Comprimé avec une dizaine d’Indiens dans l’étroit habitacle d’une jeep, collé à la fenêtre, j’escalade les contreforts de l’Himalaya. Accroché tant bien que vaille à un macadam dont les trous ne sont plus en formation depuis longtemps, le 4x4 cahote d’un méandre à l’autre. D’un côté, un précipice, de l’autre, une forêt. Virage après virage, je suis soit au bord du vide, soit de la végétation.
Quand survient une voiture en sens inverse, en l’absence de toute logique, elle arrive à passer. Magie indienne. Interpénétration moléculaire. Je suis irrigué du calme et de l’indifférence de mes coéquipiers temporaires : celui-ci somnole, ceux-là discutent, d’autres, s’il y avait plus de place, joueraient aux cartes ou aux échecs. Bref, personne ne s’affole. Tout est normal. Donc, aucune raison de m’inquiéter. Ou presque.
Petit à petit, l’air se sature d’humidité. Dehors comme dedans, tout ruisselle et se gorge d’eau. Les arbres, la chaussée, les corps, les vêtements. Moiteur, sueur, transpiration.
À Kurseong, l’escalade est terminée. La route reste chaotique, sinuant sur une sorte de plateau. Plus qu’une trentaine de kilomètres, c’est-à-dire près d’une heure et demie de voiture.
L’eau devient brouillard et le paysage disparaît. Effacé, gommé, avalé. Nous ne vivons plus que dans une peau de quelques mètres. Ni profondeur, ni épaisseur. L’au-delà est affaire de mémoire, rêve et imagination. Je vivrai ainsi trois semaines durant à Darjeeling. Sans perspective, emballé dans un cocon de coton.
Chaque matin, dès cinq heures, aux premières loges depuis ma chambre qui domine la ville, j’observe le combat du soleil contre la brume. Presque à chaque fois perdu, et si succès il y a, il est de courte durée : il est vain de lutter contre la reine des lieux. Aussi, le plus souvent, mon horizon s’arrête aux ruelles qui dévalent les pentes et aux toits des maisons qui s’accrochent les unes aux autres.
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