Assis face au Mékong, je regarde l’eau immobile. Absence d’écoulement. Ou presque. Lent, si lent. La chaleur est moite, si moite. L’air est dense, si dense. Les nuages eux-mêmes ne bougent pas, ils hésitent à déverser le trop-plein qui les peuple.
Une jonque glisse, un tronc la suit, puis un bouquet de lianes. Leurs légers déplacements – non pas une course, mais une procession rituelle où chacun respecte sa place et garde ses distances – apportent un peu de vie à la nature morte qui me fait face.
Sur l’autre rive, les collines du Laos. Langueur des contours, densité uniforme du vert, posture yogique de chaque détail. Le tout compose un décor en résonance avec le maître des lieux.
À leur pied, une route surligne la délimitation entre le vert et l’eau. De temps en temps, y cahote une camionnette ou pétarade une mobylette. Inopportunes et inutiles perturbations.
Sinon rien, sauf le silence et le vide. Pas de palpitation, presque pas de pouls. Sur le miroir que je tends au paysage, une bribe de buée se dépose. Vivant. Un peu. Si peu.
Mais pas fragile pour autant. Au contraire. Puissance du fleuve énergétiquement ancré dans le paysage. Un Bouddha aquatique, liquide, connecté depuis des millénaires aux mêmes racines. Et pour des millénaires encore. Rien n’a changé. Rien ne changera.
Mon regard alternant entre les pages du livre posé sur mes genoux et l’impassibilité du paysage, je m’abreuve du calme et de l’énergie du moment présent. Agir dans le non agir, être acteur spectateur.
(Extrait de mon livre Par hasard et pour rien)
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