
Ce n’est pas un désespoir absolu, mais une grande dépression collective, nourrie par la crise récente et par l’incapacité des structures collectives à y répondre, qu’elles soient politiques ou non.
De ce point de vue, le « show télévisé » de Nicolas Sarkozy n’était ni bon, ni mauvais. Il exprimait lui-même ce flottement, ce malaise. Il suffit de noter les contradictions entre ses propos successifs, son incapacité à esquisser ne serait-ce qu’une perspective de sortie. En fait, il ne procède que sous la forme d’ « incantations religieuses », de « formules magiques » supposées apporter la solution. A un moment, sur la répartition du profit entre le travail, l’investissement et le capital, il a même eu des accents d’un Georges Marchais des années 70, belle preuve de modernité…

Ambiance de fin de règne, de fin de période…
Que se passe-t-il ?
Sommes-nous tous victimes d’une forme d’asphyxie à un gaz qui viendrait nous endormir petit à petit, nous plongeant dans une torpeur pré-mortelle ?
Non, je crois que nous sommes sous le choc d’une transformation en profondeur, d’une renaissance collective, d’un accouchement. Et, à l’instar de certaines femmes, nous faisons un déni de grossesse, nous voulons nier ce changement, nous déprimons face à cette réalité que nous ne voulons pas assumer.
Comme je l’ai déjà écrit dans des articles précédents (voir notamment ma série d’articles autour du « Neuromonde »), je crois qu’il y a une forme de malentendu dans la lecture de la crise actuelle : la crise financière n’est pour moi que le révélateur et l’accélérateur d’une mutation profonde de notre monde. Cette mutation est celle de l’émergence progressive et réelle d’un monde globalisé où tous les hommes sont effectivement connectés.

D’abord parce que nous sommes plus nombreux et que nous nous « touchons » physiquement de plus en plus. Parce que dès lors nous avons un impact croissant et destructeur sur notre environnement. Parce que ce qu’un groupe d’individus fait à un bout du monde peut détruire ou améliorer l’environnement de tous.
Nous sortons des cavernes de nos appartenances géographiques, comme nous sommes sortis, il y a des millénaires, des cavernes rocheuses. Cette sortie est amorcée, mais sera longue.
Cette transformation vient remettre en cause les organisations actuelles et les avantages acquis. L’organisation mondiale était favorable à nos pays et notre niveau de vie provenait de l’exploitation relative des autres. Ceci n’est progressivement plus possible. Et donc notre niveau relatif va baisser : la connexion a créé un Neuromonde dans lesquels il n’y a plus de « vannes » permettant de maintenir des différences durables entre les niveaux de vie.

La crise financière n’a pas provoqué cette baisse relative, mais, comme elle ampute fortement la croissance mondiale, elle rend cette baisse douloureuse, car elle est devenue une baisse absolue : dans nos pays – et singulièrement en France –, notre niveau de vie collectif baisse pour la première fois. Une annonce comme la diminution de 20% des salaires chez IBM en est un signal retentissant. Et comme la classe dirigeante protège ses acquis, les efforts sont supportés par les plus faibles, qui étaient déjà les plus fragiles…
La réponse ne peut pas être le retour en arrière, car nous ne pouvons pas nous « déconnecter » les uns des autres :
- Nous ne pouvons pas diminuer le nombre d’hommes sur la planète : Avez-vous envie d’une guerre mondiale comme principe de régulation des naissances ?
- Tous les processus économiques et industriels sont trop enchevêtrés : Comme la plupart des produits manufacturés sont la conjugaison de travaux impliquant un nombre croissant de pays, êtes-vous prêts à vous priver de la plupart des objets qui rythment votre vie quotidienne ?
- Tous les flux financiers sont interdépendants : Voulez-vous voir s’effondrer tout le système financier mondial ?
- Toutes les villes occidentales sont multiculturelles et multiraciales : Seriez-vous friands d’une guerre civile au sein de nos villes opposant les différentes ethnies, une sorte de guerre des banlieues en grand ?
- …
Nous ne pouvons plus refermer les vannes, nous ne pouvons plus lutter contre la force des courants, nous sommes emportés par la puissance de la transformation.
Et c’est heureux, car comment pourrions-nous vouloir retourner vers ce monde où notre richesse venait largement de l’appauvrissement des autres ? Ce n’est pas ce que vous voulez ? Rassurez-moi…

Pour sortir de cette dépression collective, pour retrouver ensemble des chemins positifs et d’espoir, il est urgent de faire face à la réalité de la situation.
Ce n’est pas en faisant croire que le protectionnisme va protéger des emplois que l’on fait face.
Ce n’est pas non plus en pensant que la sortie de la crise financière sera la sortie de nos problèmes.
Ce n’est surtout pas en jetant l’anathème sur les autres – ceux qui ne sont pas comme nous – que nous y arriverons.
Faire face, c’est d’abord avoir le courage de regarder lucidement ce monde global dans lequel nous sommes entrés, ce Neuromonde qui, que nous nous le voulions ou pas, est en train de naître et qui devient le nôtre.
En liaison avec cet article, lire mes articles sur :
- La naissance du Neuromonde
- Comment distinguer les faits et les opinions
- Pourquoi prévoir est un art paradoxal et "impossible"

Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire