Patchwork tiré de « De l'universel, de l'uniforme, du commun et du dialogue entre les cultures » de François Jullien
Poursuite du parcours au sein des écrits de François Jullien avec un arrêt sur ce livre paru en 2008, livre dans lequel il mène une réflexion sur les différences entre universel, uniforme et commun, ce en s'appuyant sur les écarts entre culture européenne et asiatique.
Les différences entre universel, uniforme et commun
« Entre l'universel et l'uniforme : le monde paraît aujourd'hui les confondre… Celui-ci n'est plus l'Un éminent, transcendant, mais l'un réduit, complètement amorti, aride, de la régularité conforme et de la série… L'uniforme est un concept, non de la raison, mais de la production – tel est le standard ou le stéréotype. Il relève, non pas d'une nécessité, mais d'une commodité : moins couteux, parce que produit en chaîne. »
« Comme l'universel a pour opposé l'individuel ou le singulier, l'uniforme a pour opposé le différent… L'uniforme impose ses standards comme le seul paysage imaginable, et sans même sembler l'imposer. De là sa dictature discrète… Il envahit l'imaginaire : Harry Potter ou Da Vinci Code… On souligne de tuiles vernissées et, pourquoi pas, de dragons rampants, pout faire quand même un peu chinois. »
« Le commun est ce à quoi on a part ou à quoi on prend part, qui est en partage et à quoi on participe… L'universel s'édicte ou mieux de prédicte, en amont de toute expérience, le commun, quant à lui, qu'il se reconnaisse ou bien se choisisse, s'enracine au contraire dans l'expérience… Le commun a pour opposé le propre ou le particulier. »
Les différentes appartenances et identités
« En même temps qu'il n'est de science, ou de logos, que de l'universel, le logos devenant le discours de la science, c'est seulement individuel, à l'opposé, qui existe effectivement… C'est cet homme-ci que je soigne et non pas l'homme en général. Tel est le dilemme (et le trauma) dans lequel on voit prise de la pensée européenne… L'existence est faite des individuels, tandis que la science porte les universels. »
« Avec le statut de citoyen romain se surimpose à la diversité des lieux, des peuples, des mœurs, des religions, une même forme institutionnelle et juridique... On possède à la fois une patrie géographique et une patrie de droit : l'une est celle où nous sommes « nés », l'autre est celle qui nous a « accueillis ». »
« Il n'a pas vécu ni parlé avec le Christ, il ne l'a même jamais rencontré... Parlant grec, Paul branche du même coup le message évangélique sur cette langue exercée à parler l'universel qu'est le logos des Grecs détaché de sa gangue mythique... Non seulement il bénéficie à titre de médium de la langue la plus répandue d'un bout à l'autre du monde romain et qui favorise ainsi sa diffusion, mais il trouve aussi cette ressource, favorisant son intelligence, qui est d'exploiter la langue de la philosophie... Il n'y a ni Juif ni Grec, il n'y a ni esclave ni homme libre, il n'y a ni mâle ni femelle, car tous vous ne faites qu'un dans Jésus-Christ. »
Les droits de l'homme
« L'universalisme qu'a prôné l'Europe n'a été, en fait, que l'universalisation de son propre culturalisme. »
« Les occidentaux les posent, et même les imposent, comme devoir être universel, alors qu'il est manifeste que ces droits sont issus d'un conditionnement historique particulier. »
« Les droits de l'homme sont à l'évidence le produit d'une double abstraction (occidentale). À la fois des « droits » et de l' « homme »… En évacuant toute dimension religieuse, en défaisant le groupe, en refusant toute hiérarchie préétablie (puisque l'égalité y est posée en principe de base), et d'abord en coupant l'homme de la « nature », le concept des droits de l'homme trie et prend parti dans l'humain. »
« En Inde, il n'y a pas isolation de « l'homme ». Ni vis-à-vis des animaux, ni vis-à-vis du monde, ni vis-à-vis du groupe... À travers le dharma, c'est la totalité de l'enchaînement des êtres qui est en cause... Ce à quoi enjoint la notion est plutôt d'avoir à trouver sa place dans cet environnement global, participant ainsi à la grande fonction métabolique de l'univers... Quand la liberté est le dernier mot la pensée européenne, l'Extrême-Orient, en face d'elle inscrit l' « harmonie » »
« Cette légitimité (des droits de l'homme) viendrait-elle de ce que la pensée européenne qui a porté les droits de l'homme exprime effectivement un progrès historique... Outre que cette justification vaut accusation, au moins tacite, de toutes les autres cultures, sa critique tombe sous le sens, y compris de l'ethnocentrisme le plus obtus : car au nom de quoi jugerait-on d'un tel progrès si ce n'est déjà au sein d'un cadre idéologique particulier ? Ces objections suffisent à montrer que toute justification idéologique d'une universalité des droits de l'homme est sans issue : la prétention à l'universalité des droits de l'homme ne me paraît défendable, à vrai dire que d'un point de vue logique... Dès lors qu'il y a l'homme qui est en cause, un devoir être imprescriptible, a priori apparaît… Ils sont un instrument irremplaçable, en revanche, pour dire non et protester : pour marquer un cran d'arrêt dans l'inacceptable, caler sur eux une résistance... Comment fixer précisément ce « minimum » de façon transculturelle qui ne soit pas nécessairement relative ? »
Le commun produit de la compréhension
« Aussi l'intelligence est-elle bien cette ressource commune, toujours en développement ainsi que indéfiniment partageable, d'appréhender des cohérences et de communiquer entre elles. »
« La solution, autrement dit, n'est pas dans le compromis, mais dans la compréhension. La tolérance entre valeurs culturelles, elle dont on ne cesse de dire aujourd'hui l'urgence entre les nations, ne doit pas venir de ce que chacun, personne ou civilisation, réduirait la prétention de ses propres valeurs ou modérerait son adhésion à leur égard, ou même « relativiserait » ses positions. »
« Une telle tolérance ne peut venir que de l'intelligence partagée... Chacun s'ouvre également, par intelligence, à la conception de l'autre… L'écart que nous constatons entre ces langues ouvre effectivement d'autres possibilités pour la pensée »
Les écarts et les différences comme sources d'enrichissement
« Parce que sa langue ne décline ni ne conjugue, qu'elle n'est pas contrainte de trancher entre genre, entre temps, entre modes et pas même entre le pluriel et le singulier, qu'elle n'a pas formalisé le rapport prédicatif et qu'elle est quasiment sans syntaxe, la Chine est plus apte à dire, (penser) n'ont pas l'essence de la détermination, mais le flux, l' « entre », l'impersonnel, le continu, la transition. »
« En faisant entendre dans le dia du dia-logue, la distance de l'écart, entre cultures nécessairement plurielles, maintenant en tension ce qui est séparé... Chacun dans sa langue, mais en traduisant l'autre... Si la communication se fait dans la langue d'un des partenaires, ou sans que l'autre langue soit en même temps entendue, la rencontre de ce seul fait est biaisée, s'opérant sur le terrain de l'un des deux. »
« En ne cessant jamais d'emprunter et de réinterpréter, d'une langue à l'autre, l'Europe s'est fécondée, s'est renouvelée, – s'est inventée... Si traduire est penser, penser c'est toujours aussi, d'une certaine façon, traduire. »
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire