10 déc. 2021

DÉSERT


Chaud, si chaud. Sec, si sec.

L’air n’est même plus brûlant, juste manquant.

Les pas se font glissements, les voix se sont éteintes.

Chaud, si chaud. Sec, si sec.

Juste du sable, juste des pierres.

Pas de vie, ou si peu, pas d’arbres ou si peu.

Je suis seul, perdu en enfer.

Juste du sable, juste des pierres.

Rien ne bouge, rien ne murmure.

Jetés à la va-vite, les uns sur les autres,

Les rocs se font lits, les rocs se font murs.

Rien ne bouge, rien ne murmure.

Personne ne me voit, personne ne me suit.

Devant comme derrière, collés par ma sueur,

Mes instants se font vie, mes instants se font temps.

Personne ne me voit, personne ne me suit.

© Robert Branche 

(photographie prise à Khuri en Inde)

8 déc. 2021

VARKALA


Un homme, une corde, la mer, le ciel.
Des traits, des lignes horizontales ou presque.
Les bleus se répondent,
Décor, palette d’un artiste absent.
Un regard tourné au loin, fixé vers une absence.
L’effort est patent, tout en paraissant facile.
Les tensions du corps et de la corde s’opposent et s’équilibrent. 
 
Difficile d’imaginer ce qui se trame là-bas,  
Dans cet ailleurs qui échappe à l’image.
Un jeu, un rite, une compétition ? 
Non, juste un filet qu’un bateau au loin a plongé. 
Dans de longues minutes,
Des sardines prises au piège de la nasse,

Joncheront le sable de la plage.


© Robert Branche
(photographie prise à Varkala en Inde)

6 déc. 2021

RESSOURCEMENT


Lisse, si lisse.

Ne pas bouger, ne pas nager.

Me fondre dans le silence.

Le ciel et l’eau ne sont que points de vue.

Les arbres regardent leurs reflets,

A moins que ce ne soit l’inverse.

Les minutes se font heures.

Crocodile, des jours durant,

Je guette ma proie.

Perdu au cœur de la jungle thaïe,

Lové dans ma couette d’eau,

Je bois la vie qui m’entoure.

© Robert Branche 

(Photographie prise dans le nord de la Thaïlande)

3 déc. 2021

SUR LE TOIT DU MONDE


Clos, calme, cotonneux,

Sur le toit du monde que la brume me masque,

À l’abri d’un bar anglais d’un hôtel hérité des colonies,

J’écris un roman que quelqu'un lira… peut-être. 

 
L’horizon n’est plus, l’Himalaya a été gommé. 
Les autres ne sont plus, leurs vies ont été éradiquées.
Mon passé n’est plus, je suis vierge de mémoire.
Mon futur n’est plus, je ne suis que présent.

Ancré dans l’instant, habité de mon imaginaire,

Abreuvé des herbes cueillies dans des champs voisins,

Saoulé par le silence, ivre de la vacuité du monde,

J’invente une histoire qui aurait pu être la mienne.

Caché, calfeutré, condamné,

Enfermé sur le toit du monde.

À l’abri d’un bagne hérité des colonies,

Je vis reclus et gorgé d'espoir.

© Robert Branche 

(Photographie prise à Darjeeling)

1 déc. 2021

LA MAGIE DES TRUFFES

 Être intensément attentif

Chercher des truffes, c'est participer à un spectacle de prestidigitation. 

Au départ, il n'y a rien, juste des chênes, de la terre et quelques plantes éparses. 

Et puis quelques secondes après, grâce à l'odorat du chien et au talent de son maître, les truffes sont là. Comme un lapin sorti du chapeau !

Je pourrais marcher pendant des heures au milieu des chênes truffiers, même à quatre pattes, je n'en trouverais pas une. Et pourtant elles sont bien là, cachées dans le sol, à quelques centimètres de moi. 

Pour le chien, c'est facile, évident. Il détecte l'odeur, arrive à la repérer parmi le bruit ambiant et fonce sur la truffe. Quelques coups de pattes et il s'arrête.

La truffe n'attend que d'être révélée… par le bon passeur : celui qui sait repérer ses effluves et les distinguer des autres, celui qui sera aussi assez patient pour attendre le bon moment. Trop tôt : la truffe n'est pas mûre et ne sent pas, donc impossible de la trouver. Trop tard : elle aura pourri et sera sans intérêt. 

Trouver des truffes est une affaire d'attention, mais pas celle de l'attention superficielle de l'humain en train de marcher au milieu des arbres, il faut celle, intense, du chien qui se déplace lentement, le nez (sa truffe !) soit au ras du sol, soit aux aguets du moindre effluve porté par le vent.

Comme le disait Henri Poincaré : « Ce que le vrai physicien seul sait voir, c'est le lien qui unit plusieurs faits dont l'analogie est profonde, mais cachée »1   

Extrait de mon livre "Les mers de l'incertitude : Diriger en lâchant prise"

(1) Henri Poincaré, Sciences et méthodes, p.22

ÊTRE


Ouvrir les yeux, 
Entrapercevoir ce qui m’entoure, 
Embrasser la peau qui m’accompagne, 
Pleurer celle qui est partie. 
 
Regarder le temps passé, 
Habiter le monde qui est là, 
Me vivre au présent, 
Me constater existant.
 
Ressentir l’évidence de mon incarnation, 
Sans connaître, ni chercher 
Le pourquoi du quelque chose 
Que je suis.

© Robert Branche 

(Photographie prise dans le nord du Québec)

29 nov. 2021

LE COURAGE DES OISEAUX

Si seulement, tu avais le courage des oiseaux qui chantent dans le vent glacé, 
Si seulement, tu osais, immobile et stoïque,
Ne rien attendre, ne rien espérer,
Juste résister et persister. 

Alors, ton regard tourné vers le futur,
 
Tu pourrais, tranquillement et posément,
Ne pas faillir, ne pas oublier,
Être là, intensément présent. 
 
Mais comme une feuille ballottée par le vent, 
Tu ne sais que voler et bouger,
Tu oublies le pourquoi et le comment,
Tu te retrouves là où tu ne voulais pas. 
Aussi, sans futur ni passé, 
Tu pleures tes illusions perdues,
Tu cries après un Dieu absent.
Ah, si seulement tu avais eu le courage des oiseaux qui chantent dans le vent glacé.

27 nov. 2021

DÉPASSEMENT


Ce que j’ai pensé ou rêvé,
Ce que j’ai aimé ou haï,
Ce que j’ai touché ou manqué,
L’oublier pour imaginer ma vie,
Et habiter le champ des possibles. 
 
Ne rien perdre de ce qui n’a pas eu lieu,
Ne rien abandonner,
Ne pas faire de concessions,
Ni à ce qui n’est pas ici, ni à ce qui l’est,
Ne renoncer ni à mes rêves, ni à mes actes.
Dualité du latent et du présent,
Du pas encore et du déjà là.
Tension de l’entre-deux.

© Robert Branche 

(Photographie prise dans le nord du Québec)