Au temps de l’incertitude, la reconstruction de l’industrie française sera
longue, décentralisée... et européenne !
Voilà donc trouvée la recette à la désindustrialisation française : le
retour de la politique industrielle et l’impulsion par l’État d’une politique
de filières.
Que nous disent les chantres
politiques de cette renaissance tout gaullienne ?
En résumant :
- Au centre, la puissance
intellectuelle et visionnaire du système public qui va défricher le futur pour
trouver là où il faut aller.
- Puis sous l’impulsion de ce
centre enfin retrouvé, toutes les PME de France et de Navarre se réuniront sous
les ailes protectrices et devenues bienveillantes des grandes entreprises
françaises, pour partir à la conquête du monde entier.
- Et le tour sera joué : dans
quelques années, que dis-je dans quelques mois - pourquoi en effet ne pas être
ambitieux dans la concrétisation de cette volonté… -, les emplois industriels
refleuriront, l’innovation viendra arroser les terres arides de nos zones
industrielles, et notre balance des paiements se dressera fièrement.
Certes, quel beau conte de fées…
Mais, probablement à cause d’une vision trop empreinte d’un scepticisme suranné,
qui devrait être dépassé par ces vagues d’enthousiasme, j’ai dû mal à me
laisser emporté par cet élan, et ce pour trois raisons :
1. Comment imaginer que dans le
monde de l’incertitude, la solution puisse venir d’une recentralisation des
décisions ?
Mon expérience personnelle, ma
pratique auprès de dirigeants d’entreprises, mes recherches personnelles et les
réactions recueillies suite à la publication de mon livre, les Mers de l’incertitude, et à mes conférences, m’amènent à
beaucoup plus de modestie en la matière. Je crois que la performance tient de
plus en plus à la mise en place de processus conduisant à des émergences
efficaces, et de moins en moins à la concentration de la prise de décisions,
fussent-elles faites par les meilleurs cerveaux du monde.
2. Comment, compte-tenu de
l’historique, croire à la capacité de l’État français de concevoir des plans
par filière réellement efficaces ?
J’ai encore le souvenir des plans
industriels lancés en 1981, suite à l’élection de François Mitterrand. Étant
alors chargé de mission à la Délégation à l’Aménagement du Territoire et à
l’Action Régionale (DATAR), j’ai été pour celle-ci le correspondant du
Ministère de l’industrie pour l’élaboration et le suivi de tous ces plans. Quel
fiasco ! Tout l’argent déversé l’a été en pure perte, que ce soit pour le
plan machine-outil, textile ou un autre. Les succès de l’État industriel ne
l’ont été que dans le cadre d’investissements majeurs comme l’aviation civile,
la filière nucléaire ou le TGV. Cela n’a absolument pas empêché l’écart avec
l’Allemagne, l’Italie ou même la Grande Bretagne de se creuser, et à notre
balance des paiements de s’effondrer.
3. Comment croire que la
performance viendra d’une relation contrainte entre grandes entreprises et PME ?
Les grandes entreprises ne poursuivent
pas dans des stratégies nationales, mais mondiales. Ceci est vrai pour toutes
les entreprises, qu’elles soient françaises, allemandes, italiennes ou
britanniques. Si Volkswagen s’appuie sur un tissu d’entreprises moyennes
allemandes, si elle maintient des emplois industriels en Allemagne, ce n’est
pas au nom d’un nationalisme germanique, mais à cause d’un réalisme
économique : le climat social, la confiance qui existe entre les individus
et les organismes, la qualité des formation, le principe du transfert de
propriété au paiement et non à la livraison, tout cela amène à la performance
d’un système global. Si l’on cherche à contraindre une entreprise française à
faire ce qui n’est pas souhaitable pour elle, soit, si l’entreprise est
suffisamment indépendante de l’État, on ne l’obtiendra pas, soit, si elle ne
peut pas dire non, on entravera son développement futur. Loin de construire la
performance à venir de la France, on la détruira.
Je ne crois donc pas à ces
recettes magiques, tirées d’une réalité qui n’a jamais existé.
Aussi si, oui, il faut se battre
pour développer le « Produire en France », il ne faut pas le faire avec ces recettes
éculées, inefficaces et dangereuses.
Pourquoi ne pas développer un
label France ? C’est une idée à tenter, à condition d’y intégrer la notion
de niveau, permettant d’aller du « Assembler en France » au
« Tout en France », en passant par le « Fabriqué en
France » (voir « Label France : et si Bayrou avait raison »).
Mais ce n’est pas le plus
important. Ce sont sur les fondamentaux du développement de nos entreprises
qu’il faut agir. J’en vois personnellement deux :
-
Il est urgent aussi de revoir le
mode de transfert de propriété pour qu’il n’ait plus lieu à la livraison, mais
au paiement. Comme cela, les PME ne financeront plus la distribution et les
grandes entreprises. Cette modification reviendrait à augmenter la trésorerie des
PME de probablement nettement plus de 100 Milliards d’euros ! (voir « Qui arrêtera l'hémorragie financière des PME ? »)
Enfin, pourquoi ne pas doter
l’État d’une vraie agence de conseil indépendante, construite à partir l’Agence
pour les Participations de l’État et des experts mis en place pour la gestion
du grand emprunt ? Je connais bon nombre d’anciens associés de cabinet de
conseil, qui, après une carrière réussie dans le privé, seraient prêts à mettre
leur expertise au service de l’État. Cette agence pourrait être indépendante
des lobbies, éclairer les choix publics, et aider les entreprises moyennes dans
leurs réflexions et leurs choix… mais sans les contraindre, ni les définir.
Bien sûr tout ceci ne va
transformer la France par un coup de baguette magique, et redresser
instantanément notre balance des paiements. Mais qui peut croire que notre
handicap structurel peut être comblé en peu de temps ? C’est une action de
fonds qu’il faut entreprendre. Le reste n’est que tour de
prestidigitation, baliverne, et poursuite de nos erreurs passées…
Enfin, la solution ne pourra pas
être seulement franco-française. Elle va nécessairement passer par la
construction d’une réelle Europe fédérale. Pouvons-nous le faire dans la
dilution qu’est devenue la communauté européenne, ou faut-il repasser par un
noyau autour duquel viendront ensuite s’agglomérer les autres ? Par réalisme,
j’opterais plutôt pour la seconde.
Comme ces transformations seront
longues et difficiles, Il faut commencer maintenant. Souvenir d’une anecdote
attribuée au Maréchal Lyautey. Un jour où il visitait un village marocain, il
s’étonnait qu’il n’y ait aucune ombre sur la place centrale.
« Il faudrait au moins dix ans
pour qu’un arbre donne une ombre significative, lui dit le chef du village.
- Raison de plus pour le planter
tout de suite, fut sa réponse. »
Plantons donc immédiatement les nouveaux arbres de la
confiance en France, transformant notre droit, dotons nous une agence
réellement indépendante, et allons vers le fédéralisme, il y a urgence !