Échappée de mes souvenirs d’enfant, surnommée le "Toy Train", la minuscule locomotive à vapeur met plus de deux heures pour couvrir les trente kilomètres.
C’est une reproduction en grand du train Märklin que mon père m’avait envoyé pour mes dix ans. D’ailleurs, où est-il, le train de mon enfance ? Dans un placard ? Non, là : comme moi, il a grandi et m’emporte sur les rails posés sur la route défoncée. Ne l’appelez plus "Toy Train", ne lui manquez plus de respect, ce n’est pas un jeu, plus un jeu. Comme je ne suis plus un enfant.
En montée, les piétons nous dépassent. En descente, rien ne prouve qu’il pourra s’arrêter. Assis sur une banquette de bois, seul dans mon wagon, je regarde le paysage que je ne vois pas. Toujours la brume. Je me délecte de la lenteur de notre avancée. Presque un surplace. (…)
Pour me dérouiller les jambes, en côte, je descends et marche le long de son flanc. Après l’avoir caressé, je le frappe délicatement pour l’encourager. Essayer de faire cela avec un TGV. À propos, j’aimerais bien en voir un sur les pentes raides de Darjeeling : il serait incapable de faire vingt mètres.
Au milieu du trajet, alors que nous nous trouvons en pleine forêt, surgissent de nulle part des écoliers en uniforme. Ayant autour d’une dizaine d’années, impeccablement habillés, résurgence de la colonisation anglaise, ils marchent le long de la route. Aucune école, aucune maison à l’horizon.
Où vont-ils et d’où viennent-ils ? Mystère. Génération spontanée ? Version indienne des fantômes écossais, la forêt remplaçant le château ?
D’un mouvement synchrone, ils tournent la tête vers moi et me sourient. Aucune raison d’avoir peur. Quoique…
Ils s’écartent et le train poursuit son avancée. Quelques secondes plus tard, je me retourne : ils ont été absorbés par la brume.
Ou se sont-ils physiquement effacés ?
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire