9 nov. 2010

« PENSER À PARTIR DU FUTUR, C’EST D’ABORD SE FIXER UN HORIZON STRATÉGIQUE IMMUABLE, TELLE LA MER POUR UN FLEUVE »

Article sur « les Mers de l'incertitude » dans la revue des anciens élèves de l'École Polytechnique (*)

« On dit parfois que la différence entre un manager et un entrepreneur est que le premier décide dans la certitude, alors que le second le fait dans l'incertitude.

Robert Branche ne partage pas cette analyse. Dans Les mers de l'incertitude, son deuxième livre après Neuromanagement (2008), il défend l'idée que la direction d'entreprise consiste dans tous les cas, qu'on soit manager ou entrepreneur, à gérer l'incertitude. A partir d'exemples tirés notamment de l'histoire des sciences, Robert Branche pose en effet comme axiome que l'incertitude ne fait que croître dans l'univers professionnel et que les directions générales n'ont d'autres choix que de composer au mieux avec elle.

Voilà une posture pour le moins inhabituelle de la part d'un ingénieur, qu'on s'attendrait à voir convaincu que le fonctionnement des entreprises est prévisible ou doit s'efforcer de le devenir. Or il n'en est rien, soutient Robert Branche : la vie des affaires n'est pas régie par le principe de Laplace ou la loi de Gauss. Bien souvent, l'accumulation de données n'améliore pas la prévision et raisonner en moyenne ou pratiquer la règle de trois conduisent à graves erreurs de pronostic.

C'est plutôt en direction d'Henri Poincaré et de Pareto que l'auteur se tourne pour comprendre comment fonctionnent ces organisations complexes que sont les entreprises dans le monde contemporain. L'ingénieur des Ponts et Chaussées qu'est Robert Branche leur recommande de se construire comme des jardins à l'anglaise plutôt qu'à la française. En langage de consultant, il s'agit de « laisser chaque sous-ensemble s'organiser selon la logique propre de son métier » et de « permettre des biorythmes différents selon les moments et les situations ».

Dans quel sens diriger une entreprise si l'incertitude y est reine ? Robert Branche a choisi la métaphore pour illustrer sa réponse. Dans Les mers de l'incertitude, il compare l'entreprise à un fleuve et en tire des images éloquentes au service de sa démonstration.

De même qu'on ne peut pas comprendre vers où coule un fleuve en observant ses méandres, l'auteur recommande de ne pas appréhender l'entreprise à l'aune de ses performances à court terme : il faut « penser à partir du futur ».

Penser à partir du futur, c'est d'abord se fixer un horizon stratégique immuable, telle la mer pour un fleuve. Mais c'est aussi se laisser guider par la pente naturelle, comme le fleuve par le relief. A l'heure où l'on fait volontiers l'éloge de la difficulté, ce n'est pas le moindre des paradoxes d'un livre qui en comporte de nombreux que de préconiser la facilité.

Reste à mettre en œuvre ce principe de moindre action appliqué à l'entreprise. Comment éviter les décisions qui ne s'inscrivent pas dans sa trajectoire naturelle, comment tirer parti des obstacles et anticiper les accidents de parcours : à toutes ces questions, Les mers de l'incertitude apportent un ensemble de réponses fondées sur les observations et l'expérience de consultant stratégique de l'auteur.

Avec une mise en garde : attention à la quantophrénie, cette pathologie consistant à vouloir tout mettre en chiffres ! A force d'excès de contrôle de gestion et de lean management, on risque de rendre l'entreprise anorexique. Elle perd alors le goût de la croissance et devient cassante. Diriger dans l'incertitude, c'est en effet souvent, nous dit Robert Branche, savoir aussi lâcher prise. »

Jean-Jacques Salomon

(*) Novembre 2010 - n° 659

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