29 nov. 2011

JE PENSE AU TRAVERS DE MES LANGAGES

Grâce à nos langages, nous interprétons le monde dans lequel nous vivons
Extrait des Mers de l’incertitude
Le premier langage est celui de notre langue et de ses mots. Mais ce n'est pas le seul qui peuple notre cerveau : les mathématiques ou le jeu d'échecs sont aussi des langages. Là où le profane ne voit que des assemblages de lettres, de chiffres et de symboles, le mathématicien lit le problème et architecture des solutions ; là où le débutant ne voit que des pièces juxtaposées sur un échiquier, le joueur averti voit des configurations avec lesquels il va construire des stratégies.
Si l’on présente à un joueur d’échec averti des pièces correspondant à une partie réellement jouée, il lit la configuration, la mémorise très rapidement, et pourra la reproduire sans se tromper. Si les pièces sont posées au hasard, il ne verra plus de configuration et aura autant de difficulté qu’un débutant à se souvenir de la localisation des pièces. De même un Chinois, face à un texte écrit en mandarin, lit les caractères, là où je ne vois que des traits que je suis incapable de reproduire. Si ces caractères étaient des traits faits au hasard, il se retrouverait dans la même situation que moi.

Ainsi, avec nos langages, nous lisons la situation présente et l'enrichissons de notre expérience tirée de notre passé. De tout ceci, naissent nos interprétations, mélanges du passé recomposé, du présent perçu et du futur imaginé, toutes intimement liées à chaque individu car elles reposent d'abord sur l'histoire personnelle (tant dans sa partie réellement vécue que dans tout l'imaginaire associé), sur les déformations de la mémoire et sur l'analyse de la situation présente, sans parler de la perception que chacun peut avoir du futur. On n'est donc pas près de pouvoir modéliser et prévoir des interprétations individuelles !
Qu'en est-il de la communication entre individus ? Pour faire court, communiquer est un objectif impossible ! Vous êtes surpris par ma formulation, vous pensez que j'exagère… Je ne crois vraiment pas. Quand vous voulez exprimer quelque chose, quoi que ce soit, vous employez des mots qui correspondent, pour vous, au sens que vous voulez donner. Pour cela, vous vous référez à votre mémoire et à la compréhension que vous avez de ce que vous voulez dire. Celui qui reçoit votre message, l'interprète, lui, à partir de son histoire, son expérience et l'ensemble de ses ressorts émotionnels propres. Les deux sont, sauf en cas d'histoire commune longue et dense, structurellement différents.
Comment arrivons-nous alors à communiquer ? Par l'existence d'usages et de règles collectives qui ont construit progressivement des sens communs. Par des ajustements progressifs et aussi beaucoup grâce à la communication non verbale : celle-ci ne passe plus par les mots, mais sollicite essentiellement les neurones miroirs qui nous permettent de « lire l'autre »
L’entreprise, elle aussi, se nourrit d’interprétations. Comme pour un individu, elles reposent sur la mémoire et des langages. Les langages sont essentiellement ceux des mots, mais pas seulement : chaque population technique a son propre langage qui est un de ses vecteurs d’efficacité. Les mots eux-mêmes dans une grande entreprise relèvent des langues multiples : même s’il existe toujours une langue dominante qui sert de support à la communication collective, cela suppose pour bon nombre un double effort de traduction.
On a ainsi des langages multiples et donc autant de traductions qui sont des risques d’incompréhension et d’erreurs. Pour faire court, et m’exprimer en langage populaire : « Ce n’est pas gagné ! »...
Comment franchir ces obstacles en entreprise ? Un des leviers est la construction d’une culture commune, c’est-à-dire d’un langage commun. Ce langage va reposer sur un ensemble de signes verbaux et non verbaux qui seront des raccourcis permettant à chacun d’échanger et de construire une compréhension commune face à une situation donnée. Établir une telle culture ne se fait pas en un jour, la comprendre et la parler ne s’apprend ni dans les manuels de management, ni dans les tableurs Excel.

28 nov. 2011

JE PARLE, DONC JE SUIS

Transformer, c’est modifier un langage
Extrait de Neuromanagement
Un établissement financier avait décidé de transformer son  organisation France. L’entreprise était classiquement structurée  en directions régionales regroupant les agences. Ces dernières  faisaient marginalement de l’accueil physique et majoritairement  du contact téléphonique, et étaient « propriétaires » d’un  portefeuille clients, ceux qui habitaient sur son territoire. Dans  la nouvelle organisation, elles ont été maintenues, mais aucun  portefeuille clients ne leur était plus rattaché : les appels téléphoniques  étaient gérés par un système central qui les routait  en fonction des disponibilités locales et de quelques critères de  priorité. C’était un changement extrêmement important non  seulement sur le plan technique, mais aussi sur le plan du management  puisque le rôle et le métier de chaque agent se trouvaient  modifiés en perdant sa dimension géographique. Dans un  changement de cette ampleur, le rôle de la Direction - et singulièrement  des Directeurs Régionaux - est essentiel pour indiquer  la cible et accompagner le mouvement. Or le métier même du  Directeur Régional était profondément changé, puisqu’il n’était  plus, lui aussi, responsable géographiquement des clients. Le  maintien du nom « Directeur Régional » a été un facteur de  confusion et n’a pas indiqué la portée du changement, puisque  le mot de « Régional » a été maintenu. Une appellation comme  « Directeur Délégué » aurait été préférable. On a constaté, au  bout d’un an, que la plupart des Directeurs Régionaux ne portaient  pas la nouvelle réforme et que l’organisation commerciale  avait du mal à se l’approprier. Le maintien du nom n’a pas été  à lui seul la cause de ses difficultés, mais il y a contribué : le langage interne était en contradiction avec l’objectif.
La culture dominante de ce groupe pétrolier était industrielle,  aussi la distribution avait été pensée jusqu’alors plus comme une  activité de logistique, dont le rôle principal était d’acheminer  efficacement le carburant jusqu’au client final, que comme le lieu  d’un service pour des clients. Le mot marketing ne faisait pas  du tout partie de la culture. Logiquement l’entreprise ne parlait  jamais de « part de marché » mais de « quota ». Comment était-il  possible de passer à une approche marketing, à une analyse  de la concurrence et à une orientation client réelle tant que l’on  voyait le monde via des « quotas » ? Une des actions entreprises  a donc été, en parallèle de la réorganisation, la modification  de ce point de vocabulaire. Ce changement n’a pas été facile,  car tout le monde en interne avait l’habitude d’utiliser le mot  quota. Cela a pris plusieurs années. Inertie des comportements  humains.
Au début des années 90, l’entreprise Treca, spécialiste de  matelas, s’est lancée avec retard dans le latex. Au-delà des raisons  « rationnelles », le nom même de l’entreprise avait été un  frein : Treca est un raccourci pour « Tréfileries câbleries ». Le  nom était lié à l’existence de ressorts à l’intérieur du matelas,  ressorts qui étaient faits à partir des câbles métalliques. Ainsi la  présence de ressorts faisait partie de l’identité d’origine de l’entreprise.  Passer au latex, c’était pour cette entreprise quasiment  « tuer le père ». Ce fut forcément difficile…
Pendant longtemps, L’Oréal a parlé de « déterminisme du  succès » en faisant référence au fait que tout succès réalisé en  un lieu quelconque n’avait pas de raison a priori de ne pas pouvoir  être généralisé à l’ensemble de l’entreprise. C’est un élément  essentiel et explicatif de la logique interne de l’entreprise. Cette  expression était décryptée en interne, mais n’était pas directement  compréhensible de l’extérieur. La répétition régulière de  l’expression amenait chacun à mettre en œuvre ce principe.
Enfin, quand Michel Bon a voulu redynamiser France  Telecom au milieu des années 90, il a résumé ceci à travers  une expression « le delta minutes » : il s’agissait d’indiquer à  tous qu’il y avait encore des réservoirs de croissance en France  en matière de consommation de téléphone. Cette expression  est devenue centrale dans toute l’entreprise et a fédéré les énergies  pour relancer alors effectivement le téléphone fixe. Elle a  fonctionné car, dans une culture fortement technique, le mot  « delta » était compris et relayé. Avec le développement des  offres au forfait, l’approche a depuis lors évolué.  

25 nov. 2011

MARCHER EN MUSIQUE

Higelin, Goldman et Renaud... 
Petite séquence musicale du vendredi autour de ce bébé qui doit se mettre à marcher : d'abord l'alerter, puis lui apprendre à marcher seul, et enfin un peu d'ombre pour reprendre son souffle ! :-)


24 nov. 2011

NE LAISSONS PAS L’INSÉCURITÉ SE GLISSER DANS NOS BOÎTES AUX LETTRES !

On vole des magazines à la Croix Rousse
En paraphrasant un des sketches de Pierre Desproges qui commençait par « Les rues de Paris ne sont plus sûres », je viens d’apprendre que les boîtes aux lettres de la Croix Rousse ne sont plus sûres. En effet, comme il est indiqué sur cette note du syndic, les magazines disparaissent dans une boîte aux lettres (voir la photo de cette note ci-jointe).
Bien sûr, on pourrait s’amuser du style un peu enfantin de la rédaction et d’une expression comme « Le monsieur part », mais la gravité des faits relatés n’en reste pas moins certaine. Où va-t-on si l’insécurité va se glisser jusqu’à l’intérieur de nos immeubles, et dans l’intimité de nos boîtes aux lettres ?
Quelques informations pour les lecteurs qui ne connaissent pas la Croix Rousse : anciennement quartier ouvrier de Lyon (c’était le lieu d’habitation des canuts et de leurs métiers à tisser), il est devenu un quartier chic, surtout dans sa partie centrale. Or c’est bien là que cet immeuble est situé.
J’ai masqué l’adresse exacte, ainsi que celle du syndic par crainte de représailles. En effet, quelqu’un qui est capable de « se donner  beaucoup de mal pour voler des magazines », doit espionner le WEB, et je ne veux prendre aucun risque.
J’espère que ceci n’est qu’un acte isolé, mais peut-être pas. Si l’un de vous était témoin d’autres agissements dans des boîtes aux lettres, ou si l’en a simplement entendu parler, signalez-vous.
À mon tour, pour reprendre la formule du syndic, je demande à chacun d’entre vous d’être vigilant quant à ces vols dans les boîtes aux lettres. Il est temps de se liguer pour que cela cesse, car nous avons le droit à un minimum de sérénité !

23 nov. 2011

TROIS RÈGLES À NE PAS OUBLIER POUR AGIR DANS L’INCERTITUDE

Ne rien faire n'est pas une solution
Revenons sur notre enfant qui avait décidé de ne pas marcher1, et sur les trois raisons de sa décision : les débuts sont pénibles, tout n’est pas permis, et le monde est dangereux.
Ce sont souvent aussi ces trois raisons qui poussent une entreprise à ne pas bouger et à avoir peur de l’incertitude :
-        Quitter la situation actuelle est toujours difficile, et induit une perte initiale de confort : on est dans ses habitudes, chacun sait où sont les choses et ce qu’il peut attendre de l’autre, on a organisé son cocon, on ne voit plus ce qui entrave ou gène… Tout déplacement, même si l’on est convaincu d’une amélioration future, obligera à perdre tout ou partie de cela. A fortiori, si l’on n’est pas convaincu d’un mieux futur, et que l’on ne bouge que parce que l’on y est contraint…
-       L’action doit être réaliste : il ne sert à rien de se bercer d’illusions et de viser l’inaccessible ou l’interdit. Attention aussi à ne pas se disperser et à se laisser séduire par tout ce qui entoure. Comme dit le dicton populaire, l’herbe paraît toujours plus verte de l’extérieur… et marcher sur les pelouses est souvent interdit.
-        Oui, le monde est dangereux : l’environnement est incertain, il est illusoire de croire que l’on peut en prévoir les évolutions, et des cygnes noirs peuvent advenir. Mais, c’est vrai aussi en restant immobile, là où l’on est. Se mettre en mouvement, c’est s’ouvrir de nouveaux espaces, se créer de nouvelles opportunités, se préparer à l’inattendu.
Savoir que les débuts seront difficiles, ne viser que l’accessible, et savoir que le monde est dangereux, voilà trois règles à appliquer pour agir dans l’incertitude.
Attention aux dirigeants qui sous-estiment la pénibilité du départ, fixent des objectifs extrêmes ou imaginent qu’ils vont se protéger des risques… ou pire, ceux qui croient que le mieux est de ne rien faire…
(1) Voir Soyons des paranoïaques optimistes

22 nov. 2011

LES PRÉVISIONS NE SONT PAS MAGIQUES

Dire n’est pas agir
Dire que quelque chose risque d’advenir ne le rend pas certain, car, sauf exception, les prédictions ne sont pas auto-réalisatrices.
Les marchés financiers sont un des rares contre-exemples, et la parole y semble magique. Pourquoi ? Sans être un spécialiste de ces marchés, je crois que l’absence totale de repères réels et l’incapacité de fait à ne serait-ce que comprendre ce qui est en train de se passer, fait que tout affirmation portée par quelqu’un identifié comme un « expert » ou une « autorité » fait force de loi. Quand on ne sait pas pourquoi une évolution a lieu, suivre le mouton qui bêle le plus fort est tentant…
Mais habituellement, dans la vie des entreprises, anticiper un risque potentiel ne modifie pas sa probabilité d’occurrence. Cela permet simplement deux choses essentielles : pouvoir identifier ce qui peut diminuer cette probabilité, se préparer à y faire face s’il advient.
Malheureusement, souvent, la première action est illusoire, ou du moins, il est impossible d’en mesurer les effets précis, car, vu la complexité de notre monde actuel, il est extrêmement difficile de simuler les conséquences de toute action individuelle, fusse-t-elle conduite par une grande entreprise. Mais cela ne doit pas empêcher d’agir. Simplement attention à ne pas surestimer l’impact de ce que l’on entreprend, et se croire du coup prémuni face à ce risque.
Reste donc à s’y préparer. C’est dans le calme que l’on se prépare à mieux faire face aux tempêtes éventuelles.
Attention toutefois à ne pas mettre toute son énergie à être prêt au pire. Comme je l’indiquais hier dans "Soyons des paranoïaques optimistes", il faut savoir se mettre à marcher !

21 nov. 2011

SOYONS DES PARANOÏAQUES OPTIMISTES

Apprendre marcher malgré les risques
Imaginez un enfant de neuf mois qui, très mature intellectuellement, a compris qu’il est face à une décision clé pour lui : doit-il oui ou non se mettre à marcher. Aussi plutôt que de se décider à la va-vite, il mène une réflexion approfondie.
Celle-ci l’amène aux conclusions suivantes :
-        Les premières semaines seront très éprouvantes : comme il ne maîtrisera pas son équilibre, il tombera sans cesse. Or tomber fait mal, il le sait, car, enfant pragmatique, il a essayé et ses fesses en gardent un souvenir cuisant.
-        Ce qui le passionne le plus lui restera interdit : il lorgne depuis longtemps, c’est-à-dire neuf mois, l’installation informatique de son père, le tableau de commande de la chaîne hifi, ainsi que celui de la machine à laver le linge. Or il a vu son grand-frère se faire systématiquement rabrouer à chacune de ses tentatives. A quoi bon se lancer alors ?
-        Le monde extérieur est un monde hostile : grâce à la télévision qu’il observe constamment et à ses promenades en landau, il a vu que, dehors, il fait, tour à tour, froid ou chaud, que les rues sont encombrées de voitures qui sont autant de menaces, et que des écoles et des maîtres rébarbatifs l’attendent.
Fort de cette analyse, il prend la seule décision raisonnable, la seule qui le protège de tous ces risques : il ne marchera pas, et passera sa vie dans son landau. Rassuré, il s’enfonce doucement dans le confort de sa couette.
C’est de cet enfant qu’Amélie Nothomb parlait dans la Métaphysique des tubes : « Il se met à marcher, à parler, à adopter cent attitudes inutiles par lesquelles il espère s’en sortir. Non seulement il ne s’en sort pas, mais il empire son cas. Plus, il parle, moins il comprend, et plus il marche, plus il fait du surplace. Très vite, il regrettera sa vie larvaire, sans oser se l’avouer. (…) C’est la vie qui devrait être tenue pour un mauvais fonctionnement. »
Cet enfant fait-il le bon choix ? Est-ce pertinent ? Évidemment non, et Dieu merci, nos enfants ne sont pas aptes à mener de telles analyses…
De même, devenus adultes, nous acceptons de traverser les rues malgré les voitures, ou simplement de sortir malgré les météorites. Pourtant les accidents arrivent, et personne ne peut affirmer que jamais une météorite ne tombera sur ce morceau de trottoir…
Il doit en être ainsi pour les entreprises : au nom de l’analyse des risques, elles ne doivent pas rester immobiles et tétanisées. Mais comme pour le nouveau-né intellectuellement surdoué, et physiquement inhibé, il m’arrive de voir des directions choisissant de ne pas se mettre à marcher. Elles se condamnent à coup sûr.
L’incertitude appelle une attitude qui, tout en ne négligeant aucun risque, notamment les cygnes noirs1, se tourne vers l’action. Soyons tous des paranoïaques optimistes : imaginons le pire, préparons-nous à y faire face, et agissons pour qu’il ne produise pas ! C’est ce que j’exprimais déjà dans ma vidéo au moment du lancement de mon livre les Mers de l’incertitude (cf. ci-dessous).



18 nov. 2011

L'ART DU REGARD DÉCALÉ

Quand Desproges nous réapprenait à voir ce qui se passait chez nous
Pour terminer cette semaine consacrée à quelques réflexions sur l'art du diagnostic, pourquoi ne pas re donner la parole à Pierre Desproges et à ses minutes nécessaires :

17 nov. 2011

CONNEXION AU RÉEL ET “CONSISTENCY”, LES DEUX CLÉS DE LA PERFORMANCE COLLECTIVE

La vie se nourrit d’échanges internes et externes
Dans la prolongation de mon billet d’hier, c’est donc le système global, le collectif qu’il s’agit d’évaluer.  Comment faire ?
Je crois d’abord qu’il faut éviter deux écueils :
-        Celui de l’expert et de sa prétention à croire qu’il peut dire ce qui est juste et bien.
Comment en effet prétendre être capable de dire qu’un système fait juste ? A-t-on à sa disposition un mètre-étalon permettant de mesurer dans l’absolu et avec exactitude ? Non, évidemment. Donc, sauf cas manifeste d’erreur, il faudrait mener sur chaque item des analyses longues et contradictoires, et encore sans avoir l’assurance d’une réponse unique. Bref, il faudrait tout refaire à la place de ceux qui sont là.
-        Celui de la photographie et de l’instantané.
A quoi bon chercher à savoir si un système – un service, une filiale, une entreprise… –,  est en train de faire juste ? Car qu’est-ce qui peut permettre d’en conclure qu’elle pourra faire juste demain ? Les systèmes vivants sont en perpétuelle transformation, et c’est cette dynamique qu’il faut évaluer, et non pas une quelconque performance instantanée.
Donc comment faire ? Personnellement, je m’intéresse à deux questions, et deux seulement :
1.     Comment le système est-il connecté au « réel », ou autrement dit, quelles sont la quantité et la qualité des faits qui l’irriguent ?
Ainsi dans le cas d’une entreprise, je vais chercher à comprendre sur quoi reposent les raisonnements et les décisions internes : est-ce que le marketing connaît les ventes actuelles et passées, les offres de la concurrence, les parts de marché…? Est-ce que la production connaît les performances réelles de ses usines, et avec quel délai, de celles des concurrents, les coûts unitaires, les rebuts…?  Combien de temps une information met pour atteindre la direction générale et être prise en compte ? Est-ce que l’on mesure le temps de conception des nouveaux produits, la part dans le chiffre d’affaires des produits de moins de cinq ans ? Symétriquement, suit-on les produits les plus anciens ?...
2.     Quel est le degré de cohésion au sein du système, est-ce que chacun « tire dans la même direction », est-ce « consistent » pour reprendre l’expression anglaise qui n’a pas d’équivalent direct en français, ou encore à l’opposé, est-il « désarticulé » ?
Là aussi je vais me poser des questions simples : Quelles sont les articulations entre la stratégie, le plan marketing, le budget de l’année, les objectifs commerciaux annuels et le plan industriel ? Les données figurant entre tous les tableaux de bord - finances, marketing, commercial, industriel - proviennent-elles d’une source unique ? Les objectifs individuels fixés lors des entretiens annuels sont-ils en ligne avec les objectifs de l’entreprise ? Et les systèmes de rémunération ? Comment répond-on à la question : quels sont les points forts et les points faibles de l’entreprise ? De la concurrence ?...
Pourquoi seulement ces deux questions ? Parce que mon expérience m’a montré qu’un système cohérent et nourri par les faits finit par faire juste : il s’adapte, il réagit, il ne se désagrège pas… bref il vit et avance !
Par contre s’il n’est pas nourri par les faits, il va dériver, et, s’il est très cohérent, foncera comme un seul homme dans un mur.
Symétriquement s’il n’est pas cohérent, il n’avancera pas, et plus il sera nourri par les faits, plus il se désarticulera, jusqu’à finir par imploser.

16 nov. 2011

LA PERFORMANCE COLLECTIVE ÉMERGE… OU N’ÉMERGE PAS

Évaluer un individu ne dit pas grand chose sur le collectif
Comme je l’indiquais hier, mesurer la performance individuelle n’a pas grand sens, et peut même être dangereux en masquant les effets de système.
Tout personne qui prend le temps d’analyser le fonctionnement des entreprises, ne peut qu’être d’accord avec cette affirmation – elle risque même probablement de la trouver triviale –, mais alors pourquoi tant de primes individuelles, tant de carottes personnelles ?
D’autant que, comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire1, l’esprit de compétition et le développement de « carottes » sont contreproductives : elles ne fonctionnent réellement que pour des tâches simples, élémentaires et non dépendantes des autres. Connaissez-vous beaucoup de telles situations ?
Pourquoi continuer ainsi ? Par conformisme ? Par paresse ? Ou alors par expérience ? Mais cela voudrait dire que les expériences en entreprise viennent contredire toutes les analyses et recherches faites de par le monde. Étrange, non ?
Je repense aux fourmis et aux abeilles dont je parlais début septembre2, et à l’émergence de l’intelligence collective. Est-ce qu’il nous viendrait l’idée de mesurer la performance d’une fourmilière à l’aune de celle d’une fourmi, ou de considérer que la force d’une ruche est la multiplication de la force d’une abeille par le nombre d’abeilles ?  Non, n’est-ce pas ? Nous savons que c’est la collaboration entre les individus, et la bonne répartition des tâches qui font la force collective.
Mais bien sûr, nous ne sommes ni des fourmis, ni abeilles, et chacun d’entre nous est infiniment plus intelligent que ces êtres si petits et si primaires. Certes, je n’en disconviens pas.
Mais ce qui est vrai pour une fourmilière ou une ruche, est vrai pour une entreprise : la performance collective n’est pas l’addition des performances individuelles. Et le système collectif permet l’émergence de nouvelles propriétés, ou ne le permet pas… et c’est cela qui compte et qu’il faut évaluer…