Pour une ergonomie des actions émergentes
Les chefs militaires ont depuis longtemps été confrontés à la nécessité de mener des actions en milieu incertain, aussi est-il intéressant de donner la parole aux théoriciens de l’art militaire.
Clausewitz disait en 1832 : « Il n’existe pas d’autre activité humaine qui soit si continuellement et si universellement contrainte par le hasard et que, en raison de ce dernier, la conjecture et la chance y jouent un rôle essentiel. »
Il illustrait ceci au travers d’une expression : le brouillard de la guerre. Napoléon, lui-même, avait dit : « La guerre n’est faite que d’événements fortuits ; un général devrait toujours conserver l’élément qui lui permettra d’en tirer parti. » Dans ce monde incertain, dans le brouillard généré par la multiplication des aléas, seule, une action décentralisée peut être efficace : seul, celui qui est au combat, face à la réalité des situations peut savoir quelle décision il faut prendre. C’est d’ailleurs l’attitude inverse du commandement français lors de la guerre de 1870, qui, selon le maréchal Foch, serait à l’origine de la défaite : « Un trait caractéristique notable, chez tous les chefs français était leur complète passivité qui attendait constamment l’impulsion du dehors. Les généraux français ne marchaient qu’en vertu d’ordres fermes venus d’en haut ; chacun s’attachait, pour l’exécution de ces ordres, à la lettre, et se trouvait complètement déconcerté quand survenait tout à coup une situation imprévue. »
Certains vont penser qu’il est dangereux de laisser le commandement local choisir ce qui lui apparaît le plus efficace. Mais c’est l’inverse qui est encore plus dangereux : dans le monde de l’incertitude, l’action centralisée est inefficace, car inadaptée et trop peu réactive. Ceci a été clairement résumé, dès 1883, par le maréchal allemand Von der Goltz : « L’initiative rencontre assez d’ennemis puissants pour qu’on ne lui en suscite pas de nouveaux : la paresse d’esprit, le laisser-aller, la routine, la peur des responsabilités, l’instinct des moutons de Panurge, le besoin d’attendre que les événements nous poussent à agir au lieu de nous faire un devoir d’agir spontanément après nous être efforcés de voir clair dans la situation. Toutes ces influences déprimantes paralysent du reste facilement notre action. Si par-dessus le marché on les favorise en rognant l’initiative, en lui coupant les ailes, elles ne tarderont pas à étouffer tout germe de vie. »
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