27 janv. 2009

SAVOIR ÉVITER UN CHIEN

« Comme le dit Antonio R. Damasio dans l’Erreur de Descartes : « Arriver à une décision demande de posséder des informations relevant de toutes sortes de domaines, et d’être en mesure de leur appliquer certaines stratégies de raisonnement. » (Opus P. 115)

De la même façon, la Direction Générale doit être capable de construire des scénarios intégrant l’ensemble des informations pertinentes situées dans l’entreprise. Ces informations portent sur :
- Le fonctionnement interne : l’état de performance instantanée ou « l’état du corps » pour l’individu,
- La mémoire : l’expertise cumulée ou « les souvenirs de ce que l’on a vécu ou pensé »,
- Le dehors : ce qui se passe en ce moment ou « ce que je vois, sens, entends, touche ou goûte ».
Cette connexion peut se faire sur activation de la Direction Générale, lorsqu’elle veut mobiliser les réseaux de l’entreprise pour construire une vision de la situation. Elle peut aussi se faire « spontanément » quand apparaît en un point quelconque de l’entreprise un élément que « cherche » la Direction Générale.
Arrêtons-nous sur ce point : qu’est-ce que je veux dire par « cherche » ?

Retour sur l’individu et la neurobiologie : une des clés du bon fonctionnement du cerveau est dans la capacité de la remontée de l’inconscient vers le conscient, soit pour propager une alerte lorsque la survie est en jeu, soit pour signaler l’obtention d’une solution possible lors d’un processus d’innovation. Dans le premier cas, la remontée fonctionne parce qu’il existe le moteur émotionnel ; dans le deuxième, parce que la phase initiale a positionné consciemment le problème et précisé ce que l’on recherche.

Revenons à l’entreprise : ce que cherche donc la Direction Générale, c’est être prévenue soit d’une évolution des risques de survie – menace ou opportunité -, soit de l’obtention d’une information correspondant à une de ses préoccupations du moment. Pour que ceci se produise, il faut au préalable avoir :
- construit le moteur émotionnel de l’entreprise – c’est-à-dire ses conditions de survie –, et l’avoir diffusé en profondeur,
- explicité les priorités de la Direction Générale et ce qui est de nature à nourrir les réflexions, et avoir aussi diffusé l’ensemble.
Tout le monde dans l’entreprise doit avoir une vue commune de ce qui peut mettre en cause la survie et de ce que sont les objectifs de la Direction Générale. Les enjeux de survie sont à plusieurs horizons : à court terme comme la fabrication, les ventes ou la trésorerie ; à moyen terme comme les investissements, les produits nouveaux ou le marketing ; à long terme comme le portefeuille stratégique, les acquisitions ou les diversifications.

Mais quand le chien s’est précipité vers moi lors de ma course, l’information n’est pas arrivée brute à ma conscience : elle a d’abord été traitée par la zone du cerveau chargée de la vue et a été élaborée une image qui était une représentation visuelle complète du chien. En parallèle, des premiers traitements cognitifs inconscients ont eu lieu pour calculer sa trajectoire, qualifier l’objet, rechercher dans ma mémoire des éléments pour l’identifier, évaluer le degré de risques et associer le tout à l’émotion issue de mon enfance. Enfin, toujours inconsciemment, une action immédiate d’évitement a été décidée et mise en œuvre. Ainsi j’ai pu décider quoi faire en connaissance de cause et en ayant déjà pris de premières mesures de sauvegarde.

Pour l’entreprise, l’analogie se poursuit : ce dont a besoin la Direction Générale, ce n’est pas d’une information brute, mais bien d’une information prétraitée et qualifiée, avec les différentes « interprétations » possibles, c’est-à-dire des analyses. De même si cela est nécessaire, sans attendre l’intervention de la Direction Générale, des mesures d’évitement doivent être prises là où l’action doit être faite. Ainsi la remontée d’une alerte doit en parallèle avoir initié une réponse appropriée et « automatique » en attente des décisions venant de la Direction Générale. »
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(EXTRAIT DU LIVRE NEUROMANAGEMENT)

Vidéo : "Les entreprises peuvent-elles commettre des erreurs d'interprétation ?"



26 janv. 2009

NE NOUS LAISSONS PAS BERNER PAR LA « MAGIE DES BATTEMENTS DE L’AILE D’UN PAPILLON »

Je prolonge ma réflexion sur la difficulté à prévoir une évolution future et sur notre propension à reconstruire a posteriori la logique passée (voir « Plus facile d’expliquer a posteriori que de prévoir a priori », « Il est bien trop tôt pour se prononcer sur la Révolution Française » et « Résonances entre dérive naturelle et cygne noir »).

J’aime beaucoup l’histoire du « battement de l’aile d’un papillon ». Je pense que la plupart d’entre vous la connaissent : dans certaines circonstances, un simple battement d’aile d’un papillon à un bout du monde peut provoquer plus tard un bouleversement climatique à l’autre bout du monde.

Magie des signaux faibles, de ces phénomènes apparemment sans importance qui, par la propagation d’une « fissure », vont avoir des effets disproportionnés par rapport au changement initial. Ou encore comme l’écureuil irrésistible de l’Age de glace qui, à cause de sa noisette, va fissurer la banquise et déclencher une catastrophe.

Oui, sympathique tout cela. Mais j’aimerais poser 2 questions simples :

- Comment peut-on vraiment prétendre isoler les effets d’un seul événement – surtout quand il s’agit d’un phénomène de faible amplitude –, et être sûr que c’est bien à cause de lui que se produit plus tard un changement majeur ? Ou autrement dit, peut-on isoler un processus de propagation et garantir qu’il n’y a pas des interférences d’un autre ensemble de « battements d’aile de papillon » ? Souvenir de mes études scientifiques et de quelques lectures depuis, j’ai comme un doute sur la possibilité d’une démarche fiable : tout est tellement entremêlé que je ne vois pas bien comment on peut démêler les fils…

- En admettant que mes doutes ne soient pas justifiés et que le phénomène soit bien provoqué par ce seul battement d’aile de papillon ou par cet écureuil un peu fou et amoureux de sa noisette, comment repérer au début le bon papillon ou le bon écureuil – il est vrai qu’il n’y a pas beaucoup d’écureuils sur la banquise ! – ? Vous faites face à une nuée de papillons et vous allez être capable d’un coup d’œil de trouver non seulement quel est le bon papillon, mais quel battement est celui qui va tout déclencher. Vraiment ? Et sinon, à quoi cela sert-il de reconstruire a posteriori une chaîne de causalités, chaîne dont la « solidité » reste à prouver ?

Nous avons un tel besoin d’explication, de « logique » et de cartésianisme que nous avons du mal à accepter une situation telle qu’elle, sans savoir d’où elle vient et ce qui a pu la provoquer.

Attention alors à ne pas construire des raisonnements trop simplistes et à nous laisser berner par la « magie des battements d’aile de papillon ».

25 janv. 2009

LES TRAINS US ROULENT « DERRIÈRE » LES CHEVAUX DE GUERRE ROMAINS !

Pas facile quand on observe une situation – que ce soit dans la vie courante ou professionnelle – de comprendre les origines, le pourquoi de ce que l’on voit ou de ce que l’on fait. Les origines sont le plus souvent obscures et cachées.

Avec notre culture occidentale, nourrie au sein du cartésianisme et à la pensée théorique – merci à la philosophie grecque –, nous avons tendance à croire à des schémas logiques, pensés, prévus… Or la plupart de temps, il n’en est rien. Ce qui s’est passé n’est que le fruit de hasards successifs, de chocs de la vie, d’une dérive évolutive (voir sur ce thème mon article « Résonances entre dérive naturelle et cygne noir »).

C’est aussi ce que je voulais évoquer dans mon article d’avant-hier sur « Clavier Azerty, inconscient et inefficacité collective ». Comment un adolescent qui tape sur son clavier pourrait-il imaginer que la localisation des touches a pour but d’éviter que des tiges métalliques se bloquent entre elles ? Pas évident…

Cet article a été publié sur AgoraVox et a provoqué de nombreux commentaires. L’un d’eux m’a signalé une anecdote du même genre : pourquoi aux USA la distance standard entre deux rails est-elle de 4 pieds et 8,5 pouces.

Je laisse pour un temps à ce commentaire issu d’un papier paru en juillet 2003 :

« Parce que les chemins de fer US ont été construits de la même façon qu'en Angleterre, par des ingénieurs anglais expatriés, qui ont pensé que c'était une bonne idée car ça permettait également d'utiliser des locomotives anglaises.

Pourquoi les anglais ont-ils construits les leurs comme cela ? Parce que les premières lignes de chemin de fer furent construites par les mêmes ingénieurs qui construisirent les tramways, et que cet écartement était alors utilisé.

Pourquoi ont-ils utilisé cet écartement ? Parce que les personnes qui construisaient les tramways étaient les mêmes qui construisaient les chariots et qu'ils ont utilisé les mêmes méthodes et les mêmes outils.

Okay, pourquoi les chariots utilisent un tel écartement ? Et bien, parce que partout en Europe et en Angleterre les routes avaient déjà des ornières et un espacement diffèrent aurait causé la rupture de l'essieu du chariot.

Donc, pourquoi ces routes présentaient-elles des ornières ainsi espacées ? Les premières grandes routes en Europe ont été construites par l'empire romain pour accélérer le déploiement des légions romaines.

Pourquoi les romains ont-ils retenu cette dimension ? Parce que les premiers chariots étaient des chariots de guerre romains. Ces chariots étaient tirés par deux chevaux.

Ces chevaux galopaient côte-à-côte et devaient être espacés suffisamment pour ne pas se gêner. Afin d'assurer une meilleure stabilité du chariot, les roues ne devaient pas se trouver dans la continuité des empreintes de sabots laissées par les chevaux, et ne pas se trouver trop espacées pour ne pas causer d'accident lors du croisement de deux chariots.

Nous avons donc maintenant la réponse à notre question d'origine. L'espacement des rails US (4 pieds et 8 pouces et demi) s'explique parce que 2000 ans auparavant, sur un autre continent, les chariots romains étaient construits en fonction de la dimension de l'arrière train des chevaux de guerre. »

Je ne sais pas si cette explication est exacte – si vous avez des informations la confirmant ou l’infirmant, n’hésitez pas à réagir –, mais elle me paraît plausible. Et elle est surtout une illustration parfaite de mon propos : comment imaginer a priori un tel enchaînement ?

Finalement ce n’est qu’a posteriori que l’on peut savoir pourquoi et comment les choses se sont passées.

Décidément, comme je le concluais dans mon billet intitulé « Il est bien trop tôt pour se prononcer sur la Révolution Française » : « Oui la prévision est un art impossible. Et pourtant il faut bien en faire. Paradoxe de toute réflexion stratégique… »



24 janv. 2009

VEUT-ON DÉVISSER OU ENFONCER DES CLOUS ?

J’ai rarement quelqu’un s’obstiner à desserrer des vis avec un marteau ou enfoncer des clous avec un tournevis…
Alors si vous voulez que quelqu’un enfonce des clous, ne lui donnez pas de tournevis, mais plutôt un marteau … et faites lui confiance : pas besoin de lui expliquer ce que vous attendez de lui. Il n’est pas stupide, une fois qu’il est muni d’un marteau, il va vite comprendre ce qu’il doit faire. Ne craignez pas de le voir plus tard en train de dévisser.
J’enfonce des portes ouvertes. Oui, peut-être… mais pas tant que cela.
Mon expérience de consultant m’a montré que certains dirigeants ne comprenaient pas pourquoi, dans leur entreprise, le personnel ne faisait pas ce que l’on attendait de lui. Très souvent, c’est parce que, alors que l’on voulait qu’il « enfonce des clous », on lui avait « donné des tournevis »… et, alors tout le monde cherchait des vis.
La rationalité n’était pas dans ce cas du côté du dirigeant : l’outil structure les comportements plus que les discours !

23 janv. 2009

CLAVIER AZERTY, INCONSCIENT ET INEFFICACITÉ COLLECTIVE

Tout un chacun nous sommes devenus « conditionnés » par le clavier AZERTY, et, même si nous ne sommes pas des experts de la frappe, nous avons progressivement mémorisé la place des touches et une bonne partie de notre frappe se fait de façon inconsciente : nos doigts « savent » où sont les touches. Si vous en doutez, prenez un clavier QWERTY (la version anglaise du clavier) et vous allez être surpris du nombre de nouvelles fautes que vous allez commettre.

Or d’où viennent ces claviers AZERTY et QWERTY.

Voici la réponse donnée sur le site « Dis pourquoi Papa » : « Il s’avérait que les utilisatrices des machines à écrire tapaient trop vite. Certaines tiges se levaient en même temps et bloquaient. Sholes, en 1868, eut alors l’idée de séparer, de part et d’autre du clavier, les lettres fréquemment utilisées en langue anglaise comme le Q, le R, E, le W, etc.

Ainsi, les tiges correspondantes s’emmêlaient moins lorsque la frappe était rapide. Cela donna le clavier QWERTY. Une simple adaptation à la langue française, et le clavier AZERTY que l’on connaît était né. En fait, la disposition que nous connaissons n’est purement due qu’à un problème mécanique au détriment de l’ergonomie. »

Je ne sais pas pour vous, mais, quand je tape sur le clavier de mon ordinateur, je n’ai pas vraiment l’impression que cela risque encore de provoquer le blocage de tiges métalliques… Et pourtant les claviers sont toujours AZERTY en français, QWERTY en anglais.


Des tentatives de les remplacer par des claviers pensés selon une logique ergonomique ont bien eu lieu. Redonnons la parole à « Dis pourquoi Papa » : « C’est pour cela que dans les années 30, aux États-Unis, August Dvorak (professeur à l'université de Washington) inventa une disposition des touches du clavier de façon optimisée non pas pour les problèmes mécaniques, mais pour le confort de l’utilisateur. Les consonnes et les voyelles les plus utilisées étaient disposées sur la ligne centrale. Un peu plus tard, une autre disposition fut mise au point sous le nom DIATHENSOR, correspondant aux 10 lettres les plus utilisées en langue anglaise. »

Sans succès. Inertie des habitudes.

Résultat : notre inconscient est structuré par une architecture désuète et ne présentant plus aucune justification.

Bel exemple d’inconscient contreproductif qui montre, comme la reprogrammation des habitudes collectives, est difficile…


22 janv. 2009

« IL EST BIEN TROP TÔT POUR SE PRONONCER SUR LES CONSÉQUENCES DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE »

Interrogé un jour sur les conséquences de la Révolution Française, Winston Churchill répondit qu’il était bien trop tôt pour se prononcer. Ce propos repris hier dans Rédaction (lettre quotidienne roborative et iconoclaste qui constitue un excellent réveil matinal des méninges !) est frappé d’une lucidité trop rare : la plupart du temps nous adorons prévoir, ce malgré la démonstration régulière et obstinée de nos erreurs.

En août 1983, j’étais alors chargé de mission à la DATAR (Délégation à l’Aménagement du Territoire et à l’Action Régionale) et assurait notamment le suivi de la sidérurgie. La France ayant pris ses quartiers d’été, j’avais du temps disponible et me suis alors plongé dans mes dossiers.

En 1978, un plan important avait été décidé et j’ai décidé de relire les informations qui avaient alors servi de support à ces décisions. Un élément clé pour la restructuration avait bien sûr été les prévisions de la demande d’acier en France, l’horizon choisi étant de 5 ans. Les prévisions officielles – celle du gouvernement – avaient été de 21 Millions de Tonnes. La CGT qui était l’organisation syndicale majoritaire avait contesté ce nombre et arrivait à 30 Millions. Le journal Le Monde, dans un de ses articles définitifs comme il les aime, avait tranché environ au milieu.

Or j’avais le « résultat des courses », car nous étions alors, au moment où je relisais ces prévisions, précisément 5 ans après : la demande annuelle allait finalement être d’environ 17 Millions de tonnes. Ainsi le plus proche – c’étaient les prévisions officielles qui étaient les « meilleures » – s’était trompé de 20%. Pourtant l’horizon n’était que de 5 ans, la valeur une donnée supposée « prévisible » et non sujette à des spéculations. Depuis cet été 1983, je suis plus que réservé sur tout exercice de prévision qui ne présente pas de scénarios évaluant les sensibilités aux hypothèses.

Nassim Nicholas Taleb, dans Le Cygne Noir, donne l’information suivante : « Au cours des cinquante ans qui viennent de s’écouler, les dix jours les plus extrêmes sur les marchés financiers représentent la moitié des bénéfices. Dix jours sur cinquante ans. Et pendant ce temps, nous nous noyons dans les bavardages. » A nouveau, c’est l’imprévisible qui est le facteur le plus explicatif de la tendance historique.

Parfois quand j’écoute des discours d’hommes politiques ou d’économistes, je repense à cette histoire du type qui a sauté du toit d’un gratte-ciel et qui, passant devant les fenêtres du 5ème étage, se dit : « Pour l’instant, tout va bien ». Ou encore à la dinde mentionnée par Nassim Nicholas Taleb et qui est contente de la ferme où elle se trouve, parce que, vraiment, on la nourrit très bien…

Oui la prévision est un art impossible. Et pourtant il faut bien en faire. Paradoxe de toute réflexion stratégique…



20 janv. 2009

NOUS NE SOMMES PAS SORTIS DE LA JUNGLE POUR NOUS RETROUVER DEMAIN DANS UNE NEUROJUNGLE !

Comme je l’ai déjà développé dans mon livre "Neuromanagement" et dans plusieurs articles (*), l’efficacité d’un individu ou d’une entreprise repose très largement sur ses processus inconscients : être rationnel, ce n’est pas nier l’importance des processus inconscients, mais, bien au contraire, les accepter et apprendre à en tirer parti.

Un bon nombre de ces processus viennent de ce que l’on appelle souvent notre « cerveau reptilien ». Issus des tréfonds de notre origine animale et même probablement des plus vieux codes du vivant, ces processus sont centrés sur la survie primaire et nous poussent au combat : tout autre, toute différence, toute remise en cause sont perçues d’abord comme des menaces. La force vient de la tribu, de l’identique. Souvenir de la jungle et de la bataille de chaque espèce pour se tailler la « part du lion ».

Ainsi que je l’indiquais dans mon article « Nous sommes tous des cannibales », le vivant, à l’exception des végétaux, ne se nourrit quasiment que de vivant. Normal alors que chaque espèce cherche à se protéger des autres : sans combat, pas de survie. Manger ou être mangé…

Oui, mais nous ne sommes plus dans la jungle. La survie de l’homme n’est plus dans sa capacité à « manger les autres », mais à vivre ensemble. La survie pour les années à venir va beaucoup plus dépendre dans notre capacité à coopérer, à ne plus nous « manger les uns les autres », à ne plus « dévorer notre planète ».

Aussi il faut nous méfier de nos « pulsions reptiliennes ». Les informations sont peuplées de témoignages des dégâts qu’elles font : c’est notre cerveau reptilien qui nous pousse à nous réfugier dans des réflexes identitaires et à nous battre contre notre voisin, contre l’autre tribu. Conflit de Gaza, multiples guerres intra-africaines, éclatement de la Yougoslavie, volontés impérialistes, égoïsmes nationaux… La liste est longue.

Il est vital que nous dépassions ces réflexes contreproductifs. Nous sommes maintenant trop nombreux sur cette planète – 6 milliards en 2000, de 8 à 12 en 2050 -, trop proches les uns des autres – à la fois physiquement et virtuellement via Internet -, trop interdépendants pour pouvoir continuer à concevoir la survie via notre cerveau reptilien. Nos cerveaux reptiliens, loin de garantir notre survie individuelle et collective, vont amener la mort de notre espèce, et probablement de la planète – en tant que système vivant – en même temps.


Il est urgent qu’un nombre croissant d’entre nous en appelle à dépasser concrètement et dans des actes immédiats nos réflexes reptiliens. Bannissons les intellectuels, leaders et favorisés qui utilisent leur situation pour en appeler au combat (voir mon article « Ne laissons pas notre cerveau reptilien collectif nous emmener dans la neurojungle » ).

Apprenons individuellement et collectivement à tirer parti de nos processus inconscients, c’est-à-dire à lutter contre ceux qui sont néfastes : comprenons que nous ne sommes pas sortis de la jungle pour nous retrouver demain dans une neurojungle !


(*) Voir notamment :
- Sans inconscient, pas d’efficacité
- Sans inconscient, pas d’entreprise efficace

19 janv. 2009

MANAGER N’EST PAS UN MÉTIER QUE L’ON PEUT TRANSPOSER FACILEMENT D’UN LIEU À UN AUTRE

Avoir réussi comme dirigeant à la tête d’une entreprise fait-elle de lui un professionnel du management ? Ou dis autrement est-ce qu’il peut réussir à la tête de toute autre entreprise ?
La plupart des personnes vont répondre oui à cette question. Les livres de management sont d’ailleurs peuplés de « recettes » qui sont sensées garantir le succès dans tous les cas.
Je suis pour ma part beaucoup plus réservé face à cette interrogation, et ma réponse sera non dans la plupart des cas.
Pourquoi ? Parce que je suis persuadé du poids et de la prégnance des processus inconscients tant chez l’individu que dans le fonctionnement même de l’entreprise.
Ainsi que je j’ai exposé en détail dans mon livre « Neuromanagement », l’entreprise, comme l’individu, est très largement soumise à des processus inconscients qui, loin d’être un problème, sont le garant de l’efficacité, de la rapidité et de la performance (voir « L’entreprise a des inconscients »).
Mais ces processus sont cachés, non directement lisibles. Pour les percevoir, les comprendre, il faut avoir le temps « d’apprendre » l’entreprise, son histoire, ses succès et ses échecs…
Il en est de même pour un dirigeant. Son histoire personnelle – à la fois professionnelle et privée – a structuré ses processus inconscients. Sans s’en rendre compte, une bonne partie de son succès en tant que dirigeant provient de la bonne « synchronicité » entre ces deux inconscients : le sien et celui de l’entreprise.
Du coup, ses intuitions sont exactes, il délègue en confiance, il « sent » son entreprise. Et si un changement se profile, si une rupture est nécessaire, il va les voir venir et pourra agir en profondeur dans l’entreprise pour reprogrammer ce qui doit l’être…

Si maintenant, auréolé de ses succès passés, il change d’entreprise et se retrouve à la tête d’un ensemble qu’il ne connaît plus et dont les logiques ne sont plus les siennes. Comment ne pas être trompé par ses réflexes inconscients, quand, par exemple, on passe d’une industrie de process lourd à un domaine où la technologie et le marketing sont essentiels et où la durée de vie de tout produit est de moins de 5 ans…
Alors comme il doit prendre décision sur décision – il est venu pour cela et il a toujours su le faire -, il ne se rend pas compte que c’est son inconscient qui le conditionne et le trompe. Et comme en plus il ne comprend pas comment l’entreprise réagit, comme ce qui se passe n’est pas ce qu’il attendait, il se crispe, délègue de moins en moins, contrôle de plus en plus.
Rien ne va plus. Et ce manager qui a toujours réussi ne comprend pas pourquoi cela ne marche plus. Il est perdu, noyé dans un double inconscient qu’il ne perçoit pas.

Souvenir de cette discussion au début des années 80. Je rencontrais alors le dirigeant d’un des grands groupes français les plus performants. Il m’a fait cette confession que je n’ai pas comprise alors : « Vous savez, Robert, après 20 ans passés dans ce groupe, je suis convaincu que je peux le diriger. Je suis aussi convaincu que c’est le seul groupe que je peux diriger. »
Quelle lucidité ! Quelle humilité ! Bien trop rare, malheureusement.
Et oui, manager n’est pas un métier que l’on peut transposer d’un lieu à un autre, c’est le fruit d’une expérience et d’une interaction dans un lieu et un moment précis…

18 janv. 2009

QUELLE DIFFÉRENCE ENTRE UNE BROSSE À DENTS ET UN ÉCUREUIL ?

Notre culture occidentale nous pousse à privilégier la pensée par rapport aux actes.
Depuis la culture grecque, le « logos » est premier et nous avons tendance à voir les actes simplement comme seconds, comme le moment de la mise en œuvre.
Nous sommes devenus des « experts des mots » : pour preuve, le poids du « Grand oral » du concours d’admission à l’ENA, épreuve où l’on va juger de la capacité du candidat à « improviser » brillamment sur un sujet qu’il ne connaît pas. Le discours en lui-même et pour lui-même.
Écoutez au hasard un journal, un débat ou un congrès quelconque, et vous y entendrez essentiellement un art de la dialectique, plus qu’une connaissance et une analyse des faits.
Or, comme le sait la culture populaire, avec les mots, on peut faire ce que l’on veut. Mais dans l’action, c’est plus difficile.

Pour faire passer cette idée, j’ai l’habitude de raconter l’histoire de la brosse à dent et de l’écureuil. L’histoire est la suivante.
« Quelle est la différence entre une brosse à dent et un écureuil ?
Si je me contente de rester au niveau des mots, je vais pouvoir progressivement gommer les différences : finalement les deux ont une queue ; je trouve aussi des poils ; et puis la longueur n’est pas si éloignée…
Mais, au pied d’un arbre, je n’ai jamais vu une brosse à dents être capable de monter en haut !
Donc pour faire la différence, inutile de parler. Mettez-les au pied d’un arbre et regardez celui qui monte. »

Dans la vie, c’est pareil. Nous devrions accorder plus d’importance aux actes et ne pas s’appuyer d’abord sur le discours.
C’est d’ailleurs ce que font la plupart des employés d’une entreprise : ils regardent ce que font concrètement les dirigeants et se méfient de plus en plus des discours…

Aussi, ayons tous le réflexe de planter des arbres quand nous voulons savoir si nous avons affaire à des écureuils ou des brosses à dents.

16 janv. 2009

ARTICLE DANS LES ECHOS DU 13/01/09 : TIRER PARTI DE L'INCONSCIENT DE... L'ENTREPRISE

"« Contrairement à l'être humain, l'entreprise n'est pas prisonnière d'un code génétique : elle est au fond beaucoup plus libre car rien n'est irréversible », assure l'auteur. En revanche, comme l'être humain, l'entreprise est dotée d'un inconscient. L'amour de Robert Branche pour l'entreprise est palpable d'un bout à l'autre de « Neuromanagement », un ouvrage où il mêle son expérience de consultant avec une passion, celle des neurosciences.

Deux risques

Ses conclusions ? Submergée par le flux d'informations du quotidien, la conscience de l'individu, comme celle de l'entreprise, prend deux risques : celui de ne pas voir l'accident qui arrive mais surtout celui de négliger les processus inconscients, qui permettraient à une société de se remettre en question et de saisir des opportunités en se « neurodiagnostiquant ».

De la banque à la chimie en passant par les biens de consommation, les exemples abondent de trop grande centralisation par une direction qui veut tout surveiller sans laisser assez de liberté à ce « laboratoire de recherche » qu'est l'inconscient.

Dans l'ouvrage, le va-et-vient permanent entre la psychologie humaine et les embûches du monde économique est fascinant. A condition que le lecteur ne s'arrête pas aux recettes sous forme de tableaux et de schémas un peu compassés et moins convaincants que les nombreux ouvrages scientifiques sous-tendant la démonstration."

JEAN-MARIE COLOMB

15 janv. 2009

NE LAISSONS PAS NOTRE « CERVEAU REPTILIEN COLLECTIF » NOUS EMMENER DANS LA « NEUROJUNGLE »

C’est devenu aujourd’hui une évidence pour tout le monde que nous sommes à un moment dangereux de l’évolution du monde. Ceci est un fait nouveau et récent (lire aussi « Neurocrise pour un Neuromonde » et « Neurocrise pour un Neuromonde (suite) »).
Ceci est le résultat cumulatif de nombreux signaux parallèles :
- Finances : Spéculation financière, crise des subprimes, mise en cause des systèmes de contrôle, …
- Emploi : Délocalisation des activités vers les pays à bas salaire, pression à la baisse des rémunérations pour les tâches à faible qualification, disparition de « l’emploi à vie », …
- Écologie : Réchauffement de la planète, diminution du nombre des espèces vivantes, inquiétude alimentaire, …
- Politique : Absence de structure politique mondiale, compétition croissante entre pays pour l’accès aux ressources critiques (énergie, minerais, …), tensions constantes et conflit au sein du Moyen- Orient, …
- Culturel : Perte de repères locaux historiques, montée des fondamentalismes dans toutes les religions, généralisation d’un « tout économique », …
Nous sommes clairement à l’aube d’une mutation profonde dont, si les prémisses sont nettes, les conséquences sont incertaines.
Dans ce type de situation, les risques de conflit sont majeurs. Ces conflits peuvent être entre les nations, comme à l’intérieur d’une nation. Ils peuvent aussi venir déstabiliser des systèmes démocratiques apparemment très solides.
Il est donc essentiel que ceux qui restent favorisés, ceux qui ont la chance de pouvoir être en recul relatif grâce à la fois à leur parcours personnel – éducatif et professionnel – et leur situation économique, soient des facteurs incitant au calme et à la compréhension collective.
Pour faire une comparaison avec le fonctionnement du cerveau d’un individu, il est de leur responsabilité d’éviter que collectivement nous soyons tous sous la domination de notre cerveau reptilien, ce cerveau qui, venu des tréfonds de notre origine animale, nous pousse à nous battre pour être le plus fort… Sinon nous allons tous ensemble retourner dans la jungle, une « Neurojungle ».

Dans ce contexte, c’est un euphémisme d’écrire que je ne comprends pas ce qui a pu pousser Jacques Attali à écrire son dernier billet sur le blog qu’il tient dans l’Express (cliquez pour lire son billet).
Je cite le début :
« Que se passerait-il si Nancy était bombardé par des fusées tirées depuis Luxembourg ? Si des attentats suicides avaient lieu dans les rues de Paris ? Et si des pays limitrophes de la France ne reconnaissaient son droit à exister ? … »
Je peux comprendre que, à titre personnel, Jacques Attali se sente blessé dans sa chair intime par ce qui se passe entre israéliens et palestiniens. Mais il est de la responsabilité d’un « vrai intellectuel » de ne pas tomber sous le coup de ses propres « émotions » et de savoir les dépasser.
Or, dans son billet, par ses premières phrases, il en appelle à la peur comme facteur de compréhension, aux émotions « primaires » et non pas à l’intelligence. Il en appelle ainsi – j’espère involontairement – à exacerber les passions, et donc, par là, les tendances belliqueuses.
Dans les jours, mois et années qui arrivent, j’espère que nous n’allons pas avoir trop de tels « Jacques Attali ».


14 janv. 2009

L’ENTREPRISE A DES INCONSCIENTS

En reprenant la définition de la neurobiologie et en centrant sur la vision de la Direction Générale, j’appelle dans l’entreprise « processus conscient » tout ce qui est traité dans l’espace de travail central, c’est-à-dire celui de la Direction Générale. Tout le reste est un processus inconscient.
On peut structurer trois niveaux d’inconscient pour une organisation :
- "L’inconscient de structure" : il s’agit de tout ce qui va générer des actions et des résultats, sans que ceci puisse être d’une façon ou d’une autre rapporté auprès du système de management. Les actions sont effectives et bien réelles, mais ne font pas l’objet d’une analyse et d’un processus conscient, et donc pas non plus à proprement parler d’une décision. Elles sont par exemple directement produites par la façon dont est organisée l’entreprise ou par les systèmes d’information.
- "L’inconscient non connecté" : ce sont tous les systèmes de management locaux qui construisent des représentations, produisent des décisions, mais ne sont pas reliés au management central. En l’absence de cette connexion, ces décisions locales ne participent pas à la représentation globale, ni donc à la construction de scénarios.
- "L’inconscient connecté" : ce sont tous les systèmes de management locaux qui construisent des représentations, produisent des décisions et sont reliés au management central. Même s’ils ne sont pas pour l’instant intégrés dans l’analyse faite par le management central, ils peuvent à tout moment l’être.

Revenons plus en détail sur chaque niveau d’inconscient :

À cause de son "inconscient de structure", l’entreprise prend des décisions « sans le savoir »
L’organisation de l’entreprise, les systèmes en place, et tous les processus génèrent des actions quotidiennes, cela de façon automatique. Il est important qu’il en soit ainsi : en effet c’est ce qui permet à l’entreprise de travailler efficacement, rapidement et à bas coût. Comme pour un individu, ce sont ces processus automatiques qui maintiennent le corps vivant, et qui, après apprentissage, savent marcher, écrire ou nager. Mais, puisqu’ils sont inconscients, il faut périodiquement s’assurer que ce qu’ils produisent est bien en ligne avec les objectifs de l’entreprise.

"L’inconscient non connecté" peut permettre la gestion et l’optimisation des activités non stratégiques
Vu l’étendue de sa géographie, de ses produits, de ses marchés, une grande entreprise doit gérer un système extrêmement complexe. Or si certaines des activités peuvent être utiles, voire indispensables localement, elles ne sont pas nécessairement en relation directe avec la stratégie globale. Il est alors inefficace, voire dangereux, de les gérer avec une interférence du niveau central. Elles doivent être managées localement, sans connexion pour ne pas être « polluées ».
Ces gestions ne doivent pourtant pas être automatiques, car ce sont des activités complètes qu’il faut optimiser. L’intervention de managers locaux est nécessaire.
On a donc, dans une grande entreprise, intérêt à avoir des zones de management local non connectées au système central, d’où ces « inconscients non connectés ». Cette non-connexion est souhaitable pour libérer le système central et permettre aussi des prises de décisions locales plus rapides et plus adaptées.
Noter que ce qui est inconscient pour le système central, est conscient pour le système local : il y a un emboîtement vertical de conscients/inconscients.
Mais faut-il encore s’assurer que ces décisions locales ne sont effectivement pas à relier à la stratégie centrale. La rapidité des évolutions et les nécessaires modifications d’une stratégie imposent de réexaminer périodiquement la pertinence de cet « inconscient non connecté ».

"L’inconscient connecté" est le système de veille de l’entreprise et vient nourrir la pensée stratégique
Revenons un instant sur l’individu. Quand vous marchez dans la rue, votre pensée consciente peut être centrée sur un tout autre sujet que surveiller cette marche : ce sont des processus automatiques qui la gèrent opérationnellement. Ces processus non conscients, mais connectés, surveillent votre environnement : vos yeux regardent ce qui se passe autour de vous ; vos neurones analysent cette information et la rapprochent de votre expérience pour savoir si un risque quelconque apparaît ; le système émotionnel est là pour, en cas de danger repéré, déclencher une action immédiate et vous alerter afin de traiter consciemment les suites à donner.
De la même façon, pour être efficace, une grande entreprise doit disposer de « systèmes inconscients connectés » pour gérer les opérations quotidiennes tout en surveillant l’environnement : des systèmes qui fonctionnent indépendamment de la Direction Générale mais qui peuvent à tout moment l’alerter.
La mise en place d’un tel système suppose d’avoir défini préalablement les conditions de survie à court, moyen, et long termes de l’entreprise, afin de pouvoir faire fonctionner les bons systèmes d’alerte.
Cet inconscient connecté a aussi un autre intérêt : il permet à l’individu de trier entre les options possibles et de pouvoir construire des intuitions. De même pour l’entreprise, il doit être capable de venir nourrir la stratégie en proposant des innovations ou en préparant des décisions.
Cette double dimension de l’inconscient connecté – veille pour déclencher des alertes et capacité à nourrir et enrichir le management central – est un outil puissant pour repenser le fonctionnement d’une organisation.

Voir aussi la vidéo "Pourquoi ce livre"
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(EXTRAIT DU LIVRE NEUROMANAGEMENT)

13 janv. 2009

L’ENTREPRISE REPOSE AUSSI SUR DES INTERPRÉTATIONS

Les interprétations sont au cœur de tous les actes
Les travaux menés par la sociologie des organisations, et singulièrement par Michel Crozier, ont montré l’importance d’une bonne compréhension des interactions entre individus : comprendre que le comportement de chaque individu s’analyse dans le cadre d’une relation, et est, sauf cas pathologique, rationnel, mais de façon limitée. Chacun agit rationnellement en fonction de la compréhension qu’il a de la situation, des objectifs qui lui ont été donnés, et de ses objectifs personnels.
Ainsi si on ne comprend pas pourquoi un individu a telle ou telle réaction, ou pourquoi il prend telle ou telle décision, c’est que l’on ne comprend pas sa rationalité ; ou, autrement dit, que, de son point de vue, la logique des choix qui lui sont offerts est différente de celle que nous, nous percevons.
Selon la neurobiologie, ce qui structure l’action d’un individu, ce n’est pas le réel mais l’interprétation qu’il en fait. Ceci vient renforcer la vision développée par la sociologie des organisations : à partir de sa logique interprétative propre, son comportement sera rationnel. On passe de la rationalité limitée à la « rationalité interprétative ».
Donc si l’on veut synchroniser les actions au sein d’une entreprise vers un objectif commun, il faudra synchroniser les interprétations de chacun des individus. C’est un pas nouveau à franchir. Classiquement, on se préoccupe de savoir ce que chacun connaît des objectifs, et au mieux ce qu’il a compris ; on s’interroge rarement sur sa compréhension profonde et l’interprétation qu’il fait de ce que l’on attend de lui. Or s’il se trompe sur cette interprétation, il se trompera au moment d’agir.

Les systèmes de management construisent des interprétations globales
La problématique de la Direction Générale est d’être capable, à tout moment, de construire une vision organisée et structurée de la situation globale de l’entreprise. Pour cela, il lui faut synthétiser toutes les informations disponibles, élaborer des scénarios d’évolution tenant compte de l’expertise accumulée dans l’entreprise, choisir un scénario et le mettre en œuvre.
On retrouve très précisément les propriétés attribuées à la conscience supportée par l’espace de travail. Simplement à la différence d’un individu, une Direction Générale va devoir à traiter consciemment plusieurs sujets en même temps. Notons toutefois que, si un sujet majeur apparaît – par exemple risque d’OPA ou diversification majeure –, il vient occuper quasiment tout l’espace disponible.
Enfin, une entreprise importante est dotée de plusieurs espaces de travail : on peut en identifier à chaque niveau de management, filiales, division ou service.

L’entreprise peut se couper du réel et construire de fausses interprétations
Imaginez que vous êtes au volant d’une voiture, cette voiture faisant partie d’une flotte de véhicules professionnels. La voiture prend feu. Immédiatement, vous vous arrêtez et cherchez à éteindre l’incendie. Au même moment, le superviseur, qui se trouve dans la salle de contrôle, constate l’arrêt de votre véhicule. Il n’a lui pour information que la synthèse de celles figurant sur votre tableau de bord. Or aucun tableau de bord n’est équipé d’un voyant « véhicule en feu ». Donc le superviseur ne sait pas ce qui se passe : pour lui votre comportement est aberrant puisque vous vous arrêtez, alors que « tout va bien ». S’il n’y a pas à ce moment-là un système qui peut permettre au réel d’accéder à la salle de contrôle – par exemple via un téléphone –, le superviseur va construire une interprétation fausse.
Une entreprise peut donc se déconnecter, au moins partiellement, du réel. Dans ce cas, le système central n’est plus capable d’intégrer de nouveaux événements dans la construction de son interprétation et des faits explicatifs de la situation sont manquants : on peut voir se développer des comportements « aberrants », c’est-à-dire des interprétations en contradiction avec le réel. Comme pour l’individu héminégligent, une Direction Générale peut avoir une « maladie » l’amenant à ignorer une partie de son corps et à construire des raisonnements de type « logique des trois mains »

Voir aussi la vidéo "Pourquoi ce livre"

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(EXTRAIT DU LIVRE NEUROMANAGEMENT)

12 janv. 2009

Neuromagement : Article paru dans la revue "Ponts et Chaussées Magazine"

"Peut-on appliquer les enseignements et ressources des neurosciences à l'étude de ce grand corps, traversé d'influx nerveux aussi complexes que l'information et les jeux de pouvoir, qu'est l'entreprise?

Consultant en stratégie pour de grands groupes internationaux, Robert Branche relève le défi dans ce court essai particulièrement tonique.
Il part du constat, que tout un chacun peut faire, que « nous ne pouvons avoir un comportement efficace conscient que parce que nous gérons de façon inconsciente l'essentiel des paramètres, des analyses et des actions ». C'est parce que nous ne pensons pas à mettre un pied devant l'autre que nous marchons. De la même façon, les processus inconscients, qui relèvent de la culture d'entreprise, délivrent celle-ci de pesanteurs insupportables et permettent à son management de se concentrer sur la stratégie.

L'auteur en appelle à la responsabilité du management en la matière. Responsabilité première de ne pas polluer l'activité de routine par une intervention autoritaire qui transformerait les collaborateurs en armée de « termites », obéissante mais paralysée dans ses initiatives.

Responsabilité seconde d'entendre la voix du terrain avant toute décision stratégique qui, à son niveau, risquerait de pécher par simplisme. L'exemple cité à cet égard d'une compagnie aérienne qui avait décidé de réduire ses emplois de bagagistes au moment même où elle développait son hub, dont l'efficacité repose précisément sur la capacité à traiter en un temps très court des quantités considérables de bagages, est frappant. Responsabilité, en troisième lieu, de doter par apprentissage l'entreprise d'une disposition à affronter la crise, alors qu'elle n'est pas « génétiquement dotée d'un moteur émotionnel ». Responsabilité, enfin, de récompenser le « braconnage » sans lequel il n'est pas d'innovation, par la décentralisation des centres de responsabilité.

L'auteur lui-même braconne volontiers. Ses suggestions sur la distribution du courrier en zone rurale ou sur les délais de paiement aux fournisseurs pourraient inspirer des réformes. En définitive, cette petite psychanalyse de l'entreprise fait l'éloge de la paresse, chère aux scientifiques : « Être efficace, c'est finalement savoir tirer parti de ses processus inconscients et ne gérer consciemment que le minimum ! Vive les consciences paresseuses ! ». Tout un programme."

Article de Michel Rostagnat
(Revue PCM n°4 2008)

11 janv. 2009

L’UNIFORME PRODUIT PLUS D’APPAUVRISSEMENT QUE D’EFFICACITÉ

Je poursuis mon propos d’hier sur « l’uniforme et l’heure de pointe ».

Finalement je retrouve là ce que j’écrivais en octobre dans « Attention aux jardins à la française » : nous nous sentons rassurés par les espaces homogènes, bien structurés, bien en ligne. Le désordre et la différence, quoique l’on en dise, nous dérangent, nous inquiètent. Ou alors si ce n’est qu’une piqure le temps des vacances, ou un exotisme maintenu à distance, tout va bien.
Il en est bien ainsi le plus souvent dans les entreprises : la mise en place d’une nouvelle organisation rime avec renforcement de la standardisation, la nouvelle société récemment acquise est rapidement mise au moule, la politique des ressources humaines et la formation cherchent à faire émerger un profil type et « idéal »…
C’est le lieu commun de la performance : plus d’uniformité, plus de standardisation, plus d’effet d’échelle…

Mais comme le décrit François Jullien, cette uniformité n’est pas l’universalité, elle n’est accroissement du « commun » qu’au prix d’un appauvrissement collectif.

Une autre voie est possible, plus difficile à court terme, apparemment plus chaotique et moins « productive » (voir « Quand désordre rime avec harmonie et efficacité ») : bâtir le commun à partir du respect des vraies différences et de la recherche, au travers d’un dialogue interne – de ce que j’appelle « la confrontation » - du bon compromis.
Je suis convaincu que la vraie efficacité des structures collectives – économiques comme politiques – passe par là…


10 janv. 2009

NOTRE RECHERCHE DE L’UNIFORME : VIVE L’HEURE DE POINTE !

Dans son dernier livre, « De l’universel, de l’uniforme, du commun et du dialogue des cultures », François Jullien écrit notamment :
« L’uniforme impose ses standards comme le seul paysage imaginable, et sans même sembler les imposer. De là, sa dictature discrète. Aux quatre coins du monde, on retrouvera inévitablement les mêmes vitrines, les mêmes hôtels, les mêmes clés, les mêmes clichés, les mêmes affiches de bonheur et de consommation… Car si dictature il y a, c’est qu’une telle uniformisation ne se limite pas aux biens matériels mais envahit aussi l’imaginaire. Par une opération éditoriale réussie, Harry Potter ou Da Vinci Code formate à l’identique les rêves d’adolescents du monde entier. »

Certes, et pour moi, on retrouve ici notre besoin tribal, notre peur du différent (voir notamment « La confrontation n’est pas naturelle »). Donc je pense que malheureusement l’uniforme n’a même à imposer ses standards, car il répond à nos attentes profondes. Et c’est bien là le problème…

Il y a quelques années, en introduction d’un livre qui n’est jamais paru, j’avais écrit un texte sur ce sentiment grégaire. Il illustre encore bien ce que je ressens aujourd’hui. Le voilà :

« Heure de pointe, heure d'affluence, vous êtes là, vous êtes tous là, les uns contre les autres, bien au chaud, chaleur humaine, mais oui ne dites pas le contraire, vous aimez cela, être les uns contre les autres - je sais, je me répète, mais vous aussi, vous vous répétez sans fin, sans imagination -, vous avez besoin de cette présence collective, sinon pourquoi vous seriez tous là au même moment.
Heure de pointe. Vous la cherchez ou quoi ?
Tous bien pareils, et dire qu'il y a un débat autour du clonage, mais vous l'êtes déjà clonés !
Clonés, clownés, comiques involontaires, votre image est renvoyée indéfiniment par vos voisins, chacun est un miroir, simplement le reflet des autres. Si vous avez l'impression d'exister, d'être différents, alors prenez le large, oxygénez-vous, allez ailleurs. Non, vous préférez ne pas bouger, rester ensemble, force de la tribu. Cela vous rassure ?

A chaque fois que je vois une foule, je me pose la même question : que font-ils là ? Quelle crainte veulent-ils cacher, celle de leur différence, celle d'avoir à expliquer pourquoi ils feraient un choix différent ? Merde, soyez vous-mêmes, pour un jour, une heure, une minute, une seconde !
Sortez du troupeau, respirez, prenez le risque de suivre vos pulsions, vos envies. Mais non, vous aimez cette manie de vous bousculer à l'heure de pointe. La cohue, c'est ce que vous recherchez – mais si, avouez-le ! -, grégaires, vous êtes grégaires. Bien au chaud ! Rapprochez-vous, allez encore un peu plus, encore plus de monde, plus proches, plus l'un contre l'autre, l'un sur l'autre. Vous avez envie de vous échapper, de sortir de cette maudite heure de pointe, vous croyez aller ailleurs... et rien n'y fait : vous n'avez pas plutôt bougé que tout le monde est là, avec vous, autour de vous.

Car quand vous bougez, ce n'est pas pour sortir des sentiers battus, mais pour rejoindre une autre heure de pointe : la petite route déserte de campagne, vous ne l'aimez que si elle vous permet d'aller plus vite de votre cité à votre camping surchargé. Interdit de s'y attarder sur cette route déserte, interdit parce que vous y seriez seul, tout seul.

Heure de pointe, elle vous suit, vous la suivez, inexorablement.
Malédiction ou plaisir ? Plus de plaisir car si vous vous retrouviez sans personne, sans ceux dont vous maudissiez la présence quelques minutes avant, vous auriez peur, peur de cette solitude qui vous obligerait à penser, à ne plus simplement vous conformer au courant ambiant.
Heure de pointe... »