8 avr. 2019

AUX PORTES DE LA CITE INTERDITE

Pékin, cité impériale
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La Cité interdite porte bien son nom : avant d’y pénétrer, il faut avoir été accepté. Aussi doit-on éviter la force et la brutalité. Privilégier les étapes. Ne pas risquer d’être vu comme un intrus. Un envahisseur. Savoir se faire adouber. Tendre la main progressivement non pas pour caresser – ce serait manquer de respect –, mais pour l’être. Peut-être. J’espère que oui. A cette fin, je décide d’aborder l’Empereur par le Nord, via les deux parcs où il aimait à se promener.
D’abord le parc Beihai. Cheminer lentement, sans bruit, au milieu du flux des touristes chinois, me rendre compte que je suis le seul occidental, me fondre dans la masse, me faire oublier, longer le lac, me dissimuler sous les longues chevelures de saules fraichement habillées de vert, saisir discrètement l’instant avec mon Pentax pour penser à faire plus tard pleurer des traits sur une aquarelle, ne pas franchir le pont et me contenter d’observer à distance la pagode blanche qui surplombe le parc. M’échapper par la porte latérale.
Le parc Jingshan. Voisin, juste une rue à traverser, rapidement, pour sortir de l’entre-deux et des voitures. Regarder la colline artificielle et penser à la fourmilière humaine qui, il y a plus de mille ans, l’a élaborée, commencer l’escalade, aimer le rose délicat des fleurs qui m’accompagnent, en découvrir d’autres inconnues, hésiter à les prendre ou non en photographie, finalement continuer l’avancée sans nouvel arrêt, glisser sur une marche et me rattraper de justesse, apercevoir le pavillon, franchir les derniers mètres. Une pagode solidement ancrée dans le sol de la colline, tressaillant de son envie de s’en échapper, ceinte d’une rambarde fine et d’une petite terrasse, et surplombant Pékin à trois-cent soixante degrés.
En bas, légèrement habillée de la brume de la pollution, la mosaïque de la Cité Interdite. L’infériorité géographique de sa position ne l’empêche pas de dominer le lieu. De me dominer. Tel un Bouddha agenouillé, elle habite tout l’espace. Son labyrinthe illisible ceinturé d’eau m’appelle. Je comprends que, oui, je suis accepté, et que d’urgence, je dois me présenter à elle. Redescendre vite. Le plus vite possible. Dévaler les escaliers. Pour gagner du temps, choisir d’entrer par l’arrière, par la porte Nord. Garder la place Tian’anmen pour plus tard.

2 commentaires:

Jean-Marie Chastagnol a dit…

Très beau texte. Qui me permet de voyager par l'esprit à défaut d'y suivre tes pas

Chastagnol a dit…

Très beau texte. Qui me permet de voyager par l'esprit à défaut de suivre tes pas.