Les poupées minérales : l’expansion imprévisible (3)
Dans la bibliothèque de Babel, se trouvent tous ces livres, répartis sur une quasi infinité d’étagères, dans une quasi infinité d’alvéoles. Les bibliothécaires s’y promènent, prenant en main, de temps en temps, un livre et s’extasiant quand ils tombent sur une phrase qui a un sens. Car bien sûr dans cet océan des combinaisons, trouver déjà une phrase qui en a un, est un tour de force.
L’un des bibliothécaires disserte sur l’idée qu’il pourrait y avoir un chemin, une façon de trouver les livres comprenant au moins des paragraphes porteurs de significations. Mais c’est impossible, car tant qu’un livre n’a pas été ouvert et parcouru, on ne sait rien de lui. L’employé est mis devant cette angoisse abyssale : savoir que tout livre susceptible d’exister est là quelque part, mais sans avoir la moindre chance de le trouver. Et comme l’écrit Borges : « Il suffit qu’un livre soit concevable pour qu’il existe. Ce qui est impossible est seul exclu. (…) Cette inutile et prolixe épître que j’écris existe déjà dans l’un des trente volumes des cinq étagères de l’un des innombrables hexagones – et sa réfutation aussi » (1).
Tel est le champ des possibles : il dessine devant nous tout ce qui est susceptible d’exister, mais nous n’avons aucun moyen de l’y repérer à l’avance. Et chaque seconde qui s’écoule rend l’Univers plus vaste, plus complexe : des pages supplémentaires sont ajoutées, des mots aux pages, aussi des nouvelles alvéoles sont-elles construites, des nouvelles étagères fixées, et de nouveaux livres posés. Le temps joue contre notre volonté de nous retrouver dans ce labyrinthe infini.

(1) Jorge Luis Borges, Fictions, p.99-100
(2) Henri Bergson, Le Possible et le Réel, p.17
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