uns les autres, et parcourant des pentes abruptes. Des maisons qui s’accrochent tant bien que mal les unes aux autres pour ne pas dévaler la pente.
Devant, le brouillard est tel que le regard ne porte qu’à quelques centaines de mètres, et que les sommets de l’Himalaya sont gommés. Une mer cotonneuse, parsemée de quelques toits. L’absence de perspective est reposante, confortable comme une couette.
Je suis un nouveau-né, emmailloté de coton, sans horizon ni visuel, ni temporel, ni sentimental. Je ne vois qu’à quelques mètres, aveugle dans une ville inconnue. Je ne prévois plus rien, car le temps n’est que répétition. Blotti dans les bras qui me quitteront dans quelques jours, je suis dans un cocon parfait. L’ouate m’enveloppe et me protège. 
Parfois, la brume se fracture, et les montagnes apparaissent. Étaient-elles là avant ou viennent-elles de naître ? Les voir, c’est avoir envie de se déplacer, d’aller vers elles, de les escalader. Ensuite, quand la brume revient, les avoir vues, c’est ressentir une absence, s’escrimer à les deviner, et vouloir percer le mur d’eau qui nous en sépare. Le vide devient manque.
Parfois, nous parlons l’un et l’autre de ce que nous ferons après. Lui de son retour à Calcutta, moi de mes projets de livres. La magie disparaît, et le temps coule de cette brèche. Nous émergeons et rêvons inutilement d’une impossible relation. Sa peau me devient moins douce, son sourire moins enchanteur, et ses mots moins mélodieux.
Heureusement ces fractures dévastatrices ne sont que rares et provisoires. Rapidement, nous oublions les montagnes et l’illusion de notre union. 
Délicieusement, nous nous noyons dans cet entre-deux…

18 nov. 2015

RIEN N’A ENCORE COMMENCÉ OU PRESQUE

Le tsunami des technologies numériques (1)
Si, nageant de bonne heure, le 26 décembre 2004, dans la baie de Phuket, vous trouvez que la mer pourrait être plus calme, vous feriez bien de ne pas trop vous plaindre, car le clapotis actuel n’est rien à côté de la vague qui bientôt balayera tout : oui, il ne sert à rien de s’inquiéter pour quelques ondulations, quand un tsunami arrive. 
Face aux conséquences des vannes ouvertes de la mondialisation, les politiques enchaînent plans de relance sur plans de réduction des déficits publics. Mais sans réels succès. En eux-mêmes, ils pestent contre leur inefficacité, mais bientôt ils auront l’occasion d’avoir une vraie peur, car les perturbations actuelles ne sont rien à côté du tsunami technologique en train d’arriver.
Cette comparaison entre ce qui s’est passé sur la plage de Phuket ce lendemain de Noël 2004 et notre situation actuelle est violente, mais elle est à la hauteur de la puissance de ce qui va déferler : rien n’a commencé, et l’impact de la transformation induite par les technologies numériques n’a pas eu lieu.
Pourquoi donc ? Parce que, pour que tout puisse être bouleversé, il fallait la conjonction de plusieurs conditions maintenant réunies…
(à suivre)

16 nov. 2015

MADE IN FRANCE ?

Made in world (2)
Avant, il était facile de faire le lien entre un produit et son producteur : au temps de l’artisanat, il était du village à côté ; avec l’industrie, il venait au début de la ville voisine, puis du pays où l’on habitait, ensuite de l’ensemble des pays voisins. Le lointain était rare et exotique, les origines toujours identifiables, les relations claires. Maintenant avec l’intrication des processus de production, la notion d’origine se dilue, et identifier par qui et où a été élaboré un produit est complexe.
Au cœur de ce processus mondialisé, se trouvent des méga-entreprises. Constituant les artères principales des réseaux, elles fonctionnent comme un tout, et sont capables de tirer parti des pays où elles s’implantent, sans en être dépendantes. Quasiment devenues hors sol, elles surfent dans les réseaux mondiaux qu’elles animent et structurent pour maximiser leur profit. Leur puissance financière est telle qu’elles peuvent rivaliser avec des pays, même parmi les plus grands.
Est-ce à dire que le « made in France » n’a plus grand sens ? Oui en partie, sauf pour des produits très basiques, car, le plus souvent, les biens sont « made in World ». Redévelopper des emplois de production en France ne peut se faire à coup de raisonnements simplistes, et certainement pas en déconnectant notre pays du reste du monde : le développement est une affaire d’échanges et de respiration. La question n’est pas de rapatrier telle ou telle production, mais de voir comment faire de la France un des nœuds importants des réseaux mondiaux, et mieux la connecter aux autres pour bénéficier de l’énergie collective.

9 nov. 2015

AU TEMPS DES ENTREPRISES GLOBALES

Made in world (1)
Fin de journée à Bangalore, au cœur de l’Inde du Sud : l’équipe qui travaille sur le développement d’un nouveau logiciel vibre comme une ruche. À l’autre bout de la planète, la Silicon Valley dort : dans quelques heures, une autre équipe y prendra le relais. Entre les deux, dans une tour de la Défense, la supervision veille à la bonne articulation du travail collectif.
Développée initialement pour le marché allemand, la nouvelle ligne de produits coiffants de cette entreprise de cosmétiques s’est propagée comme une déferlante dans tous les pays. Amortissement mondial des dépenses de mise au point des formules et des coûts de conception du packaging et du film publicitaire, adaptation par les équipes locales aux spécificités culturelles, voilà la recette du succès.
Deux anecdotes choisies parmi la myriade des histoires qui, quotidiennement, se déroulent dans les entreprises. Car, plus celles-ci se sont développées, plus leurs réseaux sont devenus mondiaux. Difficile de savoir aujourd’hui où un objet a été produit. Bien sûr, on peut se contenter d’identifier à quel endroit et par quelle entreprise il a été assemblé. Mais d’où viennent ses composants ? Et les machines-outils qui ont permis son élaboration ? Et les équipes de recherche-développement ? Et ceux qui ont eu l’idée de la communication ? Chaque produit, chaque service, chaque transaction fait intervenir un nombre croissant de sous-produits, sous-services, sous-transactions.
(à suivre)

6 nov. 2015

BALLET DE DOIGTS

Communiquer
A quelques mètres de moi, un petit groupe ne fait aucun bruit. Seules, leurs mains bougent. Ils sont là et ailleurs. Physiquement présents, mais dans une autre dimension. Un monde parallèle, un nouveau continent commence. Leur différence est évidente : des sourds-muets et leur langage des signes. 
Mais ne dire que cela, c’est ne rien comprendre. Comme quelqu’un qui croirait qu’il suffit de dire des mots à voix haute pour en connaître le sens, de parler une langue étrangère pour en saisir la signification. Je regarde leur ballet de doigts, chorégraphie sans cesse renouvelée, où se combinent des figures de base que, petit à petit, j’essaie d’identifier. 
Leur conversation s’anime, les gestes se font plus rapides. Est-ce leur façon d’élever la voix ? Peut-on couper la parole en signant ? A-t-on le droit de saisir les doigts de celui qui s’exprime, pour accaparer la parole ? J’assiste à une cacophonie gestuelle.
Manifestement, tous viennent de banlieue. Au mouvement de leurs épaules et au choix de leurs vêtements, c’est évident. Est-ce qu’ils signent d’une façon différente ? Ont-ils un accent avec des gestes ? Savent-ils rapper en signant ? Je suis le témoin de la langue muette du Neuf Trois. 
Je rêve du défi de reproduire la sophistication de la prose de Proust avec des doigts qui dansent. Qui pourrait en faire partager la magie en la mimant ? La subtilité du récit de ses terreurs nocturnes, ses craintes concernant Albertine, ou les fastes du bal chez la Princesse de Guermantes, sont incompatibles avec toute simplification. 
Simplifier, c’est trahir. Parler aussi. Signer encore plus. Chacun communique comme il peut…

4 nov. 2015

L’INCERTITUDE GLOBALE

Le temps de la connexion globale (2)
Au sein du bruissement planétaire, une nouvelle, un jour, a fait la une de tous les journaux : le nuage de cendres de l'Eyjafjöll. Qui aurait cru que des poussières volcaniques islandaises provoqueraient une embolie du transport aérien, entravant ainsi le bon fonctionnement de l’économie contemporaine ? Quel a été l’enchainement fatal ? Au départ, des coulées de lave dans une zone quasiment désertique. Rien d’inquiétant donc, juste une éruption volcanique banale et sans danger, puisque personne ne se trouvait sur son chemin. Puis voilà qu’une très grande quantité de cendres a pris la voie du ciel pour y former un nuage, tout cela à cause d’un peu de fonte des glaces – normal, c’est chaud la lave ! –, et de gaz volcaniques capricieux. Là, pas de chance, des vents malicieux ont poussé le nuage vers l’Europe continentale. Et, hasard des courants, il s’est trouvé juste sur le chemin des vols aériens internationaux. 
Résultat, une congestion massive du transport aérien dans un des épicentres du commerce mondial : de nombreux dirigeants bloqués, qui aux États-Unis, qui en Europe ; une embolie économique à cause d’un caillot volcanique. Alors le monde entier a tonné : ne pouvions-nous pas prévoir cette catastrophe ? Comment était-ce possible ? Comment, avec nos armoires informatiques chaque jour plus imposantes, à l’ère du Big Data, être ainsi le jouet de ce qui ne pouvait pas être une fatalité ? 
Les responsables étaient tout désignés : dirigeants politiques et haut-fonctionnaires, tous des incapables, manifestement payés à ne rien faire, et avec nos impôts en plus. Citoyens de tous pays, unissez-vous pour chasser ces nuisibles incompétents ! Car comme Pierre Simon de Laplace l’a dit au XVIIIe siècle : « Une intelligence qui pour un instant donné connaîtrait toutes les forces, (…) rien ne serait incertain pour elle, et l’avenir comme le passé serait présent à ses yeux.»  En plus de deux siècles, nous avons dû progresser, non ? Tous des incompétents et des menteurs, je vous dis !
Mais au temps de la connexion globale, est-ce si sûr ? L’incertitude ne serait-elle pas un moteur incontournable ?

2 nov. 2015

AU CŒUR D’UNE IMMENSE TOILE

Le temps de la connexion globale (1)
Assis dans mon jardin en Provence, j’observe une araignée. Tapie au cœur de son immense toile, elle se repose. Elle le mérite bien, tant son travail fut long, précis et répétitif : savoir emmêler finement les fils pour que l’ensemble constitue un tout parfaitement réticulé, n’est pas un travail de débutante. Le résultat est parfait, et la toile brille dans les rayons d’un soleil estival. Elle sait que, maintenant, elle n’a plus qu’à attendre : tout insecte qui heurtera la toile, se prendra dans les mailles du piège ; immédiatement, la vibration se propagera le long des fils, et ce sera l’ensemble qui frémira, transmettant l’information en tous points. L’araignée n’aura plus qu’à se saisir de sa proie.
Mon esprit glisse de cette toile à l’écran de mon iPad : s’y enchevêtrent des informations venant des quatre coins du monde, et je suis, grâce aux réseaux sociaux, des bribes de la vie quotidienne des amis glanés à l’occasion de mes voyages. Je vibre d’émotions lointaines : ma pensée quitte la Provence, se glisse à Calcutta pour suivre les dernières productions d’un photographe, puis à Bangkok où j’apprends le projet imminent d’un périple à Sydney. J’étais en train d’admirer la construction presque achevée d’une maison à Salt Lake City, quand un message m’annonce l’arrivée prochaine d’un ami américain. Vingt ans sont passés depuis la dernière fois où nous nous sommes vus, et bientôt je marcherai avec lui le long des quais de Paris. Je me sens physiquement ici et ailleurs : présent dans mon corps qui héberge mon cerveau et assure la mobilité des mains qui pianotent sur le clavier, et immergé dans le monde distant auquel je suis connecté. Tel l’araignée, je suis blotti au creux de ma toile, nourri de ce que je ne peux ni toucher, ni voir, et qui pourtant m’émeut et m’interpelle. Sous le soleil de la Provence, je suis enrichi de mes connexions.
(à suivre)

30 oct. 2015

UNE CARTE POSTALE VIVANTE

Au bout du bout du bout...
Tout au nord du cap Corse, à la fin d’une petite route, se trouve le village de Tollare.
Juste quelques maisons – probablement d’anciennes maisons de pêcheurs –, des rochers et la mer.
L’anse du petit port forme une piscine naturelle dans laquelle des enfants jouent et plongent. Sur le côté, une échelle a été scellée dans un mur pour leur faciliter l’entrée ou la sortie.
A part eux, peu de mouvements. Juste le clapotis de l’eau et un silence presque parfait.
Plutôt que de vous entasser sur les plages voisines, allez donc vous y promener, et jouir de cette carte postale vivante.

(Photos prises en août 2015 sur la route allant à Tollare)

28 oct. 2015

NOUS SOMMES LES PREMIERS PILOTES DE NOTRE CORPS, MAIS PAS LES SEULS

Décider sans savoir pourquoi (6)
Voici maintenant un résumé extrêmement succinct de nos processus mentaux :
1. Il nous est physiquement impossible d’avoir accès aux données brutes : nous ne voyons pas, nous extrayons des informations de ce que nos yeux ont vu ; nous n’entendons pas, nous analysons ce que nos oreilles ont entendu, etc. Nous ne pouvons pas bipasser notre « Photoshop » mental.
2. Notre cerveau induit spontanément à partir de rien, ou presque rien : il fait dynamiquement des calculs de probabilités, construit des hypothèses, les teste, et après validation, s’en sert pour la prochaine itération. Il sait ainsi repérer des règles sous-jacentes, ce sans avoir besoin de les connaître a priori. Utile pour l’apprentissage de sa langue maternelle par un nouveau-né. Ce processus a lieu en amont de nos processus conscients. (1)
3. Se souvenir, c’est reconstruire et déformer : la mémoire n’archive pas un événement en un seul élément, mais en le démontant en une multitude de morceaux. Plus pratique pour le stocker et le transporter. Comme un meuble en kit : rappeler un souvenir, c’est le remonter à partir des morceaux en suivant le plan. Problème souvent il en manque un, ou il parvient abimé, ou on force trop lors du montage, ou le plan est incomplet. Bref, la mémoire n’arrête pas de se déformer, et de déformer pour se reformer.
4. L’essentiel de nos processus mentaux sont non conscients : la plupart du temps, nous ne savons ni pourquoi nous pensons ceci plutôt que cela, ni comment nous agissons. Les mécanismes qui y ont conduit, nous sont inaccessibles : nous ne pouvons que constater les effets. Cela va beaucoup plus loin que ce que vise la psychanalyse, car c’est quasiment tous nos processus cognitifs et moteurs qui sont en jeu.
5. Nous avons un cerveau intestinal et un microbiote : comme nous venons de le voir, les deux ont leur mot à dire. Bref nos gargouillis intestinaux peuvent conduire réellement à des maux de tête ! 
De tout cela, notre « Je » émerge, un « Je » doublement perméable au monde extérieur : par les évènements qui se produisent et nous heurtent ; par les bactéries qui entrent et sortent. Nous baignons dans l’écosystème du monde, et le dehors nous pénètre continûment. 
François Varela va plus loin en affirmant que le « je » et le « nous » sont indissociables, et que l’identité individuelle nait du collectif : « C'est ce que j'entends lorsque je parle d'un moi dénué de moi (nous pourrions aussi parler de moi virtuel) : une configuration globale et cohérente qui émerge grâce à de simples constituants locaux, qui semble avoir un centre alors qu'il n'y en a aucun, et qui est pourtant essentielle comme niveau d'interaction pour le comportement de l'ensemble. (…) D'un point de vue purement fonctionnaliste, on peut dire que « je » existe pour l’interaction avec autrui, pour créer la vie sociale. De ces articulations dérivent les propriétés émergentes de la vie sociale dont les « je » dépourvus de moi sont les constituants élémentaires. » (2)
Aussi, si nous sommes les premiers des pilotes de nos corps, nous n’en sommes pas les seuls : nous ne connaissons que la partie émergée de notre iceberg. Nous sommes et serons à tout jamais des inconnus pour nous-mêmes. Nous devons apprendre à vivre avec les terres inaccessibles qui nous habitent.
(1) Voir les cours de Stanislas Dehaene au Collège de France, et singulièrement ceux de 2012 sur le cerveau statisticien. Tous ses cours sont accessibles en ligne sur le site du Collège de France. Voir aussi tous les articles que je lui ai consacré sur ce blog
(2) Quel savoir pour l’éthique

26 oct. 2015

LES BACTÉRIES QUI NOUS HABITENT ONT LEUR MOT À DIRE

Décider sans savoir pourquoi (5)
Ils conditionnent notre capacité à plus ou moins bien transformer notre nourriture en énergie : une bactérie vient d’être identifiée qui, selon sa présence chez la souris, fait que celle-ci grossit plus ou moins ; elle dialogue avec les cellules de la paroi intestinale de la souris, et active les gènes qui déclenchent le fait de brûler des graisses. Résultat : la souris stocke plus ou moins d’énergie. Autre propriété des microbiotes : selon ses caractéristiques, nous avons des prédispositions à certaines maladies. Peut-être prochainement, pour avoir une action préventive, il suffira d’étudier la flore intestinale.
Selon les bactéries qui nous habitent, selon notre flore intestinale, notre corps fonctionne donc plus ou moins bien. Mais nos pensées ? Est-ce que notre comportement dépend de ces hordes de micro-organismes qui vivent en nous ?
Pour commencer à répondre à cette question surprenante, des tests ont été réalisés sur deux groupes de souris, les unes agressives, les autres pas : quand on échange leurs microbiotes, les calmes deviennent agressives, et réciproquement. Une preuve que le microbiote influence le cerveau. Autre exemple d’action conditionnée chez la souris avec le cas de la toxoplasma : présente au sein d’une souris, elle peut générer une attitude suicidaire en poussant la souris à se laisser approcher par des chats, et ainsi à être mangée, ce pour le seul bénéfice de la toxoplasma. En effet, celle-ci se développe mieux dans l’organisme d’un chat et a tout intérêt à ce que la souris soit mangée.
Et l’homme ? Sommes-nous aussi influencés par notre microbiote ? Difficile de répondre à cette question, car comment isoler l’effet mental d’un probiotique, surtout car il est lui-même composé d’une multitude de molécules ? Une étude publiée en mai 2013 par Kirsten Tillisch, du centre de neurobiologie du stress de Los Angeles, apporte une première réponse positive. Le test a porté sur soixante femmes auxquelles on a donné des yaourts avec ou sans probiotique. L’étude a montré que celles qui ont pris des probiotiques sont moins réactives aux images négatives et potentiellement menaçantes : on modifie des yaourts, et en conséquence, on modifie ce qui se passe dans le cerveau ! Mais attention prudence car si les effets sont certains, mais ils sont largement encore imprécis. Il est seulement possible de dire qu’une composante de notre comportement doit venir des bactéries qui nous habitent.
Nous aurions donc en quelque sorte trois cerveaux : deux en propre – un venu du fond des âges et tapi dans les méandres de notre intestin, un doté d’un néocortex qui fait de nous un homme –, et le microbiote intestinal – cent mille milliards de bactéries, depuis notre naissance, qui nous accompagnent et nous influencent. C’est de l’interaction de ces trois composantes que naissent nos décisions, et non pas seulement de ce que nous appelons notre conscience.
Qu’en aurait pensé Sigmund Freud s’il avait su que notre intestin et les bactéries qui s’y trouvent, agissaient sur nos émotions et nos choix ? A côté de la psychanalyse classique, faut-il en appeler à une psychanalyse gastrique et bactérienne ? Je ne vois pas comment arriver à les faire parler de leurs rêves. Faut-il essayer de faire allonger les bactéries sur des divans ?
(à suivre)

23 oct. 2015

MAGIE CORSE

Au pays de nulle part
La magie d’un lieu tient à peu de choses. Question d’équilibre entre des courbes, des matières et des couleurs.
Au détour d’une petite route dans la montagne corse, entre Ponte Leccia et Morosaglia, deux bergeries abandonnées sont posées au creux de douces ondulations. 
Tout autour les pentes sont raides et abruptes, mais ici la nature s’est adoucie, dessinant un havre de paix et de charme.
Les maisons faites de matériaux arrachés au sol environnant, se fondent dans le paysage.
Un peu plus loin, légèrement cachée par le maquis, une ruine les accompagne.
Des arbres s’en sont emparés, et leur feuillage habille les pierres.
Pendant de longues minutes, je suis resté là à rêver, m’imaginant passant de longues soirées, lové dans le confort de lieu…

(Photos prises en août 2015 sur la route allant à Morosaglia)

21 oct. 2015

LES BACTÉRIES QUI NOUS HABITENT OU NOTRE TROISIÈME CERVEAU

Décider sans savoir pourquoi (4)
Bref, notre identité et nos pensées ne naissent pas seulement de notre cortex, mais le cerveau intestinal y participe. Mais est-il le seul ? Non, car les bactéries présentes dans notre corps ont elles aussi leur mot à dire : notre intestin en héberge cent mille milliards, soit près de cinq cents fois plus que d’étoiles dans notre galaxie ; c’est le microcosme le plus dense avec dix fois plus que de cellules que celles de notre corps. 
Ces bactéries ne sont pas toutes des squatters de notre intestin, car certaines y travaillent pour nous : nous leur offrons le gîte et le couvert, et elles digèrent notre nourriture pour nous. Sans les deux kilos qu’elles représentent, nous ne survivrions pas.
Quand commence cette colonisation ? Dès notre naissance, c’est-à-dire dès que l’embryon quitte le milieu stérile et protégé de l’utérus de sa mère. Lors des premières minutes, les bactéries nous envahissent, et les premières occupantes contribuent à sélectionner les suivantes : nous sommes quasi immédiatement dotés d’un microbiote intestinal, c’est-à-dire d’une population de micro-organismes vivant en accord avec nous.
Aussi, en sus de l’ADN hérité de nos parents, selon les hasards de la vie, du moment et de l’endroit où nous naissons, nous sommes habités par un autre complémentaire infiniment plus vaste. Comme on peut séquencer notre ADN, c’est-à-dire avoir une photographie analytique de notre identité génétique, il est possible de séquencer celui de notre microbiote et d’analyser ses propriétés. 
Les premiers résultats ouvrent des perspectives nouvelles : on a montré que tous les microbiotes intestinaux pouvaient être classés en trois groupes principaux, appelés entérotypes ; chacun d’entre nous est donc caractérisé non plus seulement par un groupe sanguin, mais aussi par un entérotype ; plus surprenant, l’appartenance à un groupe ne dépend ni de la race, ni de l’âge, ni du sexe.
Quelles sont les conséquences de cette appartenance ? 
(à suivre)

19 oct. 2015

L’INTERACTION ENTRE NOS DEUX CERVEAUX

Décider sans savoir pourquoi (3)
On aboutit à la synthèse suivante : un cerveau entérique qui pilote la digestion, un cerveau central qui, déchargé de cette tâche essentielle mais locale, gère le complexe. Je digère en bas, je pense en haut. Entre les deux, un nerf vague relie les deux pour transmettre ce qui doit l’être.
Belle vision mécanique du fonctionnement de notre corps… mais trop simpliste et incomplète.
D’abord parce que l’interaction entre les deux ne se fait pas que par le biais des voies dites normales. Par exemple, la sérotonine qui est produite par le cerveau entérique pour piloter le processus de la digestion, est aussi un des neurotransmetteurs utilisés par notre cortex : elle joue un rôle dans le sommeil, la dépression, l’agressivité, ou le contrôle de la douleur. Aussi quand nos neurones intestinaux en produisent en excès, et qu’une partie vient se perdre dans notre sang, un peu de cette sérotonine vient influencer nos émotions : sans en être conscients, nous vivons sous l’influence de notre ventre. Nous voilà donc avoir littéralement la peur au ventre ! Comme quoi, nos mots ont anticipé ce que nous ne venons que de comprendre. Si les messages transmis par notre cerveau entérique n’atteignent pas notre conscience, ils agissent sur notre capacité à voir le monde : notre ventre contribue à notre inconscient. 
Nous découvrons aussi que le ventre et la tête partagent bon nombre de maladies. Ainsi la maladie de Parkinson et la dépression pourraient apparaître d’abord dans le cerveau intestinal. En Chine, grâce à un traitement par acupuncture abdominale, on arrive à traiter la dépression : je pique le ventre, et mes soucis s’en vont. Pourra-t-on demain faire des diagnostics préventifs en prélevant un morceau d’intestin ? Ce serait un double bénéfice : savoir plus tôt et sans avoir à faire une biopsie dangereuse du cerveau. 
Finalement, une image pertinente du fonctionnement de notre corps est de le voir comme un monde de tubes, de fluides et de tuyaux, un réseau complexe au sein duquel des informations et des messages sont continûment échangés. De ce réseau, selon des modalités qui nous dépassent et dont nous ne percevons encore que des bribes, émergent des propriétés. Telle est d’ailleurs l’approche de la médecine chinoise qui pense globalement le corps : elle le conçoit comme un ensemble de flux d’énergies reliés au reste de l’univers. En Occident, on analyse chaque élément ; en Chine, on s’intéresse au tout, aux relations entre les différentes parties du corps. 
(à suivre)

16 oct. 2015

PARFOIS, QUAND ON PREND UN VERRE EN CORSE, ON VIT DANGEREUSEMENT !

Au bord de la chute
En haut d’un escalier, deux tables trônent. Rien que de très normal.
Sauf que, sur chacune d’elles, une chaise se trouve juste à la limite de la dernière marche.
Aussi si jamais vous décidiez de vous arrêter pour un verre au bar « Au Bon accueil » de Cargèse, ne vous laissez pas emporter lors d’une discussion à vous reculer, ne serait-ce que de quelques centimètres, car la chute serait certaine, à défaut d’être fatale.
Étrange conception du « bon accueil », et témoignage qu’en Corse, on aime vivre dangereusement !

14 oct. 2015

LA NAISSANCE DU DEUXIÈME CERVEAU

Décider sans savoir pourquoi (2)
Pourquoi, ultérieurement, notre cerveau principal s’est-il développé ? Pourquoi progressivement des neurones sont-ils nés loin des tubes digestifs ? 
Pour améliorer la capacité de l’organisme vivant à se nourrir : non plus seulement digérer ce qui se trouve à proximité de la paroi externe, mais être capable de se déplacer pour chercher de la nourriture, d’entendre et voir pour trouver, de toucher pour saisir, de sentir et goûter pour trier. Et comme celui qui se nourrit peut aussi être la proie d’un autre, ces cinq sens servent aussi à se défendre pour survivre. Ainsi, notre deuxième cerveau est né pour accroître les chances de durer et se développer : manger sans l’être.
Ce cerveau, petit à petit, a grossi et pris place dans une boîte crânienne : de cette position de vigie centrale, il a contrôlé les organes moteurs et assuré le pilotage d’un organisme sans cesse plus complexe, un intestin sur pattes, avec des yeux et des oreilles, doté d’un cerveau plus important que le cerveau originel.
La puissance mentale grâce à l’invention du « cuire »
Que s’est-il passé ensuite ? Comment nous retrouvons-nous capables de penser à autre chose que manger ou nous défendre ? Comment a pu naître un cortex nous permettant de penser, écrire des poèmes, inventer les mathématiques ou décider de faire la guerre gratuite à nos congénères ?
C’est l’invention du feu qui fut le déclencheur : il a décuplé la performance de nos processus digestifs, et libéré une quantité d’énergie la rendant disponible pour autre chose. En effet, cuire un aliment avant de l’ingérer, c’est le prédigérer. L’homme avec l’invention du feu s’est trouvé doté d’un surplus d’énergie et de cellules nerveuses capables de développer d’autres finalités : travailler moins en gagnant plus, en quelque sorte. 
Nouveau résumé : l’homme est devenu homme parce qu’il est un tube digestif qui a su cuire. Notre cerveau qui n’était qu’une excroissance de son ancêtre originel, a pris son indépendance, et s’est tellement développé que nous en sommes venus à oublier le cerveau intestinal. Classique meurtre du père !
(à suivre)

12 oct. 2015

LE CERVEAU INTESTINAL EST LE PREMIER

Décider sans savoir pourquoi (1)
Nous sommes persuadés d’être aux commandes de notre corps. Est-ce si sûr ? De quoi sommes-nous vraiment conscients ? De nous vraiment ? Oui et non. Nous ne sommes conscients que de ce que nous percevons de nous-mêmes, c’est-à-dire la pointe de l’iceberg. Haruki Murakami y a mis toute sa poésie pour l’expliquer : « L'homme est comme un immeuble : dans les étages, il y a sa vie, et au premier sous-sol, les débris de sa mémoire. Au second sous-sol, ce sont des amas épars, les arcanes de l'âme dont il faut déchiffrer les énigmes. La plupart des écrivains s'arrêtent au premier sous-sol, mais c'est en entrant dans le second que l'on peut essayer de retrouver la trame d'un récit. Tout se joue là. » (1)
Vous êtes surpris ? C’est un des apports essentiel des neurosciences, ce nouveau tissu de connaissances qui se construit depuis les années 80. 
Commençons par l’histoire de notre cerveau intestinal.
Notre intestin est tapissé d’une centaine de millions de neurones, soit près du double du cerveau d’un rat : c’est une intelligence décentralisée qui permet un traitement rapide du processus clé et complexe de la digestion, ce sans solliciter notre cerveau principal. Les deux cerveaux sont-ils totalement indépendants ? Non, car ils sont réunis par un nerf au joli nom, le nerf vague, dont le rôle reste encore imprécis : il assure une forme de synchronicité entre les deux, sans entraver l’autonomie de chacun.
Nous avons donc un cerveau dans notre intestin. Étrange sensation, non ? Mais il serait encore plus exact de dire que nous étions un intestin intelligent qui s’est progressivement doté d’un cortex pour mieux survivre. Encore plus étrange, non ? C’est pourtant bien dans cet ordre que la vie a déroulé le ruban de son évolution.
Tout a commencé au début par la digestion : savoir se nourrir du dehors, c’est-à-dire arriver à capter ce qui peut être transformé en énergie, tout en se protégeant de ce qui peut détruire. Je digère donc je vis. Si le propre de l’homme est le rire, celui de la vie est la digestion, c’est-à-dire la capacité à manger l’autre. Et ce n’est pas facile : comment trier dynamiquement dans le bain qui entoure ce qui est bon, et rejeter le reste ? Petit à petit, au fur et à mesure du développement, les cellules primaires ont donné naissance à un système digestif : des neurones sont venus tapisser les parois et l’intelligence est née. Voilà l’origine des neurones : savoir digérer. Aussi notre cerveau entérique – appellation scientifique du cerveau intestinal – est-il celui qui a précédé l’autre.
(1) Conférence à l'université de Kyoto, le 6 mai 2013
(à suivre)

9 oct. 2015

ENFIN !

Si près, si loin…
Encore un peu plus de deux mois à attendre… 
L’attente peut sembler courte au regard des années passées à rêver d’une suite qui ne venait pas, mais il n’en est rien : c’est dans les derniers moments, quand on sent venir la fin du manque, que le temps s’écoule le plus lentement. Les jours se font mois, les heures années, les minutes siècles et les secondes millénaires…
Heureusement dans ma maison en Provence, j’ai pour compagnon Yoda qui, avec sa sagesse légendaire, m’aide à endurer l’insupportable. Doucement il me murmure à l’oreille de lâcher-prise, de sentir la force couler en moi, de ne pas lutter contre le courant de la vie. Mais rien n’y fait. Il est vrai que je suis perdu dans les brumes parisiennes, bien loin donc de ses conseils.
Enfin, un jour prochain, le 18 décembre 2015, retentira la musique magique avec ses mots partant vers l’infini : « A long time ago, in a galaxy far, far away… » et toute la salle applaudira… comme il se doit.

7 oct. 2015

LE KITSCH, LA GRANDE MARCHE EN AVANT ET LA GAUCHE…

L’insoutenable nécessité de réfléchir
Il y a plus de trente ans, Milan Kundera, dans l’Insoutenable légèreté de l’être, donnait sa vision cynique de la politique et notamment de celle de gauche. Une vision noire nourrie dans le sang et la douleur du printemps de Prague et de l’invasion de son pays par l’URSS qui s’ensuivit.
Relire ses propos et passer un peu de temps à s’en imprégner me semblent une œuvre utile en ces temps troublés où tant de propos rapides sont assenés sur ce qui serait ou pas de gauche, et où l’on aime frapper d’anathème les intellectuels qui sortent du rang pour réfléchir un peu…
Le Kitsch comme refus de l’imperfection de la Création, et donc de l’homme
« Derrière toutes les croyances européennes, qu'elles soient religieuses ou politiques, il y a le premier chapitre de la Genèse, d'où il découle que le monde a été créé comme il fallait qu'il fut, que l'être est bon et que c'est donc une bonne chose de procréer. Appelons cette croyance fondamentale accord catégorique de l'être. (…)
L'instant de la défécation est la preuve quotidienne du caractère inacceptable de la Création. De deux choses l'une : ou bien la merde est acceptable, ou bien la manière dont on nous a créés est inadmissible. Il s'ensuit que l'accord catégorique de l'être a pour idéal esthétique un monde où la merde est niée et où chacun se comporte comme si elle n'existait pas. Cet idéal esthétique s'appelle le kitsch. (…) 
Le kitsch exclut de son champ de vision tout ce que l'existence humaine a d'essentiellement inacceptable. »
La politique repose sur des représentations, et la gauche sur celle de la Grande Marche en avant
« Mais quel est le fondement de l'être ? Dieu ? L'humanité ? La lutte ? L'amour ? La femme ?
Il y a là-dessus toutes sortes d'opinions, si bien qu'il y a toutes sortes de kitsch : le kitsch catholique, protestant, juif, communiste, fasciste, démocratique, féministe, européen, américain, national, international.
Depuis la Révolution française une moitié de l'Europe s'intitule la gauche et l'autre moitié a reçu l'appellation de droite. Il est pratiquement impossible de définir l'une ou l'autre de ces notions par des principes théoriques quelconques sur lesquels elles s'appuieraient. Ça n'a rien de surprenant : les mouvements politiques ne reposent pas sur des attitudes rationnelles mais sur des représentations, des images, des mots, des archétypes dont l'ensemble constituent tel ou tel kitsch politique.
L'idée de la Grande Marche, dont Franz aime à s'enivrer, est le kitsch politique qui unit les gens de gauche de tous les temps et de toutes les tendances. La Grande Marche, c'est ce superbe cheminement en avant, le cheminement vers la fraternité, l'égalité, la justice, le bonheur, et plus loin encore, malgré tous les obstacles, car il faut qu'il y ait des obstacles pour que la marche puisse être la Grande Marche.
La dictature du prolétariat ou la démocratie ? Le refus de la société de consommation ou l'augmentation de la production ? La guillotine ou l'abolition de la peine de mort ? Ça n'a pas d'importance. Ce qui fait d'un homme de gauche un homme de gauche ce n'est pas telle ou telle théorie, mais sa capacité à intégrer n'importe quelle théorie dans le kitsch de la Grande Marche. »
La fin de la Grande Marche ?
« Franz eut l'impression que la Grande Marche touchait à sa fin. Les frontières du silence se resserraient sur l'Europe, et l'espace où s'accomplissait la Grande Marche n'était plus qu'une petite estrade au centre de la planète. Les foules qui se pressaient jadis au pied de l'estrade avaient depuis longtemps détourné la tête, et la Grande Marche continuait dans la solitude et sans spectateurs. (…) 
Oui, songeait Franz, la Grande Marche continue, malgré l'indifférence du monde, mais elle devient nerveuse, fébrile, hier contre l'occupation américaine au Vietnam, aujourd'hui contre l'occupation vietnamienne au Cambodge, hier pour Israël, aujourd'hui pour les Palestiniens, hier pour Cuba, demain contre Cuba, et toujours contre l'Amérique, chaque fois contre les massacres et chaque fois pour soutenir d'autres massacres, l'Europe défile et pour pouvoir suivre le rythme des évènements sans en manquer un seul, son pas s'accélère de plus en plus, si bien que la Grande Marche est un cortège de gens pressés défilant au galop, et la scène rétrécit de plus en plus, jusqu'au jour où elle ne sera qu'un point sans dimensions. »

5 oct. 2015

AVEC LA MÉMOIRE ET L’HISTOIRE INDIVIDUELLE, TOUT SE COMPLIQUE

Pourquoi l’incertitude s’accroît continûment et de façon accélérée (4)
Un double mécanisme sous-tend sa capacité à décider et à choisir : l’apprentissage et la mémoire. Grâce à son cerveau, il est capable d’accumuler de l’expérience, de se souvenir, et de modifier l’utilisation de ses fonctions motrices en fonction des résultats obtenus dans le passé. Monsieur Pavlov avec sa célèbre souris a montré comment l’expérience vécue pouvait influer sur le comportement futur.
Le monde subit ainsi une nouvelle accélération dans l’accroissement de l’incertitude : il est peuplé de créatures qui, dynamiquement, font des choix, partent à gauche ou à droite, butent ou non sur une pierre, et ce non seulement en fonction de leur environnement immédiat et présent, mais en fonction des accidents qu’ils ont vécus. Plus un tigre saura chasser efficacement, plus son comportement deviendra audacieux : les comportements sont les fruits de leur histoire.
Cette différentiation s’accroît progressivement au fur et à mesure du développement des capacités cérébrales : plus le monde avance, plus les animaux sont intelligents et imprévisibles dans leurs comportements. 
Donc une triple montée en puissance de l’incertitude : 
- Par la motricité, les mouvements sont plus rapides : le rythme de la propagation des interactions est plus élevé,
- Par la décision, les directions prises sont plus complexes : l’adaptation et l’évolution se font en continu, et non plus seulement au moment de la reproduction, 
- Par la mémoire, les décisions sont différenciées : progressivement, au fur et à mesure de l’évolution et de la croissance des fonctions cognitives, l’histoire devient individuelle et l’action aussi.