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7 janv. 2013

UNE FOURMI DE FEU COMPREND-ELLE POURQUOI ELLE CONSTRUIT UN RADEAU ?

Les tribus animales (5)
Revenons donc à ces microorganismes qui peuplent tous les animaux.
Certains sont juste de passage, rencontres fortuites dues aux chocs aléatoires de la vie, d’autres sont des parasites aux conséquences fâcheuses, et bon nombre participent au bon fonctionnement de l’organisme hôte. Non seulement, ils y participent, mais ils sont indispensables à son bon fonctionnement. Ce qui est vrai pour les animaux, l’est aussi pour les organismes humains : nous ne pourrions vivre sans ces invités permanents et invisibles. Autrement dit, sans eux, Marcel Proust n’aurait jamais pu écrire À la Recherche du Temps Perdu.
Nous voilà donc avec des fourmis de feu qui, tout en ne sachant pas nager, élaborent un radeau insubmersible, et des micro-organismes qui, tout en étant dénués de la moindre capacité mentale, contribuent à l’écriture du chef d’œuvre français sur la mémoire recomposée.
Mais au fait, comment est né le premier radeau ? Les fourmis de feu ont-elles été fatiguées de se voir décimées, année après année, par les inondations à répétition ? Ont-elles un jour mis sur pied un bureau d’études pour chercher quelle pouvait être la meilleure réponse à ces cataclysmes récurrents ? Après avoir débouché sur quelques idées, ont-elles construit des prototypes, avant de retenir le principe du radeau ? Se sont-elles ensuite entraînées à le réaliser le plus rapidement possible ? Non, n’est-ce pas… La solution a dû naître au hasard des télescopages de la vie.
D’ailleurs, posons-nous alors une question « simple » : une fourmi de feu est-elle capable de comprendre, ou simplement de percevoir des propriétés qui la dépassent, mais auxquelles elle participe, et qui n’existeraient pas sans elle ? Sait-elle ce qu’elle fait et pourquoi elle le fait ?
Difficile de répondre à ces questions, car comment les poser à une fourmi ? Mais il est quand même peu probable qu’elle soit à même de comprendre ce qui la dépasse au sens strict du terme. Même nos chercheurs les plus émérites ont du mal à modéliser ces radeaux flottants et leur caractère quasiment indestructible…
(à suivre)

10 sept. 2012

COMMENT TRAVAILLER ENSEMBLE SANS POUVOIR SE COMPRENDRE ?

Personne ne voit, n’entend, ni ne dit la même chose (Neurosciences 25)
Nous ne voyons donc pas ce que regardent nos yeux, mais ce que notre cerveau en a pensé. Toute vision est une déconstruction des informations acquises par nos cellules oculaires, et une reconstruction mentale enrichie de significations, significations qui sont la résultante de ce qui est vu en ce moment, et de l’application de toute notre connaissance, innée et acquise, consciente et inconsciente.
Il en est évidemment de même dans la vie quotidienne d’une entreprise, et dans tous les échanges quotidiens qui la cimentent et la font vivre : il nous est impossible d’échanger des faits bruts, car nous n’avons jamais accès à eux. Quelles que que soient les situations, ce sont toujours des informations enrichies que nous communiquons :
-        enrichies, parce qu’extraites de leur contexte plus général, et toute extraction est l’expression d’un point de vue et d’un choix,
-       enrichies, parce que présentées dans un certain ordre, d’une certaine façon, et toute structure de présentation induit chez celui qui l’écoute un mode de raisonnement, et des inférences variables (voir Nous sommes très sensibles à l’énoncé du problème paru le 5 septembre dernier)
-        enrichies, parce que exprimées selon des modalités émotionnelles implicites ou explicites, et, sous l’effet de nos neurones miroirs, nous sommes susceptibles de percevoir au-delà des mots et d’entrer en une sorte de « communion » entre nous (1),
Comme pour la vue, cet enrichissement est largement inconscient et mobilise toute l’expérience de celui ou ceux qui présentent.
Et il en est de même pour ceux qui écoutent : ils enrichissent constamment ce qui leur est dit, en triant, créant des liens, rappelant des souvenirs, faisant des inférences. Notre ouïe n’est pas plus « naturelle » que notre vision : nous n’écoutons pas non plus ce que nous entendons…
Dans mes deux premiers livres, j’avais déjà attiré l’attention sur la difficulté de la communication, ce compte-tenu de la nécessaire médiation par les mots et les langages, mots et langages qui sont toujours personnels et sont le fruit de l’histoire de chacun (2).
Mais cette fois la difficulté est encore d’un autre ordre, puisqu’elle porte sur la nature même de notre cerveau : nous sommes structurellement incapables de voir la même chose et de comprendre la même chose.
Autant le savoir, non ?
C’est en effet à cette condition que la communication peut devenir possible, parce que l’on en connaît les limites et la relativité.
Ceci milite aussi encore davantage sur le développement de la confrontation, qui, seule, peut nous permettre de nous ajuster entre nous. Plus la situation est complexe, plus elle est nouvelle, plus elle est incertaine, et plus la confrontation est nécessaire.
Et en reprenant le suivi du cours de Stanislas Dehaene, nous allons voir que la confrontation, par sa capacité à promouvoir des échanges riches portant sur le niveau de confiance que chacun porte à ses affirmations, est source de progrès et de plus grande efficacité collective.
(à suivre)
(1) Voir Les Neurones Miroirs de Giacomo Rizzolatti et Corrado Sinigaglia :  « Nos comportements sociaux dépendent en grande partie de notre capacité de comprendre ce que les autres ont en tête et de nous adapter en conséquence… « tout se passe comme si l’intention d’autrui habitait mon corps ou comme si mes intentions habitaient le sien (Merleau-Ponty) » (…) L’événement moteur observé comporte une implication de l’observateur à la première personne, qui lui permet d’en avoir une expérience immédiate comme s’il exécutait lui-même et d’en saisir ainsi d’emblée la signification. (…) L’activation des aires sensorielles qui en résulte, analogue à celle qui se produit lorsque l’observateur exprime spontanément cette émotion (« comme si »), serait à la base de la compréhension des réactions émotionnelles d’autrui. (…) La compréhension immédiate, à la première personne, des émotions d’autrui, que le mécanisme des neurones miroirs rend possible, représente la condition nécessaire de ce comportement empathique qui sous-tend une large part de nos relations interindividuelles. »

7 août 2012

QUI ARRÊTERA L’HÉMORRAGIE FINANCIÈRE DES PME AU PROFIT DE LA DISTRIBUTION, DES BANQUES ET DES GRANDES ENTREPRISES ?

BEST OF (30 janvier 2012)
Tant que le transfert de propriété aura lieu à la livraison, et non pas au paiement, nous n’aurons pas d’entreprises moyennes
En octobre 2011, dans un article intitulé Faut-il que les PME financent les grandes entreprises ?, je faisais part de mon scepticisme sur les plans en faveur des PME, ayant l’impression depuis trente ans d’entendre la même ritournelle. Pourquoi celle-là serait-elle la bonne ?
J’insistais aussi sur ce qui me semblait la réelle origine du problème, à savoir le crédit inter-entreprises, et en le reliant aux modalités du transfert de propriété. Les commentaires provoqués et diverses discussions m’amènent à revenir dessus et à préciser mon propos.
Tout d’abord, rappelons nous que le problème français n’est pas d’abord la création d’entreprises et le manque de petites entreprises, mais son déficit en entreprises moyennes. Pourquoi ce déficit est-il source d’un manque de compétitivité très importante ? Je vois trois raisons essentielles :
-        Les entreprises moyennes sont celles qui sont capables d’avoir des positions de leadership au plan mondial. La démonstration en est faite par l’Allemagne, dont les performances de la balance commerciale reposent largement sur son tissu d’entreprises moyennes.
-        Elles sont à même de mieux structurer l’innovation et d’assurer comme une courroie de transmission entre petites et grandes entreprises.
-        Le déficit en entreprises moyennes empêche le bon renouvellement des grandes entreprises françaises, et freine la respiration de notre économie. En effet, aucune entreprise ne peut devenir « grande » sans passer par la case « moyenne » !
Voilà donc pourquoi la priorité devrait être donnée au développement d’entreprises moyennes.
De ce point de vue, les mesures en faveur des PME que vient d’annoncer François Hollande et qui modulent l’impôt en fonction de la taille, en donnant la priorité aux plus petites, passent à côté du sujet…
Pourquoi maintenant le crédit inter-entreprises, et les modalités du transfert de propriété sont-ils l’origine du problème.
Je rappelle que :
-        Dans le droit latin, le transfert est effectué à la livraison. L’acheteur n’est donc pas juridiquement contraint à le payer, avant de le transformer ou le revendre. Le délai de paiement est issu du rapport de forces entre l’acheteur et le fournisseur. Aussi dès que l’acheteur est une grande entreprise, le rapport de forces lui étant favorable, le délai de paiement se rallonge.
-        Dans le droit anglo-saxon, le transfert de propriété n’est pas effectué à la livraison, mais au paiement. Aussi, si une entreprise veut transformer un bien en l’intégrant dans son processus de production, ou le revendre à un client, elle ne peut le faire qu'après l’avoir effectivement payé. D’où le développement du paiement comptant, ou quasi comptant.
Au vu de l’allongement des délais de paiement, on a en France cherché à compenser ceci d’abord par l’institution d’une clause de réserve de propriété, puis par une loi d’août 2008 disant qu’aucun délai de paiement ne doit être supérieur à 45 ou 60 jours.
Mais, tout ceci reste de portée limitée, car comme c’est à la PME de, soit imposer la présence d’une clause de réserve de propriété dans le contrat, soit de se retourner contre son client en cas de retard de paiement, elle ne le fait que si le rapport de force lui est favorable… c’est-à-dire jamais ou presque.
Quelles sont les conséquences de ces délais de paiement ?
Calculons l’effet de 30 jours supplémentaires. Tout délai supplémentaire d’un mois représente un besoin de trésorerie de un douzième du chiffre d’affaires, soit environ 8%. Pour une entreprise en croissance rapide, disons une croissance de 30%, ce mois supplémentaire représente plus de 10% du chiffre d’affaires de l’année passée. Pour financer ce besoin en trésorerie, le dirigeant va devoir se retourner vers sa banque, pour avoir un prêt court terme. Pour cela, la banque lui demandera des garanties personnelles, et le taux annuel sera supérieur à 5%, et souvent proche de 10%.
Donc 30 jours supplémentaires se traduisent pour une PME en forte croissance dans un surcoût de l’ordre de 1%. Comme l’écart avec les entreprises allemandes est souvent de 60 jours de délai de paiement, le surcoût est de 2%. Toute PME en croissance rapide doit donc consacrer souvent 2% de son chiffre d’affaires de l’année passée, juste pour financer son besoin de trésorerie. Il lui faut donc des niveaux de profit exceptionnels pour pouvoir grandir et financer tout le reste !
Il y a plus. Comme la banque demande des garanties personnelles, le dirigeant ne pourra plus les apporter dès que la taille de son entreprise deviendra plus grande, car son patrimoine, sauf exception, sera trop petit face au besoin de financement. Ceci bloque donc le développement au-delà d'une certaine taille. Faudrait-il que les banques ne demandent plus de telles garanties, et ne financent qu’au vu du projet ? Au moment où l’on veut diminuer les risques pris par les banques et que l’on veut limiter leurs activités spéculatives, je ne suis pas certain que ce soit la meilleure voie.
Ne serait-il pas plus simple de modifier notre droit, et nous aligner sur le droit allemand, en faisant que la règle soit le transfert de propriété au paiement.
Mais il est vrai que tout ceci mettrait à mal toute la grande distribution et bon nombre de grandes entreprises...
Alors arrêtons de nous lamenter sur le manque d’entreprises moyennes, notre déficit commercial et la dégradation de l’emploi.
A moins que les élections à venir soient l’occasion de traiter les problèmes, et non plus les symptômes…

2 mai 2012

NOUS SOMMES DES DOIGTS POUR LES FOURMIS

Le monde animal bouge, collabore… et communique (5) : Réagir à ce que l’on ne comprend pas
Dans Les Fourmis, le célèbre livre de Bernard Werber, nous vivons le monde au travers des yeux des fourmis, et apprenons que, pour elles, nous sommes des doigts. C’est en effet grâce à ces extrémités de nos mains que les fourmis nous connaissent le plus souvent. Mais comment à partir d’une information aussi incomplète, pourraient-elles se faire une idée, ne serait-ce qu’approchante, de qui nous sommes ? Impossible. C’est d’ailleurs la réponse qu’apporte Bernard Werber dans son livre.
Mettons-nous maintenant dans la peau, – si je puis dire… –, d’un des microorganismes qui nous habitent. Comment pourrait-il bien nous appeler ? Quelle expérience a-t-il de la cohabitation avec ce corps qui l’englobe ? S’il est conscient de quelque chose, – si tant est que le terme de conscience est un sens dans ce cas… –, cela ne peut être que des cellules qui l’environnent, ses alter-ego en quelque sorte.
Or, si jamais ces fourmis ou ces microorganismes nous importunent, nous allons chercher à les neutraliser, voire les détruire, à coup d’insecticides ou d’antibiotiques.
Voilà alors leur vie qui va s’arrêter brutalement, et pour une raison qui, au sens strict du mot, les dépasse : comment une fourmi qui, au mieux, a repéré les principales propriétés des « doigts » pourrait en inférer les dangers d’un insecticide. La quantité d’informations qu’elle détient, et sa capacité cognitive de traitement, même collectivement au niveau de la fourmilière, sont très certainement insuffisantes. Que dire alors du « pauvre » virus qui se trouve confronter à un antibiotique…
Et pourtant, on voit se développer des insectes résistants aux insecticides, et des virus résistants aux antibiotiques. Est-ce à dire que des races de surdoués auraient réussi à décrypter nos attaques, à les analyser et à trouver la parade ?
Non bien sûr ! C’est, une fois de plus, une des propriétés de l’évolution, et de la dérive naturelle telle que développée par Francesco Varela : à force de bricoler, et de se modifier aléatoirement, les solutions émergent et se répandent.
Pourquoi de tels développements sur l’incapacité des fourmis et des microorganismes à théoriser ce qui leur arrive, et sur l’émergence, pourtant, aléatoire de solution ? Parce que je crois que ceci s’applique aussi à nous, humains : nous comprenons beaucoup moins que nous le croyons ce qui nous arrive, nous définissons les choses par ce que nous en voyons ou percevons, et nous trouvons beaucoup plus souvent que nous ne l’imaginons les solutions par hasard.
J’aurai l’occasion de revenir plus tard sur ces points, mais, pour l’instant, je n’en ai pas fini avec les animaux…
(à suivre)

22 mars 2012

VOIR LE MONDE AU TRAVERS DES CRIS QUE L’ON ÉMET

Nous ne comprenons pas le monde tel qu’il est, mais tel que nous le percevons
Difficile d’imaginer comme notre compréhension du monde est dépendante de nos perceptions, et comme, sans que nous en rendions compte, nous le comprenons pas d’abord tel qu’il est, mais tel que nous le voyons.
Pour essayer d’approcher cette réalité, Jean-Claude Ameisen, dans son émission du 18 février dernier de Sur les Épaules de Darwin, nous incite à voir le monde au travers des perceptions d’une chauve-souris.
Nous avons l’habitude de lire l’univers au travers de notre vue, et du rebond des ondes lumineuses. Ainsi nous projetons notre regard, et saisissons la quantité de lumière renvoyée par ce qui nous entoure, ainsi que les fréquences correspondantes.
La chauve-souris, elle, projette des cris, et est sensible au rebond des sons. Comment se sentir voler dans un noir absolu, guidé seulement par l’écho de ses propres cris ? Comme si un aveugle, pour se déplacer, criait sans cesse, et percevait la forme, la matière et la distance des choses par les déformations des sons qui lui reviendraient en retour.
J’aime la poésie de cette invitation à voir le monde comme une chauve-souris. Tentative impossible bien sûr, mais qui peut nous aider à percevoir notre propre subjectivité…
Plus étonnant, la nature a su s’adapter pour guider les chauve-souris, quand cela peut être nécessaire : ainsi certaines fleurs d’une vigne d’Amérique du Sud, quand elles sont mûres et prêtes à libérer leur pollen, ont une pétale supplémentaire qui se dresse, un sorte d’antenne satellite, un miroir sonore qui renvoie les ultrasons dans la direction où ils ont été émis. Grâce à cela, les chauve-souris les localisent très facilement et pollénisent… Merveille de la coévolution.
Autre promenade dans les méandres des ruelles inconnues de notre monde. Certains animaux voient dans l’ultra-violet. Pour cela, ils ont quatre pigments rétiniens : trois comme nous et un de plus dans l’ultraviolet. Ainsi certains oiseaux qui nous semblent avoir un plumage triste, sont perçus par leurs congénères comme une explosion de couleurs, car c’est dans l’ultraviolet que leur génie créatif s’exprime. C’est un peu comme si nous passions devant une porte qui serait invisible à nos yeux, mais perceptible à ceux de nos voisins. Magie de ces objets cachés ou révélés…
Par exemple aussi deux fleurs qui nous paraissent d’un rouge identique, ne le sont pas pour des abeilles ou des colibris, car elles ne reflètent pas l’ultraviolet de la même façon…
J’essaie de garder cela en tête quand je marche dans les entreprises pour essayer de comprendre ce qui s’y passe. Ma perception  n’est que relative. Peut-être suis-je en train d’ignorer une porte qui m’est invisible, ou d’être attiré par des couleurs perceptibles de moi seul. Qui sait ?

29 févr. 2012

RELIER MER VISÉE ET ACTION INDIVIDUELLE

Agir ici et maintenant - Le management par émergence (4)
Comme indiqué dans mon article d’hier, je vois six points nécessaires à des émergences efficaces : lien action/mer + paranoïa optimiste + facilité + flou + confrontation + rythme.
J’aborde aujourd’hui le premier : le lien entre action et mer (1).
Laisser les décisions émerger, et s’assurer qu’elles vont effectivement permettre de se rapprocher de la mer visée, suppose en effet que chacun soit capable de lier son action individuelle à l’avancée vers la mer.
Ceci suppose deux choses essentielles :
  • Que chacun sache quelle est la mer visée, et en quoi elle le concerne personnellement,
  • Qu’il soit capable de trier dynamiquement entre les opportunités d’action qui se présentent à lui, pour choisir celle qui lui apparaît la plus en relation avec la mer.
Ce double préalable à toute émergence efficace paraît trivial, mais je constate que bien peu d’entreprises le mettent réellement en œuvre.
En effet, il ne suffit pas :
  • De diffuser un document présentant la stratégie pour que chacun comprenne de quoi on parle, et surtout en quoi il peut contribuer à cette stratégie,
  • D’informer pour communiquer, de parler pour être compris, ou de dire pour être cru,
  • D’affirmer que chacun dispose de marges de manœuvre, pour qu’il les saisisse, et que son encadrement de proximité l’y incite,
Je ne dis pas non plus que c’est inatteignable, bien au contraire. Simplement, cela nécessite un effort et une action volontariste pour que cela se produise.
Certains vont penser qu’il est dangereux de laisser chacun choisir  ce qui lui apparaît le plus efficace. Je leur répondrais d’abord que l’inverse me semble encore plus dangereux : dans le monde de l’incertitude, l’action centralisée est inefficace, car inadaptée et trop peu réactive.
Ensuite cette prise d’initiative locale se fait dans le cadre des autres points sur lesquels je reviendrai dans les prochains articles, à savoir notamment la facilité (apprendre à privilégier le « geste naturel »), le flou (qui définit les marges de manœuvre), la confrontation (qui articule les points de vue et les actions), le rythme (qui structure la réflexion).
Je reviendrai enfin, dans quelques jours, une fois que j’aurais explicité les six points nécessaires à l’émergence efficace, sur comment il est possible de transformer réellement une entreprise.
Lundi donc la suite avec la « paranoïa optimiste »
(à suivre)
(1) Je rappelle que le mot « mer » image l’idée de ce futur durable que l’entreprise vise (voir notamment mon article Réfléchir à partir du futur pour se diriger dans l’incertitude)

14 févr. 2012

COMMENT COMPRENDRE CE QUI NOUS DÉPASSE ?

Retour à des histoires de fourmis
Allongée sur un sofa, les yeux perdus dans le vide, la fourmi Z-4195 rêve aux yeux langoureux de la princesse Bala, l’inaccessible fille de sa reine. Comment l’approcher ? Comment une pauvre et anonyme ouvrière, perdue dans l’immensité de la fourmilière, pourrait bien attirer son attention ? Angoisse métaphysique, vertige qu’un psychologue va essayer de traiter. Mais que peut-il bien faire ? Comment accéder à ce qui ne l’est pas ? Il va falloir la magie du cinéma et du film FourmiZ, la force apportée par la voix de Woody Allen pour faire que l’impossible devienne réalité.
Dans la pratique, que peut bien faire une fourmi à part suivre le troupeau de ses congénères ? Elle naît dotée de certaines propriétés, ouvrière, guerrière, ou agricultrice, et devra faire avec. Surtout que comprend-elle de ce à quoi elle participe ? Toute petite pièce d’une immense colonie, dépassée par la puissance et la sophistication de la collectivité à laquelle elle appartient et qu’elle contribue à construire, est-elle consciente de ce système global ? Un petit peu ? Beaucoup ? Pas du tout ? Comment savoir ? Nous n’avons pas accès à ses pensées, si jamais elle en a, et il serait bien imprudent de s’appuyer sur celle de Z-4195 pour cela. Finalement, nous sommes comme elle, dépassés par la complexité de notre monde, et nous ne pouvons que spéculer sur l’imaginaire des fourmis.
Un jour où le soleil de Provence avait endormi mes défenses, et m’avait incité à la rêverie,  une question avait surgi à propos des fourmis qui s’agitaient à mes pieds : venaient-elles, elles aussi, pour économiser de l’énergie, de passer à l’heure d’été1 ? Question stupide, pensez-vous. Peut-être, mais, après tout, face à la puissance de leur intelligence collective, ne serait-il pas imprudent d’affirmer que la notion de temps leur est étrangère. À force de vivre à nos côtés, elles ont peut-être synchronisé leurs activités avec les nôtres, et afin d’être le plus efficace possible, changent aussi d’heure deux fois par an.
Essayez donc de me démontrer le contraire…
(1) Voir Les fourmis passent-elles à l’heure d’été ?

1 févr. 2012

NON, LE TRAVAIL N’EST PAS UNE MARCHANDISE !

Faire des calculs sur le coût du travail n’a pas grand sens
La quasi-totalité des hommes politiques, de gauche comme de droite, et des économistes continuent à considérer que le travail est une quantité que l’on peut additionner et multiplier. Il en était ainsi lors des débats sur les 35 heures, il en est ainsi aujourd’hui quand on parle du coût du travail.
Or les activités humaines ne se prêtent pas aux règles de trois, et heureusement ! C’est déjà ce que j’indiquais dans mon livre, Les mers de l’incertitude, quand je m’attaquais aux dangers de la mathématisation du monde.  J’y écrivais notamment : 
« Si un bagagiste ramasse en moyenne N bagages par heure, combien deux bagagistes en ramasseront-ils ? 2N ? Oui, si l’on applique brutalement le calcul mathématique. C’est ce que l’on fait classiquement. Non, si l’on tient compte de ce que les hommes ne sont pas des objets théoriques dont on peut négliger le comportement. Pourquoi considérer qu’ils ne peuvent pas se mettre à discuter ensemble ou, à l’inverse, profiter chacun de l’expertise de l’autre pour accroître leur rendement individuel ? Les hommes ne sont pas des objets que l’on peut additionner ou multiplier. Faut-il s’en plaindre ?
Malgré tout, nous continuons à ramener le comportement humain à des équations simples et à manipuler les hommes à coup de règles de trois. Quelques exemples :
  • Dans la plupart des démarches de productivité, on calcule combien de temps en moyenne une personne met pour effectuer une tâche. Puis connaissant le nombre de tâches à effectuer par jour, on en déduit combien de personnes sont nécessaires. Comme s’il n’y avait aucun effet lié au nombre de personnes.
  • Pour accélérer le déroulement d’un projet informatique, on double le nombre de personnes impliquées en faisant l’hypothèse que le délai sera divisé par presque deux.
  •  Les approches sur les conséquences de la réduction du temps de travail, considèrent que la quantité de travail est une donnée qui se divise, se multiplie et se répartit. La réalité dément quotidiennement ces calculs. »
Comment ne pas voir dès lors l’absurdité de ramener la compétitivité des entreprises, au coût du travail en France ?
Comment ne pas voir que, en dehors des taches simples et répétitives qui ne représentent, Dieu merci, plus que la minorité du travail, la performance est d’abord liée à l’engagement individuel et collectif, au niveau de formation, à la capacité à travailler ensemble ou à la compréhension de son rôle dans un processus industriel complexe ?
Comment donc penser que c’est en agissant sur la variable du coût du travail, et en plus dans des proportions faibles, que l’on va redévelopper l’emploi industriel en France ?
C’est décidément bien peu comprendre ce que sont les réels modes de fonctionnement des entreprises, et ce qui fait la performance dans le monde globalisé de l’incertitude, le Neuromonde comme je l’appelle.
C’est aussi absurde que de penser, que l’on va mettre moins de temps pour aller de Paris à Lyon par autoroute, en changeant de voiture. Le temps de parcours dépend d’abord des embouteillages, des travaux éventuels et de la météo et du type de conduite. La voiture intervient bien peu, puisque toutes les voitures peuvent atteindre des vitesses moyennes largement supérieures à 130 km/h… Alors arrêtons de parler des voitures, et abordons les vrais sujets.
Est-ce être utopiste que d’espérer que les discours et les actes politiques se raccordent au réel et ne manipulent plus des fictions mathématiques ?

30 janv. 2012

QUI ARRÊTERA L’HÉMORRAGIE FINANCIÈRE DES PME AU PROFIT DE LA DISTRIBUTION, DES BANQUES ET DES GRANDES ENTREPRISES ?

Tant que le transfert de propriété aura lieu à la livraison, et non pas au paiement, nous n’aurons pas d’entreprises moyennes
En octobre 2011, dans un article intitulé Faut-il que les PME financent les grandes entreprises ?, je faisais part de mon scepticisme sur les plans en faveur des PME, ayant l’impression depuis trente ans d’entendre la même ritournelle. Pourquoi celle-là serait-elle la bonne ?
J’insistais aussi sur ce qui me semblait la réelle origine du problème, à savoir le crédit inter-entreprises, et en le reliant aux modalités du transfert de propriété. Les commentaires provoqués et diverses discussions m’amènent à revenir dessus et à préciser mon propos.
Tout d’abord, rappelons nous que le problème français n’est pas d’abord la création d’entreprises et le manque de petites entreprises, mais son déficit en entreprises moyennes. Pourquoi ce déficit est-il source d’un manque de compétitivité très importante ? Je vois trois raisons essentielles :
-        Les entreprises moyennes sont celles qui sont capables d’avoir des positions de leadership au plan mondial. La démonstration en est faite par l’Allemagne, dont les performances de la balance commerciale reposent largement sur son tissu d’entreprises moyennes.
-        Elles sont à même de mieux structurer l’innovation et d’assurer comme une courroie de transmission entre petites et grandes entreprises.
-        Le déficit en entreprises moyennes empêche le bon renouvellement des grandes entreprises françaises, et freine la respiration de notre économie. En effet, aucune entreprise ne peut devenir « grande » sans passer par la case « moyenne » !
Voilà donc pourquoi la priorité devrait être donnée au développement d’entreprises moyennes.
De ce point de vue, les mesures en faveur des PME que vient d’annoncer François Hollande et qui modulent l’impôt en fonction de la taille, en donnant la priorité aux plus petites, passent à côté du sujet…
Pourquoi maintenant le crédit inter-entreprises, et les modalités du transfert de propriété sont-ils l’origine du problème.
Je rappelle que :
-        Dans le droit latin, le transfert est effectué à la livraison. L’acheteur n’est donc pas juridiquement contraint à le payer, avant de le transformer ou le revendre. Le délai de paiement est issu du rapport de forces entre l’acheteur et le fournisseur. Aussi dès que l’acheteur est une grande entreprise, le rapport de forces lui étant favorable, le délai de paiement se rallonge.
-        Dans le droit anglo-saxon, le transfert de propriété n’est pas effectué à la livraison, mais au paiement. Aussi, si une entreprise veut transformer un bien en l’intégrant dans son processus de production, ou le revendre à un client, elle ne peut le faire qu'après l’avoir effectivement payé. D’où le développement du paiement comptant, ou quasi comptant.
Au vu de l’allongement des délais de paiement, on a en France cherché à compenser ceci d’abord par l’institution d’une clause de réserve de propriété, puis par une loi d’août 2008 disant qu’aucun délai de paiement ne doit être supérieur à 45 ou 60 jours.
Mais, tout ceci reste de portée limitée, car comme c’est à la PME de, soit imposer la présence d’une clause de réserve de propriété dans le contrat, soit de se retourner contre son client en cas de retard de paiement, elle ne le fait que si le rapport de force lui est favorable… c’est-à-dire jamais ou presque.
Quelles sont les conséquences de ces délais de paiement ?
Calculons l’effet de 30 jours supplémentaires. Tout délai supplémentaire d’un mois représente un besoin de trésorerie de un douzième du chiffre d’affaires, soit environ 8%. Pour une entreprise en croissance rapide, disons une croissance de 30%, ce mois supplémentaire représente plus de 10% du chiffre d’affaires de l’année passée. Pour financer ce besoin en trésorerie, le dirigeant va devoir se retourner vers sa banque, pour avoir un prêt court terme. Pour cela, la banque lui demandera des garanties personnelles, et le taux annuel sera supérieur à 5%, et souvent proche de 10%.
Donc 30 jours supplémentaires se traduisent pour une PME en forte croissance dans un surcoût de l’ordre de 1%. Comme l’écart avec les entreprises allemandes est souvent de 60 jours de délai de paiement, le surcoût est de 2%. Toute PME en croissance rapide doit donc consacrer souvent 2% de son chiffre d’affaires de l’année passée, juste pour financer son besoin de trésorerie. Il lui faut donc des niveaux de profit exceptionnels pour pouvoir grandir et financer tout le reste !
Il y a plus. Comme la banque demande des garanties personnelles, le dirigeant ne pourra plus les apporter dès que la taille de son entreprise deviendra plus grande, car son patrimoine, sauf exception, sera trop petit face au besoin de financement. Ceci bloque donc le développement au-delà d'une certaine taille. Faudrait-il que les banques ne demandent plus de telles garanties, et ne financent qu’au vu du projet ? Au moment où l’on veut diminuer les risques pris par les banques et que l’on veut limiter leurs activités spéculatives, je ne suis pas certain que ce soit la meilleure voie.
Ne serait-il pas plus simple de modifier notre droit, et nous aligner sur le droit allemand, en faisant que la règle soit le transfert de propriété au paiement.
Mais il est vrai que tout ceci mettrait à mal toute la grande distribution et bon nombre de grandes entreprises...
Alors arrêtons de nous lamenter sur le manque d’entreprises moyennes, notre déficit commercial et la dégradation de l’emploi.
A moins que les élections à venir soient l’occasion de traiter les problèmes, et non plus les symptômes…

21 déc. 2011

NOUS TROUVONS TOUJOURS DE BONNES RAISONS… MÊME À CE QUE NOUS NE COMPRENONS PAS

Emboîtements et émergences (5)
Nous, les humains, avons la capacité d’analyser ce à quoi nous participons, talent clé de notre existence et de notre survie.
Notre connaissance n’est pas infinie, mais elle progresse. Ainsi nous repoussons sans cesse les limites de notre science, nous avons percé la logique de l’ADN, nous plongeons chaque jour plus profondément dans l’infiniment petit comme dans l’infiniment grand, nous approchons du moment du big-bang où tout semble avoir commencé, nous dressons des cartographies de plus en plus fines de notre cerveau et des interactions entre nos neurones…
Certes, certes…
Mais ceci n’est vrai, par construction, que pour ce qui est accessible à notre compréhension. Si jamais il existe quelque chose qui est d’une dimension qui nous échappe littéralement, c’est-à-dire qui, pour une raison ou une autre, ne peut être concevable par nous, alors nous ne pourrons jamais le comprendre. Nous serions dans la situation des bactéries et des neurones dont je parlais hier…
Que se passe-t-il donc quand nous sommes face à de telles situations ? Il semble bien qu’alors, nous sommes les champions de la rationalisation a posteriori. Dans mon livre Neuromanagement, je rapportais une expérience troublante :
« Prenons l’expérience rapportée par Lionel Naccache dans Le Nouvel Inconscient (p. 385) et menée par un chercheur, Michaël Gazzaniga, sur un patient atteint de déconnexion interhémisphérique : dans cette maladie, l’hémisphère droit est incapable de communiquer avec l’hémisphère gauche. L’expérience a été la suivante : à la gauche de l’écran situé devant le patient, est apparu pendant quelques dixièmes de seconde l’ordre verbal « Marchez ». Il s’est alors levé et déplacé : l’ordre lu par l’hémisphère droit venait d’être exécuté, mais, à cause de la maladie, l’hémisphère gauche, qui assure notamment la maîtrise du langage, n’était pas informé de l’existence de cet ordre et donc ne pouvait pas savoir pourquoi il s’était levé.
Gazzaniga lui demanda alors : « Où allez-vous ? ». Au lieu de lui dire qu’il ne savait pas pourquoi, le patient lui répondit du tac au tac : « Je vais à la maison chercher un jus de fruits. » : il venait d’élaborer une interprétation consciente qui lui permettait d’attribuer une signification à son comportement. Plutôt que de répondre : « Je suis en train de sortir de cette pièce mais je ne sais pas du tout pourquoi, comme c’est curieux tout de même ! », le patient avait construit immédiatement une interprétation de son comportement, mais sans se rendre compte que cette interprétation en était une. »
Ainsi quand nos actes sont suscités par quelque chose qui nous dépasse, notre tendance naturelle  serait d’imaginer une motivation que nous comprenons.
Comment alors savoir quand nous comprenons vraiment, et quand nous l’imaginons ?
(à suivre)